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BOU_2/BOU7
Louis BOUILHET
POÉSIES. FESTONS ET ASTRAGALES
1859
CLAIR DE LUNE
A MON AMI A. PIGNY
I
Soulevant le rideau des ombres, 8 a
La pâle lune, lentement, 8 b
Des fleuves noirs aux forêts sombres 8 a
Étale son rayonnement. 8 b
5 Et sur le vert tapis des mousses 8 a
Où la nuit épand sa fraîcheur, 8 b
On sent planer deux choses douces. 8 a
La solitude et la blancheur, 8 b
Jour timide, aube solitaire 8 a
10 Qui nous console du soleil ; 8 b
Baiser pur effleurant la terre 8 a
Sans interrompre son sommeil ! 8 b
Plus d'oiseaux, la biche est couchée, 8 a
Le flot, à peine, ose frémir ; 8 b
15 On dirait une sœur penchée 8 a
Qui regarde sa sœur dormir ! 8 b
Et si la brise familière 8 a
Écarte les rameaux discrets, 8 b
On voit des gouttes de lumière 8 a
20 Trembler aux feuilles des forêts. 8 b
Tandis qu'ouvrant, au bord des grèves, 8 a
Son noir calice où dort l'amour, 8 b
S'épanouit la fleur des rêves, 8 a
Qui se fane quand vient le jour ! 8 b
II
25 Et pourtant, ô lueur, ô caresse, ô mystère, 6+6 a
Sourire étincelant que reflètent les eaux, 6+6 b
Silences argentés de la nuit solitaire 6+6 a
Qui flottez comme un voile aux pointes des roseaux, 6+6 b
Grâce des monts, douceur des horizons énormes, 6+6 a
30 Blanc duvet de colombe, au dos des mers jeté, 6+6 b
O splendeurs !… vous tombez des régions difformes 6+6 a
D'où le regard de Dieu s'écarte épouvanté ! 6+6 b
C'est un monde effrayant plein de visions mornes, 6+6 a
Qu'un cratère éternel a fait rugueux et noir. 6+6 b
35 Là, des déserts sans fin suivent des mers sans bornes, 6+6 a
Comme la lassitude, après le désespoir !… 6+6 b
Aucun pas n'a marqué ces plaines désolées, 6+6 a
Ou, si l'être s'obstine et s'y veut hasarder, 6+6 b
C'est quelque peuple affreux grouillant dans les vallées 6+6 a
40 Qui nous ferait mourir, rien qu'à nous regarder ! 6+6 b
Comme un lépreux qui râle, étendu sur sa claie, 6+6 a
La nature enchaînée à ce sombre univers 6+6 b
Au pied des monts géants, pleure, et, par chaque plaie, 6+6 a
Va roulant sa sanie au noir égout des mers ! 6+6 b
45 Et peut-être, ô terreur, quand du haut de la nue, 6+6 a
La nuit verse sur nous le silence et la paix, 6+6 b
La planète que ronge une angoisse inconnue 6+6 a
Pousse un long cri de mort qu'on n'entendra jamais ! 6+6 b
III
Le poëte, en ses mains hardies, 8 a
50 Prend son grand luth, et de ses doigts 8 b
Tombent des larges mélodies 8 a
Sur les sept cordes à la fois ! 8 b
C'est une musique superbe 8 a
Où résonne tout l'univers, 8 b
55 Depuis la chanson du brin d'herbe, 8 a
Jusqu'au dithyrambe des mers. 8 b
La nature écoute, saisie 8 a
Et, comme un ruisseau de cristal, 8 b
Descend la douce poésie 8 a
60 Des sommets bleus de l'idéal, 8 b
Tandis qu'en bas de joyeux groupes 8 a
Étendus sur la berge en fleurs, 8 b
Boivent, en y plongeant leurs coupes, 8 a
L'oubli du monde et des douleurs ! 8 b
65 Seule, au balcon que l'oiseau frise, 8 a
La vierge, sous ses rideaux blancs, 8 b
Croit entendre, au loin, dans la brise, 8 a
La sérénade des galants, 8 b
Et rêve, avec de molles poses, 8 a
70 A celui qui, chantant pour eux, 8 b
Donne plus de parfums aux roses 8 a
Et plus d'amour aux amoureux ! 8 b
IV
Et pourtant, ô tendresse, ô délire, ô cantiques, 6+6 a
Hymnes qui du grand ciel savez faire le tour, 6+6 b
75 Poëmes qui chantez avec des voix antiques 6+6 a
L'éternelle jeunesse et l'éternel amour, 6+6 b
Ballades, secouant le tambourin des rimes, 6+6 a
Strophes, mètres dansants, sonnets d'espoir chargés, 6+6 b
O transports !… Vous tombez, malgré vos cris sublimes, 6+6 a
80 Des cœurs les plus perdus et les plus ravagés ! 6+6 b
Là hurlent des désirs qui n'auront pas leur proie, 6+6 a
Là, saignent des douleurs qui se cachent au jour, 6+6 b
Là, sur toute croyance, incessamment tournoie 6+6 a
Le doute, oiseau des nuits, maigre comme un vautour ! 6+6 b
85 Partout, le ciel de plomb, partout, le sable aride, 6+6 a
Pas une source fraîche, aux haltes du chemin, 6+6 b
Si l'on y voit germer quelque oasis timide, 6+6 a
Le simoun, en passant, l'emportera demain ! 6+6 b
Nul pas n'a mesuré ces vastes solitudes 6+6 a
90 Dont un sphinx éternel garde le seuil poudreux, 6+6 b
Tandis qu'au fond, dressant leurs mornes attitudes, 6+6 a
Les souvenirs muets se regardent entre eux ! 6+6 b
Et cet écho charmant d'où tant de joie émane, 6+6 a
Qu'il fait rêver du ciel les peuples attroupés, 6+6 b
95 C'est ton grelot qui tinte, ô sombre caravane, 6+6 a
Des désirs haletants et des espoirs trompés !… 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite de strophes
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