Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_2/BOI6
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
SATIRES
1666-1716
SATIRE V
A M. LE MARQUIS DE DANGEAU.
La noblesse, Dangeau, n'est pas une chimère, 6+6 a
Quand, sous l'étroite loi d'une vertu sévère, 6+6 a
Un homme issu d'un sang fécond en demi-dieux 6+6 b
Suit, comme toi, la trace où marchaient ses aïeux. 6+6 b
5 Mais, je ne puis souffrir qu'un fat, dont la mollesse 6+6 a
N'a rien pour s'appuyer qu'une vaine noblesse, 6+6 a
Se pare insolemment du mérite d'autrui, 6+6 b
Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui. 6+6 b
Je veux, que la valeur de ses aïeux antiques 6+6 a
10 Ait fourni de matière aux plus vieilles chroniques, 6+6 a
Et que l'un des Capets, pour honorer leur nom, 6+6 b
Ait de trois fleurs de lis doté leur écusson : 6+6 b
Que sert ce vain amas d'une inutile gloire, 6+6 a
Si, de tant de héros célèbres dans l'histoire, 6+6 a
15 Il ne peut rien offrir aux yeux de l'univers 6+6 b
Que de vieux parchemins qu'ont épargnés les vers ? 6+6 b
Si, tout sorti qu'il est d'une source divine, 6+6 a
Son cœur dément en lui sa superbe origine, 6+6 a
Et, n'ayant rien de grand qu'une sotte fierté, 6+6 b
20 S'endort dans une lâche et molle oisiveté ? 6+6 b
Cependant, à le voir, avec tant d'arrogance, 6+6 a
Vanter le faux éclat de sa haute naissance, 6+6 a
On dirait que le ciel est soumis à sa loi, 6+6 b
Et que Dieu l'a pétri d'autre limon que moi. 6+6 b
25 Enivré de lui-même, il croit, dans sa folie, 6+6 a
Qu'il faut que devant lui d'abord tout s'humilie. 6+6 a
Aujourd'hui toutefois, sans trop le ménager, 6+6 b
Sur ce ton un peu haut, je vais l'interroger : 6+6 b
« Dites-moi, grand héros, esprit rare et sublime, 6+6 a
30 Entre tant d'animaux qui sont ceux qu'on estime ? 6+6 a
On fait cas d'un coursier qui, fier et plein de cœur, 6+6 b
Fait paraître en courant sa bouillante vigueur, 6+6 b
Qui jamais ne se lasse, et qui dans la carrière 6+6 a
S'est couvert mille fois d'une noble poussière ; 6+6 a
35 Mais, la postérité d'Alfane et de Bayard, 6+6 b
Quand ce n'est qu'une rosse, est vendue au hasard, 6+6 b
Sans respect des aïeux dont elle est descendue, 6+6 a
Et va porter la malle, ou tirer la charrue. 6+6 a
Pourquoi donc voulez-vous que, par un sot abus, 6+6 b
40 Chacun respecte en vous un honneur qui n'est plus ? 6+6 b
On ne m'éblouit point d'une apparence vaine. 6+6 a
La vertu, d'un cœur noble est la marque certaine. 6+6 a
Si vous êtes sorti de ces héros fameux, 6+6 b
Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux, 6+6 b
45 Ce zèle pour l'honneur, cette horreur pour le vice. 6+6 a
Respectez-vous les lois ? fuyez-vous l'injustice ? 6+6 a
Savez-vous pour la gloire oublier le repos, 6+6 b
Et dormir en plein champ le harnais sur le dos ? 6+6 b
Je vous connais pour noble à ces illustres marques ; 6+6 a
50 Alors, soyez issu des plus fameux monarques, 6+6 a
Venez de mille aïeux, et, si ce n'est assez, 6+6 b
Feuilletez à loisir tous les siècles passés, 6+6 b
Voyez de quel guerrier il vous plaît de descendre, 6+6 a
Choisissez de César, d'Achille, ou d'Alexandre. 6+6 a
55 En vain un faux censeur voudrait vous démentir, 6+6 b
Et si vous n'en sortez, vous en devez sortir. 6+6 b
Mais, fussiez-vous issu d'Hercule en droite ligne, 6+6 a
Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne, 6+6 a
Ce long amas d'aïeux que vous diffamez tous, 6+6 b
60 Sont autant de témoins qui parlent contre vous, 6+6 b
Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie 6+6 a
Ne sert plus que de jour à votre ignominie. 6+6 a
En vain, tout fier d'un sang que vous déshonorez, 6+6 b
Vous dormez à l'abri de ces noms révérés, 6+6 b
65 En vain vous vous couvrez des vertus de vos pères ; 6+6 a
Ce ne sont à mes yeux que de vaines chimères, 6+6 a
Je ne vois rien en vous qu'un lâche, un imposteur, 6+6 b
Un traître, un scélérat, un perfide, un menteur, 6+6 b
Un fou, dont les accès vont jusqu'à la furie, 6+6 a
70 Et d'un tronc fort illustre une branche pourrie. » 6+6 a
Je m'emporte peut-être, et ma Muse en fureur 6+6 b
Verse dans ses discours trop de fiel et d'aigreur : 6+6 b
Il faut avec les grands un peu de retenue. 6+6 a
Eh bien ! je m'adoucis : « Votre race est connue, 6+6 a
75 Depuis quand ? répondez. Depuis mille ans entiers, 6+6 b
Et vous pouvez fournir deux fois seize quartiers. 6+6 b
C'est beaucoup. Mais enfin, les preuves en sont claires, 6+6 a
Tous les livres sont pleins des titres de vos pères, 6+6 a
Leurs noms sont échappés du naufrage des temps ; 6+6 b
80 Mais, qui m'assurera qu'en ce long cercle d'ans, 6+6 b
A leurs fameux époux vos aïeules fidèles, 6+6 a
Aux douceurs des galants furent toujours rebelles ? 6+6 a
Et comment savez-vous si quelque audacieux 6+6 b
N'a point interrompu le cours de vos aïeux, 6+6 b
85 Et si leur sang, tout pur ainsi que leur noblesse, 6+6 a
Est passé jusqu'à vous, de Lucrèce en Lucrèce ? » 6+6 a
Que maudit soit le jour où cette vanité 6+6 b
Vint ici de nos mœurs souiller la pureté ! 6+6 b
Dans les temps bienheureux du monde en son enfance, 6+6 a
90 Chacun mettait sa gloire en sa seule innocence ; 6+6 a
Chacun vivait content, et sous d'égales lois ; 6+6 b
Le mérite y faisait la noblesse et les rois ; 6+6 b
Et, sans chercher l'appui d'une naissance illustre, 6+6 a
Un héros, de soi-même empruntait tout son lustre. 6+6 a
95 Mais enfin, par le temps le mérite avili 6+6 b
Vit l'honneur en roture, et le vice anobli ; 6+6 b
Et l'orgueil, d'un faux titre appuyant sa faiblesse, 6+6 a
Maîtrisa les humains sous le nom de noblesse. 6+6 a
De là, vinrent en foule et marquis et barons. 6+6 b
100 Chacun pour ses vertus n'offrit plus que des noms. 6+6 b
Aussitôt, maint esprit fécond en rêveries 6+6 a
Inventa le blason avec les armoiries, 6+6 a
De ses termes obscurs fit un langage à part, 6+6 b
Composa tous ces mots de Cimier, et d'Écart, 6+6 b
105 De Pal, de Contrepal, de Lambel et de Fasce, 6+6 a
Et tout ce que Segoing dans son Mercure entasse. 6+6 a
Une vaine folie enivrant la raison, 6+6 b
L'honneur triste et honteux ne fut plus de saison. 6+6 b
Alors, pour soutenir son rang et sa naissance, 6+6 a
110 Il fallut étaler le luxe et la dépense ; 6+6 a
Il fallut habiter un superbe palais ; 6+6 b
Faire par les couleurs distinguer ses valets ; 6+6 b
Et, traînant en tous lieux de pompeux équipages, 6+6 a
Le duc et le marquis se reconnut aux pages. 6+6 a
115 Bientôt, pour subsister, la noblesse sans bien 6+6 b
Trouva l'art d'emprunter et de ne rendre rien. 6+6 b
Et, bravant des sergents la timide cohorte, 6+6 a
Laissa le créancier se morfondre à sa porte ; 6+6 a
Mais, pour comble, à la fin, le marquis en prison 6+6 b
120 Sous le faix des procès vit tomber sa maison. 6+6 b
Alors, le noble altier, pressé de l'indigence, 6+6 a
Humblement du faquin rechercha l'alliance ; 6+6 a
Avec lui trafiquant d'un nom si précieux, 6+6 b
Par un lâche contrat vendit tous ses aïeux ; 6+6 b
125 Et, corrigeant ainsi la fortune ennemie, 6+6 a
Rétablit son honneur à force d'infamie. 6+6 a
Car, si l'éclat de l'or ne relève le sang, 6+6 b
En vain l'on fait briller la splendeur de son rang ; 6+6 b
L'amour de vos aïeux passe en vous pour manie, 6+6 a
130 Et chacun pour parent vous fuit et vous renie. 6+6 a
Mais, quand un homme est riche il vaut toujours son prix ; 6+6 b
Et, l'eût-on vu porter la mandille à Paris, 6+6 b
N'eût-il de son vrai nom ni titre ni mémoire, 6+6 a
D'Hozier lui trouvera cent aïeux dans l'histoire. 6+6 a
135 Toi donc, qui de mérite et d'honneurs revêtu, 6+6 b
Des écueils de la cour as sauvé ta vertu, 6+6 b
Dangeau, qui, dans le rang où notre roi t'appelle, 6+6 a
Le vois, toujours orné d'une gloire nouvelle, 6+6 a
Et plus brillant par soi que par l'éclat des lis, 6+6 b
140 Dédaigner tous ces rois dans la pourpre amollis ; 6+6 b
Fuir d'un honteux loisir la douceur importune ; 6+6 a
A ses sages conseils asservir la fortune ; 6+6 a
Et, de tout son bonheur ne devant rien qu'à soi, 6+6 b
Montrer à l'univers ce que c'est qu'être roi : 6+6 b
145 Si tu veux te couvrir d'un éclat légitime, 6+6 a
Va par mille beaux faits mériter son estime ; 6+6 a
Sers un si noble maître ; et fais voir qu'aujourd'hui 6+6 b
Ton prince a des sujets qui sont dignes de lui. 6+6 b
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