Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_3/BOI14
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ÉPITRES
1670-1698
ÉPÎTRE I
AU ROI
 Grand Roi, c'est vainementqu'abjurant la satire, 6+6 a
Pour toi seul désormaisj'avais fait vœu d'écrire. 6+6 a
Dès que je prends la plume,Apollon éperdu 6+6 b
Semble me dire : « Arrête,insensé ; que fais-tu ? 6+6 b
5 Sais-tu dans quels périlsaujourd'hui tu t'engages ? 6+6 a
Cette mer tu coursest célèbre en naufrages ! » 6+6 a
 Ce n'est pas qu'aisément,comme un autre, « à ton char » 6+6 b
Je ne pusse attacher «Alexandre et César » ; 6+6 b
Qu'aisément je ne pusse,en quelque ode insipide, 6+6 a
10 T'exalter aux dépenset « de Mars et d'Alcide » ; 6+6 a
Te livrer « le Bosphore », et, d'un vers incivil, 6+6 b
Proposer au sultande te céder « le Nil » ; 6+6 b
Mais, pour te bien louer,une raison sévère 6+6 a
Me dit qu'il faut sortirde la route vulgaire ; 6+6 a
15 Qu'après avoir jouétant d'auteurs différents, 6+6 b
Phébus même aurait peur,s'il entrait sur les rangs, 6+6 b
Que, par des vers tout neufs,avoués du Parnasse, 6+6 a
Il faut de mes dégtsjustifier l'audace ; 6+6 a
Et, si ma Muse enfinn'est égale à mon Roi, 6+6 b
20 Que je prête aux Cotinsdes armes contre moi. 6+6 b
 « Est-ce là cet auteur,l'effroi de la Pucelle, 6+6 a
Qui devait des bons versnous tracer le modèle ; 6+6 a
Ce censeur, diront-ils,qui nous réformait tous ? 6+6 b
Quoi ? ce critique affreuxn'en sait pas plus que nous ! 6+6 b
25 N'avons-nous pas cent fois,en faveur de la France, 6+6 a
Comme lui dans nos verspris « Memphis et Byzance », 6+6 a
Sur les bords de « l'Euphrate »abattu le turban, 6+6 b
Et coupé, pour rimer,« les cèdres du Liban » ? 6+6 b
De quel front aujourd'huivient-il, sur nos brisées, 6+6 a
30 Se revêtir encorde nos phrases usées ? » 6+6 a
 Que répondrais-je alors ?Honteux et rebuté, 6+6 b
J'aurais beau me complaireen ma propre beauté, 6+6 b
Et, de mes tristes versadmirateur unique, 6+6 a
Plaindre, en les relisant,l'ignorance publique : 6+6 a
35 Quelque orgueil en secretdont s'aveugle un auteur, 6+6 b
Il est fâcheux, grand Roi,de se voir sans lecteur ; 6+6 b
Et d'aller du récitde ta gloire immortelle 6+6 a
Habiller chez Francœurle sucre et la cannelle. 6+6 a
Ainsi, craignant toujoursun funeste accident, 6+6 b
40 J'imite de Conrartle silence prudent ; 6+6 b
Je laisse aux plus hardisl'honneur de la carrière ; 6+6 a
Et regarde le champ,assis sur la barrière. 6+6 a
 Malgré moi, toutefois,un mouvement secret 6+6 b
Vient flatter mon esprit,qui se tait à regret. 6+6 b
45 Quoi ! dis-je tout chagrin,dans ma verve infertile, 6+6 a
Des vertus de mon Roispectateur inutile, 6+6 a
Faudra-t-il sur sa gloireattendre à m'exercer 6+6 b
Que ma tremblante voixcommence à se glacer ? 6+6 b
Dans un si beau projet,si ma muse rebelle 6+6 a
50 N'ose le suivre aux champsde Lille et de Bruxelle, 6+6 a
Sans le chercher au nordde l'Escaut et du Rhin, 6+6 b
La paix l'offre à mes yeuxplus calme et plus serein. 6+6 b
Oui, grand Roi, laissons làles sièges, les batailles ; 6+6 a
Qu'un autre aille en rimantrenverser des murailles ; 6+6 a
55 Et souvent, sur tes pasmarchant sans ton aveu, 6+6 b
S'aille couvrir de sang,de poussière et de feu. 6+6 b
A quoi bon, d'une Museau carnage animée, 6+6 a
Échauffer ta valeur,déjà trop allumée ? 6+6 a
Jouissons à loisirdu fruit de tes bienfaits, 6+6 b
60 Et ne nous lassons pointdes douceurs de la paix. 6+6 b
 « Pourquoi ces éléphants,ces armes, ce bagage, 6+6 a
Et ces vaisseaux tout prêtsà quitter le rivage ? 6+6 a
Disait au roi Pyrrhusun sage confident, 6+6 b
Conseiller très senséd'un roi très imprudent. 6+6 b
65 — Je vais, lui dit ce prince,à Rome l'on m'appelle. 6+6 a
— Quoi faire ? — L'assiéger.— L'entreprise est fort belle 6+6 a
Et digne seulementd'Alexandre ou de vous : 6+6 b
Mais, Rome prise enfin,Seigneur, courons-nous ? 6+6 b
— Du reste des Latinsla conquête est facile. 6+6 a
70 — Sans doute, on les peut vaincre :est-ce tout ? — La Sicile 6+6 a
De là nous tend les bras ;et bientôt, sans effort, 6+6 b
Syracuse reçoitnos vaisseaux dans son port. 6+6 b
— Bornez-vous là vos pas ?— Dès que nous l'aurons prise, 6+6 a
Il ne faut qu'un bon vent,et Carthage est conquise. 6+6 a
75 Les chemins sont ouverts :qui peut nous arrêter ? 6+6 b
— Je vous entends, Seigneur,nous allons tout dompter : 6+6 b
Nous allons traverserles sables de Libye ; 6+6 a
Asservir en passantl'Égypte, l'Arabie ; 6+6 a
Courir delà le Gangeen de nouveaux pays ; 6+6 b
80 Faire trembler le Scytheaux bords du Tanaïs ; 6+6 b
Et ranger sous nos loistout ce vaste hémisphère ; 6+6 a
Mais, de retour enfin,que prétendez-vous faire ? 6+6 a
Alors, cher Cinéas,victorieux, contents, 6+6 b
Nous pourrons rire à l'aise,et prendre du bon temps. 6+6 b
85 Eh ! Seigneur, dès ce jour,sans sortir de l'Épire, 6+6 a
Du matin jusqu'au soirqui vous défend de rire ? » 6+6 a
 Le conseil était sageet facile à goûter : 6+6 b
Pyrrhus vivait heureuxs'il t pu l'écouter ; 6+6 b
Mais, à l'ambitiond'opposer la prudence, 6+6 a
90 C'est aux prélats de courprêcher la résidence. 6+6 a
 Ce n'est pas que mon cœur,du travail ennemi, 6+6 b
Approuve un fainéantsur le trône endormi ; 6+6 b
Mais, quelques vains lauriersque promette la guerre, 6+6 a
On peut être hérossans ravager la terre. 6+6 a
95 Il est plus d'une gloire.En vain, aux conquérants, 6+6 b
L'erreur, parmi les rois,donne les premiers rangs, 6+6 b
Entre les grands hérosce sont les plus vulgaires : 6+6 a
Chaque siècle est féconden heureux téméraires ; 6+6 a
Chaque climat produitdes favoris de Mars ; 6+6 b
100 La Seine a des Bourbons,le Tibre a des Césars ; 6+6 b
On a vu mille foisdes fanges Méotides 6+6 a
Sortir des conquérantsgoths, vandales, gépides. 6+6 a
Mais, un roi vraiment roi,qui, sage en ses projets, 6+6 b
Sache en un calme heureuxmaintenir ses sujets ; 6+6 b
105 Qui du bonheur publicait cimenté sa gloire ; 6+6 a
Il faut, pour le trouver,courir toute l'histoire. 6+6 a
La terre compte peude ces rois bienfaisants. 6+6 b
Le ciel à les formerse prépare longtemps. 6+6 b
Tel fut cet empereur,sous qui Rome adorée 6+6 a
110 Vit rentre les joursde Saturne et de Rhée ; 6+6 a
Qui rendit de son jougl'univers amoureux ; 6+6 b
Qu'on n'alla jamais voirsans revenir heureux ; 6+6 b
Qui soupirait le soir,si sa main fortunée 6+6 a
N'avait par ses bienfaitssignalé la journée. 6+6 a
115 Le cours ne fut pas longd'un empire si doux 6+6 b
 Mais, cherché-je ailleursce qu'on trouve chez nous ? 6+6 b
Grand Roi, sans recouriraux histoires antiques, 6+6 a
Ne t'avons-nous pas vudans les plaines Belgiques, 6+6 a
Quand l'ennemi vaincu,désertant ses remparts, 6+6 b
120 Au-devant de ton jougcourait de toutes parts, 6+6 b
Toi-même te borner,au fort de ta victoire, 6+6 a
Et chercher dans la paixune plus juste gloire ? 6+6 a
Ce sont là les exploitsque tu dois avouer ; 6+6 b
Et c'est par là, grand Roi,que je te veux louer. 6+6 b
125 Assez d'autres, sans moi,d'un style moins timide, 6+6 a
Suivront au champ de Marston courage rapide ; 6+6 a
Iront de ta valeureffrayer l'univers ; 6+6 b
Et camper devant Dôleau milieu des hivers. 6+6 b
Pour moi, loin des combats,sur un ton moins terrible, 6+6 a
130 Je dirai les exploitsde ton règne paisible : 6+6 a
Je peindrai les plaisirsen foule renaissants ; 6+6 b
Les oppresseurs du peupleà leur tour gémissants ; 6+6 b
On verra par quels soinsta sage prévoyance 6+6 a
Au fort de la famineentretint l'abondance ; 6+6 a
135 On verra les abuspar ta main réformés ; 6+6 b
La licence et l'orgueilen tous lieux réprimés ; 6+6 b
Du débris des traitantston épargne grossie ; 6+6 a
Des subsides affreuxla rigueur adoucie ; 6+6 a
Le soldat, dans la paix,sage et laborieux ; 6+6 b
140 Nos artisans grossiersrendus industrieux ; 6+6 b
Et nos voisins frustrésde ces tributs serviles 6+6 a
Que payait à leur artle luxe de nos villes. 6+6 a
Tantôt, je traceraites pompeux bâtiments, 6+6 b
Du loisir d'un hérosnobles amusements. 6+6 b
145 J'entends déjà frémirles deux mers étonnées 6+6 a
De voir leurs flots unisau pied des Pyrénées. 6+6 a
Déjà, de tous côtés,la chicane aux abois 6+6 b
S'enfuit au seul aspectde tes nouvelles lois. 6+6 b
Oh ! que ta main par làva sauver de pupilles ! 6+6 a
150 Que de savants plaideursdésormais inutiles ! 6+6 a
Qui ne sent point l'effetde tes soins généreux ? 6+6 b
L'univers, sous ton règne,a-t-il des malheureux ? 6+6 b
Est-il quelque vertu,dans les glaces de l'Ourse, 6+6 a
Ni dans ces lieux brûlés le jour prend sa source, 6+6 a
155 Dont la triste indigenceose encore approcher, 6+6 b
Et qu'en foule tes donsd'abord n'aillent chercher ? 6+6 b
C'est par toi qu'on va voirles Muses enrichies, 6+6 a
De leur longue disetteà jamais affranchies. 6+6 a
Grand Roi, poursuis toujours,assure leur repos : 6+6 b
160 Sans elles un hérosn'est pas longtemps héros ; 6+6 b
Bientôt, quoi qu'il ait fait,la mort, d'une ombre noire, 6+6 a
Enveloppe avec luison nom et son histoire. 6+6 a
En vain, pour s'exempterde l'oubli du cercueil, 6+6 b
Achille mit vingt foistout Ilion en deuil ; 6+6 b
165 En vain, malgré les vents,aux bords de l'Hespérie, 6+6 a
Énée enfin portases dieux et sa patrie ; 6+6 a
Sans le secours des vers,leurs noms tant publiés 6+6 b
Seraient depuis mille ansavec eux oubliés. 6+6 b
Non, à quelques hauts faitsque ton destin t'appelle, 6+6 a
170 Sans le secours soigneuxd'une Muse fidèle 6+6 a
Pour t'immortalisertu fais de vains efforts. 6+6 b
Apollon te la doit :ouvre-lui tes trésors ; 6+6 b
En poètes fameuxrends nos climats fertiles ; 6+6 a
Un Auguste aisémentpeut faire des Virgiles : 6+6 a
175 Que d'illustres témoinsde ta vaste bonté 6+6 b
Vont pour toi déposerà la postérité ! 6+6 b
 Pour moi, qui, sur ton nomdéjà brûlant d'écrire, 6+6 a
Sens au bout de ma plumeexpirer la satire, 6+6 a
Je n'ose de mes versvanter ici le prix. 6+6 b
180 Toutefois, si quelqu'unde mes faibles écrits 6+6 b
Des ans injurieuxpeut éviter l'outrage, 6+6 a
Peut-être pour ta gloireaura-t-il son usage ; 6+6 a
Et, comme tes exploits,étonnant les lecteurs, 6+6 b
Seront à peine crussur la foi des auteurs, 6+6 b
185 Si quelque esprit malinles veut traiter de fables, 6+6 a
On dira quelque jourpour les rendre croyables : 6+6 a
Boileau, qui, dans ses verspleins de sincérité, 6+6 b
Jadis à tout son sièclea dit la vérité, 6+6 b
Qui mit, à tout blâmer,son étude et sa gloire, 6+6 a
190 A pourtant de ce roiparlé comme l'histoire. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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