Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BOI_4/BOI27
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
L'ART POÉTIQUE
1674
Chant II
Telle qu'une bergère, | au plus beau jour de fête, 6+6 a
De superbes rubis | ne charge point sa tête, 6+6 a
Et, sans mêler à l'or | l'éclat des diamants, 6+6 b
Cueille en un champ voisin | ses plus beaux ornements : 6+6 b
5 Telle, aimable en son air, | mais humble dans son style, 6+6 a
Doit éclater sans pompe | une élégante Idylle. 6+6 a
Son tour, simple et naïf, | n'a rien de fastueux, 6+6 b
Et n'aime point l'orgueil | d'un vers présomptueux ; 6+6 b
Il faut que sa douceur | flatte, chatouille, éveille, 6+6 a
10 Et, jamais, de grands mots | n'épouvante l'oreille. 6+6 a
Mais, souvent, dans ce style, | un rimeur aux abois, 6+6 b
Jette là, de dépit, | la flûte et le hautbois, 6+6 b
Et, follement pompeux, | dans sa verve indiscrète, 6+6 a
Au milieu d'une églogue | entonne la trompette : 6+6 a
15 De peur de l'écouter, | Pan fuit dans les roseaux ; 6+6 b
Et les Nymphes, d'effroi, | se cachent sous les eaux. 6+6 b
Au contraire, cet autre, | abject en son langage, 6+6 a
Fait parler ses bergers | comme on parle au village. 6+6 a
Ses vers plats et grossiers, | dépouillés d'agrément, 6+6 b
20 Toujours baisent la terre, | et rampent tristement. 6+6 b
On dirait que Ronsard, | sur ses pipeaux rustiques, 6+6 a
Vient encor fredonner | ses idylles gothiques, 6+6 a
Et changer, sans respect | de l'oreille et du son, 6+6 b
Lycidas en Pierrot, | et Philis en Toinon. 6+6 b
25 Entre ces deux excès | la route est difficile. 6+6 a
Suivez, pour la trouver, | Théocrite et Virgile : 6+6 a
Que leurs tendres écrits, | par les Grâces dictés, 6+6 b
Ne quittent point vos mains, | jour et nuit feuilletés. 6+6 b
Seuls, dans leurs doctes vers, | ils pourront vous apprendre 6+6 a
30 Par quel art, sans bassesse | un auteur peut descendre ; 6+6 a
Chanter Flore, les champs, | Pomone, les vergers ; 6+6 b
Au combat de la flûte | animer deux bergers ; 6+6 b
Des plaisirs de l'amour | vanter la douce amorce ; 6+6 a
Changer Narcisse en fleur, | couvrir Daphné d'écorce, 6+6 a
35 Et par quel art encor | l'églogue, quelquefois, 6+6 b
Rend dignes d'un consul | la campagne et les bois. 6+6 b
Telle est de ce poème, | et la force, et la grâce. 6+6 a
D'un ton un peu plus haut, | mais pourtant sans audace, 6+6 a
La plaintive Élégie', |en longs habits de deuil, 6+6 b
40 Sait, les cheveux épars, | gémir sur un cercueil ; 6+6 b
Elle peint des amants | la joie et la tristesse ; 6+6 a
Flatte, menace, irrite, | apaise une maîtresse. 6+6 a
Mais, pour bien exprimer | ces caprices heureux, 6+6 b
C'est peu d'être poète, | il faut être amoureux. 6+6 b
45 Je hais ces vains auteurs, | dont la Muse forcée 6+6 a
M'entretient de ses feux, | toujours froide et glacée ; 6+6 a
Qui s'affligent par art ; | et, fous de sens rassis, 6+6 b
S'érigent pour rimer | en amoureux transis. 6+6 b
Leurs transports les plus doux | ne sont que phrases vaines : 6+6 a
50 Ils ne savent jamais | que se charger de chaînes ; 6+6 a
Que bénir leur martyre, | adorer leur prison ; 6+6 b
Et faire quereller | les sens et la raison. 6+6 b
Ce n'était pas jadis | sur ce ton ridicule 6+6 a
Qu'Amour dictait les vers | que soupirait Tibulle ; 6+6 a
55 Ou que, du tendre Ovide | animant les doux sons, 6+6 b
Il donnait de son art | les charmantes leçons : 6+6 b
Il faut que le cœur seul | parle dans l'élégie. 6+6 a
L'Ode, avec plus d'éclat | et non moins d'énergie, 6+6 a
Élevant jusqu'au ciel | son vol ambitieux, 6+6 b
60 Entretient dans ses vers | commerce avec les dieux ; 6+6 b
Aux athlètes dans Pise | elle ouvre la barrière ; 6+6 a
Chante un vainqueur poudreux | au bout de la carrière ; 6+6 a
Mène Achille sanglant | aux bords du Simoïs ; 6+6 b
Ou fait fléchir l'Escaut | sous le joug de Louis. 6+6 b
65 Tantôt, comme une abeille | ardente à son ouvrage, 6+6 a
Elle s'en va de fleurs | dépouiller le rivage : 6+6 a
Elle peint les festins, | les danses et les ris ; 6+6 b
Vante un baiser cueilli | sur les lèvres d'Iris, 6+6 b
« Qui mollement résiste, | et par un doux caprice, 6+6 a
70 Quelquefois le refuse, | afin qu'on le ravisse. » 6+6 a
Son style impétueux | souvent marche au hasard : 6+6 b
Chez elle, un beau désordre | est un effet de l'art. 6+6 b
Loin ces rimeurs craintifs, | dont l'esprit flegmatique 6+6 a
Garde dans ses fureurs | un ordre didactique ; 6+6 a
75 Qui, chantant d'un héros | les progrès éclatants, 6+6 b
Maigres historiens, | suivront l'ordre des temps ! 6+6 b
Ils n'osent un moment | perdre un sujet de vue ; 6+6 a
Pour prendre Dôle, il faut | que Lille soit rendue ; 6+6 a
Et que leur vers, exact | ainsi que Mézerai, 6+6 b
80 Ait déjà fait tomber | les remparts de Courtrai. 6+6 b
Apollon de son feu | leur fut toujours avare. 6+6 a
On dit, à ce propos, | qu'un jour, ce dieu bizarre, 6+6 a
Voulant pousser à bout | tous les rimeurs françois, 6+6 b
Inventa du Sonnet | les rigoureuses lois : 6+6 b
85 Voulut qu'en deux quatrains, | de mesure pareille, 6+6 a
La rime, avec deux sons, | frappât huit fois l'oreille ; 6+6 a
Et qu'ensuite six vers, | artistement rangés, 6+6 b
Fussent en deux tercets | par le sens partagés. 6+6 b
Surtout, de ce poème | il bannit la licence ; 6+6 a
90 Lui-même en mesura | le nombre et la cadence ; 6+6 a
Défendit qu'un vers faible | y pût jamais entrer, 6+6 b
Ni qu'un mot déjà mis | osât s'y remontrer. 6+6 b
Du reste, il l'enrichit | d'une beauté suprême : 6+6 a
Un sonnet sans défaut | vaut seul un long poème. 6+6 a
95 Mais, en vain mille auteurs | y pensent arriver, 6+6 b
Et cet heureux phénix | est encore à trouver. 6+6 b
A peine, dans Gombauld, | Maynard, et Malleville, 6+6 a
En peut-on admirer | deux ou trois entre mille ; 6+6 a
Le reste, aussi peu lu | que ceux de Pelletier, 6+6 b
100 N'a fait de chez Sercy | qu'un saut chez l'épicier. 6+6 b
Pour enfermer son sens | dans la borne prescrite, 6+6 a
La mesure est toujours | trop longue ou trop petite. 6+6 a
L'Épigramme, plus libre | en son tour plus, borné, 6+6 b
N'est souvent qu'un bon mot | de deux rimes orné. 6+6 b
105 Jadis, de nos auteurs | les pointes ignorées 6+6 a
Furent de l'Italie | en nos vers attirées. 6+6 a
Le vulgaire, ébloui | de leur faux agrément, 6+6 b
A ce nouvel appât | courut avidement. 6+6 b
La faveur du public | excitant leur audace, 6+6 a
110 Leur nombre impétueux | inonda le Parnasse. 6+6 a
Le madrigal d'abord | en fut enveloppé ; 6+6 b
Le sonnet orgueilleux | lui-même en fut frappé ; 6+6 b
La tragédie en fit | ses plus chères délices ; 6+6 a
L'élégie en orna | ses douloureux caprices : 6+6 a
115 Un héros sur la scène | eut soin de s'en parer ; 6+6 b
Et, sans pointe, un amant | n'osa plus soupirer. 6+6 b
On vit tous les bergers, | dans leurs plaintes nouvelles, 6+6 a
Fidèles à la pointe | encor plus qu'à leurs belles ; 6+6 a
Chaque mot eut toujours | deux visages divers ; 6+6 b
120 La prose la reçut | aussi bien que les vers ; 6+6 b
L'avocat au palais | en hérissa son style ; 6+6 a
Et le docteur en chaire | en sema l'Évangile. 6+6 a
La raison outragée | enfin ouvrit les yeux ; 6+6 b
La chassa pour jamais | des discours sérieux ; 6+6 b
125 Et, dans tous ces écrits | la déclarant infâme, 6+6 a
Par grâce, lui laissa | l'entrée en l'épigramme, 6+6 a
Pourvu que sa finesse, | éclatant à propos, 6+6 b
Roulât sur la pensée, | et non pas sur les mots. 6+6 b
Ainsi de toutes parts | les désordres cessèrent. 6+6 a
130 Toutefois, à la Cour, | les turlupins restèrent, 6+6 a
Insipides plaisants, | bouffons infortunés, 6+6 b
D'un jeu de mots grossier | partisans surannés. 6+6 b
Ce n'est pas quelquefois | qu'une Muse un peu fine, 6+6 a
Sur un mot, en passant, | ne joue et ne badine, 6+6 a
135 Et d'un sens détourné | n'abuse avec succès ; 6+6 b
Mais, fuyez sur ce point | un ridicule excès ; 6+6 b
Et n'allez point toujours | d'une pointe frivole 6+6 a
Aiguiser par la queue | une épigramme folle. 6+6 a
Tout poème est brillant | de sa propre beauté. 6+6 b
140 Le Rondeau, né gaulois, | a la naïveté. 6+6 b
La Ballade, asservie | à ses vieilles maximes, 6+6 a
Souvent doit tout son lustre | au caprice des rimes. 6+6 a
Le Madrigal, plus simple | et plus noble en son tour, 6+6 b
Respire la douceur, | la tendresse, et l'amour. 6+6 b
145 L'ardeur de se montrer, | et non pas de médire, 6+6 a
Arma la Vérité | du vers de la Satire. 6+6 a
Lucile le premier | osa la faire voir ; 6+6 b
Aux vices des Romains | présenta le miroir ; 6+6 b
Vengea l'humble vertu | de la richesse altière ; 6+6 a
150 Et l'honnête homme à pied | du faquin en litière. 6+6 a
Horace, à cette aigreur, | mêla son enjouement : 6+6 b
On ne fut plus ni fat | ni sot impunément ; 6+6 b
Et malheur à tout nom, | qui, propre à la censure, 6+6 a
Put entrer dans un vers | sans rompre la mesure ! 6+6 a
155 Perse, en ses vers obscurs, | mais serrés et pressants, 6+6 b
Affecta d'enfermer | moins de mots que de sens. 6+6 b
Juvénal, élevé | dans les cris de l'école, 6+6 a
Poussa jusqu'à l'excès | sa mordante hyperbole. 6+6 a
Ses ouvrages, tout pleins | d'affreuses vérités, 6+6 b
160 Étincellent pourtant | de sublimes beautés : 6+6 b
Soit que, sur un écrit | arrivé de Caprée, 6+6 a
Il brise de Séjan | la statue adorée ; 6+6 a
Soit qu'il fasse au conseil | courir les sénateurs, 6+6 b
D'un tyran soupçonneux | pâles adulateurs ; 6+6 b
165 Ou que, poussant à bout | la luxure latine, 6+6 a
Aux portefaix de Rome | il vende Messaline. 6+6 a
Ses écrits pleins de feu | partout brillent aux yeux. 6+6 b
De ces maîtres savants | disciple ingénieux, 6+6 b
Regnier seul parmi nous | formé sur leur modèle, 6+6 a
170 Dans son vieux style encore | a des grâces nouvelles. 6+6 a
Heureux, si ses discours, | craints du chaste lecteur, 6+6 b
Ne se sentaient des lieux | où fréquentait l'auteur ; 6+6 b
Et si, du son hardi | de ses rimes cyniques, 6+6 a
Il n'alarmait souvent | les oreilles pudiques ! 6+6 a
175 Le latin dans les mots | brave l'honnêteté, 6+6 b
Mais le lecteur français | veut être respecté. 6+6 b
Du moindre sens impur | la liberté l'outrage, 6+6 a
Si la pudeur des mots | n'en adoucit l'image. 6+6 a
Je veux dans la satire | un esprit de candeur, 6+6 b
180 Et fuis un effronté | qui prêche la pudeur. 6+6 b
D'un trait de ce poème | en bons mots si fertile, 6+6 a
Le Français, né malin, | forma le vaudeville, 6+6 a
Agréable indiscret, | qui, conduit par le chant, 6+6 b
Passe de bouche en bouche, | et s'accroît en marchant. 6+6 b
185 La liberté française | en ses vers se déploie : 6+6 a
Cet enfant du plaisir | veut naître dans la joie. 6+6 a
Toutefois, n'allez pas, | goguenard dangereux, 6+6 b
Faire Dieu le sujet | d'un badinage affreux 6+6 b
A la fin tous ces jeux, | que l'athéisme élève, 6+6 a
190 Conduisent tristement | le plaisant à la Grève. 6+6 a
Il faut, même en chansons, | du bon sens et de l'art : 6+6 b
Mais, pourtant, on a vu | le vin et le hasard 6+6 b
Inspirer quelquefois | une Muse grossière, 6+6 a
Et fournir, sans génie, | un couplet à Linière. 6+6 a
195 Mais, pour un vain bonheur | qui vous a fait rimer, 6+6 b
Gardez qu'un sot orgueil | ne vous vienne enfumer. 6+6 b
Souvent, l'auteur altier | de quelque chansonnette 6+6 a
Au même instant prend droit | de se croire poète : 6+6 a
Il ne dormira plus | qu'il n'ait fait un sonnet ; 6+6 b
200 Il met tous les matins | six impromptus au net ; 6+6 b
Encore est-ce un miracle, | en ses vagues furies, 6+6 a
Si bientôt, imprimant | ses sottes rêveries, 6+6 a
Il ne se fait graver | au-devant du recueil, 6+6 b
Couronné de lauriers | par la main de Nanteuil. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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