Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_4/BOI29
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
L'ART POÉTIQUE
1674
Chant IV
 Dans Florence, jadis,vivait un médecin, 6+6 a
Savant hâbleur, dit-on,et célèbre assassin. 6+6 a
Lui seul y fit longtempsla publique misère : 6+6 b
Là, le fils orphelinlui redemande un père ; 6+6 b
5 Ici, le frère pleureun frère empoisonné ; 6+6 a
L'un meurt vide de sang,l'autre plein de séné ; 6+6 a
Le rhume à son aspectse change en pleurésie ; 6+6 b
Et, par lui, la migraineest bientôt frénésie. 6+6 b
Il quitte enfin la ville,en tous lieux détesté. 6+6 a
10 De tous ses amis mortsun seul ami resté 6+6 a
Le mène en sa maisonde superbe structure. 6+6 b
— C'était un riche abbé,fou de l'architecture. 6+6 b
— Le médecin, d'abord,semble né dans cet art ; 6+6 a
Déjà, de bâtimentsparle comme Mansart ; 6+6 a
15 D'un salon qu'on élèveil condamne la face ; 6+6 b
Au vestibule obscuril marque une autre place ; 6+6 b
Approuve l'escaliertourné d'autre façon 6+6 a
Son ami le conçoit,et mande son maçon. 6+6 a
Le maçon vient, écoute,approuve, et se corrige. 6+6 b
20 Enfin, pour abrégerun si plaisant prodige, 6+6 b
Notre assassin renonceà son art inhumain ; 6+6 a
Et, désormais, la règleet l'équerre à la main, 6+6 a
Laissant de Galienla science suspecte, 6+6 b
De méchant médecindevient bon architecte. 6+6 b
25  Son exemple est pour nousun précepte excellent. 6+6 a
Soyez plutôt maçon,si c'est votre talent, 6+6 a
Ouvrier estimédans un art nécessaire, 6+6 b
Qu'écrivain du commun,et poète vulgaire. 6+6 b
Il est dans tout autre artdes degrés différents ; 6+6 a
30 On peut avec honneurremplir les seconds rangs ; 6+6 a
Mais, dans l'art dangereuxde rimer et d'écrire, 6+6 b
Il n'est point de degrésdu médiocre au pire. 6+6 b
Qui dit froid écrivaindit détestable auteur. 6+6 a
Boyer est à Pinchêneégal pour le lecteur ; 6+6 a
35 On ne lit guère plusRampale et Mesnardière 6+6 b
Que Magnon, du Souhait,Corbin et La Morlière. 6+6 b
Un fou du moins fait rire,et peut nous égayer ; 6+6 a
Mais un froid écrivainne sait rien qu'ennuyer : 6+6 a
J'aime mieux Bergeracet sa burlesque audace 6+6 b
40 Que ces vers Motinse morfond et nous glace. 6+6 b
 Ne vous enivrez pointdes éloges flatteurs, 6+6 a
Qu'un amas quelquefoisde vains admirateurs 6+6 a
Vous donne en ces réduits,prompts à crier merveille. 6+6 b
Tel écrit récitése soutint à l'oreille, 6+6 b
45 Qui, dans l'impressionau grand jour se montrant, 6+6 a
Ne soutient pas des yeuxle regard pénétrant. 6+6 a
On sait de cent auteursl'aventure tragique : 6+6 b
Et Gombauld tant louégarde encor la boutique. 6+6 b
 Écoutez tout le monde,assidu consultant : 6+6 a
50 Un fat, quelquefois, ouvreun avis important. 6+6 a
Quelques vers toutefoisqu'Apollon vous inspire, 6+6 b
En tous lieux aussitôtne courez pas les lire. 6+6 b
Gardez-vous d'imiterce rimeur furieux, 6+6 a
Qui de ses vains écritslecteur harmonieux, 6+6 a
55 Aborde en récitantquiconque le salue, 6+6 b
Et poursuit de ses versles passants dans la rue. 6+6 b
Il n'est temple si saint,des anges respecté, 6+6 a
Qui soit contre sa Museun lieu de sûreté. 6+6 a
Je vous l'ai déjà dit,aimez qu'on vous censure, 6+6 b
60 Et, souple à la raison,corrigez sans murmure. 6+6 b
 Mais, ne vous rendez pasdès qu'un sot vous reprend : 6+6 a
Souvent, dans son orgueil,un subtil ignorant 6+6 a
Par d'injustes dégtscombat toute une pièce ; 6+6 b
Blâme des plus beaux versla noble hardiesse ; 6+6 b
65 On a beau réfuterses vains raisonnements, 6+6 a
Son esprit se compltdans ses faux jugements ; 6+6 a
Et sa faible raison,de clarté dépourvue, 6+6 b
Pense que rien n'échappeà sa débile vue. 6+6 b
Ses conseils sont à craindre ;et, si vous les croyez, 6+6 a
70 Pensant fuir un écueil,souvent vous vous noyez. 6+6 a
 Faites choix d'un censeursolide et salutaire, 6+6 b
Que la raison conduiseet le savoir éclaire ; 6+6 b
Et dont le crayon sûrd'abord aille chercher 6+6 a
L'endroit, que l'on sent faible,et qu'on se veut cacher. 6+6 a
75 Lui seul éclairciravos doutes ridicules ; 6+6 b
De votre esprit tremblantlèvera les scrupules ; 6+6 b
C'est lui, qui vous dirapar quel transport heureux, 6+6 a
Quelquefois, dans sa course,un esprit vigoureux, 6+6 a
Trop resserré par l'art,sort des règles prescrites, 6+6 b
80 Et de l'art même apprendà franchir leurs limites. 6+6 b
Mais ce parfait censeurse trouve rarement : 6+6 a
Tel excelle à rimerqui juge sottement ; 6+6 a
Tel s'est fait par ses versdistinguer dans la ville, 6+6 b
Qui jamais de Lucainn'a distingué Virgile . 6+6 b
85  Auteurs, prêtez l'oreilleà mes instructions : 6+6 a
Voulez-vous faire aimervos riches fictions ? 6+6 a
Qu'en savantes leçonsvotre Muse fertile 6+6 b
Partout joigne au plaisantle solide et l'utile. 6+6 b
Un lecteur sage fuitun vain amusement, 6+6 a
90 Et veut mettre à profitson divertissement. 6+6 a
 Que votre âme et vos mœurs,peintes dans vos ouvrages, 6+6 b
N'offrent jamais de vousque de nobles images : 6+6 b
Je ne puis estimerces dangereux auteurs 6+6 a
Qui de l'honneur, en vers,infâmes déserteurs, 6+6 a
95 Trahissant la vertusur un papier coupable, 6+6 b
Aux yeux de leurs lecteursrendent le vice aimable. 6+6 b
 Je ne suis pas pourtantde ces tristes esprits 6+6 a
Qui, bannissant l'amourde tous chastes écrits, 6+6 a
D'un si riche ornementveulent priver la scène, 6+6 b
100 Traitent d'empoisonneurset Rodrigue et Chimène 6+6 b
L'amour le moins honnête,exprimé chastement, 6+6 a
N'excite point en nousde honteux mouvement. 6+6 a
Didon a beau gémiret m'étaler ses charmes, 6+6 b
Je condamne sa fauteen partageant ses larmes. 6+6 b
105 Un auteur vertueux,dans ses vers innocents, 6+6 a
Ne corrompt point le cœuren chatouillant les sens ; 6+6 a
Son feu n'allume pointde criminelle flamme. 6+6 b
Aimez donc la vertu,nourrissez-en votre âme : 6+6 b
En vain l'esprit est pleind'une noble vigueur, 6+6 a
110 Le vers se sent toujoursdes bassesses du cœur. 6+6 a
 Fuyez surtout, fuyezces basses jalousies, 6+6 b
Des vulgaires espritsmalignes frénésies : 6+6 b
Un sublime écrivainn'en peut être infecté, 6+6 a
C'est un vice qui suitla médiocrité ; 6+6 a
115 Du mérite éclatantcette sombre rivale 6+6 b
Contre lui chez les grandsincessamment cabale, 6+6 b
Et, sur les pieds en vaintâchant de se hausser, 6+6 a
Pour s'égaler à luicherche à le rabaisser. 6+6 a
Ne descendons jamaisdans ces lâches intrigues ; 6+6 b
120 N'allons point à l'honneurpar de honteuses brigues. 6+6 b
 Que les vers ne soient pasvotre éternel emploi ; 6+6 a
Cultivez vos amis,soyez homme de foi : 6+6 a
C'est peu d'être agréableet charmant dans un livre, 6+6 b
Il faut savoir encoreet converser et vivre. 6+6 b
125  Travaillez pour la gloire,et qu'un sordide gain 6+6 a
Ne soit jamais l'objetd'un illustre écrivain. 6+6 a
Je sais qu'un noble espritpeut, sans honte et sans crime, 6+6 b
Tirer de son travailun tribut légitime ; 6+6 b
Mais je ne puis souffrirces auteurs renommés, 6+6 a
130 Qui, dégtés de gloireet d'argent affamés, 6+6 a
Mettent leur Apollonaux gages d'un libraire, 6+6 b
Et font d'un art divinun métier mercenaire. 6+6 b
 Avant que la raison,s'expliquant par la voix, 6+6 a
t instruit les humains,t enseigné des lois, 6+6 a
135 Tous les hommes suivaientla grossière nature ; 6+6 b
Dispersés dans les boiscouraient à la pâture. 6+6 b
La force tenait lieude droit et d'équité ; 6+6 a
Le meurtre s'exeaitavec impunité. 6+6 a
Mais du discours enfinl'harmonieuse adresse 6+6 b
140 De ces sauvages mœursadoucit la rudesse ; 6+6 b
Rassembla les humainsdans les forêts épars, 6+6 a
Enferma les citésde murs et de remparts ; 6+6 a
De l'aspect du suppliceeffraya l'insolence, 6+6 b
Et sous l'appui des loismit la faible innocence. 6+6 b
145 Cet ordre fut, dit-on,le fruit des premiers vers. 6+6 a
De là, sont nés ces bruitsreçus dans l'univers, 6+6 a
Qu'aux accents dont Orphéeemplit les monts de Thrace, 6+6 b
Les tigres amollisdépouillaient leur audace ; 6+6 b
Qu'aux accords d'Amphionles pierres se mouvaient, 6+6 a
150 Et sur les murs thébainsen ordre s'élevaient. 6+6 a
L'harmonie en naissantproduisit ces miracles. 6+6 b
Depuis, le Ciel en versfit parler les oracles ; 6+6 b
Du sein d'un prêtre, émud'une divine horreur, 6+6 a
Apollon par des versexhala sa fureur ; 6+6 a
155 Bientôt, ressuscitantles héros des vieux âges, 6+6 b
Homère aux grands exploitsanima les courages ; 6+6 b
Hésiode, à son tour,par d'utiles leçons, 6+6 a
Des champs trop paresseuxvint hâter les moissons ; 6+6 a
En mille écrits fameuxla sagesse tracée 6+6 b
160 Fut, à l'aide des vers,aux mortels annoncée ; 6+6 b
Et partout, des espritsses préceptes vainqueurs, 6+6 a
Introduits par l'oreille,entrèrent dans les cœurs. 6+6 a
Pour tant d'heureux bienfaits,les Muses révérées 6+6 b
Furent d'un juste encensdans la Grèce honorées ; 6+6 b
165 Et leur art, attirantle culte des mortels, 6+6 a
A sa gloire en cent lieuxvit dresser des autels. 6+6 a
Mais enfin, l'indigenceamenant la bassesse, 6+6 b
Le Parnasse oubliasa première noblesse ; 6+6 b
Un vil amour du gain,infectant les esprits, 6+6 a
170 De mensonges grossierssouilla tous les écrits ; 6+6 a
Et partout, enfantantmille ouvrages frivoles, 6+6 b
Trafiqua du discourset vendit les paroles. 6+6 b
 Ne vous flétrissez pointpar un vice si bas. 6+6 a
Si l'or seul a pour vousd'invincibles appas, 6+6 a
175 Fuyez ces lieux charmantsqu'arrose le Permesse ; 6+6 b
Ce n'est point sur ses bordsqu'habite la richesse ; 6+6 b
Aux plus savants auteurs,comme aux plus grands guerriers, 6+6 a
Apollon ne prometqu'un nom et des lauriers. 6+6 a
 « Mais quoi ! dans la disette,une Muse affamée 6+6 b
180 Ne peut pas, dira-t-on,subsister de fumée ; 6+6 b
Un auteur, qui presséd'un besoin importun, 6+6 a
Le soir entend crierses entrailles à jeun, 6+6 a
Gte peu d'Héliconles douces promenades ; 6+6 b
Horace a bu son slquand il voit les Ménades ; 6+6 b
185 Et, libre du souciqui trouble Colletet, 6+6 a
N'attend pas pour dînerle succès d'un sonnet. » 6+6 a
 Il est vrai : mais enfincette affreuse disgrâce 6+6 b
Rarement parmi nousafflige le Parnasse ; 6+6 b
Et, que craindre en ce siècle, toujours les beaux-arts 6+6 a
190 D'un astre favorableéprouvent les regards, 6+6 a
d'un prince éclairéla sage prévoyance 6+6 b
Fait partout au mériteignorer l'indigence ? 6+6 b
 Muses, dictez sa gloireà tous vos nourrissons : 6+6 a
Son nom vaut mieux pour euxque toutes vos leçons ; 6+6 a
195 Que Corneille, pour luirallumant son audace, 6+6 b
Soit encor le Corneilleet du Cid et d'Horace ; 6+6 b
Que Racine, enfantantdes miracles nouveaux, 6+6 a
De ses héros sur luiforme tous les tableaux ; 6+6 a
Que de son nom, chantépar la bouche des belles, 6+6 b
200 Benserade en tous lieuxamuse les ruelles ; 6+6 b
Que Segrais dans l'églogueen charme les forêts ; 6+6 a
Que pour lui l'épigrammeaiguise tous ses traits. 6+6 a
Mais quel heureux auteur,dans une autre Énéide, 6+6 b
Aux bords du Rhin tremblantconduira cet Alcide ? 6+6 b
205 Quelle savante lyreau bruit de ses exploits 6+6 a
Fera marcher encorles rochers et les bois ; 6+6 a
Chantera le Batave,éperdu dans l'orage, 6+6 b
Soi-même se noyantpour sortir du naufrage ; 6+6 b
Dira les bataillonssous Mastricht enterrés, 6+6 a
210 Dans ces affreux assautsdu soleil éclairés ? 6+6 a
 Mais, tandis que je parle,une gloire nouvelle 6+6 b
Vers ce vainqueur rapideaux Alpes vous appelle. 6+6 b
Déjà Dôle et Salinssous le joug ont ployé ; 6+6 a
Besançon fume encorsur son roc foudroyé. 6+6 a
215 sont ces grands guerriers,dont les fatales ligues 6+6 b
Devaient à ce torrentopposer tant de digues ? 6+6 b
Est-ce encore, en fuyant,qu'ils pensent l'arrêter, 6+6 a
Fiers du honteux honneurd'avoir su l'éviter ? 6+6 a
Que de remparts détruits !Que de villes forcées ! 6+6 b
220 Que de moissons de gloireen courant amassées ! 6+6 b
 Auteurs, pour les chanter,redoublez vos transports, 6+6 a
Le sujet ne veut pasde vulgaires efforts. 6+6 a
 Pour moi, qui jusqu'icinourri dans la satire, 6+6 b
N'ose encor manierla trompette et la lyre, 6+6 b
225 Vous me verrez pourtant,dans ce champ glorieux, 6+6 a
Vous animer du moinsde la voix et des yeux ; 6+6 a
Vous offrir ces leçonsque ma Muse au Parnasse 6+6 b
Rapporta jeune encordu commerce d'Horace ; 6+6 b
Seconder votre ardeur,échauffer vos esprits, 6+6 a
230 Et vous montrer de loinla couronne et le prix. 6+6 a
Mais aussi pardonnez,si, plein de ce beau zèle, 6+6 b
De tous vos pas fameuxobservateur fidèle, 6+6 b
Quelquefois du bon orje sépare le faux, 6+6 a
Et des auteurs grossiersj'attaque les défauts, 6+6 a
235 Censeur un peu fâcheux,mais souvent nécessaire, 6+6 b
Plus enclin à blâmer,que savant à bien faire. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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