Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BOI_2/BOI9
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
SATIRES
1666-1716
SATIRE VIII
A M. M..., DOCTEUR DE SORBONNE
De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air, 6+6 a
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer, 6+6 a
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome, 6+6 b
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme. 6+6 b
5 « Quoi ? dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi, 6+6 a
Un insecte rampant qui ne vit qu'à demi, 6+6 a
Un taureau qui rumine, une chèvre qui broute, 6+6 b
Ont l'esprit mieux tourné que n'a l'homme ? » — Oui, sans doute. 6+6 b
Ce discours te surprend, Docteur, je l'aperçoi. 6+6 a
10 « L'homme, de la nature est le chef et le roi, 6+6 a
Bois, prés, champs, animaux, tout est pour son usage ; 6+6 b
Et lui seul a, dis-tu, la raison en partage. » 6+6 b
Il est vrai : de tout temps la raison fut son lot ; 6+6 a
Mais, de là, je conclus que l'homme est le plus sot. 6+6 a
15 « Ces propos, diras-tu, sont bons dans la satire, 6+6 b
Pour égayer d'abord un lecteur qui veut rire, 6+6 b
Mais il faut les prouver. » — En forme ? J'y consens. 6+6 a
Réponds-moi donc, Docteur, et mets-toi sur les bancs. 6+6 a
Qu'est-ce que la sagesse ? une égalité d'âme 6+6 b
20 Que rien ne peut troubler, qu'aucun désir n'enflamme, 6+6 b
Qui marche en ses conseils à pas plus mesurés 6+6 a
Qu'un doyen au Palais ne monte les degrés. 6+6 a
Or, cette égalité, dont se forme le sage, 6+6 b
Qui jamais, moins que l'homme, en a connu l'usage ? 6+6 b
25 La fourmi, tous les ans, traversant les guérets, 6+6 a
Grossit ses magasins des trésors de Cérès, 6+6 a
Et, dès que l'Aquilon, ramenant la froidure, 6+6 b
Vient de ses noirs frimas attrister la nature, 6+6 b
Cet animal, tapi dans son obscurité, 6+6 a
30 Jouit l'hiver des biens conquis durant l'été. 6+6 a
Mais, on ne la voit point, d'une humeur inconstante, 6+6 b
Paresseuse au printemps, en hiver diligente, 6+6 b
Affronter en plein champ les fureurs de janvier, 6+6 a
Ou demeurer oisive au retour du Bélier. 6+6 a
35 Mais l'homme, sans arrêt dans sa course insene, 6+6 b
Voltige incessamment de pensée en pene ; 6+6 b
Son cœur, toujours flottant entre mille embarras, 6+6 a
Ne sait ni ce qu'il veut ni ce qu'il ne veut pas ; 6+6 a
Ce qu'un jour il abhorre, en l'autre il le souhaite. 6+6 b
40 « Moi ! j'irais épouser une femme coquette ! 6+6 b
J'irais, par ma constance aux affronts endurci, 6+6 a
Me mettre au rang des saints qu'a célébrés Bussi ! 6+6 a
Assez de sots sans moi feront parler la ville, » 6+6 b
Disait le mois passé ce marquis indocile, 6+6 b
45 Qui depuis quinze jours dans le piège arrêté, 6+6 a
Entre les bons maris pour exemple cité, 6+6 a
Croit que Dieu, tout exprès, d'une côte nouvelle 6+6 b
A tiré pour lui seul une femme fidèle. 6+6 b
Voilà l'homme, en effet : il va du blanc au noir ; 6+6 a
50 Il condamne au matin ses sentiments du soir ; 6+6 a
Importun à tout autre, à soi-même incommode, 6+6 b
Il change à tous moments d'esprit comme de mode ; 6+6 b
Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc, 6+6 a
Aujourd'hui dans un casque, et demain dans un froc. 6+6 a
55 Cependant, à le voir, plein de vapeurs légères, 6+6 b
Soi-même se bercer de ses propres chimères, 6+6 b
Lui seul, de la nature est la base et l'appui, 6+6 a
Et le dixième ciel ne tourne que pour lui ! 6+6 a
De tous les animaux, il est, dit-il, le maître. 6+6 b
60 « Qui pourrait le nier ? » poursuis-tu. — Moi, peut-être. 6+6 b
Mais, sans examiner si vers les antres sourds, 6+6 a
L'ours a peur du passant, ou le passant de l'ours ; 6+6 a
Et si, sur un édit des pâtres de Nubie, 6+6 b
Les lions de Barca videraient la Libye ; 6+6 b
65 Ce maître prétendu qui leur donne des lois, 6+6 a
Ce roi des animaux, combien a-t-il de rois ? 6+6 a
L'Ambition, l'Amour, l'Avarice, la Haine, 6+6 b
Tiennent comme un forçat son esprit à la chaîne. 6+6 b
Le sommeil sur ses yeux commence à s'épancher : 6+6 a
70 « Debout, dit l'Avarice, il est temps de marcher. 6+6 a
— Hé ! laissez-moi. — Debout !Un moment. — Tu répliques ? 6+6 b
— A peine le soleil fait ouvrir les boutiques. 6+6 b
— N'importe, lève-toi. — Pour quoi faire après tout ? 6+6 a
— Pour courir l'Océan de l'un à l'autre bout, 6+6 a
75 Chercher jusqu'au Japon la porcelaine et l'ambre, 6+6 b
Rapporter de Goa le poivre et le gingembre. 6+6 b
— Mais j'ai des biens en foule, et je puis m'en passer. 6+6 a
On n'en peut trop avoir ; et pour en amasser 6+6 a
Il ne faut épargner ni crime ni parjure ; 6+6 b
80 Il faut souffrir la faim, et coucher sur la dure, 6+6 b
t-on plus de trésors que n'en perdit Galet ; 6+6 a
N'avoir en sa maison ni meubles ni valet ; 6+6 a
Parmi les tas de blé vivre de seigle et d'orge ; 6+6 b
De peur de perdre un liard souffrir qu'on vous égorge 6+6 b
85 — Et pourquoi cette épargne enfin ? — L'ignores-tu ? 6+6 a
Afin qu'un héritier, bien nourri, bien vêtu, 6+6 a
Profitant d'un trésor en tes mains inutile, 6+6 b
De son train quelque jour embarrasse la ville. » 6+6 b
Que faire ? il faut partir ! Les matelots sont prêts. 6+6 a
90 Ou, si pour l'entrner l'argent manque d'attraits, 6+6 a
Bientôt l'Ambition et toute son escorte 6+6 b
Dans le sein du repos vient le prendre à main forte, 6+6 b
L'envoie en furieux, au milieu des hasards, 6+6 a
Se faire estropier sur les pas des Césars, 6+6 a
95 Et, cherchant sur la brèche une mort indiscrète, 6+6 b
De sa folle valeur embellir la gazette. 6+6 b
« Tout beau, dira quelqu'un, raillez plus à propos, 6+6 a
Ce vice, fut toujours la vertu des héros. 6+6 a
Quoi donc ! à votre avis, fut-ce un fou qu'Alexandre ? » 6+6 b
100 — Qui ? cet écervelé, qui mit l'Asie en cendre ? 6+6 b
Ce fougueux l'Angéli, qui, de sang altéré, 6+6 a
Maître du monde entier, s'y trouvait trop serré ! 6+6 a
L'enragé qu'il était, né roi d'une province 6+6 b
Qu'il pouvait gouverner en bon et sage prince, 6+6 b
105 S'en alla follement, et pensant être Dieu, 6+6 a
Courir comme un bandit qui n'a ni feu ni lieu ; 6+6 a
Et, trnant avec soi les horreurs de la guerre, 6+6 b
De sa vaste folie emplir toute la terre ; 6+6 b
Heureux si, de son temps, pour cent bonnes raisons, 6+6 a
110 La Macédoine eût eu des Petites-Maisons, 6+6 a
Et qu'un sage tuteur l'eût en cette demeure, 6+6 b
Par avis de parents, enfermé de bonne heure ! 6+6 b
Mais, sans nous égarer dans ces digressions, 6+6 a
Traiter, comme Senaut, toutes les passions, 6+6 a
115 Et, les distribuant par classes et par titres, 6+6 b
Dogmatiser en vers, et rimer par chapitres, 6+6 b
Laissons-en discourir La Chambre et Coeffeteau, 6+6 a
Et voyons l'homme enfin par l'endroit le plus beau. 6+6 a
« Lui seul, vivant, dit-on, dans l'enceinte des villes, 6+6 b
120 Fait voir d'honnêtes mœurs, des coutumes civiles, 6+6 b
Se fait des gouverneurs, des magistrats, des rois, 6+6 a
Observe une police, obéit à des lois. » 6+6 a
Il est vrai. Mais, pourtant, sans lois et sans police, 6+6 b
Sans craindre archers, prévôt, ni suppôt de justice, 6+6 b
125 Voit-on les loups brigands, comme nous inhumains, 6+6 a
Pour détrousser les loups courir les grands chemins ? 6+6 a
Jamais, pour s'agrandir, vit-on dans sa manie 6+6 b
Un tigre, en factions partager l'Hyrcanie ? 6+6 b
L'ours a-t-il dans les bois la guerre avec les ours ? 6+6 a
130 Le vautour dans les airs fond-il sur les vautours ? 6+6 a
A-t-on vu quelquefois dans les plaines d'Afrique, 6+6 b
Déchirant à l'envi leur propre république, 6+6 b
« Lions contre lions, parents contre parents, 6+6 a
Combattre follement pour le choix des tyrans ? » 6+6 a
135 L'animal le plus fier qu'enfante la nature 6+6 b
Dans un autre animal respecte sa figure, 6+6 b
De sa rage avec lui modère les accès, 6+6 a
Vit sans bruit, sans débats, sans noise, sans procès. 6+6 a
Un aigle, sur un champ prétendant droit d'aubaine, 6+6 b
140 Ne fait point appeler un aigle à la huitaine ; 6+6 b
Jamais, contre un renard chicanant un poulet 6+6 a
Un renard de son sac n'alla charger Rolet ; 6+6 a
Jamais la biche en rut n'a, pour fait d'impuissance, 6+6 b
Trné du fond des bois un cerf à l'audience ; 6+6 b
145 Et jamais juge, entre eux ordonnant le congrès, 6+6 a
De ce burlesque mot n'a sali ses arrêts. 6+6 a
On ne connaît chez eux ni placets, ni requêtes, 6+6 b
Ni haut ni bas conseil, ni chambre des enquêtes ; 6+6 b
Chacun l'un avec l'autre en toute sûre 6+6 a
150 Vit sous les pures lois de la simple équité. 6+6 a
L'homme seul, l'homme seul, en sa fureur extrême, 6+6 b
Met un brutal honneur à s'égorger soi-même. 6+6 b
C'était peu que sa main, conduite par l'enfer, 6+6 a
Eût pétri le salpêtre, eût aiguisé le fer ; 6+6 a
155 Il fallait que sa rage, à l'univers funeste, 6+6 b
Allât encor de lois embrouiller le Digeste, 6+6 b
Cherchât pour l'obscurcir des gloses, des docteurs, 6+6 a
Accablât l'équi sous des monceaux d'auteurs ; 6+6 a
Et, pour comble de maux, apportât dans la France 6+6 b
160 Des harangueurs du temps l'ennuyeuse éloquence. 6+6 b
« Doucement ! diras-tu, que sert de s'emporter ? 6+6 a
L'homme a ses passions, on n'en saurait douter ; 6+6 a
Il a, comme la mer, ses flots et ses caprices ; 6+6 b
Mais, ses moindres vertus balancent tous ses vices. 6+6 b
165 N'est-ce pas l'homme, enfin, dont l'art audacieux 6+6 a
Dans le tour d'un compas a mesuré les cieux ? 6+6 a
Dont la vaste science, embrassant toutes choses, 6+6 b
A fouillé la nature, en a percé les causes ? 6+6 b
Les animaux ont-ils des Universités ? 6+6 a
170 Voit-on fleurir chez eux des quatre facultés ? 6+6 a
Y voit-on des savants en droit, en médecine, 6+6 b
Endosser l'écarlate et se fourrer d'hermine ? » 6+6 b
— Non, sans doute, et jamais chez eux un médecin 6+6 a
N'empoisonna les bois de son art assassin ; 6+6 a
175 Jamais docteur armé d'un argument frivole 6+6 b
Ne s'enroua chez eux sur les bancs d'une école ; 6+6 b
Mais, sans chercher au fond si notre esprit déçu 6+6 a
Sait rien de ce qu'il sait, s'il a jamais rien su, 6+6 a
Toi-même réponds-moi : dans le siècle où nous sommes, 6+6 b
180 Est-ce au pied du savoir qu'on mesure les hommes ? 6+6 b
« Yeux-tu voir tous les grands à ta porte courir ? 6+6 a
Dit un père à son fils dont le poil va fleurir ; 6+6 a
Prends-moi le bon parti : laisse là tous les livres. 6+6 b
Cent francs au denier cinq combien font-ils ? — Vingt livres. 6+6 b
185 — C'est bien dit. Va, tu sais tout ce qu'il faut savoir. 6+6 a
Que de biens, que d'honneurs sur toi s'en vont pleuvoir ! 6+6 a
Exerce-toi, mon fils, dans ces hautes sciences ; 6+6 b
Prends, au lieu d'un Platon, le Guidon des finances ; 6+6 b
Sache quelle province enrichit les traitants ; 6+6 a
190 Combien le sel au roi peut fournir tous les ans ; 6+6 a
Endurcis-toi le cœur, sois arabe, corsaire, 6+6 b
Injuste, violent, sans foi, double, faussaire ; 6+6 b
Ne va point sottement faire le généreux ! 6+6 a
Engraisse-toi, mon fils, du suc des malheureux ; 6+6 a
195 Et, trompant de Colbert la prudence importune, 6+6 b
Va par tes cruautés mériter la fortune. 6+6 b
Aussitôt tu verras poètes, orateurs, 6+6 a
Rhéteurs, grammairiens, astronomes, docteurs, 6+6 a
Dégrader les héros pour te mettre en leurs places ; 6+6 b
200 De tes titres pompeux enfler leurs dédicaces ; 6+6 b
Te prouver à toi-même, en grec, hébreu, latin, 6+6 a
Que tu sais de leur art et le fort et le fin. 6+6 a
Quiconque est riche est tout : sans sagesse il est sage ; 6+6 b
Il a, sans rien savoir, la science en partage ; 6+6 b
205 Il a l'esprit, le cœur, le mérite, le rang, 6+6 a
La vertu, la valeur, la dignité, le sang ; 6+6 a
Il est aimé des grands, il est chéri des belles, 6+6 b
Jamais surintendant ne trouva de cruelles ; 6+6 b
L'or, même à la laideur, donne un teint de beauté, 6+6 a
210 Mais tout devient affreux avec la pauvreté. » 6+6 a
C'est ainsi qu'à son fils un usurier habile 6+6 b
Trace vers la richesse une route facile, 6+6 b
Et souvent tel y vient, qui sait, pour tout secret : 6+6 a
Cinq et quatre font neuf, ôtez deux, reste sept. 6+6 a
215 Après cela, Docteur, va pâlir sur la Bible ; 6+6 b
Va marquer les écueils de cette mer terrible, 6+6 b
Perce la sainte horreur de ce livre divin, 6+6 a
Confonds dans un ouvrage et Luther et Calvin ; 6+6 a
Débrouille des vieux temps les querelles célèbres ; 6+6 b
220 Éclaircis des rabbins les savantes ténèbres, 6+6 b
Afin qu'en ta vieillesse un livre en maroquin 6+6 a
Aille offrir ton travail à quelque heureux faquin, 6+6 a
Qui, pour digne loyer de la Bible éclaircie, 6+6 b
Te paye en l'acceptant d'un « Je vous remercie ». 6+6 b
225 Ou, si ton cœur aspire à des honneurs plus grands, 6+6 a
Quitte là le bonnet, la Sorbonne et les bancs, 6+6 a
Et, prenant désormais un emploi salutaire, 6+6 b
Mets-toi chez un banquier ou bien chez un notaire ; 6+6 b
Laisse là saint Thomas s'accorder avec Scot ; 6+6 a
230 Et conclus avec moi qu'un docteur n'est qu'un sot. 6+6 a
« Un docteur ! diras-tu. Parlez de vous, poète ! 6+6 b
C'est pousser un peu loin votre Muse indiscrète. 6+6 b
Mais, sans perdre en discours le temps hors de saison, 6+6 a
L'homme, venez au fait, n'a-t-il pas la raison ? 6+6 a
235 N'est-ce pas son flambeau, son pilote fidèle ? » 6+6 b
— Oui. Mais, de quoi lui sert que sa voix le rappelle, 6+6 b
Si, sur la foi des vents, tout prêt à s'embarquer, 6+6 a
Il ne voit point d'écueil qu'il ne l'aille choquer ? 6+6 a
Et que sert à Cotin la raison qui lui crie : 6+6 b
240 « N'écris plus, guéris-toi d'une vaine furie ! » 6+6 b
Si, tous ces vains conseils, loin de la réprimer, 6+6 a
Ne font qu'accroître en lui la fureur de rimer ? 6+6 a
Tous les jours, de ses vers, qu'à grand bruit il récite, 6+6 b
Il met chez lui voisins, parents, amis en fuite, 6+6 b
245 Car, lorsque son démon commence à l'agiter, 6+6 a
Tout, jusqu'à sa servante, est prêt à déserter. 6+6 a
Un âne, pour le moins, instruit par la nature, 6+6 b
A l'instinct qui le guide obéit sans murmure, 6+6 b
Ne va point follement de sa bizarre voix 6+6 a
250 Défier aux chansons les oiseaux dans les bois : 6+6 a
Sans avoir la raison, il marche sur sa route. 6+6 b
L'homme seul, qu'elle éclaire, en plein jour ne voit goutte, 6+6 b
Réglé par ses avis, fait tout à contretemps, 6+6 a
Et dans tout ce qu'il fait n'a ni raison ni sens. 6+6 a
255 Tout lui plaît et déplaît, tout le choque et l'oblige ; 6+6 b
Sans raison il est gai, sans raison il s'afflige ; 6+6 b
Son esprit au hasard aime, évite, poursuit, 6+6 a
Défait, refait, augmente, ôte, élève, détruit. 6+6 a
Eh ! voit-on, comme lui, les ours ni les panthères 6+6 b
260 S'effrayer sottement de leurs propres chimères, 6+6 b
Plus de douze attroupés craindre le nombre impair, 6+6 a
Ou croire qu'un corbeau les menace dans l'air ? 6+6 a
Jamais l'homme, dis-moi, vit-il la bête folle 6+6 b
Sacrifier à l'homme, adorer son idole, 6+6 b
265 Lui venir, comme au Dieu des saisons et des vents, 6+6 a
Demander à genoux la pluie ou le beau temps ? 6+6 a
Non ; mais, cent fois, la bête a vu l'homme hypocondre 6+6 b
Adorer le métal que lui-même il fit fondre ; 6+6 b
A vu dans un pays les timides mortels 6+6 a
270 Trembler aux pieds d'un singe assis sur leurs autels ; 6+6 a
Et sur les bords du Nil les peuples imbéciles, 6+6 b
L'encensoir à la main, chercher des crocodiles. 6+6 b
« Mais pourquoi, diras-tu, cet exemple odieux ? 6+6 a
Que peut servir ici l'Égypte et ses faux Dieux ? 6+6 a
275 Quoi ! me prouverez-vous par ce discours profane 6+6 b
Que l'homme, qu'un docteur, est au-dessous d'un âne ! 6+6 b
Un âne ! le jouet de tous les animaux, 6+6 a
Un stupide animal, sujet à mille maux, 6+6 a
Dont le nom seul en soi comprend une satire ! » 6+6 b
280 — Oui, d'un âne : et qu'a-t-il, qui nous excite à rire ? 6+6 b
Nous nous moquons de lui : mais, s'il pouvait, un jour, 6+6 a
Docteur, sur nos défauts s'exprimer à son tour ; 6+6 a
Si, pour nous réformer, le ciel prudent et sage 6+6 b
De la parole enfin lui permettait l'usage ; 6+6 b
285 Qu'il pût dire tout haut ce qu'il se dit tout bas ; 6+6 a
Ah ! Docteur, entre nous, que ne dirait-il pas ? 6+6 a
Et que peut-il penser lorsque dans une rue, 6+6 b
Au milieu de Paris, il promène sa vue : 6+6 b
Qu'il voit de toutes parts les hommes bigarrés, 6+6 a
290 Les uns gris, les uns noirs, les autres chamarrés ? 6+6 a
Que dit-il, quand il voit, avec la mort en trousse, 6+6 b
Courir chez un malade un assassin en housse ; 6+6 b
Qu'il trouve de pédants un escadron fourré, 6+6 a
Suivi par un recteur de bedeaux entouré ; 6+6 a
295 Ou qu'il voit la Justice, en grosse compagnie, 6+6 b
Mener tuer un homme avec cérémonie ? 6+6 b
Que pense-t-il de nous lorsque, sur le midi, 6+6 a
Un hasard au Palais le conduit un jeudi, 6+6 a
Lorsqu'il entend de loin, d'une gueule infernale, 6+6 b
300 La chicane en fureur mugir dans la grand'salle ? 6+6 b
Que dit-il, quand il voit les juges, les huissiers, 6+6 a
Les clercs, les procureurs, les sergents, les gremers ? 6+6 a
Oh ! que si l'âne alors, à bon droit misanthrope, 6+6 b
Pouvait trouver la voix qu'il eut au temps d'Ésope ! 6+6 b
305 De tous côtés, Docteur, voyant les hommes fous, 6+6 a
Qu'il dirait de bon cœur, sans en être jaloux, 6+6 a
Content de ses chardons, et secouant la tête : 6+6 b
« Ma foi, non plus que nous, l'homme n'est qu'une bête ! » 6+6 b
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