Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BOI_3/BOI23
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ÉPITRES
1670-1698
ÉPÎTRE X
A MES VERS
J'ai beau vous arrêter, | ma remontrance est vaine ; 6+6 a
Allez, partez, mes Vers, | dernier fruit de ma veine ; 6+6 a
C'est trop languir chez moi | dans un obscur séjour : 6+6 b
La prison vous déplaît, | vous cherchez le grand jour ; 6+6 b
5 Et déjà, chez Barbin, | ambitieux libelles, 6+6 a
Vous brûlez d'étaler | vos feuilles criminelles. 6+6 a
Vains et faibles enfants | dans ma vieillesse nés, 6+6 b
Vous croyez, sur les pas | de vos heureux aînés, 6+6 b
Voir bientôt vos bons mots, | passant du peuple aux princes, 6+6 a
10 Charmer également | la ville et les provinces, 6+6 a
Et, par le prompt effet | d'un sel réjouissant, 6+6 b
Devenir quelquefois | proverbes en naissant. 6+6 b
Mais perdez cette erreur | dont l'appât vous amorce. 6+6 a
Le temps n'est plus, mes Vers, | où ma Muse en sa force, 6+6 a
15 Du Parnasse français | formant les nourrissons, 6+6 b
De si riches couleurs | habillait ses leçons ; 6+6 b
Quand mon esprit, poussé | d'un courroux légitime, 6+6 a
Vint devant la raison | plaider contre la rime ; 6+6 a
A tout le genre humain | sut faire le procès ; 6+6 b
20 Et s'attaqua soi-même | avec tant de succès. 6+6 b
Alors, il n'était point | de lecteur si sauvage 6+6 a
Qui ne se déridât | en lisant mon ouvrage, 6+6 a
Et qui, pour s'égayer, | souvent, dans ses discours, 6+6 b
D'un mot pris en mes vers | n'empruntât le secours. 6+6 b
25 Mais aujourd'hui qu'enfin | la vieillesse venue, 6+6 a
Sous mes faux cheveux blonds | déjà toute chenue, 6+6 a
A jeté sur ma tète, | avec ses doigts pesants, 6+6 b
Onze lustres complets, | surchargés de trois ans, 6+6 b
Cessez de présumer, | dans vos folles pensées, 6+6 a
30 Mes Vers, de voir en foule | à vos rimes glacées 6+6 a
Courir, l'argent en main, | les lecteurs empressés. 6+6 b
Nos beaux jours sont finis, | nos honneurs sont passés ! 6+6 b
Dans peu, vous allez voir | vos froides rêveries 6+6 a
Du public exciter | les justes moqueries, 6+6 a
35 Et leur auteur, jadis | à Regnier préféré, 6+6 b
A Pinchêne, à Linière, | à Perrin comparé. 6+6 b
Vous aurez beau crier : | « O vieillesse ennemie ! 6+6 a
N'a-t-il donc tant vécu | que pour cette infamie ? » 6+6 a
Vous n'entendrez partout | qu'injurieux brocards 6+6 b
40 Et sur vous et sur lui | fondre de toutes parts. 6+6 b
« Que veut-il ? dira-t-on. | Quelle fougue indiscrète 6+6 a
Ramène sur les rangs | encor ce vain athlète ? 6+6 a
Quels pitoyables vers ! | Quel style languissant ! 6+6 b
Malheureux, laisse en paix | ton cheval vieillissant, 6+6 b
45 De peur que tout à coup, | efflanqué, sans haleine, 6+6 a
Il ne laisse en tombant | son maître sur l'arène. » 6+6 a
Ainsi s'expliqueront | nos censeurs sourcilleux : 6+6 b
Et bientôt, vous verrez | mille auteurs pointilleux, 6+6 b
Pièce à pièce épluchant | vos sons et vos paroles, 6+6 a
50 Interdire chez vous | l'entrée aux hyperboles ; 6+6 a
Traiter tout noble mot | de terme hasardeux ; 6+6 b
Et dans tous vos discours, | comme monstres hideux, 6+6 b
Huer la métaphore | et la métonymie : 6+6 a
— Grands mots que Pradon croit | des termes de chimie, 6+6 a
55 — Vous soutenir qu'un lit | ne peut être effronté ; 6+6 b
Que nommer la luxure | est une impureté ;… 6+6 b
En vain, contre ce flot | d'aversion publique, 6+6 a
Vous tiendrez quelque temps | ferme sur la boutique ; 6+6 a
Vous irez à la fin, | honteusement exclus, 6+6 b
60 Trouver au magasin | Pyrame et Régulus ; 6+6 b
Ou couvrir chez Thierry | d'une feuille encor neuve, 6+6 a
Les Méditations | de Buzée et d'Hayneuve ; 6+6 a
Puis, en tristes lambeaux | semés dans les marchés, 6+6 b
Souffrir tous les affronts | au Jonas reprochés. 6+6 b
65 Mais quoi ! de ces discours | bravant la vaine attaque, 6+6 a
Déjà, comme les vers | de Cinna, d'Andromaque, 6+6 a
Vous croyez, à grands pas, | chez la postérité 6+6 b
Courir, marqués au coin | de l'immortalité ! 6+6 b
Eh bien ! contentez donc | l'orgueil qui vous enivre ; 6+6 a
70 Montrez-vous, j'y consens ; | mais, du moins, dans mon livre, 6+6 a
Commencez par vous joindre | à mes premiers écrits. 6+6 b
C'est là qu'à la faveur | de vos frères chéris, 6+6 b
Peut-être enfin soufferts | comme enfants de ma plume, 6+6 a
Vous pourrez vous sauver, | épars dans le volume. 6+6 a
75 Que si mêmes, un jour, | le lecteur gracieux, 6+6 b
Amorcé par mon nom, | sur vous tourne les yeux, 6+6 b
Pour m'en récompenser, | mes Vers, avec usure, 6+6 a
De votre auteur alors | faites-lui la peinture ; 6+6 a
Et surtout prenez soin | d'effacer bien, les traits 6+6 b
80 Dont tant de peintres faux | ont flétri mes portraits. 6+6 b
Déposez hardiment | qu'au fond cet homme horrible, 6+6 a
Ce censeur, qu'ils ont peint | si noir et si terrible, 6+6 a
Fut un esprit doux, simple, | ami de l'équité, 6+6 b
Qui, cherchant dans ses vers | la seule vérité, 6+6 b
85 Fit sans être malin | ses plus grandes malices, 6+6 a
Et qu'enfin sa candeur | seule a fait tous ses vices. 6+6 a
Dites, que harcelé | par les plus vils rimeurs, 6+6 b
Jamais, blessant leurs vers, | il n'effleura leurs mœurs ; 6+6 b
Libre dans ses discours, | mais pourtant toujours sage ; 6+6 a
90 Assez faible de corps, | assez doux de visage, 6+6 a
Ni petit, ni trop grand, | très peu voluptueux, 6+6 b
Ami de la vertu | plutôt que vertueux. 6+6 b
Que si quelqu'un, mes Vers, | alors vous importune 6+6 a
Pour savoir mes parents, | ma vie et ma fortune, 6+6 a
95 Contez-lui, qu'allié | d'assez hauts magistrats, 6+6 b
Fils d'un père greffier, | né d'aïeux avocats, 6+6 b
Dès le berceau perdant | une fort jeune mère, 6+6 a
Réduit seize ans après | à pleurer mon vieux père, 6+6 a
J'allai d'un pas hardi, | par moi-même guidé, 6+6 b
100 Et de mon seul génie | en marchant secondé, 6+6 b
Studieux amateur | et de Perse et d'Horace, 6+6 a
Assez près de Regnier | m'asseoir sur le Parnasse ; 6+6 a
Que, par un coup du sort | au grand jour amené, 6+6 b
Et des bords du Permesse | à la cour entraîné, 6+6 b
105 Je sus, prenant l'essor | par des routes nouvelles, 6+6 a
Élever assez haut | mes poétiques ailes ; 6+6 a
Que ce Roi dont le nom | fait trembler tant de rois 6+6 b
Voulut bien que ma main | crayonnât ses exploits ; 6+6 b
Que plus d'un grand m'aima | jusques à la tendresse ; 6+6 a
110 Que ma vue à Colbert | inspirait l'allégresse ; 6+6 a
Qu'aujourd'hui même encor, | de deux sens affaibli, 6+6 b
Retiré de la cour, | et non mis en oubli, 6+6 b
Plus d'un héros, épris | des fruits de mon étude, 6+6 a
Vient quelquefois chez moi | goûter la solitude. 6+6 a
115 Mais, des heureux regards | de mon astre étonnant, 6+6 b
Marquez bien cet effet | encor plus surprenant, 6+6 b
Qui dans mon souvenir | aura toujours sa place : 6+6 a
Que, de tant d'écrivains | de l'école d'Ignace 6+6 a
Étant, comme je suis, | ami si déclaré, 6+6 b
120 Ce docteur toutefois | si craint, si révéré, 6+6 b
Qui contre eux de sa plume | épuisa l'énergie, 6+6 a
Arnauld, le grand Arnauld, | fit mon apologie ! 6+6 a
Sur mon tombeau futur, | mes Vers, pour l'énoncer, 6+6 b
Courez en lettres d'or | de ce pas vous placer ; 6+6 b
125 Allez, jusqu'où l'Aurore | en naissant voit l'Hydaspe, 6+6 a
Chercher, pour l'y graver, | le plus précieux jaspe ; 6+6 a
Surtout, à mes rivaux, | sachez bien l'étaler… 6+6 b
Mais, je vous retiens trop. | C'est assez vous parler. 6+6 b
Déjà, plein du beau feu | qui pour vous le transporte, 6+6 a
130 Barbin impatient | chez moi frappe à la porte. 6+6 a
Il vient pour vous chercher ; | c'est lui ; j'entends sa voix… 6+6 b
Adieu, mes Vers, adieu, | pour la dernière fois. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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