Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_3/BOI22
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ÉPITRES
1670-1698
ÉPÎTRE IX
AU MARQUIS DE SEIGNELAY
 Dangereux ennemide tout mauvais flatteur, 6+6 a
Seignelay, c'est en vainqu'un ridicule auteur, 6+6 a
Prêt à porter ton nomde l'Èbre jusqu'au Gange, 6+6 b
Croit te prendre aux filetsd'une sotte louange ; 6+6 b
5 Aussitôt ton esprit,prompt à se révolter, 6+6 a
S'échappe, et rompt le piège l'on veut l'arrêter. 6+6 a
Il n'en est pas ainside ces esprits frivoles 6+6 b
Que tout flatteur endortau son de ses paroles ; 6+6 b
Qui, dans un vain sonnet,placés au rang des dieux, 6+6 a
10 Se plaisent à foulerl'Olympe radieux ; 6+6 a
Et, fiers du haut étage La Serre les loge, 6+6 b
Avalent sans dégtle plus grossier éloge. 6+6 b
Tu ne te repais pointd'encens à si bas prix. 6+6 a
Non que tu sois pourtantde ces rudes esprits 6+6 a
15 Qui regimbent toujours,quelque main qui les flatte : 6+6 b
Tu souffres la louangeadroite et délicate, 6+6 b
Dont la trop forte odeurn'ébranle point les sens ; 6+6 a
Mais un auteur noviceà répandre l'encens, 6+6 a
Souvent, à son héros,dans un bizarre ouvrage, 6+6 b
20 Donne de l'encensoirau travers du visage, 6+6 b
Va louer Montereyd'Oudenarde forcé, 6+6 a
Ou vante aux ÉlecteursTurenne repoussé. 6+6 a
Tout éloge imposteurblesse une âme sincère. 6+6 b
Si, pour faire sa courà ton illustre père, 6+6 b
25 Seignelay, quelque auteur,d'un faux zèle emporté, 6+6 a
Au lieu de peindre en luila noble activité, 6+6 a
La solide vertu,la vaste intelligence, 6+6 b
Le zèle pour son roi,l'ardeur, la vigilance, 6+6 b
La constante équité,l'amour pour les beaux-arts, 6+6 a
30 Lui donnait les vertusd'Alexandre ou de Mars,. 6+6 a
Et, pouvant justementl'égaler à Mécène, 6+6 b
Le comparait au filsde Pélée ou d'Alcmène, 6+6 b
Ses yeux, d'un tel discoursfaiblement éblouis, 6+6 a
Bientôt dans ce tableaureconntraient Louis ; 6+6 a
35 Et glaçant d'un regardla Muse et le poète, 6+6 b
Imposeraient silenceà sa verve indiscrète. 6+6 b
 Un cœur noble est contentde ce qu'il trouve en lui, 6+6 a
Et ne s'applaudit pasdes qualités d'autrui. 6+6 a
Que me sert en effetqu'un admirateur fade 6+6 b
40 Vante mon embonpoint,si je me sens malade ? 6+6 b
Si, dans cet instant même,un feu séditieux 6+6 a
Fait bouillonner mon sanget pétiller mes yeux ? 6+6 a
Rien n'est beau que le vrai,le vrai seul est aimable ; 6+6 b
Il doit régner partout,et même dans la fable ; 6+6 b
45 De toute fictionl'adroite fausseté 6+6 a
Ne tend qu'à faire aux yeuxbriller la vérité. 6+6 a
 Sais-tu pourquoi mes verssont lus dans les provinces, 6+6 b
Sont recherchés du peuple,et reçus chez les princes ? 6+6 b
Ce n'est pas que leurs sons,agréables, nombreux, 6+6 a
50 Soient toujours à l'oreilleégalement heureux ; 6+6 a
Qu'en plus d'un lieu le sensn'y gêne la mesure ; 6+6 b
Et qu'un mot quelquefoisn'y brave la césure ; 6+6 b
Mais c'est qu'en eux le vrai,du mensonge vainqueur, 6+6 a
Partout se montre aux yeux,et va saisir le cœur ; 6+6 a
55 Que le bien et le maly sont prisés au juste ; 6+6 b
Que jamais un faquinn'y tint un rang auguste ; 6+6 b
Et que mon cœur, toujoursconduisant mon esprit, 6+6 a
Ne dit rien aux lecteurs,qu'à soi-même il n'ait dit ; 6+6 a
Ma pensée au grand jourpartout s'offre et s'expose, 6+6 b
60 Et mon vers, bien ou mal,dit toujours quelque chose. 6+6 b
C'est par là quelquefoisque ma rime surprend ; 6+6 a
C'est là ce que n'ont pointJonas, ni Childebrand, 6+6 a
Ni tous ces vains amasde frivoles sornettes, 6+6 b
Montre, Miroir d'amour,Amitiés, Amourettes, 6+6 b
65 Dont le titre souventest l'unique soutien, 6+6 a
Et qui, parlant beaucoup,ne disent jamais rien. 6+6 a
 Mais, peut-être, enivrédes vapeurs de ma Muse, 6+6 b
Moi-même en ma faveur,Seignelay, je m'abuse 6+6 b
Cessons de nous flatter :il n'est esprit si droit 6+6 a
70 Qui ne soit imposteuret faux par quelque endroit ; 6+6 a
Sans cesse on prend le masque,et, quittant la nature, 6+6 b
On craint de se montrersous sa propre figure. 6+6 b
Par là, le plus sincèreassez souvent déplt. 6+6 a
Rarement, un espritose être ce qu'il est. 6+6 a
75 Vois-tu cet importunque tout le monde évite ; 6+6 b
Cet homme à toujours fuir,qui jamais ne vous quitte ? 6+6 b
Il n'est pas sans esprit ;mais, né triste et pesant, 6+6 a
Il veut être folâtre,évaporé, plaisant ; 6+6 a
Il s'est fait de sa joieune loi nécessaire ; 6+6 b
80 Et ne déplt enfinque pour vouloir trop plaire. 6+6 b
La simplicité pltsans étude et sans art. 6+6 a
Tout charme en un enfant,dont la langue sans fard, 6+6 a
A peine du filetencor débarrassée, 6+6 b
Sait d'un air innocentbégayer sa pensée. 6+6 b
85 Le faux est toujours fade,ennuyeux, languissant. 6+6 a
Mais la nature est vraie,et d'abord on la sent ; 6+6 a
C'est elle seule en toutqu'on admire et qu'on aime ; 6+6 b
Un esprit né chagrinplt par son chagrin même ; 6+6 b
Chacun pris dans son airest agréable en soi ; 6+6 a
90 Ce n'est que l'air d'autruiqui peut déplaire en moi. 6+6 a
 Ce marquis était nédoux, commode, agréable ; 6+6 b
On vantait en tous lieuxson ignorance aimable ; 6+6 b
Mais, depuis quelques moisdevenu grand docteur, 6+6 a
Il a pris un faux air,une sotte hauteur ; 6+6 a
95 Il ne veut plus parlerque de rime et de prose ; 6+6 b
Des auteurs décriésil prend en main la cause ; 6+6 b
Il rit du mauvais gtde tant d'hommes divers, 6+6 a
Et va voir l'opéra,seulement pour les vers. 6+6 a
Voulant se redresser,soi-même on s'estropie, 6+6 b
100 Et d'un originalon fait une copie. 6+6 b
L'ignorance vaut mieuxqu'un savoir affecté. 6+6 a
Rien n'est beau, je reviens,que par la vérité : 6+6 a
C'est par elle qu'on plt,et qu'on peut longtemps plaire. 6+6 b
L'esprit lasse aisément,si le cœur n'est sincère. 6+6 b
105 En vain, par sa grimace,un bouffon odieux 6+6 a
A table nous fait rire,et divertit nos yeux : 6+6 a
Ses bons mots ont besoinde farine et de plâtre. 6+6 b
Prenez-le tête à tête,ôtez-lui son théâtre, 6+6 b
Ce n'est plus qu'un cœur bas,un coquin ténébreux : 6+6 a
110 Son visage essuyén'a plus rien que d'affreux. 6+6 a
J'aime un esprit aiséqui se montre, qui s'ouvre, 6+6 b
Et qui plt d'autant plus,que plus il se découvre. 6+6 b
Mais, la seule vertupeut souffrir la clarté ; 6+6 a
Le vice, toujours sombre,aime l'obscurité ; 6+6 a
115 Pour partre au grand jouril faut qu'il se déguise ; 6+6 b
C'est lui, qui de nos mœursa banni la franchise. 6+6 b
 Jadis, l'homme vivaitau travail occupé, 6+6 a
Et, ne trompant jamais,n'était jamais trompé ; 6+6 a
On ne connaissait pointla ruse et l'imposture ; 6+6 b
120 Le Normand même alorsignorait le parjure ; 6+6 b
Aucun rhéteur encore,arrangeant le discours, 6+6 a
N'avait d'un art menteurenseigné les détours ; 6+6 a
Mais, sitôt qu'aux humains,faciles à séduire, 6+6 b
L'abondance eut donnéle loisir de se nuire, 6+6 b
125 La mollesse amenala fausse vanité ; 6+6 a
Chacun chercha pour plaireun visage emprunté ; 6+6 a
Pour éblouir les yeux,la fortune arrogante 6+6 b
Affecta d'étalerune pompe insolente ; 6+6 b
L'or éclata partoutsur les riches habits ; 6+6 a
130 On polit l'émeraude,on tailla le rubis ; 6+6 a
Et la laine et la soie,en cent façons nouvelles, 6+6 b
Apprirent à quitterleurs couleurs naturelles. 6+6 b
La trop courte beautémonta sur des patins ; 6+6 a
La coquette tenditses lacs tous les matins ; 6+6 a
135 Et, mettant la céruseet le plâtre en usage, 6+6 b
Composa de sa mainles fleurs de son visage. 6+6 b
L'ardeur de s'enrichirchassa la bonne foi ; 6+6 a
Le courtisan n'eut plusde sentiments à soi ; 6+6 a
Tout ne fut plus que fard,qu'erreur, que tromperie ; 6+6 b
140 On vit partout régnerla basse flatterie. 6+6 b
Le Parnasse surtout,fécond en imposteurs, 6+6 a
Diffama le papierpar ses propos menteurs : 6+6 a
De là vint cet amasd'ouvrages mercenaires, 6+6 b
Stances, odes, sonnets,épîtres liminaires, 6+6 b
145 toujours le hérospasse pour sans pareil, 6+6 a
Et, fût-il louche ou borgne,est réputé soleil. 6+6 a
 Ne crois pas toutefois,sur ce discours bizarre, 6+6 b
Que, d'un frivole encensmalignement avare, 6+6 b
J'en veuille sans raisonfrustrer tout l'univers. 6+6 a
150 La louange agréableest l'âme des beaux vers. 6+6 a
Mais je tiens, comme toi,qu'il faut qu'elle soit vraie 6+6 b
Et que son tour adroitn'ait rien qui nous effraie. 6+6 b
Alors, comme j'ai dit,tu la sais écouter, 6+6 a
Et sans crainte à tes yeuxon pourrait t'exalter. 6+6 a
155 Mais, sans t'aller chercherdes vertus dans les nues, 6+6 b
Il faudrait peindre en toides vérités connues ; 6+6 b
Décrire ton espritami de la raison ; 6+6 a
Ton ardeur pour ton Roi,puisée en ta maison ; 6+6 a
A servir ses desseinsta vigilance heureuse ; 6+6 b
160 Ta probité sincère,utile, officieuse. 6+6 b
Tel, qui hait à se voirpeint en de faux portraits, 6+6 a
Sans chagrin voit tracerses véritables traits : 6+6 a
Condé même, Condé,ce héros formidable, 6+6 b
Et, non moins qu'aux Flamands,aux flatteurs redoutable, 6+6 b
165 Ne s'offenserait passi quelque adroit pinceau 6+6 a
Traçait de ses exploitsle fidèle tableau ; 6+6 a
Et, dans Senef en feucontemplant sa peinture, 6+6 b
Ne désavouerait pasMalherbe ni Voiture. 6+6 b
Mais, malheur au poèteinsipide, odieux, 6+6 a
170 Qui viendrait le glacerd'un éloge ennuyeux ! 6+6 a
Il aurait beau crier :« Premier prince du monde ! 6+6 b
« Courage sans pareil !lumière sans seconde ! » 6+6 b
Ses vers, jetés d'abordsans tourner le feuillet, 6+6 a
Iraient dans l'antichambreamuser Pacolet. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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