Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_4/BOI26
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
L'ART POÉTIQUE
1674
Chant I
C'est en vain qu'au Parnasse, un téméraire auteur 6+6 a
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur : 6+6 a
S'il ne sent point du Ciel l'influence secrète, 6+6 b
Si son astre en naissant ne l'a formé poète, 6+6 b
5 Dans son génie étroit il est toujours captif ; 6+6 a
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif. 6+6 a
O vous donc, qui brûlant d'une ardeur périlleuse, 6+6 b
Courez du bel esprit la carrière épineuse, 6+6 b
N allez pas sur des vers, sans fruit vous consumer, 6+6 a
10 Ni prendre pour génie un amour de rimer ; 6+6 a
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces, 6+6 b
Et consultez longtemps votre esprit et vos forces. 6+6 b
La nature, fertile en esprits excellents, 6+6 a
Sait entre les auteurs partager les talents : 6+6 a
15 L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme ; 6+6 b
L'autre, d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme ; 6+6 b
Malherbe d'un héros peut vanter les exploits ; 6+6 a
Racan, chanter Philis, les bergers, et les bois. 6+6 a
Mais, souvent, un esprit qui se flatte, et qui s'aime, 6+6 b
20 Méconnaît son génie, et s'ignore soi-même : 6+6 b
Ainsi tel, autrefois qu'on vit avec Faret 6+6 a
Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret, 6+6 a
S'en va mal à propos d'une voix insolente, 6+6 b
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante, 6+6 b
25 Et, poursuivant Moïse au travers des déserts, 6+6 a
Court avec Pharaon se noyer dans les mers. 6+6 a
Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou sublime, 6+6 b
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime : 6+6 b
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr, 6+6 a
30 La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir. 6+6 a
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue, 6+6 b
L'esprit à la trouver aisément s'habitue ; 6+6 b
Au joug de la raison sans peine elle fléchit ; 6+6 a
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit. 6+6 a
35 Mais, lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle ; 6+6 b
Et pour la rattraper le sens court après elle. 6+6 b
Aimez donc la raison. Que toujours, vos écrits 6+6 a
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix. 6+6 a
La plupart, emportés d'une fougue insensée, 6+6 b
40 Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée : 6+6 b
Ils croiraient s'abaisser, dans leurs vers monstrueux, 6+6 a
S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux. 6+6 a
Évitons ces excès. Laissons à l'Italie 6+6 b
De tous ces faux brillants l'éclatante folie. 6+6 b
45 Tout doit tendre au bon sens : mais, pour y parvenir, 6+6 a
Le chemin est glissant et pénible à tenir ; 6+6 a
Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie ; 6+6 b
La raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voie. 6+6 b
Un auteur, quelquefois trop plein de son objet, 6+6 a
50 Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet : 6+6 a
S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face ; 6+6 b
Il me promène après de terrasse en terrasse ; 6+6 b
Ici, s'offre un perron ; là, règne un corridor ; 6+6 a
Là, ce balcon s'enferme en un balustre d'or ; 6+6 a
55 Il compte des plafonds les ronds et les ovales ; 6+6 b
« Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales. » 6+6 b
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin, 6+6 a
Et je me sauve à peine au travers du jardin. 6+6 a
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile, 6+6 b
60 Et ne vous chargez point d'un détail inutile : 6+6 b
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant ; 6+6 a
L'esprit rassasié le rejette à l'instant. 6+6 a
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire. 6+6 b
Souvent, la peur d'un mal nous conduit dans un pire : 6+6 b
65 Un vers était trop faible, et vous le rendez dur ; 6+6 a
J évite d'être long, et je deviens obscur ; 6+6 a
L'un n'est point trop fardé, mais sa Muse est trop nue ; 6+6 b
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue. 6+6 b
Voulez-vous du public mériter les amours ? 6+6 a
70 Sans cesse en écrivant variez vos discours : 6+6 a
Un style trop égal et toujours uniforme 6+6 b
En vain brille à nos yeux ; il faut qu'il nous endorme. 6+6 b
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer, 6+6 a
Qui, toujours sur un ton, semblent psalmodier. 6+6 a
75 Heureux, qui dans ses vers, sait d'une voix légère 6+6 b
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère ! 6+6 b
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs, 6+6 a
Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs. 6+6 a
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse : 6+6 b
80 Le style le moins noble a pourtant sa noblesse. 6+6 b
Au mépris du bon sens, le Burlesque effronté 6+6 a
Trompa les yeux d'abord, plut par sa nouveauté : 6+6 a
On ne vit plus en vers que pointes triviales ; 6+6 b
Le Parnasse parla le langage des halles ; 6+6 b
85 La licence à rimer alors n'eut plus de frein, 6+6 a
Apollon travesti devint un Tabarin. 6+6 a
Cette contagion infecta les provinces, 6+6 b
Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes ; 6+6 b
Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs ; 6+6 a
90 Et, jusqu'à d'Assouci, tout trouva des lecteurs. 6+6 a
Mais de ce style enfin la Cour désabusée 6+6 b
Dédaigna de ces vers l'extravagance aisée ; 6+6 b
Distingua le naïf du plat et du bouffon ; 6+6 a
Et laissa la province admirer le Typhon. 6+6 a
95 Que ce style, jamais, ne souille votre ouvrage. 6+6 b
Imitons de Marot l'élégant badinage, 6+6 b
Et laissons le Burlesque aux plaisants du Pont-Neuf. 6+6 a
Mais n'allez point aussi, sur les pas de Brébeuf, 6+6 a
Même en une Pharsale, entasser sur les rives, 6+6 b
100 « De morts et de mourants cent montagnes plaintives. » 6+6 b
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art, 6+6 a
Sublime sans orgueil, agréable sans fard. 6+6 a
N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. 6+6 b
Ayez pour la cadence une oreille sévère : 6+6 b
105 Que toujours, dans vos vers, le sens, coupant les mots, 6+6 a
Suspende l'hémistiche, en marque le repos. 6+6 a
Gardez qu'une voyelle, à courir trop hâtée, 6+6 b
Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée. 6+6 b
Il est un heureux choix de mots harmonieux : 6+6 a
110 Fuyez des mauvais sons le concours odieux ; 6+6 a
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée 6+6 b
Ne peut plaire à l'esprit, quand l'oreille est blessée. 6+6 b
Durant les premiers ans du Parnasse françois, 6+6 a
Le caprice tout seul faisait toutes les lois. 6+6 a
115 La rime, au bout des mots assemblés sans mesure, 6+6 b
Tenait lieu d'ornements, de nombre, et de césure. 6+6 b
Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers, 6+6 a
Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers. 6+6 a
Marot, bientôt après, fit fleurir les ballades, 6+6 b
120 Tourna des triolets, rima des mascarades, 6+6 b
A des refrains réglés asservit les rondeaux, 6+6 a
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux. 6+6 a
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode 6+6 b
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode ; 6+6 b
125 Et toutefois longtemps eut un heureux destin. 6+6 a
Mais sa Muse, en français parlant grec et latin, 6+6 a
Vit, dans l'âge suivant, par un retour grotesque, 6+6 b
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque. 6+6 b
Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut, 6+6 a
130 Rendit plus retenus Desportes et Rertaut. 6+6 a
Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, 6+6 b
Fit sentir dans les vers une juste cadence ; 6+6 b
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir ; 6+6 a
Et réduisit la Muse aux règles du devoir. 6+6 a
135 Par ce sage écrivain la langue réparée 6+6 b
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée ; 6+6 b
Les stances avec grâce apprirent à tomber ; 6+6 a
Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber. 6+6 a
Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidèle 6+6 b
140 Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle. 6+6 b
Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté ; 6+6 a
Et de son tour heureux imitez la clarté. 6+6 a
Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre, 6+6 b
Mon esprit aussitôt commence à se détendre, 6+6 b
145 Et, de vos vains discours prompt à se détacher, 6+6 a
Ne suit point un auteur qu'il faut toujours chercher. 6+6 a
Il est certains esprits, dont les sombres pensées 6+6 b
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées : 6+6 b
Le jour de la raison ne le saurait percer. 6+6 a
150 Avant donc que d'écrire, apprenez à penser : 6+6 a
Selon que notre idée est plus ou moins obscure, 6+6 b
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure ; 6+6 b
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, 6+6 a
Et les mots pour le dire arrivent aisément. 6+6 a
155 Surtout qu'en vos écrits la langue révérée 6+6 b
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. 6+6 b
En vain, vous me frappez d'un son mélodieux, 6+6 a
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux. 6+6 a
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, 6+6 b
160 Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme. 6+6 b
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin, 6+6 a
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain. 6+6 a
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, 6+6 b
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse : 6+6 b
165 Un style si rapide, et qui court en rimant, 6+6 a
Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement. 6+6 a
J'aime mieux un ruisseau, qui, sur la molle arène, 6+6 b
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, 6+6 b
Qu'un torrent débordé, qui, d'un cours orageux, 6+6 a
170 Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. 6+6 a
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, 6+6 b
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ; 6+6 b
Polissez-le sans cesse et le repolissez ; 6+6 a
Ajoutez, quelquefois, et souvent effacez. 6+6 a
175 C'est peu, qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, 6+6 b
Des traits d'esprit, semés de temps en temps, pétillent : 6+6 b
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; 6+6 a
Que le début, la fin, répondent au milieu ; 6+6 a
Que d'un art délicat les pièces assorties 6+6 b
180 N'y forment qu'un seul tout de diverses parties ; 6+6 b
Que jamais du sujet le discours s'écartant 6+6 a
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant. 6+6 a
Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? 6+6 b
Soyez-vous à vous-même un sévère critique. 6+6 b
185 L'ignorance, toujours, est prête à s'admirer. 6+6 a
Faites-vous des amis prompts à vous censurer : 6+6 a
Qu'ils soient de vos écrits les confidents sincères, 6+6 b
Et de tous vos défauts les zélés adversaires. 6+6 b
Dépouillez, devant eux, l'arrogance d'auteur. 6+6 a
190 Mais, sachez de l'ami discerner le flatteur : 6+6 a
Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue. 6+6 b
Aimez qu'on vous conseille, et non pas qu'on vous loue. 6+6 b
Un flatteur, aussitôt, cherche à se récrier : 6+6 a
Chaque vers qu'il entend le fait extasier ; 6+6 a
195 Tout est charmant, divin ; aucun mot ne le blesse ; 6+6 b
Il trépigne de joie, il pleure de tendresse ; 6+6 b
Il vous comble partout d'éloges fastueux… 6+6 a
La vérité n'a point cet air impétueux. 6+6 a
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible, 6+6 b
200 Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible ; 6+6 b
Il ne pardonne point les endroits négligés ; 6+6 a
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés ; 6+6 a
Il réprime des mots l'ambitieuse emphase ; 6+6 b
Ici, le sens le choque, et plus loin, c'est la phrase ; 6+6 b
205 Votre construction semble un peu s'obscurcir ; 6+6 a
Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir. 6+6 a
C'est ainsi que vous parle un ami véritable. 6+6 b
Mais, souvent, sur ses vers un auteur intraitable, 6+6 b
A les protéger tous se croit intéressé, 6+6 a
210 Et d'abord prend en main le droit de l'offensé. 6+6 a
« De ce vers, direz-vous, l'expression est basse. 6+6 b
— Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce, 6+6 b
Répondra-t-il d'abord. — Ce mot me semble froid, 6+6 a
Je le retrancherais. — C'est le plus bel endroit ! 6+6 a
215 — Ce tour ne me plaît pas. — Tout le monde l'admire. » 6+6 b
Ainsi, toujours constant à ne se point dédire, 6+6 b
Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser, 6+6 a
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer. 6+6 a
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique, 6+6 b
220 Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique… 6+6 b
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter 6+6 a
N'est rien qu'un piège adroit pour vous les réciter. 6+6 a
Aussitôt il vous quitte ; et, content de sa Muse, 6+6 b
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse ; 6+6 b
225 Car souvent il en trouve… Ainsi qu'en sots auteurs, 6+6 a
Notre siècle est fertile en sots admirateurs ; 6+6 a
Et, sans ceux que fournit la ville et la province, 6+6 b
Il en est chez le duc, il en est chez le prince. 6+6 b
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans, 6+6 a
230 De tout temps rencontré de zélés partisans ; 6+6 a
Et, pour finir enfin par un trait de satire, 6+6 b
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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