Métrique en Ligne
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e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOU_1/BOU4
Louis BOUILHET
Melænis
conte romain
1857
CHANT QUATRIÈME
Commodus, à tout prendre, était, sur ma parole, 6+6 a
Un charmant empereur, n'en déplaise à Dion. 6+6 b
Moi, je l'aurais aimé jusqu'à la passion ! 6+6 b
Jamais, comme Tibère, il ne joua son rôle ! 6+6 a
5 Il était franc d'allure, et portait à l'épaule, 6+6 a
Non la peau d'un renard, mais celle d'un lion ! 6+6 b
Il avait ses défauts ; qui n'en a, dans son âme ? 6+6 a
Il massacrait les gens, mais il tenait sa lame 6+6 a
De la main gauche, et c'est très-fort, en vérité ! 6+6 b
10 Il volait, mais cet or au peuple était jeté ; 6+6 b
Il buvait, mais un jour il fit pendre sa femme : 6+6 a
Commodus l'empereur avait son bon côté ! 6+6 b
Ce que j'aime, avant tout, c'est la force d'Alcide, 6+6 a
La vie aux mille bonds, le sang tumultueux ; 6+6 b
15 Les Titus, les Trajan, dans leur calme splendide, 6+6 a
Sont beaux, mais sans relief, probes, mais ennuyeux ! 6+6 b
Comme l'athénien qui chassait Aristide, 6+6 a
Moi, je suis fatigué des héros vertueux ! 6+6 b
Les monstres les plus noirs sauvent la tragédie, 6+6 a
20 Tous les drames bien nés brandissent un couteau ; 6+6 b
J'adore, pour l'effet, Rome qu'on incendie, 6+6 a
Et l'esclave qui brûle, ainsi qu'un grand flambeau ; 6+6 b
Chaque siècle, ô Néron, maudira ton génie, 6+6 a
Mais tu laissas du moins de quoi faire un tableau ! 6+6 b
25 Commodus habitait une maison immense 6+6 a
Sur le mont Cœlius, auprès des escrimeurs ; 6+6 b
Il en avait chez lui le costume et les mœurs ; 6+6 b
Hercule ou sécutor, selon la circonstance, 6+6 a
Il dédaignait le trône, et son cœur en balance 6+6 a
30 Flottait entre les dieux et les gladiateurs. 6+6 b
C'est là que vint Paulus. Pour prix de sa victoire 6+6 a
Il vécut au palais, tout couronné de gloire, 6+6 a
Seul, avec Cléander, se partageant César ; 6+6 b
Comme il était habile à jouer du poignard, 6+6 b
35 On le nomma préfet aux gardes du prétoire, 6+6 a
Devant être fermier de la ville plus tard. 6+6 b
Mais Paulus n'était pas de ces âmes trempées 6+6 a
Dans les ondes du Styx, âmes enveloppées 6+6 a
D'un bouclier d'airain ; toutes les passions 6+6 b
40 Avaient prise sur lui, de la tête aux talons ; 6+6 b
Et, dans son cœur mobile, ainsi que des épées, 6+6 a
Se heurtaient les amours et les ambitions ! 6+6 b
J'en connais qui, montés à ce faîte suprême, 6+6 a
N'auraient plus, dans l'esprit, de place pour aimer ; 6+6 b
45 Mais Paulus, malgré tout, se laissait consumer, 6+6 b
Tant qu'il dit l'aventure à l'empereur lui-même. 6+6 a
Ô dieux ! Que si jamais je viens à m'enflammer, 6+6 b
J'aie un entremetteur coiffé du diadème ! 6+6 a
Les choses traînent moins ; c'est le lien fameux 6+6 a
50 Qu'Alexandre dénoue au tranchant de sa lame ! 6+6 b
« Hélas ! Pensait Paulus, le père est furieux ! 6+6 a
« ‒ Dès demain, dit Commode, elle sera ta femme ; 6+6 b
« Je vais tuer un ours ou quelque hippopotame, 6+6 b
« Pour marquer dignement cet hymen glorieux ! » 6+6 a
55 Comme en un grand danger de la chose publique, 6+6 a
Marcius au palais fut mandé sans retard ; 6+6 b
Paulus, tout palpitant, se tenait à l'écart, 6+6 b
Les pâles sénateurs, sous leur longue tunique, 6+6 a
Le sourire à la lèvre, encombraient le portique, 6+6 a
60 Et du maître superbe épiaient le regard. 6+6 b
Là, c'était Quintius qu'ennoblit la charrue, 6+6 a
Et, plus loin, Lamia pour son luxe cité ; 6+6 b
Le gros Pomponius qui montre avec fierté, 6+6 b
Sur sa médaille d'or, une tête barbue ; 6+6 a
65 Sulpice, dont le nom se cache dans la nue, 6+6 a
Et qui de Jupiter descend par un côté ! 6+6 b
Après eux, Severus, héritier de l'empire, 6+6 a
Lœtus Émilius qui flatte et qui conspire, 6+6 a
Cléander que demain, dans la boue et l'affront, 6+6 b
70 Les portefaix jaloux au Tibre traîneront ; 6+6 b
Jusqu'au sage Dion qui mord, pour ne pas rire, 6+6 a
Les feuilles de laurier qu'il arrache à son front ! 6+6 b
Commode cependant, le long des galeries 6+6 a
Marchait à pas comptés, laissant les flatteries 6+6 a
75 Monter autour de lui comme un encens divin. 6+6 b
Un moineau familier sautillait sur sa main ; 6+6 b
Et sa tunique verte, aux riches broderies, 6+6 a
Frôlait les grands pavés, quand l'édile soudain 6+6 b
Apparut sur le seuil ; sa taille ramassée 6+6 a
80 Dans ses contorsions était plaisante à voir ; 6+6 b
Marcius, d'un romain connaissait le devoir : 6+6 b
Saluant, souriant, et la tête baissée, 6+6 a
Il rampa vers César, tandis que sa pensée 6+6 a
S'en allait, tour à tour, de la crainte à l'espoir ! 6+6 b
85 « Un mot ! Fit Commodus en quittant son escorte, 6+6 a
« Qu'as-tu sur ton cachet que l'on dit fort ancien ? 6+6 b
« Un port ? Un aqueduc ? Car ce point-là m'importe. 6+6 a
« ‒ César, j'ai l'aqueduc et j'ai le port ! ‒ très-bien ! 6+6 b
« Est-ce Ancus ou Numa que ta médaille porte ? 6+6 a
90 « ‒ C'est Ancus et Numa ! Dit le patricien. 6+6 b
« ‒ Certes, les Marcius sont de race qui brille, 6+6 a
« Je le savais déjà, dit l'empereur joyeux, 6+6 b
« Et j'ai cherché moi-même un mari pour ta fille, 6+6 a
« Qui fût digne de toi comme de tes aïeux ! 6+6 b
95 « ‒ Un mari pour ma fille ! ‒ eh ! Sans doute ! ‒ grands dieux ! 6+6 b
« Quel astre bienveillant plane sur ma famille ? 6+6 a
« ‒ Vieillard, reprit Commode, accepte cet honneur, 6+6 a
« Et cherche en ton esprit quel gendre on te destine. 6+6 b
« ‒ Un chevalier ? ‒ non pas. ‒ un consul, j'imagine ? 6+6 b
100 « ‒ Avance ! ‒ un sénateur à l'antique origine ? 6+6 b
« ‒ Monte encor, Marcius. ‒ c'est donc… un empereur ? 6+6 a
« ‒ Plus haut ! ‒ un dieu ? ‒ plus haut ! C'est un gladiateur ! » 6+6 a
La foudre au triple dard eût tombé sur notre homme, 6+6 a
Qu'il eût été moins pâle et moins épouvanté : 6+6 b
105 « C'est Paulus,ajouta Commode avec gaieté ; 6+6 b
« Jamais ! » hurla le père en se débattant comme 6+6 a
Un taureau furieux que le grand prêtre assomme. 6+6 a
« Jamais ! Jamais !… » ce cri, par l'écho répété, 6+6 b
Fit tressaillir d'effroi les esclaves fidèles ; 6+6 a
110 Commode souriait ; sur sa main le moineau 6+6 b
Montait de doigts en doigts en agitant ses ailes… 6+6 a
Soudain il arracha son glaive du fourreau, 6+6 b
Et puis, l'écume aux dents, le feu dans les prunelles, 6+6 a
Il abattit d'un coup la tête de l'oiseau. 6+6 b
115 « À quand, ô Marcius, la fête nuptiale ? » 6+6 a
Demanda gravement l’Ésope au sceptre d'or. 6+6 b
« Dès demain, si tu veux… » dit l'autre avec effort, 6+6 b
Car de cet apologue il comprit la morale, 6+6 a
Et ses yeux agrandis, au pavé de la salle, 6+6 a
120 Suivaient l'oiseau sans tête, et qui tremblait encor ! 6+6 b
Paulus avait du goût, il se tint en arrière ; 6+6 a
Mais à peine l'édile avait quitté les lieux, 6+6 b
Qu'il courut à César, la tête la première, 6+6 a
Et couvrit ses genoux de baisers furieux ; 6+6 b
125 Son sein était plus large et sa tête plus fière ; 6+6 a
Le bonheur, en rayons, éclatait dans ses yeux ! 6+6 b
Les grandes passions sont comme l'incendie, 6+6 a
Enthousiasme, amour, colère, volupté, 6+6 b
Elles vont s'étendant et gagnent à côté. 6+6 b
130 Des plus vieux sénateurs la poitrine engourdie 6+6 a
Tressaillait sous la toge, et semblait réjouie 6+6 a
Devant tant de jeunesse et de sincérité ! 6+6 b
Oh ! Sentir qu'on est fort ! Connaître sa puissance ! 6+6 a
Et, comme Jupiter, s'élancer dans les flots, 6+6 b
135 Superbe et mugissant, avec sa nymphe au dos ! 6+6 b
Être jeune et farouche, et, gonflé d'espérance, 6+6 a
Manquer d'espace et d'air dans la nature immense, 6+6 a
C'est l'amour ! C'est l'amour ! Lorsque les matelots, 6+6 b
Aux premiers jours de mai, tirent dans l'onde amère 6+6 a
140 La carène au flanc sec, ils dédaignent la terre, 6+6 a
Et sur la rame humide allongeant leurs bras nus, 6+6 b
S'exilent, en chantant, vers des cieux inconnus : 6+6 b
Ainsi font les amants, sans regards en arrière, 6+6 a
Ils s'échappent du monde en appelant Vénus ! 6+6 b
145 Au sortir du palais, notre homme avait dans l'âme, 6+6 a
Comme après le falerne, un vertige divin ; 6+6 b
Ô conquête ! ô bonheur ! De songer que demain 6+6 b
Il aurait ses yeux noirs, son sein, sa lèvre en flamme ! 6+6 a
Parfois, croyant rêver, il s'arrêtait soudain, 6+6 b
150 Et puis, comme un nageur qui divise la lame, 6+6 a
Il séparait la foule et glissait à travers. 6+6 a
Le peuple, ce jour-là, descendait de Bovilles, 6+6 b
Et d'Anna Perenna chantait la gloire en vers ; 6+6 a
Sous l'âge et sous le vin, des vieillards en guenilles 6+6 b
155 Chancelaient tout courbés aux bras des jeunes filles 6+6 b
Dont le front souriait sous les feuillages verts. 6+6 a
Ce tumulte, ces cris, cette plèbe en délire 6+6 a
Le firent, tout d'abord, se moquer et sourire, 6+6 a
En comparant sa joie à celle qui passait ; 6+6 b
160 Et comme eux cependant l'ivresse le poussait, 6+6 b
Car il était heureux, car il voulait le dire 6+6 a
À la brise, au soleil ; le cœur est ainsi fait. 6+6 b
Le bonheur, loin de nous, se dégage et s'envole 6+6 a
Comme un parfum léger hors du vase d'airain ; 6+6 b
165 Et l'homme, dans sa fête, imprudent et frivole, 6+6 a
Par son chant de triomphe éveille le destin ! 6+6 b
‒ Quelqu'un, comme il marchait, le toucha sur l'épaule, 6+6 a
Quelqu'un l'arrêta court en lui prenant la main. 6+6 b
En face de Paulus, silencieuse et pâle, 6+6 a
170 Une femme attendait ; ses yeux noirs et profonds 6+6 b
Sur ses traits sans couleurs luisaient par intervalle, 6+6 a
Comme un soleil d'hiver sur la neige des monts. 6+6 b
« C'est moi, dit Melænis, et je sais ma rivale !… » 6+6 a
Paulus l'examina de toutes les façons. 6+6 b
175 « Je ne te connais pas, dit-il ; qui me réclame ? 6+6 a
« Que me demandes-tu ?… » cet amour d'une nuit, 6+6 b
Sans aller jusqu'au cœur, avait glissé sur lui ! 6+6 b
Car l'homme est oublieux ; le baiser d'une femme, 6+6 a
Hélas ! Plus promptement s'efface de notre âme 6+6 a
180 Que nos pas au désert, sur le sable qui fuit ! 6+6 b
Quand l'enfant jusqu'au soir, dans la forêt profonde, 6+6 a
A fait voler sa flèche et tournoyer sa fronde, 6+6 a
Le carquois sur l'épaule, il revient tout joyeux, 6+6 b
Il ne sait pas qu'aux bois la biche vagabonde, 6+6 a
185 Rougissant alentour les buissons épineux, 6+6 b
Meurt, la sagette aux flancs et des pleurs dans les yeux ! 6+6 b
« Ce que je veux, dit-elle, écoute : c'est la vie 6+6 a
« Que j'avais autrefois au fond de la cité, 6+6 b
« Tout ce que j'ai perdu, tout ce qu'un soir d'été 6+6 b
190 « Tu m'as pris en jouant. ô démence et folie ! 6+6 a
« J'ai versé tant de pleurs dans mes nuits d'insomnie 6+6 a
« Qu'il ne me connaît plus et qu'il passe à côté !… » 6+6 b
Les sanglots étouffés soulevaient sa ceinture ; 6+6 a
« Melænis ! » dit Paulus en étendant la main. 6+6 b
195 Elle reprit : « je suis la courtisane impure ! 6+6 a
« La foule aux mille pieds, comme sur un chemin, 6+6 b
« A marché sur mon cœur ; mais, malgré sa souillure, 6+6 a
« J'en garde assez encor pour en mourir demain ! 6+6 b
« Donc, j'ai pleuré longtemps, dans mon oubli perdue, 6+6 a
200 « Depuis que loin de moi ton amour s'envola ; 6+6 b
« Les hommes, ô Paulus, ne savent pas cela… 6+6 b
« Une fois, tu passais, je te vis dans la rue, 6+6 a
« Tu me parus plus grand !… une force inconnue 6+6 a
« M'étreignit à la gorge, et tout mon corps trembla !… 6+6 b
205 « De ce jour, j'attachai mes pas aux tiens, sans cesse 6+6 a
« Tournant autour de toi, comme autour des flambeaux 6+6 b
« Le phalène inquiet, et je sentais l'ivresse 6+6 a
« De me brûler le cœur à tes regards si beaux ; 6+6 b
« Mais tu fuyais toujours, et toute ma tendresse 6+6 a
210 « Fut pareille à ces fleurs que l'on jette aux tombeaux ! 6+6 b
« Enfin ; laisse-moi donc continuer, la peine 6+6 a
« Se dissipe en parlant ; enfin, j'appris son nom, 6+6 b
« Qu'elle était jeune et fière, et de noble maison ; 6+6 b
« Puis je la vis… et comme un lion qu'on déchaîne, 6+6 a
215 « Je sentis dans mon sein rugir toute ma haine, 6+6 a
« Car elle était charmante, et tu l'aimais, dit-on !… 6+6 b
« ‒ Je l'aime ! Dit Paulus, malheur à qui la touche ! » 6+6 a
Et dans ses doigts crispés il serrait son poignard ; 6+6 b
Melænis, sans trembler, le couvait du regard, 6+6 b
220 Tandis qu'un rire amer serpentait sur sa bouche. 6+6 a
« Le lit des morts, dit-elle, est moins froid que ma couche. 6+6 a
« Que veut ton fer, Paulus ? Il arrive trop tard ! 6+6 b
« Écoute-moi plutôt, je n'ai plus de colère, 6+6 a
« Je suis douce à présent, et suppliante, voi, 6+6 b
225 « Tu ne le savais pas, car, par pitié pour moi, 6+6 b
« Tu m'aimerais un peu. Qu'ai-je encor sur la terre, 6+6 a
« Si tu me prends l'amour ?… dans mon cœur solitaire, 6+6 a
« Le souvenir, c'est toi ! L'espérance, c'est toi !… 6+6 b
« Tu l'aimais, elle était belle, tu la regrettes, 6+6 a
230 « Et je comprends cela ; mais je sais bien comment 6+6 b
« Tu ne peux plus l'aimer ; étrange empressement 6+6 b
« Des hommes à railler les femmes inquiètes ! 6+6 a
« À quoi bon ? Je sais tout, oublions maintenant ; 6+6 b
« Viens, nous serons joyeux, au sortir de tes fêtes. 6+6 a
235 « Sur ton front ruisselant et couronné, ma main 6+6 a
« Essuiera la sueur ; tu m'aimeras peut-être ! 6+6 b
« ‒ Laisse-moi ! Dit Paulus, j'obéis au destin 6+6 a
« Sans contrainte et sans peur, mon amour va paraître ! 6+6 b
« ‒ Mais l'édile est puissant ! ‒ mais César est le maître ! 6+6 b
240 « ‒ Et sa fille oserait ? ‒ je l'épouse demain ! » 6+6 a
La danseuse, à ces mots, haletante, éperdue, 6+6 a
Se dressa comme un arc dont la corde est rompue : 6+6 a
« Je le défends, dit-elle, et, lui prenant le bras : 6+6 b
« Que me fait ton César ? Je ne le connais pas ! 6+6 b
245 « C'est une étrange erreur, si l'on me croit vaincue, 6+6 a
« Et si quelqu'un ici pense arrêter mes pas !… 6+6 b
« Je n'ai point sur mon front semé la perle fine, 6+6 a
« Ni comme elle, au milieu des esclaves tremblants, 6+6 b
« Dans les bains parfumés amolli mes bras blancs ; 6+6 b
250 « Mais un sang jeune et fort bruit dans ma poitrine, 6+6 a
« Et j'ai sucé le lait dont la louve latine, 6+6 a
« Sous le figuier antique abreuve ses enfants ! 6+6 b
« Oh ! Si tu l'épousais, ce serait chose affreuse ; 6+6 a
« Tu saurais ce que vaut la femme furieuse, 6+6 a
255 « Et la torche d'hymen, la torche aux cheveux d'or, 6+6 b
« Pourrait prêter sa flamme à ton bûcher de mort !… » 6+6 b
‒ Elle est, pensa Paulus, plus folle qu'amoureuse ! ‒ 6+6 a
Et, secouant la tête, il reprit son essor. 6+6 b
Melænis du regard le suivit en silence ; 6+6 a
260 Il disparut bientôt au fond de la cité, 6+6 b
Comme un songe rapide, au réveil emporté… 6+6 b
Et, pliant sous le poids de sa tristesse immense, 6+6 a
Elle écouta partir sa dernière espérance, 6+6 a
Avec le bruit des pas, dans son cœur répété ! 6+6 b
265 Le ciel était tout bleu, comme une mer tranquille, 6+6 a
De lourds rayons tombaient sur les pavés brûlants, 6+6 b
Ou se brisaient aux murs de marbre étincelants, 6+6 b
Et de ses ailes d'or frappant l'air immobile, 6+6 a
L'essaim des moucherons harcelait, par la ville, 6+6 a
270 Les portefaix couchés sous les portiques blancs. 6+6 b
Triste, elle gravissait le chemin des Carènes, 6+6 a
Devant elle, au hasard, laissant marcher ses pas ; 6+6 b
Et son cœur agité par d'étranges combats 6+6 b
Se gonflait tour à tour de douleurs et de haines !… 6+6 a
275 Ses pensers s'échappaient en phrases incertaines 6+6 a
Qui tremblaient sur sa lèvre et qu'on n'entendait pas ! 6+6 b
La sueur à son front collait sa chevelure, 6+6 a
Ses yeux roulaient perdus dans l'orbite agrandi, 6+6 b
Et les enivrements du soleil de midi 6+6 b
280 Lui battaient à l'oreille avec un bruit d'armure ; 6+6 a
Ainsi confusément gronde la nue obscure, 6+6 a
Avant que dans les cieux la foudre ait retenti ! 6+6 b
Tout à coup, vis-à-vis de la borne qui sue 6+6 a
Et vomit l'onde à flots, par six bouches d'airain, 6+6 b
285 Melænis s'arrêta, la tête dans sa main : 6+6 b
« Les dés en sont jetés !… il faut que je le tue ! » 6+6 a
Dit-elle, et promenant ses regards dans la rue, 6+6 a
Elle aperçut un bouge où l'on vendait du vin. 6+6 b
C'était une taverne à l'étroite ouverture, 6+6 a
290 Dont la porte donnait sur un long corridor ; 6+6 b
La chanson des buveurs, comme un lointain accord, 6+6 b
S'échappait par lambeaux de l'antre qui murmure, 6+6 a
Et, près du seuil antique, on voyait en peinture, 6+6 a
Un grand ours au poil brun, coiffé d'un casque d'or 6+6 b
295 Melænis aussitôt, rapide, palpitante, 6+6 a
Se plongea sous la voûte, ainsi qu'en un tombeau, 6+6 b
Et le vieux cabaret à la dalle glissante 6+6 a
Devant la jeune fille ouvrant son noir caveau, 6+6 b
Parut la prendre au vol par sa porte béante, 6+6 a
300 Comme un serpent qui bâille engloutit un oiseau. 6+6 b
La danseuse tira le loquet de la salle, 6+6 a
Et debout près du seuil, sur les groupes épars, 6+6 b
Pour y trouver son homme, arrêta ses regards. 6+6 b
Parmi les bancs boiteux à la taille inégale, 6+6 a
305 Des jeunes gens frisés passaient par intervalle, 6+6 a
Versant le vin nouveau ; les cris de toutes parts 6+6 b
Se croisaient, se heurtaient, sous la voûte fumeuse. 6+6 a
Des soldats, dans le fond, sur la table accoudés, 6+6 b
Pour le coup de Vénus faisaient rouler les dés ; 6+6 b
310 D'autres chantaient César ; puis une voix vineuse, 6+6 a
Dominant par éclats cette rumeur joyeuse, 6+6 a
Mêlait aux bruits confus ses hoquets saccadés. 6+6 b
C'était un muletier qui venait de Capoue : 6+6 a
Large, épais, rutilant, et les yeux effrontés ; 6+6 b
315 Le vin qu'il avait bu lui colorait la joue, 6+6 a
Un tas de pots à sec roulaient à ses côtés : 6+6 b
« À manger, criait-il, la piquette m'enroue ! 6+6 a
« J'ai l'océan au ventre et ses dieux irrités !… » 6+6 b
L'hôte du lieu parut, la toge retroussée, 6+6 a
320 Et vers l'homme aux mulets il dirigea ses pas ; 6+6 b
Riant dans la fumée, il portait sur deux plats 6+6 b
Un hachis de raisins et de viande pressée, 6+6 a
Plus un morceau de porc, une andouille épicée, 6+6 a
Et des pois gris nageant parmi des cervelas. 6+6 b
325 L'ivrogne, à cet aspect, se pâma de tendresse : 6+6 a
« Évohé ! Cria-t-il, salut à Jupiter ! » 6+6 b
Puis il se mit à l'œuvre avec des dents de fer ; 6+6 b
Il prenait, il mangeait, il reprenait sans cesse, 6+6 a
Jetant tout ce repas par-dessus son ivresse, 6+6 a
330 Comme ces grands palais qu'on bâtit dans la mer ! 6+6 b
La pâle courtisane, immobile à sa place, 6+6 a
Contemplait gravement cette scène vorace : 6+6 a
« Il est perdu, dit-elle, et ne comprendrait pas ! » 6+6 b
Puis vers un jeune esclave elle fit quelques pas ; 6+6 b
335 C'était un beau garçon, sans barbe et plein de grâce : 6+6 a
« Que m'importe ! Dit-elle, il faudrait un bon bras ! » 6+6 b
Elle allait furetant par la taverne humide 6+6 a
Et cherchant sous la toge, avec ses yeux brillants, 6+6 b
Un sein large et velu, des muscles bien saillants ; 6+6 b
340 Telle, au temps des amours, la cavale numide, 6+6 a
Flairant l'amant sauvage, à la croupe splendide, 6+6 a
Frissonne et sonde au loin les feuillages bruyants ! 6+6 b
Elle atteignit enfin le groupe militaire, 6+6 a
Hommes au cœur solide, à la tournure fière, 6+6 a
345 Et brûlés au soleil de toute nation ; 6+6 b
Elle en vit un surtout, un gros légionnaire, 6+6 a
Dont la voix, en parlant, sonnait comme un clairon ; 6+6 b
Il avait pour coiffure un grand casque, et pour nom 6+6 b
Pantabolus. Debout, superbe, dans sa gloire, 6+6 a
350 Aux soldats ébahis il contait son histoire 6+6 a
Et haranguait la foule une coupe à la main ; 6+6 b
Son long glaive battait sur sa cuisse ; le vin 6+6 b
De rubis éclatants semait sa barbe noire… 6+6 a
« C'est lui ! » dit Melænis, en s'arrêtant soudain. 6+6 b
355 Au bruit que fit sa robe en frôlant la muraille, 6+6 a
Pantabolus tourna la tête, et curieux, 6+6 b
L'œil béant, suspendit ses récits de bataille ; 6+6 a
Car notre homme abondait en exploits merveilleux, 6+6 b
Et (mieux que dans Plautus) il eût été de taille 6+6 a
360 À couper du revers, un éléphant en deux. 6+6 b
« Par la cuisse d'Hercule ! Elle est charmante et belle ! » 6+6 a
Cria Pantabolus, en s'abattant sur elle ; 6+6 a
Puis caressant sa barbe et roulant ses regards : 6+6 b
« Vénus est toujours là, quand on parle de Mars ! 6+6 b
365 « Elle aime les grands coups et le sang qui ruisselle, 6+6 a
« Les boucliers luisants, les casques et les chars !… » 6+6 b
Tout en parlant ainsi, sa main large et rugueuse 6+6 a
Sur sa vaste poitrine étreignait la danseuse : 6+6 a
« À moi ! » dit-il ; » à nous ! » hurlèrent les soldats ; 6+6 b
370 Et les yeux éclataient avides, et les bras 6+6 b
S'étendaient, comme on voit, hors de la roche creuse, 6+6 a
S'allonger les vautours à l'odeur des combats ! 6+6 b
Ils quittèrent les bancs, furieux, pêle-mêle, 6+6 a
Et vers Pantabolus la cohue à longs flots 6+6 b
375 Se roula, culbutant les tables et les pots ; 6+6 b
Lui, saisit au hasard le pied d'une escabelle, 6+6 a
Et devant Melænis, comme une sentinelle, 6+6 a
Se posa largement ; on eût dit que son dos, 6+6 b
Mieux que celui d'Atlas, pouvait porter le monde. 6+6 a
380 « Au large ! » cria-t-il, et ses yeux pleins de sang 6+6 b
Brillaient sous ses cils noirs, comme un feu rougissant 6+6 b
Sous les branches. Lancée avec un bruit de fronde. 6+6 a
L'escabelle en ses mains tournoyait à la ronde, 6+6 a
Et le cercle indécis allait s'élargissant. 6+6 b
385 Cette attitude fière et prête à la bataille 6+6 a
Suspendit brusquement l'attaque des soldats, 6+6 b
Ils se parlaient entre eux et murmuraient tout bas. 6+6 b
Soudain, Pantabolus, dressant toute sa taille, 6+6 a
S'éloigna, dédaigneux, de cette valetaille, 6+6 a
390 Et quand il fut s'asseoir, on ne le suivit pas ! 6+6 b
Melænis le suivit : une joie inconnue 6+6 a
Éclatait sur son front par la douleur pâli, 6+6 b
Sa bouche demi-close où se creusait un pli 6+6 b
Riait étrangement ; sur son épaule nue 6+6 a
395 Roulait sa chevelure en boucles répandue, 6+6 a
Comme un flot écumeux sur un rocher poli. 6+6 b
« Bien ! Dit-elle, voilà ce que je veux, l'audace ! » 6+6 a
Et lui serrant la main : « j'aime les hommes forts ! 6+6 b
« Ton sein large est taillé pour porter la cuirasse, 6+6 a
400 « Ton bras se gonfle bien quand il tend ses ressorts… » 6+6 b
Et sa voix, en parlant, modulée avec grâce, 6+6 a
Comme des doigts lascifs lui parcourait le corps ! 6+6 b
Il ouvrit de grands yeux, haletant et stupide ; 6+6 a
« Bois ! » dit-elle ; et prenant la patère à sa main, 6+6 b
405 Aux lèvres du soldat elle tendit le vin ; 6+6 b
Puis s'échappant d'un bond, quand la coupe fut vide, 6+6 a
Elle imita pour lui la cordace rapide, 6+6 a
Avec le geste libre et le chant fescennin. 6+6 b
C'était un air étrusque aux paroles hardies, 6+6 a
410 Un refrain de taverne aimé des carrefours ; 6+6 b
Sa voix brève heurtait les vieilles mélodies, 6+6 a
Ses pieds tombaient d'aplomb et cadencés toujours, 6+6 b
Tandis que ses deux mains sur sa tête arrondies, 6+6 a
De ses bras onduleux dessinaient les contours. 6+6 b
415 Soudain, elle saisit, entre ses doigts fébriles, 6+6 a
Un sistre tout poudreux qui s'accrochait au mur ; 6+6 b
Sa main blanche courait sur les cordes mobiles, 6+6 a
Et l'instrument antique au son vibrant et dur, 6+6 b
Étincelait parfois en notes juvéniles, 6+6 a
420 Comme un bois pétillant qui brûle à l'âtre obscur. 6+6 b
Musique, bruit des pas, colliers, toge légère, 6+6 a
Cela tourbillonnait, ailé, joyeux, vermeil ! 6+6 b
Un gai rayon, glissant comme l'aube au réveil, 6+6 b
D'une barre d'azur coupait la salle entière, 6+6 a
425 Et Melænis, baignée aux flots de la lumière, 6+6 a
Semblait, la lyre en main, danser dans le soleil ! 6+6 b
« Viens ! Dit Pantabolus. ‒ non, » répondit la belle, 6+6 a
Et sa pose enivrante était plus molle encor. 6+6 b
Le soldat n'y tint plus, d'un bond il fut près d'elle, 6+6 a
430 À sa taille glissante attacha son bras fort ; 6+6 b
« Oh ! Je t'aime ! Dit-il, que sert d'être rebelle ?… » 6+6 a
Et sa main vers le banc l'entraîna sans effort ; 6+6 b
Elle s'assit sur lui ; son beau col qui se penche, 6+6 a
Tremblait, comme un roseau que le vent fait plier ; 6+6 b
435 Sa gorge s'écrasait sur l'armure d'acier, 6+6 b
Et les flots gracieux de sa tunique blanche 6+6 a
Inondant le soldat, ainsi qu'une avalanche, 6+6 a
Frôlaient la guêtre noire et le rude soulier, 6+6 b
« Si j'étais homme aussi, j'aimerais les batailles, 6+6 a
440 « Dit-elle, et sur mon front les panaches mouvants, 6+6 b
« La marche en plein soleil, l'assaut sur les murailles, 6+6 a
« La tente qu'on déploie et qui frissonne aux vents !… » 6+6 b
Le soldat la couvait sous ses yeux éclatants ; 6+6 b
Les mots qu'il entendait le prenaient aux entrailles. 6+6 a
445 « Tu dis vrai ! Cria-t-il en agitant ses mains, 6+6 a
« Du temps de Cassius, j'ai vu de grandes guerres, 6+6 b
« Les scythes vagabonds aux flèches meurtrières, 6+6 b
« Les gélons demi-nus, les sarmates lointains… 6+6 a
« C'était plaisir alors ! Des légions entières 6+6 b
450 « Franchissaient le Danube, au pays des germains ! » 6+6 a
Et tandis que sa voix s'en allait large et pleine, 6+6 a
Melænis le brûlait du feu de son haleine ; 6+6 a
Puis se dressant, ainsi qu'un enfant curieux, 6+6 b
Dans le casque de cuivre elle mirait ses yeux, 6+6 b
455 Ou tirait à demi le glaive de sa gaîne, 6+6 a
Pour y passer ses doigts, avec un cri joyeux ! 6+6 b
Il se fit tout à coup, un bruit épouvantable ; 6+6 a
C'était le muletier qui roulait sous la table, 6+6 a
Et jurait congrûment par tous les noms connus, 6+6 b
460 Depuis Saturne ancien jusqu'au dieu Crépitus ! 6+6 b
On le voyait ramper d'une façon louable 6+6 a
Parmi les pots cassés et les plats répandus. 6+6 b
Il se leva pourtant et se mit en posture ; 6+6 a
Ses pieds, dans le chemin, heurtaient les escabeaux. 6+6 b
465 Il étendait ses bras ainsi que des rameaux, 6+6 b
Et, balançant la tête avec un sourd murmure, 6+6 a
S'appuyait aux lambris, comme une vigne mûre 6+6 a
Qui se soutient à peine et s'accroche aux ormeaux ! 6+6 b
La taverne alentour se vidait ; la nuit sombre 6+6 a
470 Arrivait par degrés. » tiens ! Dit Pantabolus, 6+6 b
« Je ne sais pas ton nom, mais je ne vivrai plus 6+6 b
« Sans ta danse, et ton rire, et tes chansons sans nombre. 6+6 a
« Parle ! Un seul mot d'amour, embrassons-nous dans l'ombre… 6+6 a
« ‒ Non, dit-elle, en baissant des yeux irrésolus. 6+6 b
475 « Tu me détestes donc ? ‒ non, reprit-elle, pose 6+6 a
« Ta main, là, sur mon cœur, il en sait quelque chose ! » 6+6 a
Le bon Pantabolus crut trouver le défaut, 6+6 b
Mit l'escarcelle au vent, et la fit sonner haut ; 6+6 b
« Jamais ! » dit Melænis, puis après une pause : 6+6 a
480 « Soldat, garde ton or, c'est du fer qu'il me faut ! 6+6 b
« Tu m'aimes, n'est-ce pas ? Eh bien ! Il est au monde 6+6 a
« Un homme que je hais, d'une haine profonde, 6+6 a
« Celui-là voit le jour !… ‒ comment l'appelle-t-on ? 6+6 b
« ‒ celui-là n'eut pour moi ni pitié ni pardon, 6+6 b
485 « Celui-là !… je l'aimais !… que le ciel me confonde !… 6+6 a
« Je crois l'aimer encor ! ‒ son nom ! Son nom ! Son nom ! 6+6 b
« ‒ Cet homme, écoute bien, de mon amour se joue, 6+6 a
« Il en fait un haillon qu'il traîne dans la boue ! 6+6 a
« Quand j'ai prié, quand j'ai pleuré, quand j'ai rampé, 6+6 b
490 « Il a ri ! Par une autre il était occupé ! 6+6 b
« Il me le faut, demain, mort ; veux-tu ? Je l'avoue, 6+6 a
« Je t'aime ! Prends ta lame, et qu'il soit bien frappé ! 6+6 b
« ‒ Son nom ! Dit le soldat. ‒ c'est Paulus qu'on l'appelle. 6+6 a
« ‒ Eh bien ! Mort à Paulus ! ‒ écoute, reprit-elle, 6+6 a
495 « C'est Paulus, le préfet du prétoire, celui 6+6 b
« Que l'empereur adore et qui règne après lui. 6+6 b
« ‒ Mais… dit Pantabolus. ‒ mais ton âme chancelle ! 6+6 a
« Je vois bien que sur toi je me trompe aujourd'hui ! » 6+6 b
Elle voulut partir ; comme dans une chaîne, 6+6 a
500 Pantabolus tremblant la retint dans ses bras. 6+6 b
« Laisse-moi ! Lui dit-elle, il me faut son trépas ! 6+6 b
« Crois-tu que j'aie un cœur si large ?… cette haine 6+6 a
« Doit en sortir d'abord, pour que l'amour y vienne ! 6+6 a
« Tu sais tout : lui vivant, je ne te connais pas !… 6+6 b
505 « Mais si l'on te disait qu'en baisers de ma bouche 6+6 a
« Je payerai sa blessure et tous ses cris d'effroi ! 6+6 b
« Mais si l'on te disait, pour que cela te touche, 6+6 a
« Que cet homme, après tout, est mon maître et mon roi ! 6+6 b
« Qu'il veille, gardien sombre, au chevet de ma couche ! 6+6 a
510 « Qu'il faut marcher sur lui pour arriver à moi ! 6+6 b
« Que lui mort, nous pouvons nous aimer sans partage, 6+6 a
« Qu'il est de douces nuits, et des jours sans nuage ! 6+6 a
« Qu'il serait dur vraiment qu'un autre nous gênât, 6+6 b
« Et que l'amour vaut bien qu'on ose l'attentat ! 6+6 b
515 « ‒ Va, fit Pantabolus, j'accepte le message ! 6+6 a
« ‒ Demain ? Dit Melænis. ‒ demain ! » dit le soldat. 6+6 b
Elle tendit sa lèvre au gros légionnaire. 6+6 a
« Nous nous verrons ici, dit-elle, c'est juré ! » 6+6 b
Puis glissant de ses bras, elle bondit à terre ; 6+6 a
520 L'hôtelier, sur le seuil, paraissait affairé, 6+6 b
Il repassait le gain de la journée entière ; 6+6 a
Il avait le nez rouge et le front balafré. 6+6 b
Quand Melænis reprit le chemin de Suburre, 6+6 a
La lune, au fond du ciel, ébauchait sa figure, 6+6 a
525 Le soleil descendait, et ses derniers rayons 6+6 b
Jetaient un manteau rouge à l'épaule des monts ; 6+6 b
Elle glissait rapide à l'œil, à l'aventure, 6+6 a
Comme pour fuir son cœur. Au faîte des maisons, 6+6 b
Le vent du soir tordait la fumée en spirale, 6+6 a
530 Et, fixant sur le seuil la barre transversale, 6+6 a
L'échoppe des marchands se fermait à grand bruit ; 6+6 b
Quelques rares flambeaux brillaient par intervalle, 6+6 a
Tandis qu'on entendait, sur la brise qui fuit, 6+6 b
Cet adieu qu'en partant le jour jette à la nuit !… 6+6 b
535 Comme elle s'engageait dans une voie obscure 6+6 a
Qui serpente et se tord au pied de l'Esquilin, 6+6 b
Une réflexion vint la frapper soudain : 6+6 b
« Si le soldat tremblait, dit-elle, qui m'assure 6+6 a
« Que le fer jusqu'au fond fouillera la blessure, 6+6 a
540 « Et que Paulus, au cœur, sera percé demain ?… » 6+6 b
Mais elle tressaillit d'une joie inconnue, 6+6 a
Et ses yeux, qui sondaient les maisons de la rue, 6+6 a
Lancèrent tout à coup un regard triomphant ; 6+6 b
Un jeune esclave noir passait en ce moment, 6+6 b
545 Avec un vase plein sur son épaule nue : 6+6 a
« Staphyla ! Cria-t-elle. ‒ en face ! » dit l'enfant. 6+6 b
Staphyla ! Staphyla ! La vieille campanienne, 6+6 a
Qui va hochant la tête et murmure tout bas 6+6 b
Des mots mystérieux que l'on ne comprend pas !… 6+6 b
550 Melænis y courut, puis, respirant à peine, 6+6 a
Elle frappa trois coups à la porte de chêne, 6+6 a
Et dans la grande salle on entendit des pas. 6+6 b
La sorcière allongea, par un étroit passage, 6+6 a
Son front, qu'avait rayé l'ongle du désespoir, 6+6 b
555 Sa peau mate tranchait sur son costume noir ; 6+6 b
Ses cheveux longs encor, mais blanchis avant l'âge, 6+6 a
Tombaient plus en désordre autour de son visage 6+6 a
Qu'en cette nuit fameuse, où Paulus vint la voir. 6+6 b
« Qui frappe ? ‒ ouvre sans peur, dit la danseuse pâle, 6+6 a
560 « C'est l'amour outragé !… c'est la vengeance aussi !… 6+6 b
« ‒ Qu'ils entrent, fit la vieille, on les connaît ici ! » 6+6 b
Et, dans l'ombre, grinça la porte de la salle, 6+6 a
Et leurs pieds, tour à tour, frappant la froide dalle, 6+6 a
Éveillaient maint écho sous le dôme noirci. 6+6 b
565 Pour peu que mon lecteur ait la mémoire agile, 6+6 a
Il reverra, d'un trait, la maison de Staphyle, 6+6 a
Tout ce monde effrayant qui se tord sur les murs, 6+6 b
Se suspend aux cloisons, bruit aux coins obscurs ; 6+6 b
Et la lampe de fer, dont le rayon mobile 6+6 a
570 Fait danser, aux lambris, mille groupes impurs ! 6+6 b
Rien n'était donc changé ; seulement, la poussière, 6+6 a
Manteau que l'oubli donne aux choses de la terre, 6+6 a
Couvrait la table antique et le vase sculpté ; 6+6 b
Tandis que, se berçant au plafond solitaire, 6+6 a
575 L'araignée aux longs bras, partout avait jeté 6+6 b
Sur les squelettes nus, un linceul argenté ! 6+6 b
Les lieux prennent leur part de la tristesse humaine, 6+6 a
Et nous laissons au mur l'ombre de notre cœur ; 6+6 b
On jugeait, en entrant, que la magicienne 6+6 a
580 Courbait son front plus bas, sous le poids du malheur ; 6+6 b
La pierre des pavés semblait suer la peine, 6+6 a
Et tout l'antre gémir d'une immense douleur ! 6+6 b
Melænis s'arrêta : « toi, qui sais tout sur terre 6+6 a
« Et dont l'art souverain marche au niveau des dieux, 6+6 b
585 « Je l'aimais !… j'étais folle ! Il a ri de mes feux !… 6+6 b
« Venge-moi !… » puis, soudain, pour aider sa prière, 6+6 a
Elle jeta de l'or, luisant dans la poussière ; 6+6 a
La vieille, à cet aspect, crispa ses doigts nerveux ; 6+6 b
Un feu rapide et clair jaillit de sa prunelle : 6+6 a
590 « Ces philtres, ces onguents, tout est pour toi, dit-elle, 6+6 a
« Parle ! Et sa main glacée entraînait Melænis ; 6+6 b
« Veux-tu voir, en un jour, ses jeunes ans ternis ? 6+6 b
« Son front chauve, creusé d'une ride éternelle ? 6+6 a
« Et tout son corps tremblant sur ses pieds engourdis ?… 6+6 b
595 « J'ai le cumin sauvage et l'herbe de colchide 6+6 a
« Qui font pâlir la face et s'éteindre les yeux. 6+6 b
« Du serpent Sepédon j'ai le venin fameux : 6+6 b
« Quatre gouttes au plus de ce poison fluide 6+6 a
« Changent l'adolescent en un vieillard livide, 6+6 a
600 « Qui va, le dos courbé, sans barbe et sans cheveux. 6+6 b
« S'il traverse les flots, si son coursier l'entraîne, 6+6 a
« S'il tend, près du foyer, sa coupe à l'échanson, 6+6 b
« Ma fille ! Avec trois mots j'arrêterai sans peine 6+6 a
« Son vaisseau sur la mer, son cheval dans la plaine, 6+6 a
605 « Ou d'un cercle fatal, fermant son horizon, 6+6 b
« J'enchaînerai ses pieds au seuil de sa maison ! 6+6 b
« ‒ Non ! Cria Melænis, ce n'est point mon affaire ! 6+6 a
« Avant d'avoir sa mort il me faut son amour ! 6+6 b
« ‒ Alors, je puis t'offrir, répliqua la sorcière, 6+6 a
610 « Dans une peau de grue, un poumon de vautour, 6+6 b
« Ou ce pourpier charnu, cueilli dans l'onde amère, 6+6 a
« Qu'on mêle à l'orge blond et qu'on dessèche au four. » 6+6 b
Puis la vieille, joignant les gestes aux paroles, 6+6 a
De sa torche rougeâtre éclairait les fioles, 6+6 a
615 Les coupes, les bassins suspendus aux lambris : 6+6 b
« Voici le sang caillé d'une chauve-souris, 6+6 b
« Voici des dents d'aspic avec leurs alvéoles 6+6 a
« (mais ces charmes ne vont qu'aux femmes) ; tout compris, 6+6 b
« C'est un philtre d'amour ! » demanda la sibylle. 6+6 a
620 La danseuse reprit : « qu'il soit aussi de mort ! » 6+6 b
Et jetant sur la table une autre pièce d'or : 6+6 b
« Je veux qu'il m'aime et puis qu'il meure ! ‒ c'est facile, 6+6 a
« Il faut, dit Staphyla, quelque recette habile, 6+6 a
« Qui le pousse à la tombe en le brûlant d'abord ! 6+6 b
625 « Mais tu dois, avant tout, te guérir de ta peine ; 6+6 a
« Je vais mêler, pour toi, dans une coupe pleine, 6+6 a
« La cendre de vipère à l'huile de cyprès, 6+6 b
« Puis la chèvre brûlée au feu d'un mort, après… 6+6 b
« ‒ Non, reprit l'autre. ‒ après, » dit la magicienne 6+6 a
630 Qui, pour toute infortune, avait des philtres prêts, 6+6 b
« Tu prendras la clupée, une pierre assez belle, 6+6 a
« Que cherchent les pêcheurs à la lune nouvelle, 6+6 a
« Et qu'on trouve en fendant la tête d'un poisson ; 6+6 b
« Puis tu regarderas avec attention 6+6 b
635 « L'oiseau Charadrius, dont la puissance est telle, 6+6 a
« Qu'on guérit, à le voir, de toute passion !… 6+6 b
« ‒ Je ne veux pas guérir ! Cria la jeune fille ; 6+6 a
« Commençons !… l'heure échappe !… et le temps est compté !… » 6+6 b
La sorcière fait trêve à sa loquacité 6+6 b
640 Et plante, sur le banc, la torche qui pétille : 6+6 a
« Quel est son nom d'abord, son âge et sa famille ?… 6+6 a
« ‒ Son nom ?… dit Melænis, je l'ai trop répété ! 6+6 b
« Son âge ?… il va mourir !… sa famille ?… qu'importe !… 6+6 a
« Qu'il soit esclave ou roi, ma haine est assez forte 6+6 a
645 « Pour briser, en tombant, sa couronne ou ses fers ! 6+6 b
« ‒ Alors, dit la sibylle, agissons d'autre sorte, 6+6 a
« Évoque-le toi-même, et, fût-il aux enfers, 6+6 b
« Il viendra !… sur cette eau reste les yeux ouverts ! 6+6 b
« Penche-toi, sans parler, regarde au fond !… » Staphyle, 6+6 a
650 Tout en disant ces mots, dans un coin ténébreux 6+6 b
Prit un baquet étrange, au ventre spacieux, 6+6 b
Et, gémissant de peine, avec sa main débile, 6+6 a
Elle vida dedans une amphore d'argile 6+6 a
Dont le flot, sous la lampe, étincelait aux yeux ! 6+6 b
655 Ensuite elle plongea dans la cuve profonde 6+6 a
Un miroir argenté, qui rayonna sous l'onde ; 6+6 a
Puis, courant par la salle, elle mit près du bord 6+6 b
Des flambeaux résineux, couverts de poudre encor, 6+6 b
Et l'on eût vu, tandis qu'ils brûlaient à la ronde, 6+6 a
660 Sur la nappe d'azur trembler des cercles d'or !… 6+6 b
Le reste de la chambre était perdu dans l'ombre, 6+6 a
Quelques tisons fumeux craquaient dans le foyer, 6+6 b
Et le glapissement du renard familier 6+6 b
Troublait seul, par instants, la solitude sombre… 6+6 a
665 La vieille marmottait des paroles sans nombre, 6+6 a
Et courbée à demi sur des lames d'acier, 6+6 b
Suivait, d'un doigt tremblant, mainte ligne bizarre, 6+6 a
Alphabet monstrueux d'un langage inconnu. 6+6 b
Près d'elle est Melænis ‒ le baquet les sépare ‒ 6+6 a
670 Elle jette sur l'eau son regard éperdu, 6+6 b
Dans l'immobilité de l'aigle ou de l'avare 6+6 a
Qui fixe le soleil ou contemple un écu ! 6+6 b
Les deux têtes, que frappe une flamme incertaine, 6+6 a
Se détachent en plein, sur le fond rembruni ; 6+6 b
675 Face à face, à deux pas, le sort avait uni 6+6 b
Les deux extrémités de la misère humaine ; 6+6 a
Ce voyage à travers la douleur et la haine, 6+6 a
L'une le commençait, l'autre l'avait fini !… 6+6 b
« Que vois-tu ? ‒ rien encore ! ‒ il viendra ! » dit Staphyle. 6+6 a
680 Le silence se fit solennel et profond ; 6+6 b
Et de nouveau la vieille, avec sa voix tranquille : 6+6 a
« Que vois-tu ?… ‒ je vois l'eau qui tourbillonne au fond !… 6+6 b
« ‒ Il viendra ! » Melænis se penchait immobile, 6+6 a
Et le doute à l'espoir se mêlait sur son front. 6+6 b
685 Mais soudain Staphyla vit pâlir son visage, 6+6 a
Un frisson secoua ses membres, et ses yeux 6+6 b
Brillèrent : « l'eau se trouble !… et c'est comme un nuage 6+6 a
« Qui tourne !… quelque chose a paru dans les feux !… 6+6 b
« Dieux !… c'est lui !… cria-t-elle en se dressant, l'image !… 6+6 a
690 « Là !… mais tout fuit… le philtre ! Il le faut ! Je le veux !… 6+6 b
« Sa lèvre dédaigneuse essayait un sourire… 6+6 a
« Je l'ai bien vu, ma mère, il me raillait encor !… 6+6 b
« Allons !… » puis entraînant la vieille avec effort : 6+6 b
« Plus de grâce, à présent, c'est l'heure qu'il expire ! » 6+6 a
695 On eût dit à la voir, la bacchante en délire, 6+6 a
Quand sonne le tambour et la cymbale d'or. 6+6 b
La sorcière éteignit les torches. L'âtre antique 6+6 a
Resplendit tout à coup d'une flamme magique, 6+6 a
Que la vieille excita sous son souffle glacé. 6+6 b
700 Dans un vase d'airain, sur les tisons dressé, 6+6 b
Sang des morts, noirs venins, plante au suc exotique, 6+6 a
Tout bouillonne et frémit, pêle-mêle entassé ; 6+6 b
Et Staphyla, parfois, dans la marmite pleine, 6+6 a
Jette des ossements pris aux dents d'une chienne, 6+6 a
705 Des cailloux qu'en tombant, la foudre a calcinés, 6+6 b
Et de longs clous ravis aux croix des condamnés, 6+6 b
La nuit, lorsque le vent qui pleure dans la plaine, 6+6 a
Fait craquer du gibet, les grands bras décharnés ! 6+6 c
Puis rêveuse, elle écoute, ainsi que des augures, 6+6 a
710 Brûler en pétillant des feuilles de laurier, 6+6 b
Et dans la cendre éparse alentour du foyer 6+6 b
‒ Selon les bruits du feu, variant ses postures ‒ 6+6 a
Elle trace des ronds et d'étranges figures, 6+6 a
Avec un bâton blanc, fait en bois d'olivier. 6+6 b
715 Melænis à côté, regardait la fumée 6+6 a
Sortir en longs filets du philtre bouillonnant ; 6+6 b
Quand soudain Staphyla, pâle et l'œil rayonnant, 6+6 b
Se leva d'un seul bond, la main d'un fouet armée, 6+6 a
Et tira de sa boîte, à deux crochets fermée, 6+6 a
720 La toupie au flanc creux, qui bruit en tournant : 6+6 b
« Va ! Dit-elle, agitant les sifflantes lanières, 6+6 a
« Dans ton cercle sonore enferme son destin, 6+6 b
« Tourne, tourne toujours !… sur le mont Esquilin, 6+6 b
« La lune aux pieds d'argent, glisse dans les bruyères, 6+6 a
725 « Et les morts, inquiets sur leurs couches de pierres, 6+6 a
« Se dressent, écoutant ton murmure lointain ! 6+6 b
« Qu'il tombe avant le jour ! Que dans la nuit glacée, 6+6 a
« Il ait, pour tout linceul, comme un sombre inconnu, 6+6 b
« L'aile du vautour fauve et l'ombre du ciel nu ! 6+6 b
730 « Tourne ! Tourne !… » et sa voix haletante, insensée, 6+6 a
Sa chevelure grise, à son front hérissée, 6+6 a
Ses yeux sanglants, ses doigts crispés, son bras tendu, 6+6 b
Tout passait, tout grinçait, ainsi qu'un rêve étrange, 6+6 a
Devant la courtisane immobile d'effroi… 6+6 b
735 « Tourne ! Tourne plus fort !… c'est l'amour qui se venge ! 6+6 a
« Le feu flambe au foyer ! L'air siffle autour de moi ! 6+6 b
« À la lèvre du vase écume le mélange ! 6+6 a
« Ô cieux, lancez la foudre ! ô terre, entr'ouvre-toi ! » 6+6 b
Mais sa voix s'éteignit, arrêtée au passage, 6+6 a
740 Une froide sueur sillonna son visage, 6+6 a
Et le fouet, à ses mains échappa brusquement ; 6+6 b
Elle se tint d'abord, droite et sans mouvement, 6+6 b
La lèvre en sang, l'œil fixe, et couvert d'un nuage, 6+6 a
Puis, sur les durs pavés s'affaissa lourdement. 6+6 b
745 « À l'aide ! à moi ! » cria la danseuse effarée. 6+6 a
L'écho seul répondit, et l'antre spacieux, 6+6 b
Ainsi qu'un grand tombeau, resta silencieux ! 6+6 b
Alors, comme ferait une mère éplorée 6+6 a
À son enfant qui meurt, sur son sein gracieux 6+6 b
750 Elle appuya la tête, âpre et décolorée. 6+6 a
Elle la réchauffait sous son souffle tremblant, 6+6 a
Et de ses doigts légers, soulevait sa paupière : 6+6 b
« Pourquoi dormir toujours ?… éveille-toi, ma mère ! 6+6 b
« ‒ Où suis-je ? Dit Staphyle, oh ! J'ai le front brûlant, 6+6 a
755 « Les pieds glacés ! Enfant de la vieille sorcière, 6+6 b
« Adieu !… je vais mourir ! Fantômes au pas lent, 6+6 a
« Avec vous, sur les monts où le cyprès frissonne, 6+6 a
« Je glisserai demain sous le pâle croissant. 6+6 b
« Ô larves des tombeaux, préparez ma couronne ! 6+6 a
760 « D'un agneau nouveau-né faites couler le sang ! 6+6 b
« Terre, adieu ! J'ai vécu ! Durant les nuits d'automne, 6+6 a
« Je ne m'assoirai plus au foyer rougissant ! 6+6 b
« Je n'écouterai plus le vent gémir dans l'ombre, 6+6 a
« Je n'irai plus cueillir seule, au fond des grands bois, 6+6 b
765 « L'herbe qui fait aimer. Adieu, retraite sombre 6+6 a
« Où sur les maux passés j'ai pleuré tant de fois ! 6+6 b
« Ô nature ! Nature aux mystères sans nombre, 6+6 a
« Je puis fermer mes yeux, ils ont surpris tes lois ! 6+6 b
« Je sens un souffle ardent qui m'arrache à la terre ! 6+6 a
770 « Je veux mêler mon âme à l'océan vermeil ! 6+6 b
« J'irai dans les rameaux du cèdre solitaire ! 6+6 a
« Dans la brume des nuits, dans les feux du soleil !… 6+6 b
« Terre, adieu ! J'ai vécu ! » la voix de la sorcière 6+6 a
Vibrait étrangement, et son regard, pareil 6+6 b
775 Au flambeau qui s'éteint, envoyait plus de flamme ; 6+6 a
Quelque chose de grand planait sur cette femme. 6+6 a
Enfin, se roidissant par un dernier effort : 6+6 b
« Ma fille, approche-toi, voici venir la mort ! 6+6 b
« Je confie à ta foi le secret de mon âme ; 6+6 a
780 « Sois discrète !… fit-elle en hésitant encor. 6+6 b
« ‒ Pourquoi, dit Melænis, chasser toute espérance ?… 6+6 a
« J'appellerai, j'irai !… » mais la vieille : « silence ! 6+6 a
« La destinée est sourde, on ne l'arrête pas ! 6+6 b
« Ce frisson de mon corps, c'est le froid du trépas. 6+6 b
785 « C'est l'éternelle nuit qui sur mes yeux s'avance !… 6+6 a
« ‒ Parle ! » dit Melænis, en se penchant si bas 6+6 b
Que ses cheveux bouclés frôlaient la moribonde. 6+6 a
La sorcière reprit : « en quelque lieu du monde 6+6 a
« Qu'il se cache à tes yeux, fût-ce chez l'empereur, 6+6 b
790 « Tu chercheras demain Paulus gladiateur !… 6+6 b
(Melænis tressaillit d'une angoisse profonde.) 6+6 a
« Tu lui diras : ta mère est morte sur mon cœur !… 6+6 b
« ‒ Toi, sa mère ! » cria la danseuse en démence ; 6+6 a
Le front de Staphyla prit un air soucieux. 6+6 b
795 « Tu connais donc Paulus ? ‒ je le connais. ‒ tant mieux ! 6+6 b
« Pour qu'il ne rougît point d'apprendre sa naissance, 6+6 a
« Vingt ans, dis-lui cela, j'ai gardé le silence, 6+6 a
« J'ai refoulé mon cœur, j'ai fait taire mes yeux ! 6+6 b
« Dis-lui que son regard, dis-lui que sa parole, 6+6 a
800 « Quand il venait me voir, poussé par quelque ennui, 6+6 b
« Me faisaient du bonheur pour tout un jour ! Dis-lui 6+6 b
« Que mes pleurs ont lavé ma jeunesse frivole, 6+6 a
« Et que ce dernier cri d'une âme qui s'envole 6+6 a
« N'eut pour témoins que toi, le silence et la nuit ! » 6+6 b
805 Sa voix s'affaiblissait, et son souffle débile 6+6 a
Râlait, comme le vent dans les feuillages morts ! 6+6 b
De longs frémissements lui parcouraient le corps ; 6+6 b
Enfin, elle reprit : « s'il cherche par la ville 6+6 a
« Son père, écoute bien, c'est Marcius l'édile !… » 6+6 a
810 Melænis se dressa comme avec des ressorts. 6+6 b
« Son père !… Marcius !… grands dieux ! L'ai-je entendu ?… » 6+6 a
La sorcière à sa voix se levait par degrés. 6+6 b
« Oh ! Fit-elle en ouvrant des yeux démesurés, 6+6 b
« Achève !… ‒ je ne puis ! ‒ parle ! ‒ je t'ai perdue ! 6+6 a
815 « C'est ton fils que j'aimais !… ‒ c'est mon fils que je tue !… » 6+6 a
Elle heurta son front entre ses poings serrés, 6+6 b
Puis elle retomba, la tête sur la dalle, 6+6 a
Avec un cri si fort qu'il fit trembler la salle ! 6+6 a
Et l'on n'entendit plus que le soupir lointain 6+6 b
820 Du liquide écumant dans son vase d'airain, 6+6 b
Tandis que du foyer la lueur sépulcrale 6+6 a
Jetait sur le cadavre, un reflet incertain. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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