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BOI_3/BOI16
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ÉPITRES
1670-1698
ÉPÎTRE III
A M. ARNAULD, DOCTEUR DE SORBONNE
Oui, sans peine, au travers des sophismes de Claude, 6+6 a
Arnauld, des novateurs tu découvres la fraude, 6+6 a
Et romps de leurs erreurs les filets captieux. 6+6 b
Mais, que sert que ta main leur dessille les yeux, 6+6 b
5 Si toujours dans leur âme une pudeur rebelle, 6+6 a
Près d'embrasser l'Église, au prêche les rappelle ? 6+6 a
Non, ne crois pas que Claude, habile à se tromper, 6+6 b
Soit insensible aux traits dont tu le sais frapper ; 6+6 b
Mais, un Démon l'arrête ; et, quand ta voix l'attire, 6+6 a
10 Lui dit : « Si tu te rends, sais-tu ce qu'on va dire ? » 6+6 a
Dans son heureux retour lui montre un faux malheur ; 6+6 b
Lui peint de Charenton l'hérétique douleur ; 6+6 b
Et, balançant Dieu même en son âme flottante, 6+6 a
Fait mourir dans son cœur la vérité naissante. 6+6 a
15 Des superbes mortels le plus affreux lien, 6+6 b
N'en doutons point, Arnauld, c'est la honte du bien. 6+6 b
Des plus nobles vertus cette adroite ennemie 6+6 a
Peint l'honneur à nos yeux des traits de l'infamie ; 6+6 a
Asservit nos esprits sous un joug rigoureux ; 6+6 b
20 Et nous rend l'un de l'autre esclaves malheureux. 6+6 b
Par elle la vertu devient lâche et timide. 6+6 a
Vois-tu ce libertin en public intrépide, 6+6 a
Qui prêche contre un Dieu que dans son âme il croit ? 6+6 b
Il irait embrasser la vérité qu'il voit ; 6+6 b
25 Mais, de ses faux amis, il craint la raillerie, 6+6 a
Et ne brave ainsi Dieu que par poltronnerie. 6+6 a
C'est là de tous nos maux le fatal fondement ; 6+6 b
Des jugements d'autrui nous tremblons follement ; 6+6 b
Et, chacun l'un de l'autre adorant les caprices, 6+6 a
30 Nous cherchons hors de nous nos vertus et nos vices. 6+6 a
Misérables jouets de notre vanité, 6+6 b
Faisons au moins l'aveu de notre infirmité : 6+6 b
A quoi bon, quand la fièvre en nos artères brûle, 6+6 a
Faire de notre mal un secret ridicule ? 6+6 a
35 Le feu sort de vos yeux pétillants et troublés ; 6+6 b
Votre pouls inégal marche à pas redoublés ; 6+6 b
Quelle fausse pudeur à feindre vous oblige ? 6+6 a
« Qu'avez-vous ? — Je n'ai rien. — Mais — Je n'ai rien, vous dis-je. » 6+6 a
Répondra ce malade à se taire obstiné, 6+6 b
40 Mais cependant, voilà tout son corps gangrené ; 6+6 b
Et la fièvre, demain se rendant la plus forte, 6+6 a
Un bénitier aux pieds, va l'étendre à la porte. 6+6 a
Prévenons sagement un si juste malheur. 6+6 b
Le jour fatal est proche, et vient comme un voleur : 6+6 b
45 Avant qu'à nos erreurs le ciel nous abandonne, 6+6 a
Profitons de l'instant que de grâce il nous donne ; 6+6 a
Hâtons-nous ; le temps fuit, et nous traîne avec soi ; 6+6 b
Le moment où je parle est déjà loin de moi. 6+6 b
Mais quoi ! toujours la honte en esclaves nous lie ! 6+6 a
50 Oui, c'est toi qui nous perds, ridicule folie ; 6+6 a
C'est toi, qui fis tomber le premier malheureux, 6+6 b
Le jour que, d'un faux bien sottement amoureux, 6+6 b
Et n'osant soupçonner sa femme d'imposture, 6+6 a
Au Démon, par pudeur, il vendit la nature. 6+6 a
55 Hélas ! avant ce jour qui perdit ses neveux, 6+6 b
Tous les plaisirs couraient au-devant de ses vœux : 6+6 b
La faim aux animaux ne faisait point la guerre ; 6+6 a
Le blé, pour se donner, sans peine ouvrant la terre, 6+6 a
N'attendait point qu'un bœuf pressé de l'aiguillon, 6+6 b
60 Traçât à pas tardifs un pénible sillon ; 6+6 b
La vigne offrait partout des grappes toujours pleines, 6+6 a
Et des ruisseaux de lait serpentaient dans les plaines. 6+6 a
Mais, dès ce jour, Adam, déchu de son état, 6+6 b
D'un tribut de douleur paya son attentat. 6+6 b
65 Il fallut qu'au travail son corps rendu docile 6+6 a
Forçât la terre avare à devenir fertile. 6+6 a
Le chardon importun hérissa les guérets ; 6+6 b
Le serpent venimeux rampa dans les forêts ; 6+6 b
La canicule en feu désola les campagnes ; 6+6 a
70 L'aquilon en fureur gronda sur les montagnes ; 6+6 a
Alors, pour se couvrir durant l'âpre saison, 6+6 b
Il fallut aux brebis dérober leur toison ; 6+6 b
La peste en même temps, la guerre et la famine 6+6 a
Des malheureux humains jurèrent la ruine 6+6 a
75 Mais, aucun de ces maux n'égala les rigueurs 6+6 b
Que la mauvaise honte exerça dans les cœurs : 6+6 b
De ce nid à l'instant sortirent tous les vices : 6+6 a
L'avare, des premiers en proie à ses caprices, 6+6 a
Dans un infâme gain mettant l'honnêteté, 6+6 b
80 Pour toute honte alors compta la pauvreté ; 6+6 b
L'honneur et la vertu n'osèrent plus paroître ; 6+6 a
La piété chercha les déserts et le cloître. 6+6 a
Depuis, on n'a point vu de cœur si détaché 6+6 b
Qui par quelque lien ne tînt à ce péché. 6+6 b
85 Triste et funeste effet du premier de nos crimes ! 6+6 a
Moi-même, Arnauld, ici, qui te prêche en ces rimes, 6+6 a
Plus qu'aucun des mortels par la honte abattu, 6+6 b
En vain j'arme contre elle une faible vertu. 6+6 b
Ainsi, toujours douteux, chancelant et volage, 6+6 a
90 A peine du limon, où le vice m'engage, 6+6 a
J'arrache un pied timide, et sors en m'agitant, 6+6 b
Que l'autre m'y reporte et s'embourbe à l'instant. 6+6 b
Car si, comme aujourd'hui, quelque rayon de zèle 6+6 a
Allume dans mon cœur une clarté nouvelle, 6+6 a
95 Soudain, aux yeux d'autrui s'il faut la confirmer, 6+6 b
D'un geste, d'un regard, je me sens alarmer ; 6+6 b
Et, même sur ces vers que je te viens d'écrire, 6+6 a
Je tremble en ce moment de ce que l'on va dire. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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