Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BOU_1/BOU3
Louis BOUILHET
Melænis
conte romain
1857
CHANT TROISIÈME
J'ai bâti quelquefois ce projet fantastique 6+6 a
De sortir un matin, dès le soleil levant, 6+6 b
Afin de voir du jour le réveil magnifique, 6+6 a
Les pieds dans la rosée et les cheveux au vent, 6+6 b
5 Debout sur le sommet du Janicule antique, 6+6 a
La campagne derrière, et le Tibre devant 6+6 b
Je disais : à demain ! Mais on a ses paresses ; 6+6 a
Mais les soupers sont longs, mais on se couche tard ; 6+6 b
On a passé la nuit dans de folles ivresses ; 6+6 a
10 On comptait sans le vin, les dés et le hasard ; 6+6 b
Puis Lesbie, au matin, redouble ses caresses, 6+6 a
Et plus clair que le jour se lève son regard !… 6+6 b
Pourtant c'est un spectacle immense, je présume, 6+6 a
Quand l'aube radieuse à l'horizon s'allume ; 6+6 a
15 L'ombre se mêle au jour et doit lutter d'abord ; 6+6 b
Mais bientôt, s'étalant sur la ville qui dort, 6+6 b
Mille reflets d'azur font chatoyer la brume, 6+6 a
Comme un velarium de soie, aux franges d'or ! 6+6 b
Sur le ciel inon de teintes purpurines, 6+6 a
20 Les aqueducs lointains dessinent leurs arceaux ; 6+6 b
Les palais blancs, assis par groupes inégaux, 6+6 b
Se détachent en foule aux crêtes des collines, 6+6 a
Et le Tibre, au soleil, roulant ses blondes eaux, 6+6 b
Semble un bandeau royal, semé de perles fines ! 6+6 a
25 Ô maîtres glorieux, vous les aviez connus, 6+6 a
Vous les aviez connus ces spectacles sublimes ! 6+6 b
Votre front se penchait au bord des hautes cimes, 6+6 b
Le long des flots bruyants vous marchiez les pieds nus, 6+6 a
Et du vaste océan vous sondiez les abîmes, 6+6 b
30 Sous le manteau bro de l'antique Uranus ! 6+6 a
Avec l'oiseau qui chante et l'arbre qui murmure, 6+6 a
Vous mêliez votre vie à toute la nature ; 6+6 a
Vous aimiez les grands bois pleins de molles senteurs, 6+6 b
Les grands monts inclinés sur les vallons en fleurs ; 6+6 b
35 Et parfois des cités fuyant l'haleine impure, 6+6 a
Vous dormiez sur la mousse, à côté des pasteurs. 6+6 b
C'est là ce qui vous fait ces notes inquiètes 6+6 a
Qui tremblent à vos chants, comme des gouttelettes 6+6 a
De rosée, et ces vers qui savent se plier 6+6 b
40 Aux cadences du flot, sur son lit de gravier, 6+6 b
Et ces mots si profonds, que le ciel, ô poëtes ! 6+6 a
Comme dans l'océan, s'y mire tout entier ! 6+6 b
Quoi qu'il en soit, le jour commençait à paraître 6+6 a
Quand Paulus, dans la ville, arriva tout poudreux ; 6+6 b
45 Bien que lettré, sans doute, et poëte, peut-être, 6+6 a
Il ne s'arrêta point à contempler les cieux ; 6+6 b
Et Staphyle, à coup sûr, n'eût pu le reconnaître, 6+6 a
Rouge et la toge au vent, ainsi qu'un furieux ! 6+6 b
Le long des vieux remparts où court l'eau Julienne, 6+6 a
50 Jusqu'au mont Viminal il gravit d'une haleine ; 6+6 a
Parfois il lui semblait entendre à ses côtés 6+6 b
Des murmures lointains, des pas précipités ; 6+6 b
De mille visions sa tête toute pleine 6+6 a
Bruissait comme un flot. De joyeuses clartés 6+6 b
55 Tombaient du ciel ra par des nuages roses ; 6+6 a
Le rhéteur, sans rien voir, volait par les chemins, 6+6 b
Et poussait des soupirs, et se tordait les mains, 6+6 b
Tant qu'il donna du front contre tes portes closes, 6+6 a
Ô temple d'Esculape, asile des humains ! 6+6 b
60 Le sort, comme un auteur, sait arranger les choses : 6+6 a
Le dieu qui nous guérit faillit tuer Paulus, 6+6 a
Par contraste, et du coup l'histoire était finie ; 6+6 b
Il en eut le cœur fade et la tête engourdie : 6+6 b
« Si les dieux maintenant s'en mêlent, je n'ai plus 6+6 a
65 « Que la corde, dit-il, pour accrocher ma vie ! » 6+6 b
Et son corps s'affaissa sur ses membres perclus. 6+6 a
Déjà, comme des yeux entr'ouvrant ses tavernes, 6+6 a
Suburre au pied des monts s'éveillait avec bruit ; 6+6 b
Des buveurs chancelants sortaient de maint réduit, 6+6 b
70 Au soleil du matin montrant leurs faces ternes, 6+6 a
Ce pendant que la louve éteignait ses lanternes 6+6 a
Et balayait au seuil les traces de la nuit. 6+6 b
On entendait au loin, dans les brumes vermeilles, 6+6 a
La ville remuer ; de moment en moment 6+6 b
75 Les esclaves des bains, comme un essaim d'abeilles, 6+6 a
Des thermes spacieux sortaient confusément ; 6+6 b
Tout reprenait la vie avec le mouvement ; 6+6 b
Paulus de ses deux mains se boucha les oreilles ; 6+6 a
Puis fuyant au plus court, comme un cerf aux abois, 6+6 a
80 Il descendit le mont : près du temple de Flore, 6+6 b
Une vieille, accroupie à côté d'une amphore, 6+6 b
Dans un plon cassé faisait frire des pois ; 6+6 a
Paulus l'effraya tant par son souffle sonore, 6+6 b
Qu'en cornes, sur sa tête, elle allongea ses doigts ! 6+6 a
85 Il n'en fallait pas plus pour craindre un maléfice, 6+6 a
Notre homme offrant aux yeux, depuis sa pamoison, 6+6 b
La pâleur de la mort ; c'était l'occasion 6+6 b
De rehausser son teint par un peu d'artifice ; 6+6 a
Le sixième quartier des dames est complice, 6+6 a
90 C'est là que dix marchands vendent le vermillon 6+6 b
Le rhéteur n'en prit pas : une force inconnue 6+6 a
L'entrnait en aveugle ; au souffle des destins 6+6 b
Il se laissait aller. Les objets incertains 6+6 b
Flottaient autour de lui quand il franchit la rue ; 6+6 a
95 Il ne put recouvrer la pensée et la vue 6+6 a
Que sur le Pincius, la colline aux jardins. 6+6 b
L'heure était favorable et le lieu solitaire ; 6+6 a
Sous un figuier sauvage il s'étendit par terre, 6+6 a
Haletant et brisé. Dans les rameaux fleuris 6+6 b
100 Les oiseaux s'appelaient avec de petits cris ; 6+6 b
Ébloui de rayons, il ferma sa paupière, 6+6 a
Et la paix, par degrés, revint à ses esprits. 6+6 b
Alors il vit passer, en confuses images, 6+6 a
La lune et le jardin, l'édile et sa fureur, 6+6 b
105 Marcia dans ses bras tremblante et sans couleur ; 6+6 b
Les valets effrayés courant sous les feuillages, 6+6 a
Sa fuite à travers champs ; puis, pesant son malheur, 6+6 b
Il comprit que le ciel était chargé d'orages ; 6+6 a
Qu'un édile est puissant quand il veut se venger ; 6+6 a
110 Qu'il a les bras très-longs ; qu'avec des hyperboles 6+6 b
On ne se tirait point d'un semblable danger ; 6+6 a
Que, s'il ne tenait pas à jouer de sots rôles, 6+6 b
Il était temps de fuir la ville et les écoles ; 6+6 b
Qu'il n'avait pas un as, et qu'il faudrait manger. 6+6 a
115 Il songeait bien parfois à la vieille Staphyle, 6+6 a
À sa maison perdue au fond de la cité, 6+6 b
Mais il fallait narrer le tout à la sibylle, 6+6 a
Et c'était un moyen extrême, en vérité ! 6+6 b
Sans compter le logis par les larves hanté, 6+6 b
120 Vivre avec des serpents lui semblait difficile 6+6 a
Comme il en était là de sa réflexion, 6+6 a
Il entendit des coups frappés par intervalles, 6+6 b
Et tous accompagnés d'une exclamation, 6+6 a
De longs trépignements, de notes gutturales : 6+6 b
125 « Il en tient ! ‒ il en a ! ‒ ferme sur les sandales ! 6+6 b
« ‒ Gaulois, pourquoi me fuir ? J'en veux à ton poisson ! » 6+6 a
Le rhéteur aussitôt se souleva de terre 6+6 a
Tout machinalement, par curiosité ! 6+6 b
Plongez le cœur humain dans la calamité, 6+6 b
130 Le bruit d'un moucheron suffit pour le distraire ; 6+6 a
C'est l'esprit, comme il est ; la peine et la misère 6+6 a
Aussi bien que l'enfance ont leur naïveté ! 6+6 b
Un homme, à quelques pas, d'un costume assez riche, 6+6 a
S'escrimait contre un arbre, et ses coups forcenés 6+6 b
135 Tombaient, comme un torrent, sur le gaulois postiche ; 6+6 a
Quoique maigre, il avait les membres bien tournés, 6+6 b
L'œil fixe, le pied leste, et portait un pois chiche, 6+6 a
Tout comme Cicéron, au beau milieu du nez ! 6+6 b
Son glaive était de bois ; une courte tunique 6+6 a
140 Laissait voir ses genoux détachés avec art, 6+6 b
Un petit casque noir, au chiffre de César, 6+6 b
Descendait sur son front d'une façon comique, 6+6 a
Il avait à l'oreille un anneau magnifique ; 6+6 a
Sa toge suspendue ondulait à l'écart. 6+6 b
145 Paulus suivit des yeux l'étrange personnage ; 6+6 a
Il parait et frappait, se courbant à demi, 6+6 b
Et s'arrêtant parfois, sur sa jambe affermi : 6+6 b
« C'est un fou, pensa-t-il, ou c'est peut-être un sage, 6+6 a
« Les deux professions ont le même visage, 6+6 a
150 « On s'y trompe de loin ! ‒ je te salue, ami ! » 6+6 b
Dit le gladiateur, apercevant notre homme, 6+6 a
« C'est s'y prendre matin, mais je me fais le bras ! 6+6 b
« Trouves-tu que mon jeu soit agréable, en somme ? 6+6 a
« ‒ Moi ! Répondit Paulus, j'ignore les combats. 6+6 b
155 « ‒ C'est un tort, compagnon, et quand on est de Rome, 6+6 a
« On sait juger des coups. Tu ne me connais pas ? 6+6 b
« On m'appelle Mirax. ‒ et moi, Paulus. ‒ je gage 6+6 a
« Pour un homme lettré. ‒ tu l'as dit. ‒ moi, demain, 6+6 b
« Je vais me rendre au cirque. ‒ et moi, j'ai l'avantage 6+6 a
160 « D'aller un peu plus loin ; mais, pour ce long voyage, 6+6 a
« J'ai la corde ou le Tibre, et je suis incertain !… » 6+6 b
L'homme au glaive de bois mit son front dans sa main 6+6 b
Et parut réfléchir, puis relevant la face : 6+6 a
« J'ai peu d'amour, dit-il, pour le meilleur des deux ; 6+6 b
165 « Je n'aime pas mourir en faisant la grimace, 6+6 a
« Les pendus sont trop noirs, les noyés sont trop bleus ! 6+6 b
« Il faut savoir tomber, mais tomber avec grâce, 6+6 a
« Et rejeter la vie en regardant les dieux ! 6+6 b
« Il faut donner à l'âme une large ouverture, 6+6 a
170 « Qu'elle parte d'un bond, comme un aigle puissant ! 6+6 b
« Jeune homme, dit Mirax superbe et frémissant, 6+6 b
« Il faut jusqu'à la fin respecter sa nature ; 6+6 a
« Celui-là sait mourir qui, pour sa sépulture, 6+6 a
« Se fait un beau linceul de pourpre avec son sang ! » 6+6 b
175 Il avait dans la voix une telle puissance, 6+6 a
Que Paulus, malgré lui, se voyait terrassé. 6+6 b
Il reprit : « avant toi, jeune homme, j'ai passé 6+6 b
« Par les jours inquiets où tombe l'espérance ! 6+6 a
« J'ai pour cercueil alors choisi le cirque immense, 6+6 a
180 « Où j'entrai, comme un mort, impassible et glacé ; 6+6 b
« J'étais libre, et je pris le métier des esclaves ! 6+6 a
« J'ai vu le peuple entier bruire autour de moi, 6+6 b
« Et la fête chanter, sur mon front calme et froid, 6+6 b
« Comme un pâtre joyeux sur l'Etna gros de laves ! 6+6 a
185 « Et puis plus fièrement j'agitai ces entraves 6+6 a
« Qu'on ne changerait pas pour un sceptre de roi ! 6+6 b
« Connais-tu cette vie effrayante et sublime, 6+6 a
« Ce triomphe d'un jour si lugubre et si beau, 6+6 b
« Ce dédain pour la foule, imbécile troupeau, 6+6 b
190 « Qu'au fond d'un bouge obscur la vieillesse décime ? 6+6 a
« Ces plaisirs, suspendus au penchant d'un abîme ! 6+6 a
« Ces voluptés, râlant sur le bord d'un tombeau ! 6+6 b
« Sais-tu la frénésie et toutes les tendresses 6+6 a
« Qu'à ceux qui vont périr la femme garde encor ? 6+6 b
195 « Sais-tu l'âpre bonheur d'abandonner au sort 6+6 b
« Un front tout bourdonnant de royales ivresses, 6+6 a
« Et de baiser ces mains aux lascives caresses 6+6 a
« Dont le pouce charmant demandera ta mort ?… » 6+6 b
Et Mirax, l'œil en feu, la narine gonflée, 6+6 a
200 Parcourait du regard le rhéteur ébloui ; 6+6 b
Paulus sentait sa vie à ce souffle ébranlée, 6+6 a
Des horizons nouveaux s'entr'ouvraient devant lui ; 6+6 b
Alors, pour soulager son âme désolée, 6+6 a
Dans le sein de Mirax il versa son ennui. 6+6 b
205 Il dit tout : sa jeunesse insouciante et fière, 6+6 a
Les soins de Staphyla, ses travaux, son amour : 6+6 b
Le vieux gladiateur souriait comme un père : 6+6 a
« Viens avec moi, dit-il, viens mourir à ton tour ! 6+6 b
« Foule aux pieds, ô mon fils, les choses de la terre ; 6+6 a
210 « Laissons faire aux destins, ils savent notre jour !… 6+6 b
« ‒ J'y consens, dit Paulus, mais je crois difficile 6+6 a
« D'éviter bien longtemps le regard de l'édile… 6+6 a
« ‒ Qu'importe, dit Mirax, l'édile et son regard ? 6+6 b
« Jeune homme, on ne craint rien quand on est à César ; 6+6 b
215 « On n'ira pas chercher le rhéteur, sois tranquille, 6+6 a
« Sous le casque de fer et le double cuissard ! » 6+6 b
Paulus suivit Mirax, prenant un moyen terme 6+6 a
Entre vivre et mourir, en vrai logicien. 6+6 b
Les dames en riront, je le présume bien : 6+6 b
220 Les dames aux héros demandent un bras ferme 6+6 a
Qui ne s'amuse pas à gratter l'épiderme ; 6+6 a
Mais je suis scrupuleux comme un historien. 6+6 b
Ce fut pour le laniste une bonne fortune, 6+6 a
Quand il vit le rhéteur si robuste et si fort. 6+6 b
225 À porter la cuirasse on l'exerça d'abord, 6+6 b
Puis on le mit bientôt à la règle commune, 6+6 a
Et Paulus, pour l'arène oubliant la tribune, 6+6 a
À son nouvel état se pliait sans effort. 6+6 b
Il reçut par écrit les préceptes d'usage, 6+6 a
230 Et creusa le poteau sous ses coups assidus ; 6+6 b
Dans la botte de bronze il meurtrit ses pieds nus, 6+6 b
La mentonnière d'or étreignit son visage ; 6+6 a
Au bout de quelques mois il avait l'avantage 6+6 a
D'égaler en vigueur les maîtres reconnus. 6+6 b
235 Il savait imiter le Samnite intrépide 6+6 a
Qui secoue au combat son panache ondoyant, 6+6 b
L'Andabate aux yeux clos, le Thrace diligent, 6+6 b
Le svelte rétiaire, à la lance trifide, 6+6 a
Menaçant du filet le mirmillon rapide 6+6 a
240 Dont le casque gaulois porte un poisson d'argent ! 6+6 b
Il devait à Mirax la vertu singulière 6+6 a
De fixer son regard, sans baisser la paupière, 6+6 a
Et de tenir son souffle aussi bien qu'un plongeur !… 6+6 b
Cette vie, après tout, convenait au rhéteur. 6+6 b
245 Pour vous peindre en trois mots son régime ordinaire : 6+6 a
Il buvait et mangeait comme un gladiateur ! 6+6 b
Mirax avait raison, Paulus vécut sans crainte, 6+6 a
Comme un songe mauvais, le passé s'envola. 6+6 b
Une fois, à Suburre, il revit Staphyla, 6+6 b
250 Mais, pour conter la chose, il employa la feinte, 6+6 a
Après les premiers cris, la vieille fut contrainte 6+6 a
De le trouver fort beau sous ce costume-là ! 6+6 b
Je ne vous dirai pas ses amis de l'école, 6+6 a
Stratophanès le grec, Glaphyre le germain, 6+6 b
255 Hégon, qui vint un jour du pays de la Gaule, 6+6 a
Et sait vider d'un trait une amphore de vin, 6+6 b
Ni le nègre Labrax dont la matrone est folle, 6+6 a
Et qui tourne, au combat, deux glaives dans sa main ! 6+6 b
Bien qu'il les aimât tous, il préférait encore 6+6 a
260 Mirax, son vieil ami, plus grave et sérieux ; 6+6 b
Souvent, après la lutte, on les voyait tous deux 6+6 b
Appuyés sur l'épée ou le trident sonore, 6+6 a
Jeter des mots profonds que le vulgaire ignore, 6+6 a
Touchant la vie humaine et l'essence des dieux ! 6+6 b
265 Quant à ses passions, depuis son aventure, 6+6 a
Elles dormaient en lui ; son cœur était fermé 6+6 b
Comme un coffre d'avare, à la triple serrure ! 6+6 a
Les femmes y perdaient leur regard enflammé : 6+6 b
Il avait sur le corps une solide armure, 6+6 a
270 Et, tout autour de l'âme, un souvenir aimé ! 6+6 b
Pour la première fois Paulus était fidèle ; 6+6 a
Fille de Marcius ! Il revoyait encor, 6+6 b
Et tes cheveux tressés, et ta noire prunelle, 6+6 a
Et ta gorge inquiète où glisse un collier d'or ! 6+6 b
275 Mais tu ne venais pas à sa voix qui t'appelle ; 6+6 a
N'ayant plus rien au monde, il attendait la mort ! 6+6 b
Le hasard le servit ; l'école était placée 6+6 a
Près du temple du Faune, au mont Lateranus ; 6+6 b
Un jour qu'il descendait, roulant dans sa pensée 6+6 a
280 Sa fortune bizarre et ses amours perdus, 6+6 b
Il vit à quelques pas une foule amassée 6+6 a
Qui poussait vers les cieux des rires éperdus !… 6+6 b
Un petit homme étrange, aux mobiles paupières 6+6 a
S'agitait, au milieu du groupe triomphant, 6+6 b
285 Et l'on applaudissait, tandis que maint enfant 6+6 b
Le tirait par l'oreille et lui jetait des pierres ; 6+6 a
L'assemblée était sourde à toutes ses prières, 6+6 a
Il tournait et sautait de colère étouffant ! 6+6 b
Ce fut une surprise à peindre difficile, 6+6 a
290 Quand Paulus aperçut le bouffon de l'édile ! 6+6 a
Il écarta la foule, et, debout près du nain : 6+6 b
« Je le connais, » dit-il, en étendant la main. 6+6 b
À ce commandement le peuple fut docile, 6+6 a
Car le soleil frappait sur son casque d'airain ; 6+6 b
295 Il portait son manteau d'une façon si fière, 6+6 a
Que Coracoïdès ne le reconnut pas. 6+6 b
‒ Aux jambes du bouffon Paulus réglait son pas. ‒ 6+6 b
Il apprit que le nain, resté seul en arrière, 6+6 a
S'était perdu dans Rome, et qu'aux thermes, là-bas, 6+6 b
300 Il allait retrouver sa mtresse en litière… 6+6 a
« Marcia ! Marcia ! Dit Paulus palpitant, 6+6 a
« Marcia près de moi ! Marcia que j'adore ! 6+6 b
« Parle ! De son rhéteur se souvient-elle encore ? 6+6 b
« ‒ C'est lui ! Dit le bouffon. ‒ silence ! On nous entend, 6+6 a
305 « Je te conterai tout… mais il faut qu'on l'ignore, 6+6 b
« Parlons bas : ta mtresse… ‒ elle vous aime tant ! 6+6 a
« Vingt fois, sans vous trouver, j'ai couru par la ville, 6+6 a
« Elle voulait mourir ! ‒ et l'édile ? ‒ l'édile 6+6 a
« S'abandonna d'abord à des cris furieux, 6+6 b
310 « Il demandait vengeance, il maudissait les dieux ! 6+6 b
« Plus tard on vous crut mort, puis pour chasser sa bile, 6+6 a
« Il a bu quatre jours, et s'en est trouvé mieux ! » 6+6 b
En bénissant le ciel, Paulus prit ses tablettes, 6+6 a
Et d'une main tremblante il y traça son nom : 6+6 b
315 « Pour Marcia, pars vite, il faut que tu promettes 6+6 a
« De garder sur ce point un silence profond !… » 6+6 b
À peine eut-il je ces phrases inquiètes, 6+6 a
Qu'aux thermes de Commode il s'élança d'un bond. 6+6 b
Aimez-vous le forum où bruit la parole ? 6+6 a
320 Les temples où les dieux regardent les humains ? 6+6 b
Les grands tombeaux semés sur le bord des chemins ? 6+6 b
Les aqueducs, portant un fleuve sur l'épaule ? 6+6 a
L'obélisque étranger ? Les ponts ? Le capitole ? 6+6 a
Le cirque ou le sénat ? ‒ moi, j'adore les bains ! 6+6 b
325 C'est un goût dépravé, m'objecteront les sages, 6+6 a
Nos pères se baignaient aux fleuves murmurants, 6+6 b
Ils ne connaissaient pas les parfums enivrants 6+6 b
Que le Nil vagabond porte sur ses rivages ; 6+6 a
Ils s'étendaient mouillés sous les larges feuillages, 6+6 a
330 Pour sécher au soleil l'écume des torrents !… 6+6 b
Les sages disent vrai ; mais ils auront beau faire, 6+6 a
Le malobathre est doux, la myrrhe a des appas, 6+6 b
Le bain tiède est parfait, pris avant les repas, 6+6 b
Et je ne comprends point qu'il soit fort nécessaire, 6+6 a
335 Pour mériter son nom, que la vertu sur terre 6+6 a
Sente toujours le bouc et ne se peigne pas. 6+6 b
Si les bains sont fermés, où trouver le poëte, 6+6 a
Avec les baladins et les maîtres barbus ? 6+6 b
D'ailleurs, grâce à nos lois, la réforme est complète, 6+6 a
340 Les sexes aujourd'hui ne s'y confondent plus ; 6+6 b
Dans des thermes à part la matrone discrète 6+6 a
Suspend au clou do son collier de Phallus ! 6+6 b
Quand Paulus eut atteint le premier vestibule, 6+6 a
Il ne s'arrêta point à voir de tous côtés 6+6 b
345 Les murs de granit rose et de marbre incrustés, 6+6 b
Il oublia de même, au bord de leur cellule, 6+6 a
Les bustes de César, de Vénus et d'Hercule 6+6 a
Que la voûte inondait de mobiles clartés ! 6+6 b
Son cothurne en cuir bleu frappait les mosaïques, 6+6 a
350 Devant lui s'allongeaient les vastes corridors ; 6+6 b
Les exèdres couverts de dômes magnifiques 6+6 a
S'emplissaient vaguement des clameurs du dehors, 6+6 b
Tandis que sur des bancs l'école des stoïques 6+6 a
De la philosophie étalait les trésors. 6+6 b
355 La foule grossissait ; plus loin, sous les platanes, 6+6 a
Trnant la toge jaune et les rouges patins, 6+6 b
Parmi les promeneurs glissaient les courtisanes ; 6+6 a
Le crotale au bruit sec claquait dans les jardins, 6+6 b
Et des sauteurs d’Égypte aux robes diaphanes 6+6 a
360 Bondissaient sur la corde, avec des vases pleins. 6+6 b
Mais une ombre, ô Paulus ! S'étendit sur ta vue 6+6 a
Et tu sentis passer comme un frisson de mort ; 6+6 b
Sur des coussins soyeux mollement étendue, 6+6 a
Marcia s'avançait, belle, mais pâle encor ; 6+6 b
365 Et le col allongé, par la longue avenue, 6+6 a
Quatre esclaves portaient la litière aux pieds d'or ! 6+6 b
Des valets escortant leur jeune souveraine 6+6 a
Marchaient au pas, couverts du capuchon de laine ; 6+6 a
Elle semblait rêver, et sur son front charmant, 6+6 b
370 Son bras gauche arrondi remontait doucement, 6+6 b
Tandis que l'autre main de roses toute pleine, 6+6 a
Comme des papillons les effeuillait au vent ! 6+6 b
Un murmure flatteur courait sur son passage, 6+6 a
La foule s'écartait, en la suivant des yeux ; 6+6 b
375 Ainsi la mer s'abaisse et les flots amoureux 6+6 b
Frémissent, quand de loin, sur un blanc coquillage, 6+6 a
Le front ceint de corail et de mousse sauvage, 6+6 a
Thétis vogue en silence entre l'onde et les cieux ! 6+6 b
Paulus le cœur en feu jeta sur la litière 6+6 a
380 Un de ces longs regards où l'âme tout entière 6+6 a
S'échappe !… seul, perdu parmi les assistants, 6+6 b
Au-dessus de la foule il la revit longtemps, 6+6 b
Et son front retomba plus glacé qu'une pierre, 6+6 a
Quand elle disparut sous les rameaux flottants. 6+6 b
385 Ce fut comme un éclair qui déchire la nue, 6+6 a
Après la vision l'ombre se fit en lui ; 6+6 b
Il sentit de son corps la vigueur abattue, 6+6 a
Et s'avança courbé sous son immense ennui ; 6+6 b
Le xyste s'emplissait et l'heure était venue 6+6 a
390 Où Rome dans les flots se plonge avant la nuit. 6+6 b
Des hommes demi-nus, le long du péristyle, 6+6 a
Se chauffaient au soleil quand Paulus y passa ; 6+6 b
Peut-être qu'ils songeaient au médecin Musa, 6+6 b
Se rappelant encor, problème difficile, 6+6 a
395 Qu'à l'empereur Auguste un bain froid fut utile, 6+6 a
Et que dans un bain froid Marcellus trépassa. 6+6 b
Paulus se décida pour la chambre aux étuves, 6+6 a
Et s'assit en jetant une pièce au gardien ; 6+6 b
La douleur est prodigue et ne calcule rien : 6+6 b
400 Exhalant alentour ses brûlantes effluves, 6+6 a
L'eau du Tibre fumait dans le granit des cuves ; 6+6 a
Il choisit un vaisseau de marbre phrygien ! 6+6 b
Il voulut la fiole en corne de gazelle, 6+6 a
Et pour gratter sa peau la ratissoire d'or ; 6+6 b
405 Dans le bain chaud d'usage on le plongea d'abord, 6+6 b
Puis l'esclave vida sur son corps qui ruisselle 6+6 a
L'ampoule d'eau glacée, et pour marquer son zèle, 6+6 a
De la double palette il le frappa plus fort. 6+6 b
Notre homme était moins triste en quittant la baignoire, 6+6 a
410 Dans la salle aux parfums on lustra ses cheveux, 6+6 b
Les vases ciselés, les trépieds pleins de feux, 6+6 b
Les drogues, les onguents, s'étalaient avec gloire 6+6 a
Sur une grande table en marbre précieux 6+6 b
Que portait à son dos un léopard d'ivoire. 6+6 a
415 Des tableaux s'accrochaient aux murs étincelants : 6+6 a
Vénus aux bras de Mars, et Vulcain dans son âtre, 6+6 b
Hélène avec Pâris, puis un groupe folâtre 6+6 b
De cygnes irrités et de jeunes enfants, 6+6 a
Puis, dans un médaillon, Antoine et Cléopâtre 6+6 b
420 Sur un char de triomphe attelé d'éléphants. 6+6 a
‒ Cléopâtre ! Encor toi ! Voluptueux génie ! 6+6 a
Type éternel de grâce et de virilité ! 6+6 b
Non, non, tu n'aimais pas, c'est une calomnie 6+6 a
Que jettera sur toi la médiocrité. 6+6 b
425 Sous le bois odorant qui couvre ta momie, 6+6 a
Ton cœur n'est pas plus froid qu'au temps de ta beauté ! 6+6 b
Assise au bord du Nil, ô courtisane blonde, 6+6 a
Tu tendais aux vainqueurs ton filet captieux ; 6+6 b
Tu les endormis tous d'une ivresse profonde, 6+6 a
430 Et tu les vis tomber, tes amants glorieux ! 6+6 b
Sans qu'ils aient eu jamais, en échange du monde, 6+6 a
Une larme d'amour échappée à tes yeux ! 6+6 b
‒ Si j'étais, pour ma part, disciple d'Hippocrate, 6+6 a
Si j'avais de la vie observé les ressorts, 6+6 b
435 Je dirais les liens de l'esprit et du corps, 6+6 b
Et comment le plaisir nous fait gonfler la rate, 6+6 a
Et pourquoi, quand le derme en suant se dilate, 6+6 a
Nous sentons s'engourdir nos chagrins les plus forts ! 6+6 b
Par Paulus aujourd'hui la preuve en est fournie : 6+6 a
440 Il entra plein de doute et sortit plein d'espoir ; 6+6 b
Des enfants, sous le xyste, exercés par devoir, 6+6 b
Roulaient le cercle en cuivre ou fouettaient la toupie, 6+6 a
Tandis qu'un grand vieillard, couvert d'un manteau noir, 6+6 b
Contemplait gravement cette bande étourdie ; 6+6 a
445 Son crâne reluisait comme un marbre poli, 6+6 a
Sa barbe aux flots d'argent tombait large et splendide, 6+6 b
Un nez majestueux comme une pyramide 6+6 b
Descendait sur sa bouche, avec pompe établi ; 6+6 a
On l'eût pris pour une ombre, à voir son front pâli, 6+6 a
450 Mais, sous son sourcil blanc, roulait un œil rapide. 6+6 b
Paulus n'eut pas besoin de regarder deux fois : 6+6 a
C'était Polydamas, le maître d'éloquence ; 6+6 b
De quelque période il marquait la cadence, 6+6 b
Car il frappait la terre en comptant sur ses doigts ; 6+6 a
455 Notre gladiateur oublia sa prudence : 6+6 b
« Salut, maître, » dit-il en élevant la voix. 6+6 a
Le bon Polydamas, qui ne l'attendait guère, 6+6 a
Du côté de Paulus se tourna lentement, 6+6 b
Et parcourut des yeux le manteau militaire, 6+6 a
460 La cuirasse, le casque et tout le vêtement ; 6+6 b
Puis soudain, le vieillard fit un pas en arrière, 6+6 a
Pareil au voyageur qui rencontre un serpent ! 6+6 b
« Paulus ! S'écria-t-il, quelle métamorphose ! 6+6 a
« En croirai-je mes yeux ? Est-ce un songe menteur ? 6+6 b
465 « Que veut ce casque énorme et ce fer destructeur ? 6+6 b
« Où sont les arguments pour expliquer la chose ? 6+6 a
« Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Qui t'aida ? Quelle cause ?… » 6+6 a
Paulus dit simplement : « je suis gladiateur ! » 6+6 b
Il ajouta : « par goût ! » ce fut le coup de grâce ! 6+6 a
470 « Eheu ! Dit le vieillard, les orateurs s'en vont ! 6+6 b
« De ses vieux fondements le monde se déplace, 6+6 a
« Le corps se prostitue et l'esprit se corrompt ! 6+6 b
« On bâtira le cirque au sommet du Parnasse ; 6+6 a
« Quand nous n'y serons plus, les baladins viendront ! 6+6 b
475 « Qui s'occupe aujourd'hui de faconde et de style ? 6+6 a
« Qui sait plier la phrase aux flexibles tissus ? 6+6 b
« Ô race dépravée ! ô jeunesse imbécile ! 6+6 a
« Qu'as-tu fait maintenant des préceptes reçus ? 6+6 b
« Où vont ces romains-là qui courent par la ville ? 6+6 a
480 « Voir grimacer des nains ou danser des bossus ! 6+6 b
« Le lieu des arguments, est-ce le cirque immonde ? 6+6 a
« Tullius en cuirasse avait-il combattu ? 6+6 b
« Le pathos tombera dans une nuit profonde ! 6+6 a
« La logique elle-même y perdra sa vertu !… 6+6 b
485 « ‒ Maître, dit l'écolier, je ne sais pas au monde 6+6 a
« Syllogisme plus fort qu'un glaive bien pointu ; 6+6 b
« L'escrime est, après tout, la sœur de l'éloquence ; 6+6 a
« Qu'on manie une phrase ou qu'on tourne un poignard 6+6 b
« C'est de la rhétorique, ô maître, et c'est de l'art ; 6+6 b
490 « Épée ou preuve en main, on recule, on avance ; 6+6 a
« Parer ou réfuter, quelle est la différence ? 6+6 a
« Je plais par mon aigrette et touche par mon dard ! 6+6 b
« Seulement, reprit-il, l'arène est élargie, 6+6 a
« Et le cœur bondit mieux sous le baudrier d'or !… 6+6 b
495 « ‒ Mais la gloire, ô mon fils ! ‒ la gloire que j'envie, 6+6 a
« C'est le vin ! C'est l'amour ! Et la joyeuse vie ! 6+6 a
« L'autre n'est qu'un son creux sur le tombeau d'un mort ! 6+6 b
« ‒ Eheu ! » dit le vieillard en soupirant plus fort. 6+6 b
De sa main vénérable il se voila la face, 6+6 a
500 Et leva lentement son bras droit vers les cieux ; 6+6 b
Longtemps il demeura calme et silencieux 6+6 b
Sur les débris de l'art, comme l'homme d'Horace ! 6+6 a
Puis drapant sa tunique, il sortit de la place, 6+6 a
Plus digne et plus po qu'un exorde pompeux ! 6+6 b
505 ‒ Or, le jour approchait où Paulus, sur la scène, 6+6 a
Devait paraître aussi pour la première fois ; 6+6 b
C'était un grand spectacle ; on avait fait un choix 6+6 b
Parmi les combattants de la cité romaine ; 6+6 a
Un certain Varolus, un affranchi, je crois, 6+6 b
510 Contre ceux de César devant tenir l'arène 6+6 a
Commode alors régnait, ce prince vigoureux 6+6 a
Qui, de sa propre main, tua deux tigres, deux 6+6 a
Éléphants, trois lions, six chevaux de rivière ; 6+6 b
Commode amazonien ! Demi-dieu sur la terre, 6+6 b
515 Dont les titres divins étaient assez nombreux 6+6 a
Pour désigner les mois pendant l'année entière ! 6+6 b
Il fit par le sénat décréter l'âge d'or, 6+6 a
Et prit le nom d'Hercule en s'asseyant au trône ! 6+6 b
Souvent dans le grand cirque il luttait en personne, 6+6 b
520 Portant avec fierté l'habit du sécutor ; 6+6 a
Par douze mille fois il obtint la couronne ; 6+6 b
Outre les baladins, le peuple l'aimait fort ! 6+6 a
La ville attendait donc la bataille annoncée, 6+6 a
Et déjà les paris s'engageaient au hasard, 6+6 b
525 Les uns pour Varolus, les autres pour César, 6+6 b
Tandis que des gardiens la cohorte empressée 6+6 a
Couvrait de sable neuf le sol du colysée, 6+6 a
Et du dais de Commode étendait le brocart ! 6+6 b
Enfin, l'heure sonna : la foule impatiente 6+6 a
530 Inonda les gradins et les couloirs obscurs, 6+6 b
S'élevant par degrés le long des vastes murs, 6+6 b
Ainsi qu'un vin fumeux dans la coupe écumante ; 6+6 a
Le soleil, çà et là, sous la toile ondoyante, 6+6 a
Comme des flèches d'or, dardait ses rayons purs ; 6+6 b
535 Les tubes embaumés vomissaient dans l'arène, 6+6 a
Par des conduits secrets, la myrrhe et le safran ; 6+6 b
On sentait osciller le nuage odorant, 6+6 b
Et l'on voyait mêlés, dans chaque loge pleine, 6+6 a
Au pétase à longs bords, le capuchon de laine, 6+6 a
540 Et la mitre lascive, au réseau transparent. 6+6 b
Le vaste podium aux barrières solides 6+6 a
Près du trône éclatant montrait ses places vides, 6+6 a
Les vestales, à droite, avaient leur pavillon ; 6+6 b
À gauche, Varolus, l'heureux amphitryon : 6+6 b
545 Il saluait la foule avec des airs splendides, 6+6 a
Et s'épanouissait de satisfaction. 6+6 b
Les chevaliers couverts de tuniques pareilles, 6+6 a
Et sur quatorze rangs, près de l'orchestre assis, 6+6 b
Des sièges réservés occupaient les tapis ; 6+6 b
550 Le peuple de la fête attendait les merveilles, 6+6 a
Et déjà, se penchant sur les gradins noircis, 6+6 b
Bourdonnait dans les airs comme un essaim d'abeilles. 6+6 a
On entendit d'abord les sons capricieux 6+6 a
De la lyre mêlée aux flûtes de Sicile, 6+6 b
555 Et du milieu du cirque un théâtre mobile 6+6 b
Se dressa tout chargé de danseurs gracieux ; 6+6 a
Des nuages flottaient autour du chœur agile, 6+6 b
Et la scène de loin représentait les cieux : 6+6 a
Sur un autel d'azur paré de blanches toiles, 6+6 a
560 Au centre de la danse éclatait le soleil ; 6+6 b
Les astres inconnus ceints d'un bandeau vermeil 6+6 b
Se groupaient dans l'espace en agitant leurs voiles ; 6+6 a
Les luths sonnaient toujours, et parmi les étoiles 6+6 a
Sept planètes tournaient en pompeux appareil. 6+6 b
565 Deux jeunes gens tout nus se suivaient en silence, 6+6 a
L'un tenant une flèche, et l'autre une balance ; 6+6 a
Entre eux, couvert d'écaille et gonflé de poison, 6+6 b
Un troisième rampait ainsi qu'un scorpion ; 6+6 b
D'autres venaient, portant la robe de l'enfance, 6+6 a
570 Les cornes d'un bélier ou la peau d'un lion. 6+6 b
Et vous passiez aussi, comètes vagabondes, 6+6 a
Secouant dans le ciel vos chevelures blondes, 6+6 a
Pleines de poudre d'or, de perles, de saphyrs ; 6+6 b
Tout cela tournoyait au souffle des zéphyrs, 6+6 b
575 Et plus joyeusement semblaient rouler les mondes, 6+6 a
Quand la flûte amoureuse étalait ses soupirs ! 6+6 b
L'olympe disparut ; puis une jeune fille, 6+6 a
Belle comme Vénus quand elle sort des flots, 6+6 b
Accourut en dansant auprès d'une charmille 6+6 a
580 Où Silène ronflait étendu sur le dos. 6+6 b
Rieuse, elle agitait autour du dieu des pots 6+6 b
Sa main blanche et légère où sonne une coquille. 6+6 a
Le dieu se réveillait : son œil plein de désir 6+6 a
Parcourait étonné la nymphe toute nue ; 6+6 b
585 Il se tordait les bras, ne pouvant la saisir, 6+6 a
Et, comme un amoureux, il regardait la nue ; 6+6 b
Puis tremblant, et la main d'un thyrse soutenue, 6+6 b
Il se levait tout droit, retombant à plaisir. 6+6 a
Et le peuple riait. La danseuse lascive 6+6 a
590 Tournant, tournant sans cesse alentour du vieillard, 6+6 b
Aiguillonnait ses sens du geste et du regard ; 6+6 b
Le spectacle touchait à la scène un peu vive 6+6 a
Où l'austère Caton, dans sa pudeur naïve, 6+6 a
Abandonnait la place, indigné contre l'art. 6+6 b
595 Tout à coup un grand bruit ébranla le portique : 6+6 a
« L'empereur ! L'empereur ! » la foule, en un moment, 6+6 b
Se tourna vers la porte avec empressement, 6+6 b
Et le sénat, orné du laticlave antique, 6+6 a
Le front ceint de lauriers, défilait lentement, 6+6 b
600 Grave, et réglant son pas aux sons de la musique. 6+6 a
Puis venaient les licteurs aux faisceaux éclatants, 6+6 a
Puis les prétoriens en large manipule 6+6 b
Portant, devant César, les insignes d'Hercule, 6+6 b
Les hérauts glapissaient, et tous les assistants, 6+6 a
605 À chacun de ses noms lancés du vestibule, 6+6 b
Comme des flots troublés se remuaient longtemps : 6+6 a
« César ! ‒ Aurélius ! ‒ Lucius ! ‒ débonnaire ! ‒ 6+6 a
« Auguste ! ‒ bien-heureux ! ‒ gouverneur de la terre ! ‒ 6+6 a
« Très-grand ! ‒ Britannicus !invincible ! ‒ romain ! ‒ 6+6 b
610 « Hercule ! ‒ généreux ! ‒ pontife souverain ! ‒ 6+6 b
« Vingt fois tribun du peuple !empereur ! ‒ consulaire ! ‒ 6+6 a
« Au peuple, aux chevaliers, salut ! » et, dans sa main, 6+6 b
Tenant comme Mercure un riche caducée, 6+6 a
Commode enfin parut. Sa tunique plissée 6+6 a
615 Flottait couleur de pourpre et perlée à son bord, 6+6 b
Il avait un manteau tissu de soie et d'or, 6+6 b
D'un cercle étincelant sa tête était pressée, 6+6 a
Son costume semblait celui d'un sécutor. 6+6 b
« Longue vie à César ! » cria la foule immense, 6+6 a
620 Et le vaste empereur, sous son grand pavillon, 6+6 b
Comme un dieu couronné, vint s'asseoir en silence ; 6+6 a
Sur une chaise d'or préparée à l'avance 6+6 a
On posa la massue et la peau de lion ; 6+6 b
Puis le maître des jeux fit sonner le clairon. 6+6 b
625 Le théâtre aussitôt disparut de lui-même ; 6+6 a
La lutte commençait, et les gladiateurs 6+6 b
Firent irruption aux yeux des spectateurs : 6+6 b
Les deux partis rivaux avaient pris un emblème, 6+6 a
Et chacun à l'épaule étalait ses couleurs, 6+6 b
630 Qui le blanc, qui le vert, ‒ l'attente fut suprême ! 6+6 a
Du peuple frémissant tomba la grande voix. 6+6 a
Je ne vous dirai pas l'adresse, la science 6+6 b
Que chacun déploya dans cette circonstance, 6+6 b
Les coups portés sans cesse et parés mille fois, 6+6 a
635 La grâce des lutteurs, et les glaives de bois 6+6 a
Qui voltigeaient dans l'air et frappaient en cadence. 6+6 b
Le prélude ordonné se prolongea longtemps : 6+6 a
« Du fer ! Du fer ! » hurlait la foule impatiente ; 6+6 b
L'escrime s'arrêta ; la trompette bruyante 6+6 b
640 Tordit sa note rauque et ses sons palpitants, 6+6 a
Et l'on vit, recouverts d'une armure éclatante, 6+6 b
Des groupes opposés, sortir deux combattants ! 6+6 a
Celui de Varolus était jeune et rapide, 6+6 a
Il s'élançait par sauts, puis rebroussait chemin, 6+6 b
645 Svelte, un poignard aux dents, une corde à la main ; 6+6 b
L'autre, fixant sur lui son regard intrépide, 6+6 a
Lentement sur le sol posa son pied solide… 6+6 a
« Mirax ! » cria le peuple en se levant soudain. 6+6 b
C'était lui ! Le vainqueur ! Le héros de la ville ! 6+6 a
650 Mirax au bras de fer, au glaive triomphant ; 6+6 b
Sans doute il dédaignait son adversaire agile, 6+6 a
Lui, vieux gladiateur, en face d'un enfant ; 6+6 b
Le jeune homme écumait dans sa rage inutile 6+6 a
Comme un chacal vorace autour d'un éléphant. 6+6 b
655 Mirax semblait jouer ; du bout de son épée 6+6 a
Il agaçait son homme et lui piquait la peau ; 6+6 b
Déjà le sang vermeil coulait en maint ruisseau, 6+6 b
La cuirasse s'ouvrait par le fer découpée, 6+6 a
Et de perles de pourpre en mille endroits jaspée, 6+6 a
660 Les semait en courant sur le sable nouveau ! 6+6 b
Il fallait en finir avec le rétiaire, 6+6 a
Mirax leva son glaive et le pressa plus fort : 6+6 b
Les pouces se dressaient pour demander la mort, 6+6 b
Mais un cri formidable emplit la salle entière… 6+6 a
665 Mirax, les yeux sanglants, roulait dans la poussière, 6+6 a
Tordant son cou nerveux dans le nœud qui le mord. 6+6 b
« Il est pris ! Il est pris ! » dit la foule étonnée. 6+6 a
Varolus triomphait, l'honneur de la journée 6+6 a
Lui semblait garanti par ce coup de bonheur ; 6+6 b
670 La lame flamboyait dans la main du vainqueur, 6+6 b
César était muet, la mort fut ordonnée ; 6+6 a
Mais Mirax se dressa de toute sa hauteur ! 6+6 b
Il fut calme et sublime, en cet instant suprême, 6+6 a
Et leva sur la foule un regard assuré : 6+6 b
675 « Pourquoi trembler ? Dit-il au rétiaire blême, 6+6 a
« C'est le peuple, ô mon fils ! Et j'étais préparé ; 6+6 b
« Il aime à voir tomber qui porte un diadème, 6+6 a
« Et se venge à sa mort de l'avoir admiré ! » 6+6 b
Alors jetant au loin sa cuirasse pesante, 6+6 a
680 Il tendit son cou nu sous l'acier du poignard, 6+6 b
Puis, tourné vers la foule, et d'une voix puissante : 6+6 a
« Frappe, enfant ! Cria-t-il, et salut à César !… » 6+6 b
Le sang jaillit à flots par la gorge béante, 6+6 a
Et Mirax se souvint de tomber avec art ! 6+6 b
685 Un homme ayant au front les ailes de Mercure, 6+6 a
Du bout de son fer chaud vint lui toucher le corps, 6+6 b
La chair en frémissant cria sous la brûlure, 6+6 a
Mais l'ombre de Mirax voyageait chez les morts ; 6+6 b
Avec le croc d'usage on le tira dehors ; 6+6 b
690 Sur le sable rougi trnait sa chevelure. 6+6 a
Un nouveau combattant aux couleurs de César 6+6 a
S'élança tout armé quand l'arène fut vide ; 6+6 b
Son aigrette flottait ainsi qu'un étendard ; 6+6 a
L'œil rempli d'un feu sombre et la face livide, 6+6 b
695 Il regarda longtemps fumer le sable humide, 6+6 b
Et, se courbant à terre, y trempa son poignard. 6+6 a
Il semblait jeune encore ; une belle tournure, 6+6 a
La taille vigoureuse et flexible à la fois ; 6+6 b
Un sein large battait sous sa cuirasse dure, 6+6 a
700 Son pied ferme était pris dans le soulier gaulois, 6+6 b
Et de sa longue épée à riche ciselure 6+6 a
Le pommeau garni d'or luisait entre ses doigts… 6+6 b
C'était un inconnu. La paupière baissée, 6+6 a
Il semblait éviter les regards curieux ; 6+6 b
705 Un gladiateur thrace, à la taille élancée, 6+6 a
S'avançait contre lui d'un pas audacieux ; 6+6 b
La lutte s'engagea, furibonde, insensée, 6+6 a
Et les glaives croisés étincelaient aux yeux. 6+6 b
Ce n'était plus le jeu, ce n'était plus la grâce, 6+6 a
710 Mais un combat farouche, un sombre tourbillon, 6+6 b
Où, pour frapper au cœur, le fer cherche sa place, 6+6 a
Où chaque combattant rugit comme un lion ; 6+6 b
La poussière autour d'eux voltigeait dans l'espace ; 6+6 a
Un silence de mort planait sur l'action. 6+6 b
715 On entendait les coups sonner, comme en automne 6+6 a
La grêle sur les murs ; le peuple, pour mieux voir, 6+6 b
Se penchait, palpitant de terreur et d'espoir ; 6+6 b
César tout ébloui se tordait sur son trône : 6+6 a
« Aux mânes de Mirax ! » dit une voix qui tonne ; 6+6 a
720 Et le thrace tomba dans les flots d'un sang noir ! 6+6 b
Le vainqueur attendit un second adversaire ; 6+6 a
Ses yeux fauves brillaient comme un feu dans la nuit, 6+6 b
Son glaive ruisselant dégouttait sur la terre, 6+6 a
Et de la populace il écoutait le bruit ; 6+6 b
725 Un samnite parut et mordit la poussière, 6+6 a
Puis un troisième encore, et d'autres après lui. 6+6 b
Six fois le croc de fer s'abattit sur l'arène, 6+6 a
Six fois le cri d'adieu salua l'empereur, 6+6 b
Et, comme un moissonneur qui fauche dans la plaine, 6+6 a
730 L'inconnu sur son front essuyait la sueur, 6+6 b
Puis il vida d'un trait, pour calmer son ardeur, 6+6 b
De cendre et d'eau tiédie une patère pleine. 6+6 a
On vit en même temps un spectacle inouï : 6+6 a
Commode l'empereur franchit la balustrade, 6+6 b
735 Et lui-même au jeune homme il donna l'accolade : 6+6 b
« Grâce à toi, cria-t-il, je triomphe aujourd'hui ! 6+6 a
« Tu peux de mes faveurs essayer l'escalade, 6+6 b
« Comme tu fus le mien, je serai ton appui. » 6+6 a
Il saisit la couronne aux longs rubans de laine 6+6 a
740 Et voulut la poser sur le front du vainqueur ; 6+6 b
Le léger tambourin, la flûte lydienne 6+6 a
Jetaient leur note grêle à l'immense clameur : 6+6 b
« Son nom ! » criait le peuple en respirant à peine ; 6+6 a
Le héraut répondit : « c'est Paulus le rhéteur ! » 6+6 b
745 « C'est Paulus ! » à ce nom qui sur la foule plane, 6+6 a
Deux cris longs et perçants montèrent vers les cieux : 6+6 b
L'un partait de l'orchestre où va la courtisane, 6+6 a
Et l'autre des gradins ornés de lits soyeux 6+6 b
Où, sous le blanc réseau d'un voile diaphane, 6+6 a
750 La matrone se cache aux regards envieux. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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