Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_3/BOI25
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ÉPITRES
1670-1698
ÉPÎTRE XII
SUR L'AMOUR DE DIEU
A M. L'ABBÉ RENAUDOT
Docte abbé, tu dis vrai : l'homme au crime attaché, 6+6 a
En vain, sans aimer Dieu, croit sortir du péché. 6+6 a
Toutefois, n'en déplaise aux transports frénétiques 6+6 b
Du fougueux moine auteur des troubles germaniques, 6+6 b
5 Des tourments de l'enfer la salutaire peur 6+6 a
N'est pas toujours l'effet d'une noire vapeur, 6+6 a
Qui, de remords sans fruit agitant le coupable, 6+6 b
Aux yeux de Dieu le rende encor plus haïssable. 6+6 b
Cette utile frayeur, propre à nous pénétrer, 6+6 a
10 Vient souvent de la grâce en nous prête d'entrer, 6+6 a
Qui veut dans notre cœur se rendre la plus forte, 6+6 b
Et, pour se faire ouvrir, déjà frappe à la porte. 6+6 b
Si le pécheur, poussé de ce saint mouvement, 6+6 a
Reconnaissant son crime, aspire au sacrement, 6+6 a
15 Souvent Dieu tout à coup d'un vrai zèle l'enflamme ; 6+6 b
Le Saint-Esprit revient habiter dans son âme, 6+6 b
Y convertit enfin les ténèbres en jour, 6+6 a
Et la crainte servile en filial amour. 6+6 a
C'est ainsi que souvent la sagesse suprême, 6+6 b
20 Pour chasser le démon, se sert du démon même. 6+6 b
Mais, lorsqu'en sa malice un pécheur obstiné, 6+6 a
Des horreurs de l'enfer vainement étonné, 6+6 a
Loin d'aimer, humble fils, son véritable père, 6+6 b
Craint et regarde Dieu comme un tyran sévère ; 6+6 b
25 Au bien qu'il nous promet ne trouve aucun appas, 6+6 a
Et souhaite en son cœur que ce Dieu ne soit pas ; 6+6 a
En vain, la peur sur lui remportant la victoire, 6+6 b
Aux pieds d'un prêtre il court décharger sa mémoire ; 6+6 b
Vil esclave, toujours sous le joug du péché, 6+6 a
30 Au démon qu'il redoute il demeure attaché. 6+6 a
L'amour, essentiel à notre pénitence, 6+6 b
Doit être l'heureux fruit de notre repentance. 6+6 b
Non ! quoi que l'ignorance enseigne sur ce point, 6+6 a
Dieu ne fait jamais grâce à qui ne l'aime point. 6+6 a
35 A le chercher la peur nous dispose et nous aide, 6+6 b
Mais il ne vient jamais, que l'amour ne succède. 6+6 b
Cessez de m'opposer vos discours imposteurs, 6+6 a
Confesseurs insensés, ignorants séducteurs, 6+6 a
Qui, pleins des vains propos que l'erreur vous débite, 6+6 b
40 Vous figurez qu'en vous un pouvoir sans limite 6+6 b
Justifie à coup sûr tout pécheur alarmé ; 6+6 a
Et que, sans aimer Dieu l'on peut en être aimé. 6+6 a
Quoi donc ! cher Renaudot, un chrétien effroyable, 6+6 b
Qui jamais, servant Dieu, n'eut d'objet que le diable, 6+6 b
45 Pourra, marchant toujours dans des sentiers maudits, 6+6 a
Par des formalités gagner le paradis ! 6+6 a
Et, parmi les élus, dans la gloire éternelle, 6+6 b
Pour quelques sacrements reçus sans aucun zèle, 6+6 b
Dieu fera voir aux yeux des saints épouvantés 6+6 a
50 Son ennemi mortel assis à ses côtés ! 6+6 a
Peut-on se figurer de si folles chimères ? 6+6 b
On voit pourtant, on voit des docteurs, même austères, 6+6 b
Qui, les semant partout, s'en vont pieusement 6+6 a
De toute piété saper le fondement ; 6+6 a
55 Qui, le cœur infecté d'erreurs si criminelles, 6+6 b
Se disent hautement les purs, les vrais fidèles ; 6+6 b
Traitant d'abord d'impie et d'hérétique affreux 6+6 a
Quiconque ose pour Dieu se déclarer contre eux. 6+6 a
De leur audace en vain les vrais chrétiens gémissent : 6+6 b
60 Prêts à la repousser, les plus hardis mollissent, 6+6 b
Et, voyant contre Dieu le diable accrédité, 6+6 a
N'osent qu'en bégayant prêcher la vérité. 6+6 a
Mollirons-nous aussi ? Non ; sans peur, sur ta trace, 6+6 b
Docte abbé, de ce pas j'irai leur dire en face : 6+6 b
65 « Ouvrez les yeux enfin, aveugles dangereux. 6+6 a
Oui, je vous le soutiens, il serait moins affreux 6+6 a
De ne point reconnaître un Dieu maître du monde, 6+6 b
Et qui règle à son gré le ciel, la terre et l'onde, 6+6 b
Qu'en avouant qu'il est, et qu'il sut tout former, 6+6 a
70 D'oser dire, qu'on peut lui plaire sans l'aimer. 6+6 a
Un si bas, si honteux, si faux christianisme 6+6 b
Ne vaut pas des Platons l'éclairé paganisme, 6+6 b
Et chérir les vrais biens, sans en savoir l'auteur, 6+6 a
Vaut mieux que, sans l'aimer, connaître un créateur. » 6+6 a
75 Expliquons-nous pourtant. Par cette ardeur si sainte, 6+6 b
Que je veux qu'en un cœur amène enfin la crainte, 6+6 b
Je n'entends pas ici ce doux saisissement, 6+6 a
Ces transports pleins de joie et de ravissement, 6+6 a
Qui font des bienheureux la juste récompense ; 6+6 b
80 Et qu'un cœur rarement goûte ici par avance. 6+6 b
Dans nous l'amour de Dieu, fécond en saints désirs, 6+6 a
N'y produit pas toujours de sensibles plaisirs ; 6+6 a
Souvent, le cœur qui l'a ne le sait pas lui-même ; 6+6 b
Tel craint de n'aimer pas, qui sincèrement aime ; 6+6 b
85 Et, tel croit au contraire être brûlant d'ardeur, 6+6 a
Qui n'eut jamais pour Dieu que glace et que froideur. 6+6 a
C'est ainsi quelquefois qu'un indolent mystique, 6+6 b
Au milieu des péchés tranquille fanatique, 6+6 b
Du plus parfait amour pense avoir l'heureux don, 6+6 a
90 Et croit posséder Dieu dans les bras du démon. 6+6 a
Voulez-vous donc savoir si la foi dans votre âme 6+6 b
Allume les ardeurs d'une sincère flamme ? 6+6 b
Consultez-vous vous-même : à ses règles soumis, 6+6 a
Pardonnez-vous sans peine à tous vos ennemis ? 6+6 a
95 Combattez-vous vos sens ? domptez-vous vos faiblesses ? 6+6 b
Dieu dans le pauvre est-il l'objet de vos largesses ? 6+6 b
Enfin dans tous ses points pratiquez-vous sa loi ? 6+6 a
Oui, dites-vous. Allez, vous l'aimez, croyez-moi. 6+6 a
« Qui fait exactement ce que ma loi commande, 6+6 b
100 A pour moi, dit ce Dieu, l'amour que je demande. » 6+6 b
Faites-le donc ; et, sûr qu'il nous veut sauver tous, 6+6 a
Ne vous alarmez point pour quelques vains dégoûts 6+6 a
Qu'en sa ferveur souvent la plus sainte âme éprouve ; 6+6 b
« Marchez, courez à lui : qui le cherche le trouve ; » 6+6 b
105 Et, plus de votre cœur il paraît s'écarter, 6+6 a
Plus par vos actions songez à l'arrêter. 6+6 a
Mais, ne soutenez point cet horrible blasphème, 6+6 b
Qu'un sacrement reçu, qu'un prêtre, que Dieu même, 6+6 b
Quoi que vos faux docteurs osent vous avancer, 6+6 a
110 De l'amour qu'on lui doit puissent vous dispenser. 6+6 a
« Mais s'il faut qu'avant tout, dans une âme chrétienne, 6+6 b
Diront ces grands docteurs, l'amour de Dieu survienne, 6+6 b
Puisque ce seul amour suffit pour nous sauver, 6+6 a
De quoi le sacrement viendra-t-il nous laver ? 6+6 a
115 Sa vertu n'est donc plus qu'une vertu frivole. » 6+6 b
Oh ! le bel argument, digne de leur école ! 6+6 b
Quoi ! dans l'amour divin en nos cœurs allumé, 6+6 a
Le vœu du sacrement n'est-il pas renfermé ? 6+6 a
Un païen converti, qui croit un Dieu suprême, 6+6 b
120 Peut-il être chrétien qu'il n'aspire au baptême ? 6+6 b
Ni le chrétien en pleurs être vraiment touché 6+6 a
Qu'il ne veuille à l'église avouer son péché ? 6+6 a
Du funeste esclavage où le démon nous traîne 6+6 b
C'est le sacrement seul qui peut rompre la chaîne : 6+6 b
125 Aussi l'amour d'abord y court avidement ; 6+6 a
Mais lui-même il en est l'âme et le fondement. 6+6 a
Lorsqu'un pécheur, ému d'une humble repentance, 6+6 b
Par les degrés prescrits court à la pénitence, 6+6 b
S'il n'y peut parvenir, Dieu sait les supposer. 6+6 a
130 Le seul amour manquant ne peut point s'excuser. 6+6 a
C'est par lui que dans nous la grâce fructifie ; 6+6 b
C'est lui, qui nous ranime et qui nous vivifie ; 6+6 b
Pour nous rejoindre à Dieu, lui seul est le lien ; 6+6 a
Et, sans lui, foi, vertus, sacrements, tout n'est rien. 6+6 a
135 A ces discours pressants que saurait-on répondre ? 6+6 b
Mais, approchez ; je veux encor mieux vous confondre, 6+6 b
Docteurs. Dites-moi donc : quand nous sommes absous, 6+6 a
Le Saint-Esprit est-il, ou n'est-il pas en nous ? 6+6 a
S'il est en nous, peut-il, n'étant qu'amour lui-même, 6+6 b
140 Ne nous échauffer point de son amour suprême ? 6+6 b
Et s'il n'est pas en nous, Satan, toujours vainqueur, 6+6 a
Ne demeure-t-il pas maître de notre cœur ? 6+6 a
Avouez donc qu'il faut qu'en nous l'amour renaisse ; 6+6 b
Et n'allez point, pour fuir la raison qui vous presse, 6+6 b
145 Donner le nom d'amour au trouble inanimé 6+6 a
Qu'au cœur d'un criminel la peur seule a formé. 6+6 a
L'ardeur qui justifie, et que Dieu nous envoie, 6+6 b
Quoiqu'ici bas souvent inquiète et sans joie, 6+6 b
Est pourtant cette ardeur, ce même feu d'amour, 6+6 a
150 Dont brûle un bienheureux en l'éternel séjour. 6+6 a
Dans le fatal instant qui borne notre vie, 6+6 b
Il faut que de ce feu notre âme soit remplie ; 6+6 b
Et Dieu, sourd à nos cris s'il ne l'y trouve pas, 6+6 a
Ne l'y rallume plus après notre trépas. 6+6 a
155 Rendez-vous donc enfin à ces clairs syllogismes ; 6+6 b
Et ne prétendez plus, par vos confus sophismes, 6+6 b
Pouvoir encore aux veux du fidèle éclairé 6+6 a
Cacher l'amour de Dieu dans l'école égaré. 6+6 a
Apprenez que la gloire où le ciel nous appelle 6+6 b
160 Un jour des vrais enfants doit couronner le zèle, 6+6 b
Et non les froids remords d'un esclave craintif, 6+6 a
Où crut voir Abéli quelque amour négatif. 6+6 a
Mais quoi ! j'entends déjà plus d'un fier scolastique 6+6 b
Qui, me voyant ici sur ce ton dogmatique 6+6 b
165 En vers audacieux traiter ces points sacrés, 6+6 a
Curieux, me demande où j'ai pris mes degrés ; 6+6 a
Et si, pour m'éclairer sur ces sombres matières, 6+6 b
Deux cents auteurs extraits m'ont prêté leurs lumières. 6+6 b
Non. Mais, pour décider que l'homme, qu'un chrétien 6+6 a
170 Est obligé d'aimer l'unique auteur du bien, 6+6 a
Le Dieu qui le nourrit, le Dieu qui le fit naître, 6+6 b
Qui nous vint par sa mort donner un second être, 6+6 b
Faut-il avoir reçu le bonnet doctoral, 6+6 a
Avoir extrait Gamache, Isambert et du Val ? 6+6 a
175 Dieu, dans son Livre saint, sans chercher d'autre ouvrage, 6+6 b
Ne l'a-t-il pas écrit lui-même à chaque page ? 6+6 b
De vains docteurs encore, ô prodige honteux, 6+6 a
Oseront nous en faire un problème douteux ! 6+6 a
Viendront traiter d'erreur digne de l'anathème 6+6 b
180 L'indispensable loi d'aimer Dieu pour lui-même, 6+6 b
Et, par un dogme faux dans nos jours enfanté, 6+6 a
Des devoirs du chrétien rayer la charité ! 6+6 a
Si j'allais consulter chez eux le moins sévère, 6+6 b
Et lui disais : « Un fils doit-il aimer son père ? 6+6 b
185 — Ah ! peut-on en douter ? » dirait-il brusquement ; 6+6 a
Et quand je leur demande en ce même moment : 6+6 a
« L'homme, ouvrage d'un Dieu seul bon et seul aimable, 6+6 b
Doit-il aimer ce Dieu, son père véritable ? » 6+6 b
Leur plus rigide auteur n'ose le décider, 6+6 a
190 Et craint, en l'affirmant, de se trop hasarder ! 6+6 a
Je ne m'en puis défendre ; il faut que je t'écrive 6+6 b
La figure bizarre, et pourtant assez vive, 6+6 b
Que je sus l'autre jour employer dans son lieu, 6+6 a
Et qui déconcerta ces ennemis de Dieu. 6+6 a
195 Au sujet d'un écrit qu'on nous venait de lire, 6+6 b
Un d'entre eux m'insulta, sur ce que j'osai dire 6+6 b
Qu'il faut, pour être absous d'un crime confessé, 6+6 a
Avoir pour Dieu du moins un amour commencé. 6+6 a
« Ce dogme, me dit-il, est un pur calvinisme. » 6+6 b
200 O ciel ! me voilà donc dans l'erreur, dans le schisme, 6+6 b
Et partant réprouvé ! « Mais, poursuivis-je alors, 6+6 a
Quand Dieu viendra juger les vivants et les morts, 6+6 a
Et, des humbles agneaux, objets de sa tendresse, 6+6 b
Séparera des boucs la troupe pécheresse, 6+6 b
205 A tous il nous dira, sévère ou gracieux, 6+6 a
Ce qui nous fit impurs ou justes à ses yeux. 6+6 a
Selon vous donc, à moi réprouvé, bouc infâme, 6+6 b
« Va brûler, dira-t-il en l'éternelle flamme, 6+6 b
« Malheureux qui soutins que l'homme dût m'aimer ; 6+6 a
210 « Et qui, sur ce sujet trop prompt à déclamer, 6+6 a
« Prétendis qu'il fallait, pour fléchir ma justice, 6+6 b
« Que le pécheur, touché de l'horreur de son vice, 6+6 b
« De quelque ardeur pour moi sentît les mouvements, « 6+6 a
Et gardât le premier de mes commandements ! » 6+6 a
215 Dieu, si je vous en crois, me tiendra ce langage. 6+6 b
Mais, à vous, tendre agneau, son plus cher héritage, 6+6 b
Orthodoxe ennemi d'un dogme si blâmé, 6+6 a
« Venez, vous dira-t-il, venez, mon bien-aimé ; 6+6 a
« Vous qui, dans les détours de vos raisons subtiles « 6+6 b
220 Embarrassant les mots d'un des plus saints conciles, 6+6 b
« Avez délivré l'homme, ô l'utile docteur ! 6+6 a
« De l'importun fardeau d'aimer son Créateur ; 6+6 a
« Entrez au ciel, venez, comblé de mes louanges, 6+6 b
« Du besoin d'aimer Dieu désabuser les anges. » 6+6 b
225 A de tels mots, si Dieu pouvait les prononcer, 6+6 a
Pour moi je répondrais, je crois, sans l'offenser : 6+6 a
« Oh ! que pour vous mon cœur moins dur et moins farouche, 6+6 b
Seigneur, n'a-t-il, hélas ! parlé comme ma bouche ! » 6+6 b
Ce serait ma réponse à ce Dieu fulminant. 6+6 a
230 Mais, vous, de ses douceurs objet fort surprenant, 6+6 a
Je ne sais pas comment, ferme en votre doctrine, 6+6 b
Des ironiques mots de sa bouche divine 6+6 b
Vous pourriez, sans rougeur et sans confusion, 6+6 a
Soutenir l'amertume et la dérision. » 6+6 a
235 L'audace du docteur, par ce discours frappée, 6+6 b
Demeura sans réplique à ma prosopopée. 6+6 b
Il sortit tout à coup, et, murmurant tout bas 6+6 a
Quelques termes d'aigreur que je n'entendis pas, 6+6 a
S'en alla chez Binsfeld, ou chez Basile Ponce, 6+6 b
240 Sur l'heure à mes raisons chercher une réponse. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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