Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BOU_1/BOU5
Louis BOUILHET
Melænis
conte romain
1857
CHANT CINQUIÈME
Ô frère de l'amour, hyménée ! Hyménée ! 6+6 a
Dieu couronné de fleurs, jeune homme aux blonds cheveux, 6+6 b
Toi dont la main secoue un flambeau résineux ! 6+6 b
Toi qui conduis l'amant à la vierge étonnée, 6+6 a
5 Quand aux sons du crotale et de la flûte aimée, 6+6 a
L'étoile de Vénus palpite dans les cieux ! 6+6 b
Pour toi la jeune fille, en respirant à peine, 6+6 a
Va cueillir dans les champs son chapeau de verveine ; 6+6 a
Elle tremble, elle hésite, elle écoute en chemin, 6+6 b
10 Les bois, les prés, les flots au murmure incertain, 6+6 b
Et regarde en rêvant, la ceinture de laine 6+6 a
Que l'époux, sur ses pieds, fera tomber demain. 6+6 b
Elle ne viendra plus dans les campagnes blondes 6+6 a
Jouer avec ses sœurs, aux rayons du soleil ! 6+6 b
15 Car les temps sont passés des courses vagabondes, 6+6 a
Des plaisirs enfantins ; demain, à son réveil, 6+6 b
Elle sera l'épouse aux angoisses profondes, 6+6 a
Par qui vit la famille et le foyer vermeil. 6+6 b
Elle sera mêlée aux mères sérieuses, 6+6 a
20 Chaste, grave, et parfois guidant avec fierté 6+6 b
Un beau groupe d'enfants qui saute à son côté, 6+6 b
Tandis que, contemplant leurs têtes gracieuses, 6+6 a
Le père, à ses cils noirs sent des larmes joyeuses 6+6 a
Glisser, comme la pluie, après un jour d'été. 6+6 b
25 Oh ! Qui dira la paix, et le bonheur tranquille ! 6+6 a
Muse, qui chantera, dans des vers assez doux, 6+6 b
La maison reluisante, et les baisers d'époux ! 6+6 b
Les pénates, au feu, séchant leur corps d'argile ! 6+6 a
Et l'essaim des valets, et le cercle immobile 6+6 a
30 Des aïeux, sur le seuil, rongés du temps jaloux ! 6+6 b
Elles vivaient ainsi, les mères d’Étrurie, 6+6 a
Celles du Latium et du pays sabin, 6+6 b
Gardant comme un trésor, loin du tumulte humain, 6+6 b
Le travail, la pudeur, les dieux et la patrie ! 6+6 a
35 Elles n'attendaient pas qu'un préteur d'Illyrie 6+6 a
Vînt tenter leur vertu des colliers à la main ! 6+6 b
Laissons l'amant rôder près des murs de sa belle, 6+6 a
Et, les cheveux mouillés par les pleurs de la nuit, 6+6 b
Faire, sous le ciel noir, hurler le chien fidèle, 6+6 a
40 Comme un voleur furtif que la crainte poursuit. 6+6 b
J'aime mieux pour entrer, la porte que l'échelle, 6+6 a
J'aime mieux pour sortir, le calme que le bruit. 6+6 b
L'amant, c'est le chasseur qui marche par la plaine, 6+6 a
Hâve et noir de poussière, avec son lévrier ; 6+6 b
45 L'époux majestueux ressemble au cuisinier 6+6 b
Qui, sans battre les bois, a sa marmite pleine ; 6+6 a
Tous deux, filet en main, vont cherchant leur aubaine : 6+6 a
L'amant pêche à la mer et l'époux au vivier. 6+6 b
Quand les temps sont partis de la jeunesse folle, 6+6 a
50 Quand il n'a plus de jour à jeter au destin, 6+6 b
L'homme, essoufflé, s'assoit sur le bord du chemin, 6+6 b
Entre l'avenir sombre et le passé frivole, 6+6 a
Alors l'épouse vient, l'épouse qui console 6+6 a
Et relève son âme en lui tendant la main !… 6+6 b
55 « Des perles ! » dit Bacca, courant par les cuisines, 6+6 a
Plus ardent que Vulcain au bord de ses fourneaux : 6+6 b
« J'aime dans les pois gris l'éclat des perles fines ! 6+6 a
« Arrosez la polente avec le vin de Cos ; 6+6 b
« Ces huîtres seraient mieux sous des herbes marines. 6+6 a
60 « Pressez le feu ; Chrysale, a-t-on vu mes turbots ?… 6+6 b
« ‒ Non, maître ! ‒ par Bacchus ! C'est une raillerie ! 6+6 a
« Fiez-vous pour souper au vaisseau d'un préteur ! 6+6 b
« Jamais gabarre à flot n'eut pareille lenteur ! 6+6 b
« Herclé !… pas de turbots !… le jour qu'on se marie !… » 6+6 a
65 Et le bon cuisinier tordait avec furie 6+6 a
Ses cheveux grisonnants, sur son front en sueur. 6+6 b
C'était un homme osseux et maigre de figure, 6+6 a
Bien que tout cuisinier classique soit orné 6+6 b
D'un ventre respectable et d'un chef bourgeonné ; 6+6 b
70 Mais lui ne rôtissait que pour la gloire pure. 6+6 a
Tel bâtit des palais qui couche sur la dure, 6+6 a
Tel barde des faisans qui n'a pas déjeuné !… 6+6 b
Et les broches tournaient, de bécasses chargées, 6+6 a
Et la cigogne blanche aux ailes allongées 6+6 a
75 Couvait des œufs de paon, dans des corbeilles d'or ; 6+6 b
De grands poissons d'azur qui semblaient vivre encor 6+6 b
Nageaient dans le safran, tandis que deux rangées 6+6 a
D'huîtres et d'escargots se pressaient sur le bord. 6+6 b
Une rumeur montait, incessante et profonde, 6+6 a
80 De valets affairés que la sueur inonde, 6+6 a
De vaisselle sonore et de poêlons d'airain, 6+6 b
Frémissant sur le feu comme le flot marin : 6+6 b
« Allons ! Criait Bacca pour exciter son monde, 6+6 a
« Vous boirez, à la noce, un tonneau de bon vin ! 6+6 b
85 « A-t-on vu mes turbots ?… ‒ pas encor, dit Chrysale. 6+6 a
« ‒ Bombax !… » c'était le mot terrible et redouté ; 6+6 b
Les marmitons tremblaient et Bacca devint pâle : 6+6 a
« S'ils arrivent trop tard, c'est une indignité ! 6+6 b
« Au Tibre !… il en est temps ! Courez sans intervalle !… 6+6 a
90 « J'ai vécu cinquante ans par mon nom respecté ; 6+6 b
« J'ai fait de grands repas et des fêtes splendides, 6+6 a
« Où, couronnés de fleurs et la coupe à la main, 6+6 b
« Cent convives joyeux mangeaient jusqu'au matin ! 6+6 b
« De la Bretagne froide aux régions torrides, 6+6 a
95 « Quand nous avions soupé, trois mondes étaient vides ! 6+6 a
« Et les dieux, à Bacca devaient une autre fin !… 6+6 b
« ‒ Les turbots ! » dit Chrysale en enfonçant la porte 6+6 a
Plutôt qu'il ne l'ouvrit, tant sa joie était forte ; 6+6 a
Puis, auprès du vieux maître arrivant en deux bonds : 6+6 b
100 « Je les ai vus moi-même ! Ils sont dodus et ronds ! 6+6 b
« Mais le préteur est mort en voyage ! ‒ qu'importe ! 6+6 a
« Dit Bacca radieux, si les turbots sont bons !… » 6+6 b
La villa de Tibur avait un air de fête, 6+6 a
Les murs de marbre blanc semblaient frémir d'amour ; 6+6 b
105 S'il n'était pas si tard nous en ferions le tour ; 6+6 b
Mais voici Marcia qui passe sa toilette : 6+6 a
Dans les miroirs d'argent, sa beauté se reflète, 6+6 a
Et l'ambre et les parfums voltigent alentour ! 6+6 b
Avez-vous vu parfois, sur une coupe antique, 6+6 a
110 Entre deux beaux festons d'acanthe sinueux, 6+6 b
Diane chasseresse avec ses longs cheveux, 6+6 b
Quand elle sort de l'onde, et, baigneuse pudique, 6+6 a
Livre aux nymphes des bois sa gorge magnifique, 6+6 a
Et ses pieds nus, mouillés par les flots amoureux ! 6+6 b
115 Telle et plus jeune encor près d'une eau qui murmure, 6+6 a
Dans un bassin de marbre aux contours ciselés, 6+6 b
Frémissante, et les yeux par ses grands cils voilés, 6+6 b
Marcia souriait ; sous sa blanche parure, 6+6 a
Une esclave, avec art attachait la ceinture, 6+6 a
120 L'autre, les brodequins de perles étoilés. 6+6 b
Ses longs cheveux tombaient comme ceux des vestales, 6+6 a
Séparés par le fer en six tresses égales, 6+6 a
L'anneau serrait son doigt, et du coffre odorant, 6+6 b
Les matrones tiraient le voile de safran, 6+6 b
125 Avec la pièce d'or des fêtes nuptiales, 6+6 a
Et le fuseau qui dit : « travaillez en aimant ! » 6+6 b
Ainsi qu'un arc tendu, sur son œil qui pétille, 6+6 a
Son sourcil se courbait par le pinceau tracé ; 6+6 b
Entre ses dents d'émail un souffle cadencé 6+6 b
130 Glissait comme la brise au bord d'une coquille ; 6+6 a
Un petit serpent vert dont la tête frétille 6+6 a
Entourait son bras nu, d'un bracelet glacé. 6+6 b
Des toiles de Milet, des tuniques traînantes, 6+6 a
Parmi les beaux colliers sur les tables épars, 6+6 b
135 Déroulaient à longs plis leurs teintes chatoyantes ; 6+6 a
Les couronnes de fleurs riaient de toutes parts, 6+6 b
C'était un bruit confus d'étoffes ondoyantes, 6+6 a
Et mille reflets d'or à troubler les regards. 6+6 b
« Salut ! » dit le bouffon en entrant dans la salle, 6+6 a
140 Avec une façon de tête triomphale, 6+6 a
Et portant, comme amour, la torche et le carquois : 6+6 b
« Je me marie aussi, je viens faire mon choix ; 6+6 b
« Celle-ci me plairait, mais elle est un peu pâle ; 6+6 a
« Cette autre serait mieux plus haute de deux doigts ! » 6+6 b
145 Et Coracoïdès, comme un patron sans gêne, 6+6 a
Devant chaque suivante agitait son flambeau ; 6+6 b
Puis, saisissant le bras d'une esclave africaine : 6+6 a
« Par Castor ! Cria-t-il, c'est le meilleur morceau ! 6+6 b
« Je préfère aux seins blancs les poitrines d'ébène, 6+6 a
150 « C'est le cœur, après tout, qui leur monte à la peau ! 6+6 b
« J'aime ces yeux d'argent, ce nez dont les deux ailes 6+6 a
« S'étalent, cette bouche, aux bords gonflés et ronds, 6+6 b
« Qui semble avoir mangé des mûres. Nous verrons 6+6 b
« Des contrastes charmants et des choses nouvelles ; 6+6 a
155 « Ensemble, ce sera superbe : nous ferons 6+6 b
« Des enfants blancs et noirs, comme les hirondelles ! » 6+6 a
Et vers sa sombre épouse il tendait, en parlant, 6+6 a
Une poire de coing, d'après l'antique usage : 6+6 b
« Dans neuf mois la grenade !… ajouta le galant, 6+6 a
160 « Je tente la fortune, et me voue au ménage ; 6+6 b
« Tous les maris trompés ne font pas le tapage 6+6 b
« De Ménélas. Pour moi, je suis moins pétulant !… » 6+6 a
La suivante, immobile, écoutait cette histoire, 6+6 a
Sans montrer au dehors la moindre émotion ; 6+6 b
165 La pudeur libyenne est une fiction, 6+6 b
On ne saurait rougir, quand on a la peau noire 6+6 a
« Hélas ! Dit Marcia, joignant ses mains d'ivoire, 6+6 a
« Quel malheur de quitter un si gentil bouffon ! 6+6 b
« Quand je t'aurai perdu, qui donc me fera rire ? 6+6 a
170 « Mon pauvre petit nain, je ne te verrai plus 6+6 b
« Imiter, en dansant, le faune ou le satyre !… 6+6 a
« Mais, pourquoi, reprit-elle, abandonner Paulus ? 6+6 b
« Viens avec nous !… » le nain se tenait, sans mot dire, 6+6 a
Et roulait au hasard, des yeux irrésolus. 6+6 b
175 Enfin, la tête basse, et d'une voix câline, 6+6 a
« Bacca vient-il aussi ? ‒ non, dit-elle en riant. 6+6 b
« ‒ C'est que… fit le bouffon, pâle et balbutiant, 6+6 b
« J'aime le vieux Bacca ! C'est une âme divine !… » 6+6 a
Et Coracoïdès, qu'un double instinct domine, 6+6 a
180 Sentait sourdre en lui-même, un combat effrayant. 6+6 b
Le cœur et l'estomac luttaient de violence : 6+6 a
Il adorait Paulus, et la bécasse au vin, 6+6 b
Et voyait s'échapper, ainsi qu'un songe vain, 6+6 b
Les ragoûts safranés, l'ivresse et la bombance !… 6+6 a
185 On l'eût pris volontiers pour un chien qui balance 6+6 a
Entre la voix du maître et l'odeur du festin. 6+6 b
Cependant sur les monts la nuit tendait ses voiles, 6+6 a
L'astre cher aux époux se levait dans les cieux ; 6+6 b
On entendait, au loin, les jeunes gens heureux 6+6 b
190 Qui jetaient, tous en chœur, leurs chansons aux étoiles. 6+6 a
« Il vient !… » dit Marcia, baissant les riches toiles 6+6 a
Dont le mince tissu voltigeait sur ses yeux. 6+6 b
C'était le chant d'hymen, la flûte, les cymbales, 6+6 a
Et le pétillement des torches dans la nuit ; 6+6 b
195 Le cortège amoureux s'avançait… et le bruit 6+6 b
Montait, comme la mer, en bruyantes rafales. 6+6 a
Déjà sonnent les pieds sur le pavé des salles ; 6+6 a
Hyménée !… hyménée !… on approche… c'est lui ! 6+6 b
C'est lui, dans son manteau de pourpre tyrienne ! 6+6 a
200 Beau, jeune, ivre d'espoir, et défiant les pleurs. 6+6 b
Sous leur toge de fête aux riantes couleurs, 6+6 b
Ses amis, alentour, effeuillaient la verveine, 6+6 a
Et tout frottés d'onguents, selon la mode ancienne, 6+6 a
Cinq enfants secouaient des flambeaux et des fleurs. 6+6 b
205 « Caia !… Thalassius !… hyménée !… hyménée !… » 6+6 a
Ainsi chantaient cent voix montant à l'unisson ; 6+6 b
Des esclaves portaient la quenouille ordonnée, 6+6 a
Le coffret odorant, l'eau sainte, la toison, 6+6 b
Et la graisse de loup, dont l'épouse bien née 6+6 a
210 Doit frotter, en entrant, le seuil de sa maison. 6+6 b
Les matrones à part, sous leur voile pudique, 6+6 a
Pour le dernier conseil se réservaient encor. 6+6 b
Ce jour-là, jusqu'au bout, l'édile fut très-fort, 6+6 b
La lèvre souriante et d'un air pacifique, 6+6 a
215 Il tenait, pour signer, le sigillum antique, 6+6 a
Ancus avec Numa, l'aqueduc et le port ! 6+6 b
Ce fut lui qui, prenant le rôle de la mère, 6+6 a
Étreignit au départ la belle sur son cœur, 6+6 b
Et laissant échapper la larme de rigueur, 6+6 b
220 La retint dans ses bras comme il convient de faire ; 6+6 a
Car déjà deux enfants, ceints de myrte et de lierre, 6+6 a
Entraînaient par la main, l'épouse du rhéteur. 6+6 b
C'est alors qu'au milieu des pompes érotiques 6+6 a
On entendit des cris dans l'ombre du jardin, 6+6 b
225 Et la voix des valets courant sous les portiques : 6+6 a
« Elle est folle !… arrêtez !… » mais sur ses gonds d'airain 6+6 b
La porte tressaillit, et, cessant les cantiques, 6+6 a
La foule, comme un flot, se replia soudain… 6+6 b
Calme plein de terreur qui couve la tempête ! 6+6 a
230 Melænis, en silence, apparut sur le seuil ; 6+6 b
On eût dit une morte échappée au cercueil ; 6+6 b
Entre les rangs pressés, sans retourner la tête, 6+6 a
Elle allait à pas lents et tachait de son deuil 6+6 b
L'or et la pourpre en feu sur les robes de fête : 6+6 a
235 « Éteignez ces flambeaux ! Cessez vos chants joyeux ! 6+6 a
« Avant d'unir ici l'inceste à l'adultère, 6+6 b
« Souvenez-vous des morts, et respectez les dieux ! » 6+6 a
Sa voix sur tous les fronts roulait comme un tonnerre : 6+6 b
« Arrêtez ! » et du bras les séparant tous deux : 6+6 a
240 « Paulus, voici ta sœur ! Marcia, c'est ton frère ! 6+6 b
« ‒ Son frère !… dit la foule, étrange événement ! 6+6 a
« Qui l'eût cru ? Qui l'eût dit ? Est-ce un fourbe ? Est-ce un traître ? 6+6 b
« ‒ C'est faux ! Hurla Paulus, cette danseuse ment ! 6+6 a
« J'arracherai son masque et la ferai connaître !… » 6+6 b
245 Melænis, de la main, l'écarta gravement : 6+6 a
« Ici, chez Marcius, je n'écoute qu'un maître ! 6+6 b
« Vois tous tes conviés, ils pâlissent d'effroi ! 6+6 a
« C'est que ta mère est morte ! Et la vieille sibylle 6+6 b
« N'a pas de tombe encor sur son cadavre froid !… 6+6 a
250 « ‒ Staphyla ! Fit Paulus. ‒ ta mère ! » mais l'édile : 6+6 b
« Ai-je bien entendu ! Qui parle de Staphyle ?… 6+6 b
« ‒ Vieillard, dit Melænis en s'avançant, c'est moi ! 6+6 a
« Moi, qui seule ai reçu sa parole dernière, 6+6 a
« Moi, qui seule en mes bras soutins son front glacé, 6+6 b
255 « Moi, dont les yeux ont vu comme au bord d'un cratère, 6+6 a
« Les abîmes d'un cœur où l'amour a passé !… 6+6 b
« Et je m'étonne encor que le fils et le père 6+6 a
« N'aient pas frémi, dans l'âme, au cri qu'elle a poussé ! 6+6 b
« Donc, s'il te reste au cœur quelque trace incertaine, 6+6 a
260 « Quelque écho du passé qui murmure tout bas, 6+6 b
« Souviens-toi, Marcius, de cette campanienne, 6+6 a
« Qui partit en serrant son fils entre ses bras. 6+6 b
« ‒ Dieux ! Fit l'édile en pleurs, ma jeunesse lointaine 6+6 a
« Accourt comme un fantôme au-devant de mes pas ! 6+6 b
265 « Je comprends maintenant ma haine et ma tendresse ; 6+6 a
« Mon fils, embrasse-moi ! Cette femme a raison : 6+6 b
« Quel que soit le transport dont l'aiguillon nous presse, 6+6 a
« Le sang ne connaît pas de modération, 6+6 b
« Et je fus, tour à tour, pardonne à ma faiblesse, 6+6 a
270 « Ton père par l'amour et par l'aversion !… » 6+6 b
Les gens qui soupent bien ont l'âme épanouie, 6+6 a
Rien n'est tendre et naïf comme un buveur joyeux ; 6+6 b
Ce fut, sur ma parole, un tableau curieux 6+6 b
De voir le gros coupable, à la face élargie, 6+6 a
275 Ainsi qu'un jouvenceau tomber dans l'élégie 6+6 a
Et se meurtrir le sein pour un crime amoureux. 6+6 b
Il riait, il pleurait, et tournant par la salle, 6+6 a
De sa fille à son fils courait incessamment ; 6+6 b
‒ Melænis avait fui pendant cet intervalle, ‒ 6+6 a
280 Et Marcia, sans voix comme sans mouvement, 6+6 b
Égalait en pâleur sa robe nuptiale : 6+6 a
« Ô ma sœur ! Adieu donc !… » dit Paulus tristement. 6+6 b
Il avait ce visage, à peindre difficile, 6+6 a
Qu'il est fin de cacher sous un pan du manteau. 6+6 b
285 Marcia, Melænis, la sorcière, l'édile, 6+6 a
Tout s'agitait ensemble au fond de son cerveau, 6+6 b
Et chaque souvenir, fugitif et mobile, 6+6 a
Lui passait sur le front comme une ombre sur l'eau. 6+6 b
Hélas ! Le vide aux mains et le doute dans l'âme, 6+6 a
290 Il voyait tout à coup, formidable réveil, 6+6 b
Pâlir son Eurydice au seuil du jour vermeil ! 6+6 b
Devant ses longs regards, sans larmes et sans flamme, 6+6 a
La sœur se dessinait gravement, et la femme 6+6 a
Fondait, comme la neige aux rayons du soleil ! 6+6 b
295 Il partit, il quitta la salle et les convives ; 6+6 a
Ces fronts parés de fleurs lui faisaient mal à voir ; 6+6 b
Il voulait l'air, l'espace, et, comme aux ondes vives, 6+6 a
Tremper sa tête en feu dans les brises du soir. 6+6 b
Mais la fête obstinée, en notes fugitives, 6+6 a
300 Courait autour de lui ; là-bas, sous le ciel noir, 6+6 b
Les pâtres, suspendus au versant des collines, 6+6 a
Chantaient pour son hymen les strophes fescennines ; 6+6 a
Les villages dansaient, et Paulus aux abois, 6+6 b
Sous ses pieds, en passant faisait craquer les noix 6+6 b
305 Dont on avait semé les routes tiburtines : 6+6 a
« Ô Vénus !… cria-t-il, d'une tremblante voix, 6+6 b
« À quoi bon dans les cieux, comme une raillerie, 6+6 a
« Sur mon front abattu secouer ton fanal ? 6+6 b
« Ne pouvais-tu du moins, refusant le signal, 6+6 b
310 « Cacher pour cette nuit ta lumière chérie ?… 6+6 a
« Hélas ! J'irai tout seul dans ma chambre fleurie, 6+6 a
« M'étendre, en sanglotant, sur le lit nuptial ! 6+6 b
« Les gais musiciens, parmi les feux sans nombre, 6+6 a
« Attendent le cortège et les époux nouveaux. 6+6 b
315 « Les flûtes se tairont et la nuit sera sombre. 6+6 a
« Marcia ! Marcia ! Devant les cinq flambeaux 6+6 b
« Je ne déferai pas ta ceinture !… et dans l'ombre 6+6 a
« Je ne sentirai pas, de tes cheveux si beaux, 6+6 b
« Rouler les flots épars !… mon seul bien sur la terre, 6+6 a
320 « Quoi ! Mort ! évanoui ! Disparu sans retour ! 6+6 b
« Que faire maintenant de ce cœur plein d'amour ? 6+6 b
« De mon sang ? De ma vie ? ô misère ! Misère ! 6+6 a
« Un autre sur son sein l'étreindra quelque jour ; 6+6 b
« Un autre quelque jour ne sera pas son frère !… 6+6 a
325 « ‒ Paulus ! Dit une voix, quelqu'un te reste encor !… » 6+6 a
Le jeune homme effaré fit un pas en arrière : 6+6 b
« Oh ! Je le sais trop bien !… dit-il avec effort, 6+6 a
« C'est mon mauvais génie envoyé sur la terre ! 6+6 b
« Parle ! Que te faut-il à cette heure dernière ? 6+6 b
330 « Je suis tombé si bas, que je me ris du sort !… 6+6 a
« ‒ Paulus, dit Melænis, je t'aime avec démence ! 6+6 a
« Je t'aime avec fureur ! Ma haine et ma vengeance, 6+6 a
« Tu n'as donc pas compris que c'était de l'amour ? 6+6 b
« Hélas ! Courbant le front sous mon fardeau trop lourd, 6+6 b
335 « J'ai baisé tes pieds nus, et tu fus sans clémence ! 6+6 a
« J'ai frappé ta poitrine, et ton cœur était sourd !… 6+6 b
« Tu connais maintenant cette longue torture 6+6 a
« Qui fait le jour sans joie et la nuit sans sommeil ; 6+6 b
« Tu sais le sang qui bout, à la lave pareil, 6+6 b
340 « La bouche qui frémit, la tempe qui murmure ; 6+6 a
« Oh ! Tu peux mesurer mon mal à ta blessure, 6+6 a
« Et dire ce qu'on souffre au moment du réveil ! » 6+6 b
Elle avait dans la voix une musique étrange ; 6+6 a
Et Paulus l'écoutait, comme les matelots 6+6 b
345 La sirène qui chante, assise au bord des flots. 6+6 b
Depuis quelques instants, dans le ciel sans mélange, 6+6 a
Des nuages flottaient ainsi que des îlots, 6+6 b
Et parfois, un éclair glissait comme une frange 6+6 a
À l'horizon plus noir. Ce que sentait Paulus, 6+6 a
350 Ce n'était pas l'amour ni l'ivresse insensée, 6+6 b
Mais l'engourdissement de toute la pensée, 6+6 b
Mais la froide sueur sur ses membres perclus. 6+6 a
Comme en un songe affreux, sa poitrine oppressée 6+6 b
S'épuisait pour crier en spasmes superflus ! 6+6 a
355 Une puissance occulte envahissait son âme, 6+6 a
Des tonnerres lointains roulaient au fond des cieux : 6+6 b
« Qu'es-tu donc ? Lui dit-il en ouvrant de grands yeux, 6+6 b
« Où prends-tu cette voix qui charme et cette flamme 6+6 a
« Qui, dans tes longs regards, brille comme une lame ? 6+6 a
360 « Quel effrayant destin nous enchaîna tous deux ?… 6+6 b
« ‒ Que t'importe, ô Paulus ! S'écria la danseuse, 6+6 a
« Aimons-nous ! Aimons-nous ! Cela seul est réel ! 6+6 b
« Viens cacher nos baisers dans la nuit orageuse ! 6+6 a
« Notre torche d'hymen, c'est la tempête au ciel ! 6+6 b
365 « Nous fuirons ; nous aurons quelque retraite ombreuse 6+6 a
« Pour y faire, à nos cœurs, un exil éternel !… 6+6 b
« Viens ! Qu'attends-tu ? Partons ! Pour nos désirs immenses, 6+6 a
« Paulus, la vie est courte, et le monde est étroit. 6+6 b
« C'est un souffle fatal qui me pousse vers toi. 6+6 b
370 « Notre bonheur est fait de pleurs et de vengeances, 6+6 a
« Et cet amour terrible aura des violences 6+6 a
« Pleines de volupté, de délire et d'effroi ! » 6+6 b
Sa voix tomba ; le vent soulevait la poussière, 6+6 a
La tempête grondait, et je ne sais comment, 6+6 b
375 Mais leurs bouches en feu s'unirent lentement ; 6+6 b
Tour à tour voilés d'ombre, ou baignés de lumière, 6+6 a
Ils se tenaient debout, sous le ciel écumant, 6+6 b
Et s'embrassaient tous deux aux éclats du tonnerre ! 6+6 a
Mais tout à coup, le bruit d'un pas retentissant 6+6 a
380 Frappa l'ombre, un fer nu brilla près d'un visage. 6+6 b
« À moi ! Je suis blessé !… » dit Paulus frémissant. 6+6 a
Puis il tomba d'un bloc, sans parler davantage, 6+6 b
Et la danseuse vit, aux lueurs de l'orage, 6+6 b
Un soldat qui fuyait, avec son glaive en sang ! 6+6 a
385 Ce que fit Melænis, après cette aventure, 6+6 a
Je l'ignore ! ô lecteur ! Vint-elle au cabaret 6+6 b
Trouver Pantabolus et payer la blessure ? 6+6 a
Dansa-t-on cette nuit aux bouges de Suburre ? 6+6 a
J'ai cherché vainement ; l'hôtelier, fort discret, 6+6 b
390 N'a pas, même à prix d'or, dévoilé le secret. 6+6 b
Commode, l'empereur, eut une fin tragique ; 6+6 a
Trahi par ses amis, malgré son nom divin, 6+6 b
Hercule rendit l'âme, étranglé dans son bain. 6+6 b
Quant à Pantabolus, il partit pour l'Afrique, 6+6 a
395 Fut fait centurion, tomba d'un coup de pique, 6+6 a
Et regretta surtout les filles et le vin. 6+6 b
Aux festins du patron, s'arrondissant la panse, 6+6 a
Stellio vécut vieux et devint gras à lard. 6+6 b
Le muletier prit femme et se pendit plus tard. 6+6 b
400 Le bon Polydamas, le maître d'éloquence, 6+6 a
Comme il se promenait un jour sans méfiance, 6+6 a
Mourut d'un barbarisme entendu par hasard. 6+6 b
Bacca fut l'inventeur de la sauce troyenne, 6+6 a
Ou la poussa, du moins, à sa perfection. 6+6 b
405 Le bouffon se noya dans la marmite pleine, 6+6 a
Un soir qu'à la cuisine il volait un bouillon. 6+6 b
Marcia ? ‒ le bruit court qu'elle se fit chrétienne. 6+6 a
Marcius ? ‒ il creva d'une indigestion ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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