Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
BOI_3/BOI20
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ÉPITRES
1670-1698
ÉPÎTRE VII
A M. RACINE
Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur, 6+6 a
Émouvoir, étonner, ravir un spectateur ! 6+6 a
Jamais Iphigénie en Aulide immolée 6+6 b
N'a cté tant de pleurs à la Grèce assemblée, 6+6 b
5 Que, dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé, 6+6 a
En a fait sous son nom verser la Champmeslé. 6+6 a
Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages, 6+6 b
Entrnant tous les cœurs, gagner tous les suffrages : 6+6 b
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré, 6+6 a
10 Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré, 6+6 a
En cent lieux contre lui les cabales s'amassent ; 6+6 b
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent ; 6+6 b
Et son trop de lumière, importunant les yeux, 6+6 a
De ses propres amis lui fait des envieux. 6+6 a
15 La mort seule ici-bas, en terminant sa vie, 6+6 b
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie ; 6+6 b
Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits ; 6+6 a
Et donner à ses vers leur légitime prix. 6+6 a
Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière, 6+6 b
20 Pour jamais sous. la tombe eût enfermé Molière, 6+6 b
Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés, 6+6 a
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés. 6+6 a
L'ignorance et l'erreur, à ses naissantes pièces, 6+6 b
En habits de marquis, en robes de comtesses, 6+6 b
25 Venaient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau, 6+6 a
Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau : 6+6 a
Le commandeur voulait la scène plus exacte ; 6+6 b
Le vicomte, indigné, sortait au second acte ; 6+6 b
L'un, défenseur zé des bigots mis en jeu, 6+6 a
30 Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu ; 6+6 a
L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre, 6+6 b
Voulait venger la cour immolée au parterre. 6+6 b
Mais, sitôt que d'un trait de ses fatales mains 6+6 a
La Parque l'eut ra du nombre des humains, 6+6 a
35 On reconnut le prix de sa Muse éclipsée. 6+6 b
L'aimable Comédie, avec lui terrassée, 6+6 b
En vain d'un coup si rude espéra revenir, 6+6 a
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir. 6+6 a
Tel fut chez nous le sort du théâtre comique. 6+6 b
40 Toi donc, qui t'élevant sur la scène tragique, 6+6 b
Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits, 6+6 a
De Corneille vieilli sais consoler Paris, 6+6 a
Cesse de t'étonner, si l'envie animée, 6+6 b
Attachant à ton nom sa rouille envenimée, 6+6 b
45 La calomnie en main, quelquefois te poursuit. 6+6 a
En cela, comme en tout, le Ciel qui nous conduit, 6+6 a
Racine, fait briller sa profonde sagesse. 6+6 b
Le mérite en repos, s'endort dans la paresse ; 6+6 b
Mais, par les envieux un génie excité, 6+6 a
50 Au comble de son art est mille fois monté ; 6+6 a
Plus on veut l'affaiblir, plus il croît et s'élance ; 6+6 b
Au Cid persécu Cinna doit sa naissance ; 6+6 b
Et, peut-être, ta plume, aux censeurs de Pyrrhus 6+6 a
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus. 6+6 a
55 Moi-même, dont la gloire ici moins répandue 6+6 b
Des pâles envieux ne blesse point la vue, 6+6 b
Mais qu'une humeur trop libre, un esprit peu soumis, 6+6 a
De bonne heure a pourvu d'utiles ennemis, 6+6 a
Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue, 6+6 b
60 Qu'au faible et vain talent dont la France me loue. 6+6 b
Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher, 6+6 a
Tous les jours, en marchant, m'empêche de broncher ; 6+6 a
Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde, 6+6 b
Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde ; 6+6 b
65 Je sais sur leurs avis corriger mes erreurs, 6+6 a
Et je mets à profit leurs malignes fureurs. 6+6 a
Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre, 6+6 b
C'est en me guérissant que je sais leur répondre ; 6+6 b
Et, plus en criminel ils pensent m'ériger, 6+6 a
70 Plus, croissant en vertu, je songe à me venger. 6+6 a
Imite mon exemple ; et, lorsqu'une cabale, 6+6 b
Un flot de vains auteurs follement te ravale, 6+6 b
Profite de leur haine et de leur mauvais sens ; 6+6 a
Ris du bruit passager de leurs cris impuissants. 6+6 a
75 Que peut contre tes vers une ignorance vaine ? 6+6 b
Le Parnasse français, ennobli par ta veine, 6+6 b
Contre tous ces complots saura te maintenir, 6+6 a
Et soulever pour toi l'équitable avenir. 6+6 a
Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse 6+6 b
80 De Phèdre, malgré soi perfide, incestueuse, 6+6 b
D'un si noble travail justement étonné, 6+6 a
Ne bénira d'abord le siècle fortu 6+6 a
Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles, 6+6 b
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles ? 6+6 b
85 Cependant, laisse ici gronder quelques censeurs 6+6 a
Qu'aigrissent de tes vers les charmantes douceurs. 6+6 a
Et qu'importe à nos vers que Perrin les admire ; 6+6 b
Que l'auteur du Jonas s'empresse pour les lire ; 6+6 b
Qu'ils charment de Senlis le poète idiot, 6+6 a
90 Ou le sec traducteur du français d'Amyot ; 6+6 a
Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées 6+6 b
Soient du peuple, des grands, des provinces gtées ; 6+6 b
Pourvu qu'ils puissent plaire au plus puissant des rois ; 6+6 a
Qu'à Chantilly Con les souffre quelquefois, 6+6 a
95 Qu'Enghien en soit touché ; que Colbert et Vivonne, 6+6 b
Que La Rochefoucauld, Marsillac, et Pomponne, 6+6 b
Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer, 6+6 a
A leurs traits délicats se laissent pénétrer ? 6+6 a
Et, plût au ciel encor, pour couronner l'ouvrage, 6+6 b
100 Que Montausier voulût leur donner son suffrage ! 6+6 b
C'est à de tels lecteurs que j'offre mes écrits ; 6+6 a
Mais, pour un tas grossier de frivoles esprits, 6+6 a
Admirateurs zélés de toute œuvre insipide, 6+6 b
Que, non loin de la place où Brioché préside 6+6 b
105 Sans chercher dans les vers ni cadence ni son, 6+6 a
Il s'en aille admirer le savoir de Pradon ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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