Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_3/BOI21
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ÉPITRES
1670-1698
ÉPÎTRE VIII
AU ROI
Grand Roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire. 6+6 a
Tu sais bien que mon style est né pour la satire, 6+6 a
Mais mon esprit, contraint de la désavouer, 6+6 b
Sous ton règne étonnant ne veut plus que louer. 6+6 b
5 Tantôt, dans les ardeurs de ce zèle incommode, 6+6 a
Je songe à mesurer les syllabes d'une ode ; 6+6 a
Tantôt, d'une Ënéide auteur ambitieux, 6+6 b
Je m'en forme déjà le plan audacieux : 6+6 b
Ainsi, toujours flatté d'une douce manie, 6+6 a
10 Je sens de jour en jour dépérir mon génie ; 6+6 a
Et mes vers, en ce style ennuyeux, sans appas, 6+6 b
Déshonorent ma plume, et ne t'honorent pas. 6+6 b
Encor si ta valeur, à tout vaincre obstinée, 6+6 a
Nous laissait, pour le moins, respirer une année ! 6+6 a
15 Peut-être, mon esprit, prompt à ressusciter, 6+6 b
Du temps qu'il a perdu saurait se racquitter. 6+6 b
Sur ses nombreux défauts, merveilleux à décrire, 6+6 a
Le siècle m'offre encor plus d'un bon mot à dire, 6+6 a
Mais, à peine Dinan et Limbourg sont forcés, 6+6 b
20 Qu'il faut chanter Bouchain et Condé terrassés. 6+6 b
Ton courage, affamé de péril et de gloire, 6+6 a
Court d'exploits en exploits, de victoire en victoire. 6+6 a
Souvent ce qu'un seul jour te voit exécuter 6+6 b
Nous laisse pour un an d'actions à conter. 6+6 b
25 Que si quelquefois, las de forcer les murailles, 6+6 a
Le soin de tes sujets te rappelle à Versailles, 6+6 a
Tu viens m'embarrasser de mille autres vertus. 6+6 b
Te voyant de plus près, je t'admire encor plus. 6+6 b
Dans les nobles douceurs d'un séjour plein de charmes, 6+6 a
30 Tu n'es pas moins héros qu'au milieu des alarmes : 6+6 a
De ton trône agrandi portant seul tout le faix, 6+6 b
Tu cultives les arts ; tu répands les bienfaits ; 6+6 b
Tu sais récompenser jusqu'aux Muses critiques. 6+6 a
Ah ! crois-moi, c'en est trop. Nous autres satiriques, 6+6 a
35 Propres à relever les sottises du temps, 6+6 b
Nous sommes un peu nés pour être mécontents : 6+6 b
Notre muse, souvent paresseuse et stérile, 6+6 a
A besoin, pour marcher, de colère et de bile. 6+6 a
Notre style languit dans un remercîment ; 6+6 b
40 Mais, grand Roi, nous savons nous plaindre élégamment. 6+6 b
Oh ! que, si je vivais sous les règnes sinistres 6+6 a
De ces rois nés valets de leurs propres ministres, 6+6 a
Et qui, jamais en main ne prenant le timon, 6+6 b
Aux exploits de leur temps ne prêtaient que leur nom ; 6+6 b
45 Que, sans les fatiguer d'une louange vaine, 6+6 a
Aisément les bons mots couleraient de ma veine ! 6+6 a
Mais, toujours, sous ton règne il faut se récrier ; 6+6 b
Toujours, les yeux au ciel, il faut remercier. 6+6 b
Sans cesse à t'admirer ma critique forcée 6+6 a
50 N'a plus en écrivant de maligne pensée, 6+6 a
Et mes chagrins, sans fiel et presque évanouis, 6+6 b
Font grâce à tout le siècle en faveur de Louis. 6+6 b
En tous lieux cependant la Pharsale approuvée, 6+6 a
Sans crainte de mes vers, va la tête levée ; 6+6 a
55 La licence partout règne dans les écrits ; 6+6 b
Déjà, le mauvais sens, reprenant ses esprits, 6+6 b
Songe à nous redonner des poèmes épiques, 6+6 a
S'empare des discours mêmes académiques ; 6+6 a
Perrin a de ses vers obtenu le pardon ; 6+6 b
60 Et la scène française est en proie à Pradon. 6+6 b
Et moi, sur ce sujet loin d'exercer ma plume, 6+6 a
J'amasse de tes faits le pénible volume, 6+6 a
Et ma Muse, occupée à cet unique emploi, 6+6 b
Ne regarde, n'entend, ne connaît plus que toi ! 6+6 b
65 Tu le sais bien pourtant, cette ardeur empressée 6+6 a
N'est point en moi l'effet d'une âme intéressée : 6+6 a
Avant que tes bienfaits courussent me chercher, 6+6 b
Mon zèle impatient ne se pouvait cacher ; 6+6 b
Je n'admirais que toi. Le plaisir de le dire 6+6 a
70 Vint m'apprendre à louer au sein de la satire ; 6+6 a
Et, depuis que tes dons sont venus m'accabler, 6+6 b
Loin de sentir mes vers avec eux redoubler, 6+6 b
Quelquefois, le dirai-je ? un remords légitime, 6+6 a
Au fort de mon ardeur, vient refroidir ma rime. 6+6 a
75 Il me semble, grand Roi, dans mes nouveaux écrits, 6+6 b
Que mon encens payé n'est plus du même prix. 6+6 b
J'ai peur que l'univers, qui sait ma récompense, 6+6 a
N'impute mes transports à ma reconnaissance, 6+6 a
Et que par tes présents mon vers discrédité 6+6 b
80 N'ait moins de poids pour toi dans la postérité. 6+6 b
Toutefois, je sais vaincre un remords qui te blesse. 6+6 a
Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largesse 6+6 a
A peindre tes exploits ne doit point s'engager, 6+6 b
Qui d'un si juste soin se pourra donc charger ? 6+6 b
85 Ah ! plutôt, de nos sons redoublons l'harmonie, 6+6 a
Le zèle à mon esprit tiendra lieu de génie. 6+6 a
Horace, tant de fois dans mes vers imité, 6+6 b
De vapeurs, en son temps, comme moi tourmenté, 6+6 b
Pour amortir le feu de sa rate indocile 6+6 a
90 Dans l'encre quelquefois sut égayer sa bile ; 6+6 a
Mais, de la même main qui peignit Tullius, 6+6 b
Qui d'affronts immortels couvrit Tigellius, 6+6 b
Il sut fléchir Glycère, il sut vanter Auguste, 6+6 a
Et marquer sur la lyre une cadence juste. 6+6 a
95 Suivons les pas fameux d'un si noble écrivain 6+6 b
A ces mots, quelquefois, prenant ma lyre en main, 6+6 b
Au récit que pour toi je suis près d'entreprendre, 6+6 a
Je crois voir les rochers accourir pour m'entendre, 6+6 a
Et déjà mon vers coule à flots précipités, 6+6 b
100 Quand j'entends le lecteur qui me crie : « Arrêtez ; 6+6 b
Horace eut cent talents ; mais la nature avare 6+6 a
Ne vous a rien donné qu'un peu d'humeur bizarre ; 6+6 a
Vous passez en audace et Perse et Juvénal ; 6+6 b
Mais, sur le ton flatteur, Pinchêne est votre égal. » 6+6 b
105 A ce discours, grand Roi, que pourrais-je répondre ? 6+6 a
Je me sens sur ce point trop facile à confondre ; 6+6 a
Et, sans trop relever des reproches si vrais, 6+6 b
Je m'arrête à l'instant, j'admire,… et je me tais. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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