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| = césure
BOI_2/BOI8
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
SATIRES
1666-1716
SATIRE VII
Muse, changeons de style, et quittons la satire : 6+6 a
C'est un méchant métier que celui de médire, 6+6 a
A l'auteur qui l'embrasse il est toujours fatal, 6+6 b
Le mal qu'on dit d'autrui ne produit que du mal ; 6+6 b
5 Maint poète, aveuglé d'une telle manie, 6+6 a
En courant à l'honneur, trouve l'ignominie ; 6+6 a
Et tel mot, pour avoir réjoui le lecteur, 6+6 b
A cté bien souvent des larmes à l'auteur. 6+6 b
Un éloge ennuyeux, un froid panégyrique, 6+6 a
10 Peut pourrir à son aise au fond d'une boutique, 6+6 a
Ne craint point du public les jugements divers, 6+6 b
Et n'a pour ennemis que la poudre et les vers : 6+6 b
Mais, un auteur malin, qui rit et qui fait rire, 6+6 a
Qu'on blâme en le lisant, et pourtant qu'on veut lire, 6+6 a
15 Dans ses plaisants accès qui se croit tout permis, 6+6 b
De ses propres rieurs se fait des ennemis. 6+6 b
Un discours trop sincère aisément nous outrage : 6+6 a
Chacun dans ce miroir pense voir son visage, 6+6 a
Et tel, en vous lisant, admire chaque trait, 6+6 b
20 Qui, dans le fond de l'âme, et vous craint et vous hait. 6+6 b
Muse, c'est donc en vain que la main vous démange, 6+6 a
S'il faut rimer ici, rimons quelque louange, 6+6 a
Et cherchons un héros, parmi cet univers, 6+6 b
Digne de notre encens et digne de nos vers. 6+6 b
25 Mais, à ce grand effort en vain je vous anime, 6+6 a
Je ne puis pour louer rencontrer une rime. 6+6 a
Dès que j'y veux rêver, ma veine est aux abois. 6+6 b
J'ai beau frotter mon front, j'ai beau mordre mes doigts, 6+6 b
Je ne puis arracher du creux de ma cervelle 6+6 a
30 Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle ; 6+6 a
Je pense être à la gêne ; et, pour un tel dessein, 6+6 b
La plume et le papier résistent à ma main. 6+6 b
Mais, quand il faut railler, j'ai ce que je souhaite. 6+6 a
Alors, certes, alors je me connais poète, 6+6 a
35 Phébus, dès que je parle, est prêt à m'exaucer, 6+6 b
Mes mots viennent sans peine, et courent se placer. 6+6 b
Faut-il peindre un fripon fameux dans cette ville ? 6+6 a
Ma main, sans que j'y rêve, écrira Raumaville. 6+6 a
Faut-il d'un sot parfait montrer l'original ? 6+6 b
40 Ma plume au bout du vers d'abord trouve Sofal. 6+6 b
Je sens que mon esprit travaille de génie. 6+6 a
Faut-il d'un froid rimeur dépeindre la manie ? 6+6 a
Mes vers, comme un torrent, coulent sur le papier : 6+6 b
Je rencontre à la fois Perrin et Pelletier, 6+6 b
45 Bonnecorse, Pradon, Colletet, Titreville ; 6+6 a
Et, pour un que je veux, j'en trouve plus de mille. 6+6 a
Aussitôt je triomphe ; et ma Muse en secret 6+6 b
S'estime et s'applaudit du beau coup qu'elle a fait. 6+6 b
C'est en vain qu'au milieu de ma fureur extrême 6+6 a
50 Je me fais quelquefois des leçons à moi-même ; 6+6 a
En vain je veux au moins faire grâce à quelqu'un ; 6+6 b
Ma plume aurait regret d'en épargner aucun, 6+6 b
Et, sitôt qu'une fois la verve me domine, 6+6 a
Tout ce qui s'offre à moi passe par l'étamine. 6+6 a
55 Le mérite pourtant m'est toujours précieux. 6+6 b
Mais, tout fat me déplaît, et me blesse les yeux, 6+6 b
Je le poursuis partout, comme un chien fait sa proie, 6+6 a
Et ne le sens jamais qu'aussitôt je n'aboie. 6+6 a
Enfin, sans perdre temps en de si vains propos, 6+6 b
60 Je sais coudre une rime au bout de quelques mots. 6+6 b
Souvent j'habille en vers une maligne prose : 6+6 a
C'est par là que je vaux, si je vaux quelque chose. 6+6 a
Ainsi, soit que bientôt, par une dure loi, 6+6 b
La mort, d'un vol affreux, vienne fondre sur moi, 6+6 b
65 Soit que le ciel me garde un cours long et tranquille, 6+6 a
A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la ville, 6+6 a
Dût ma Muse par là choquer tout l'univers, 6+6 b
Riche, gueux, triste, ou gai, je veux faire des vers. 6+6 b
« Pauvre esprit, dira-t-on, que je plains ta folie ! 6+6 a
70 Modère ces bouillons de ta mélancolie, 6+6 a
Et garde, qu'un de ceux que tu penses blâmer 6+6 b
N'éteigne dans ton sang cette ardeur de rimer. » 6+6 b
Eh quoi ! lorsqu'autrefois Horace, après Lucile, 6+6 a
Exhalait en bons mots les vapeurs de sa bile, 6+6 a
75 Et, vengeant la vertu par des traits éclatants, 6+6 b
Allait ôter le masque aux vices de son temps ; 6+6 b
Ou bien, quand Juvénal, de sa mordante plume 6+6 a
Faisant couler des flots de fiel et d'amertume, 6+6 a
Gourmandait en courroux tout le peuple latin, 6+6 b
80 L'un ou l'autre fit-il une tragique fin ? 6+6 b
Et que craindre, après tout, d'une fureur si vaine ? 6+6 a
Personne ne connaît ni mon nom ni ma veine ; 6+6 a
On ne voit point mes vers, à l'envi de Montreuil, 6+6 b
Grossir impunément les feuillets d'un recueil ; 6+6 b
85 A peine, quelquefois, je me force à les lire, 6+6 a
Pour plaire à quelque ami que charme la satire, 6+6 a
Qui me flatte peut-être, et, d'un air imposteur, 6+6 b
Rit tout haut de l'ouvrage, et tout bas de l'auteur. 6+6 b
Enfin c'est mon plaisir, je veux me satisfaire. 6+6 a
90 Je ne puis bien parler, et ne saurais me taire, 6+6 a
Et, dès qu'un mot plaisant vient luire à mon esprit, 6+6 b
Je n'ai point de repos qu'il ne soit en écrit. 6+6 b
Je ne résiste point au torrent qui m'entraîne 6+6 a
Mais, c'est assez parlé, prenons un peu d'haleine ; 6+6 a
95 Ma main, pour cette fois, commence à se lasser ; 6+6 b
Finissons. Mais, demain, Muse, à recommencer. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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