Métrique en Ligne
BOR_1/BOR19
Pétrus BOREL
Rapsodies
1832
RAPSODIES
Heur et Malheur
À PHILADELPHE O’NEDDY, poète
L’un se fait comte au bas d’un madrigal ;
Celui-ci, marquis dans un almanach.
Mercier.
J’ai caressé la mort, riant au suicide, 6+6 a
Souvent et volontiers quand j’étais plus heureux ; 6+6 b
De ma joie ennuyé je la trouvais aride, 6+6 a
J’étais las d’un beau ciel et d’un lit amoureux. 6+6 b
5 Le bonheur est pesant, il assoupit notre âme. 6+6 a
Il étreint notre cœur d’un cercle étroit de fer ; 6+6 b
Du bateau de la vie il amortit la rame ; 6+6 a
Il pose son pied lourd sur la flamme d’enfer, 6+6 b
Auréole, brûlant sur le front du poète, 6+6 a
10 Comme au pignon d’un temple un flambeau consacré ; 6+6 b
Car du cerveau du Barde, arabe cassolette, 6+6 a
Il s’élève un parfum dont l’homme est enivré. 6+6 b
C’est un oiseau, le Barde ! il doit rester sauvage : 6+6 a
La nuit, sous la ramure, il gazouille son chant : 6+6 b
15 Le canard tout boueux se pavane au rivage, 6+6 a
Saluant tout soleil ou levant ou couchant. 6+6 b
C’est un oiseau, le Barde ! il doit vieillir austère, 6+6 a
Sobre, pauvre, ignoré, farouche, soucieux, 6+6 b
Ne chanter pour aucun, et n’avoir rien sur terre 6+6 a
20 Qu’une cape trouée, un poignard et les Cieux ! 6+6 b
Mais le barde aujourd’hui, c’est une voix de femme, 6+6 a
Un habit bien collant, un minois relavé, 6+6 b
Un perroquet juché chantonnant pour madame, 6+6 a
Dans une cage d’or un canari privé ; 6+6 b
25 C’est un gras merveilleux versant de chaudes larmes 6+6 a
Sur des maux obligés après un long repas ; 6+6 b
Portant un parapluie, et jurant par ses armes ; 6+6 a
L’électuaire en main invoquant le trépas, 6+6 b
Joyaux, bals, fleurs, cheval, château, fine maîtresse, 6+6 a
30 Sont les matériaux de ses poèmes lourds : 6+6 b
Rien pour la pauvreté, rien pour l’humble en détresse ; 6+6 a
Toujours les souffletant de ses vers de velours. 6+6 b
Par merci ! voilez-nous vos airs autocratiques ; 6+6 a
Heureux si vous cueillez les biens à pleins sillons ! 6+6 b
35 Mais ne galonnez pas, comme vos domestiques, 6+6 a
Vos vers qui font rougir nos fronts ceints de haillons. 6+6 b
Eh ! vous de ces soleils, moutonnier parélie ! 6+6 a
De cacher vos lambeaux ne prenez tant de soin : 6+6 b
Ce n’est qu’à leur abri que l’esprit se délie ; 6+6 a
40 Le barde ne grandit qu’enivré de besoin ! 6+6 b
J’ai caressé la mort, riant au suicide, 6+6 a
Souvent et volontiers, quand j’étais plus heureux ; 6+6 b
Maintenant je la hais, et d’elle suis peureux, 6+6 b
Misérable et miné par la faim homicide. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de strophes
schéma : 10[abab] 1[abba]
logo du CRISCO logo de l'université