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BOI_2/BOI11
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
SATIRES
1666-1716
SATIRE X
Enfin, bornant le cours de tes galanteries, 6+6 a
Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries ; 6+6 a
Sur l'argent, c'est tout dire, on est déjà d'accord, 6+6 b
Ton beau-père futur vide son coffre-fort ; 6+6 b
5 Et déjà le notaire a, d'un style énergique, 6+6 a
Griffonné de ton joug l'instrument authentique. 6+6 a
C'est bien fait : il est temps de fixer tes désirs. 6+6 b
Ainsi que ses chagrins l'hymen a ses plaisirs. 6+6 b
Quelle joie, en effet, quelle douceur extrême ! 6+6 a
10 De se voir caressé d'une épouse qu'on aime ; 6+6 a
De s'entendre appeler « petit cœur » ou « mon bon » ; 6+6 b
De voir autour de soi croître dans sa maison, 6+6 b
Sous les paisibles lois d'une agréable mère, 6+6 a
De petits citoyens dont on croit être père ! 6+6 a
15 Quel charme, au moindre mal qui nous vient menacer, 6+6 b
De la voir aussitôt accourir, s'empresser, 6+6 b
S'effrayer d'un péril qui n'a point d'apparence, 6+6 a
Et souvent, de douleur se pâmer par avance ! 6+6 a
Car, tu ne seras point de ces jaloux affreux, 6+6 b
20 Habiles à se rendre inquiets, malheureux, 6+6 b
Qui, tandis qu'une épouse à leurs yeux se désole, 6+6 a
Pensent toujours qu'un autre en secret la console 6+6 a
Mais quoi ! je vois déjà que ce discours t'aigrit. 6+6 b
« Charmé de Juvénal, et plein de son esprit, 6+6 b
25 Venez-vous, diras-tu, dans une pièce outrée, 6+6 a
Comme lui nous chanter que, « dès le temps de Rhée, 6+6 a
« La chasteté déjà, la rougeur sur le front, 6+6 b
« Avait chez les humains reçu plus d'un affront ; 6+6 b
« Qu'on vit avec le fer naître les injustices, 6+6 a
30 « L'impiété, l'orgueil et tous les autres vices ; 6+6 a
« Mais que la bonne foi dans l'amour conjugal 6+6 b
« N'alla point jusqu'au temps du troisième métal ? » 6+6 b
Ces mots ont dans sa bouche une emphase admirable ; 6+6 a
Mais je vous dirai, moi, sans alléguer la fable, 6+6 a
35 Que, si sous Adam même, et loin avant Noé, 6+6 b
Le vice audacieux, des hommes avoué, 6+6 b
A la triste innocence en tous lieux fit la guerre, 6+6 a
Il demeura pourtant de l'honneur sur la terre ; 6+6 a
Qu'aux temps les plus féconds en Phrynés, en Laïs, 6+6 b
40 Plus d'une Pénélope honora son pays ; 6+6 b
Et que, même aujourd'hui, sur ce fameux modèle, 6+6 a
On peut trouver encor quelque femme fidèle. » 6+6 a
Sans doute, et dans Paris, si je sais bien compter, 6+6 b
Il en est jusqu'à trois que je pourrais citer. 6+6 b
45 Ton épouse dans peu sera la quatrième : 6+6 a
Je le veux croire ainsi. Mais, la chasteté même, 6+6 a
Sous ce beau nom d'épouse, entrât-elle chez toi, 6+6 b
De retour d'un voyage, en arrivant, crois-moi, 6+6 b
Fais toujours du logis avertir la maîtresse : 6+6 a
50 Tel partit tout baigné des pleurs de sa Lucrèce, 6+6 a
Qui, faute d'avoir pris ce soin judicieux, 6+6 b
Trouva… tu sais. — « Je sais que d'un conte odieux 6+6 b
Vous avez comme moi sali votre mémoire. 6+6 a
Mais, laissons là, dis-tu, Joconde et son histoire ; 6+6 a
55 Du projet d'un hymen déjà fort avancé, 6+6 b
Devant vous aujourd'hui criminel dénoncé, 6+6 b
Et mis sur la sellette aux pieds de la critique, 6+6 a
Je vois bien tout de bon qu'il faut que je m'explique. 6+6 a
Jeune autrefois par vous dans le monde conduit, 6+6 b
60 J'ai trop bien profité, pour n'être pas instruit 6+6 b
A quels discours malins le mariage expose ; 6+6 a
Je sais que c'est un texte où chacun fait sa glose ; 6+6 a
Que de maris trompés tout rit dans l'univers, 6+6 b
Épigrammes, chansons, rondeaux, fables en vers, 6+6 b
65 Satire, comédie ; et, sur cette matière, 6+6 a
J'ai vu tout ce qu'ont fait La Fontaine et Molière ; 6+6 a
J'ai lu tout ce qu'ont dit Villon et Saint-Gelais, 6+6 b
Arioste, Marot, Boccace, Rabelais ; 6+6 b
Et tous ces vieux recueils de satires naïves, 6+6 a
70 Des malices du sexe immortelles archives. 6+6 a
Mais, tout bien balancé, j'ai pourtant reconnu 6+6 b
Que de ces contes vains le monde entretenu 6+6 b
N'en a pas de l'hymen moins vu fleurir l'usage ; 6+6 a
Que sous ce joug moqué tout à la fin s'engage ; 6+6 a
75 Qu'à ce commun filet les railleurs mêmes pris 6+6 b
Ont été très souvent de commodes maris ; 6+6 b
Et que pour être heureux sous ce joug salutaire, 6+6 a
Tout dépend, en un mot, du bon choix qu'on sait faire. 6+6 a
Enfin, il faut ici parler de bonne foi, 6+6 b
80 Je vieillis, et ne puis regarder sans effroi 6+6 b
Ces neveux affamés dont l'importun visage 6+6 a
De mon bien à mes yeux fait déjà le partage. 6+6 a
Je crois déjà les voir, au moment annoncé 6+6 b
Qu'à la fin sans retour leur cher oncle est passé, 6+6 b
85 Sur quelques pleurs forcés qu'ils auront soin qu'on voie, 6+6 a
Se faire consoler du sujet de leur joie. 6+6 a
Je me fais un plaisir, à ne vous rien celer, 6+6 b
De pouvoir, moi vivant, dans peu les désoler ; 6+6 b
Et, trompant un espoir pour eux si plein de charmes, 6+6 a
90 Arracher de leurs yeux de véritables larmes. 6+6 a
Vous dirai-je encor plus ? Soit faiblesse ou raison, 6+6 b
Je suis las de me voir, le soir, en ma maison, 6+6 b
Seul avec des valets, souvent voleurs et traîtres, 6+6 a
Et toujours, à coup sûr, ennemis de leurs maîtres. 6+6 a
95 Je ne me couche point qu'aussitôt dans mon lit 6+6 b
Un souvenir fâcheux n'apporte à mon esprit 6+6 b
Ces histoires de morts lamentables, tragiques, 6+6 a
Dont Paris tous les ans peut grossir ses chroniques. 6+6 a
Dépouillons-nous ici d'une vaine fierté : 6+6 b
100 Nous naissons, nous vivons pour la société ; 6+6 b
A nous-mêmes livrés dans une solitude, 6+6 a
Notre bonheur bientôt fait notre inquiétude ; 6+6 a
Et, si durant un jour, notre premier aïeul, 6+6 b
Plus riche d'une côte, avait vécu tout seul, 6+6 b
105 Je doute, en sa demeure alors si fortunée, 6+6 a
S'il n'eût point prié Dieu d'abréger la journée. 6+6 a
N'allons donc point ici réformer l'univers, 6+6 b
Ni, par de vains discours et de frivoles vers, 6+6 b
Étalant au public notre misanthropie, 6+6 a
110 Censurer le lien le plus doux de la vie. 6+6 a
Laissons là, croyez-moi, le monde tel qu'il est. 6+6 b
L'hyménée est un joug, et c'est ce qui m'en plaît : 6+6 b
L'homme en ses passions toujours errant sans guide 6+6 a
A besoin qu'on lui mette et le mors et la bride ; 6+6 a
115 Son pouvoir malheureux ne sert qu'à le gêner ; 6+6 b
Et, pour le rendre libre, il le faut enchaîner : 6+6 b
C'est ainsi que souvent la main de Dieu l'assiste. » 6+6 a
Ah ! bon ! voilà parler en docte janséniste, 6+6 a
Alcippe ; et, sur ce point si savamment touché, 6+6 b
120 Desmares dans Saint-Roch n'aurait pas mieux prêché. 6+6 b
Mais c'est trop t'insulter ; quittons la raillerie ; 6+6 a
Parlons sans hyperbole et sans plaisanterie ; 6+6 a
Tu viens de mettre ici l'hymen en son beau jour ; 6+6 b
Entends donc ; et permets que je prêche à mon tour. 6+6 b
125 L'épouse que tu prends, sans tache en sa conduite, 6+6 a
Aux vertus, m'a-t-on dit, dans Port-Royal instruite, 6+6 a
Aux lois de son devoir règle tous ses désirs. 6+6 b
Mais, qui peut t'assurer, qu'invincible aux plaisirs, 6+6 b
Chez toi, dans une vie ouverte à la licence, 6+6 a
130 Elle conservera sa première innocence ? 6+6 a
Par toi-même bientôt conduite à l'Opéra, 6+6 b
De quel air penses-tu que ta sainte verra 6+6 b
D'un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse, 6+6 a
Ces danses, ces héros à voix luxurieuse ; 6+6 a
135 Entendra ces discours sur l'amour seul roulants, 6+6 b
Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands ; 6+6 b
Saura d'eux qu'à l'amour, comme au seul Dieu suprême, 6+6 a
On doit immoler tout, jusqu'à la vertu même ; 6+6 a
Qu'on ne saurait trop tôt se laisser enflammer ; 6+6 b
140 Qu'on n'a reçu du ciel un cœur que pour aimer ; 6+6 b
Et tous ces lieux communs de morale lubrique 6+6 a
Que Lulli réchauffa des sons de sa musique ? 6+6 a
Mais, de quels mouvements, dans son cœur excités, 6+6 b
Sentira-t-elle alors tous ses sens agités ! 6+6 b
145 Je ne te réponds pas qu'au retour, moins timide, 6+6 a
Digne écolière enfin d'Angélique et d'Armide, 6+6 a
Elle n'aille à l'instant, pleine de ces doux sons, 6+6 b
Avec quelque Médor pratiquer ces leçons. 6+6 b
Supposons toutefois qu'encor fidèle et pure 6+6 a
150 Sa vertu, de ce choc, revienne sans blessure : 6+6 a
Bientôt, dans ce grand monde où tu vas l'entraîner, 6+6 b
Au milieu des écueils qui vont l'environner, 6+6 b
Crois-tu que, toujours ferme aux bords du précipice, 6+6 a
Elle pourra marcher sans que le pied lui glisse ; 6+6 a
155 Que, toujours insensible aux discours enchanteurs 6+6 b
D'un idolâtre amas de jeunes séducteurs, 6+6 b
Sa sagesse jamais ne deviendra folie ? 6+6 a
D'abord tu la verras, ainsi que dans Clélie, 6+6 a
Recevant ses amants sous le doux nom d'amis, 6+6 b
160 S'en tenir avec eux aux petits soins permis ; 6+6 b
Puis bientôt, en grande eau, sur le fleuve de Tendre, 6+6 a
Naviguer à souhait, tout dire et tout entendre. 6+6 a
Et, ne présume pas que Vénus, ou Satan, 6+6 b
Souffre qu'elle en demeure aux termes du roman : 6+6 b
165 Dans le crime il suffit qu'une fois on débute ; 6+6 a
Une chute toujours attire une autre chute ; 6+6 a
L'honneur est comme une île escarpée et sans bords : 6+6 b
On n'y peut plus rentrer dès qu'on en est dehors. 6+6 b
Peut-être, avant deux ans, ardente à te déplaire, 6+6 a
170 Éprise d'un cadet, ivre d'un mousquetaire, 6+6 a
Nous la verrons hanter les plus honteux brelans, 6+6 b
Donner chez la Cornu rendez-vous aux galants ; 6+6 b
De Phèdre dédaignant la pudeur enfantine, 6+6 a
Suivre à front découvert Z....Zıı et Messaline ; 6+6 a
175 Compter pour grands exploits vingt hommes ruinés, 6+6 b
Blessés, battus pour elle, et quatre assassinés. 6+6 b
Trop heureux ! si, toujours femme désordonnée, 6+6 a
Sans mesure et sans règle au vice abandonnée, 6+6 a
Par cent traits d'impudence aisés à ramasser 6+6 b
180 Elle t'acquiert au moins un droit pour la chasser ! 6+6 b
Mais, que deviendras-tu, si, folle en son caprice, 6+6 a
N'aimant que le scandale et l'éclat dans le vice, 6+6 a
Bien moins pour son plaisir que pour t'inquiéter, 6+6 b
Au fond peu vicieuse, elle aime à coqueter ? 6+6 b
185 Entre nous, verras-tu d'un esprit bien tranquille 6+6 a
Chez ta femme aborder et la cour et la ville ? 6+6 a
Hormis toi, tout chez toi rencontre un doux accueil ; 6+6 b
L'un est payé d'un mot, et l'autre d'un coup d'œil ; 6+6 b
Ce n'est que pour toi seul qu'elle est fière et chagrine, 6+6 a
190 Aux autres, elle est douce, agréable et badine ; 6+6 a
C'est pour eux qu'elle étale et l'or et le brocart ; 6+6 b
Que chez toi se prodigue et le rouge et le fard ; 6+6 b
Et qu'une main savante, avec tant d'artifice, 6+6 a
Bâtit de ses cheveux le galant édifice. 6+6 a
195 Dans sa chambre, crois-moi, n'entre point tout le jour. 6+6 b
Si tu veux posséder ta Lucrèce à ton tour, 6+6 b
Attends, discret mari, que la belle en cornette, 6+6 a
Le soir, ait étalé son teint sur la toilette, 6+6 a
Et dans quatre mouchoirs, de sa beauté salis, 6+6 b
200 Envoie au blanchisseur ses roses et ses lis. 6+6 b
Alors, tu peux entrer : mais, sage en sa présence, 6+6 a
Ne va pas murmurer de sa folle dépense. 6+6 a
D'abord, l'argent en main, paye et vite et comptant. 6+6 b
Mais non, fais mine un peu d'en être mécontent, 6+6 b
205 Pour la voir aussitôt, de douleur oppressée, 6+6 a
Déplorer sa vertu si mal récompensée. 6+6 a
Un mari ne veut pas fournir à ses besoins ! 6+6 b
Jamais femme, après tout, a-t-elle coûté moins ? 6+6 b
A cinq cents louis d'or, tout au plus, chaque année, 6+6 a
210 Sa dépense en habits n'est-elle pas bornée ? 6+6 a
Que répondre ? Je vois qu'à de si justes cris, 6+6 b
Toi-même convaincu, déjà tu t'attendris, 6+6 b
Tout prêt à la laisser, pourvu qu'elle s'apaise, 6+6 a
Dans ton coffre, à pleins sacs, puiser tout à son aise. 6+6 a
215 A quoi bon en effet t'alarmer de si peu ? 6+6 b
Eh ! que serait-ce donc si, le démon du jeu 6+6 b
Versant dans son esprit sa ruineuse rage, 6+6 a
Tous les jours, mis par elle à deux doigts du naufrage, 6+6 a
Tu voyais tous tes biens au sort abandonnés 6+6 b
220 Devenir le butin d'un pique ou d'un sonnez ? 6+6 b
Le doux charme pour toi, de voir, chaque journée, 6+6 a
De nobles champions ta femme environnée, 6+6 a
Sur une table longue et façonnée exprès, 6+6 b
D'un tournoi de bassette ordonner les apprêts ! 6+6 b
225 Ou, si par un arrêt la grossière police 6+6 a
D'un jeu si nécessaire interdit l'exercice, 6+6 a
Ouvrir sur cette table un champ au lansquenet, 6+6 b
Ou promener trois dés chassés de son cornet ! 6+6 b
Puis, sur une autre table, avec un air plus sombre, 6+6 a
230 S'en aller méditer une vole au jeu d'hombre ; 6+6 a
S'écrier sur un as mal à propos jeté ; 6+6 b
Se plaindre d'un gâno qu'on n'a point écouté ! 6+6 b
Ou, querellant tout bas le ciel qu'elle regarde, 6+6 a
A la bête gémir d'un roi venu sans garde ! 6+6 a
235 Chez elle, en ces emplois, l'aube du lendemain 6+6 b
Souvent la trouve encor les cartes à la main. 6+6 b
Alors, pour se coucher, les quittant, non sans peine, 6+6 a
Elle plaint le malheur de la nature humaine, 6+6 a
Qui veut qu'en un sommeil où tout s'ensevelit 6+6 b
240 Tant d'heures, sans jouer, se consument au lit. 6+6 b
Toutefois, en partant, la troupe la console, 6+6 a
Et d'un prochain retour chacun donne parole. 6+6 a
C'est ainsi qu'une femme en doux amusements 6+6 b
Sait du temps qui s'envole employer les moments ; 6+6 b
245 C'est ainsi que souvent, par une forcenée 6+6 a
Une triste famille à l'hôpital traînée 6+6 a
Voit ses biens en décret sur tous les murs écrits 6+6 b
De sa déroute illustre effrayer tout Paris. 6+6 b
Mais, que plutôt son jeu mille fois te ruine, 6+6 a
250 Que si, la famélique et honteuse lésine 6+6 a
Venant mal à propos la saisir au collet, 6+6 b
Elle te réduisait à vivre sans valet, 6+6 b
Comme ce magistrat de hideuse mémoire 6+6 a
Dont je veux bien ici te crayonner l'histoire. 6+6 a
255 Dans la robe on vantait son illustre maison ; 6+6 b
Il était plein d'esprit, de sens et de raison ; 6+6 b
Seulement pour l'argent un peu trop de faiblesse 6+6 a
De ces vertus en lui ravalait la noblesse. 6+6 a
Sa table toutefois, sans superfluité, 6+6 b
260 N'avait rien que d'honnête en sa frugalité. 6+6 b
Chez lui, deux bons chevaux, de pareille encolure, 6+6 a
Trouvaient dans l'écurie une pleine pâture, 6+6 a
Et, du foin que leur bouche au râtelier laissait, 6+6 b
De surcroît une mule encor se nourrissait. 6+6 b
265 Mais cette soif de l'or, qui le brûlait dans l'âme, 6+6 a
Le fit enfin songer à choisir une femme, 6+6 a
Et l'honneur dans ce choix ne fut point regardé. 6+6 b
Vers son triste penchant son naturel guidé, 6+6 b
Le fit, dans une avare et sordide famille, 6+6 a
270 Chercher un monstre affreux sous l'habit d'une fille ; 6+6 a
Et, sans trop s'enquérir d'où la laide venait, 6+6 b
Il sut, — ce fut assez, — l'argent qu'on lui donnait. 6+6 b
Rien ne le rebuta : ni sa vue éraillée, 6+6 a
Ni sa masse de chair bizarrement taillée ; 6+6 a
275 Et trois cent mille francs avec elle obtenus 6+6 b
La firent à ses yeux plus belle que Vénus. 6+6 b
Il l'épouse ; et bientôt son hôtesse nouvelle, 6+6 a
Le prêchant, lui fit voir qu'il était, au prix d'elle, 6+6 a
Un vrai dissipateur, un parfait débauché. 6+6 b
280 Lui-même le sentit, reconnut son péché, 6+6 b
Se confessa prodigue, et, plein de repentance, 6+6 a
Offrit sur ses avis de régler sa dépense : 6+6 a
Aussitôt, de chez eux, tout rôti disparut ; 6+6 b
Le pain bis, renfermé, d'une moitié décrut ; 6+6 b
285 Les deux chevaux, la mule, au marché s'envolèrent ; 6+6 a
Deux grands laquais, à jeun, sur le soir s'en allèrent : 6+6 a
De ces coquins déjà l'on se trouvait lassé, 6+6 b
Et, pour n'en plus revoir le reste fut chassé. 6+6 b
Deux servantes déjà, largement souffletées, 6+6 a
290 Avaient à coups de pied descendu les montées, 6+6 a
Et, se voyant enfin hors de ce triste lieu, 6+6 b
Dans la rue en avaient rendu grâces à Dieu. 6+6 b
Un vieux valet restait, seul chéri de son maître, 6+6 a
Que toujours il servit, et qu'il avait vu naître, 6+6 a
295 Et qui, de quelque somme amassée au bon temps, 6+6 b
Vivait encor chez eux, partie à ses dépens. 6+6 b
Sa vue embarrassait ; il fallut s'en défaire ; 6+6 a
Il fut de la maison chassé comme un corsaire. 6+6 a
Voilà nos deux époux sans valets, sans enfants, 6+6 b
300 Tout seuls dans leur logis, libres et triomphants. 6+6 b
Alors, on ne mit plus de borne à la lésine : 6+6 a
On condamna la cave, on ferma la cuisine ; 6+6 a
Pour ne s'en point servir aux plus rigoureux mois, 6+6 b
Dans le fond d'un grenier on séquestra le bois ; 6+6 b
305 L'un et l'autre dès lors vécut à l'aventure 6+6 a
Des présents qu'à l'abri de la magistrature 6+6 a
Le mari quelquefois des plaideurs extorquait, 6+6 b
Ou de ce que la femme aux voisins escroquait. 6+6 b
Mais, pour bien mettre ici leur crasse en tout son lustre, 6+6 a
310 Il faut voir du logis sortir ce couple illustre ; 6+6 a
Il faut voir le mari tout poudreux, tout souillé, 6+6 b
Couvert d'un vieux chapeau de cordon dépouillé, 6+6 b
Et de sa robe, en vain de pièces rajeunie, 6+6 a
A pied dans les ruisseaux traînant l'ignominie. 6+6 a
315 Mais, qui pourrait compter le nombre de haillons, 6+6 b
De pièces, de lambeaux, de sales guenillons, 6+6 b
De chiffons ramassés dans la plus noire ordure, 6+6 a
Dont la femme, aux bons jours, composait sa parure ? 6+6 a
Décrirai-je ses bas en trente endroits percés, 6+6 b
320 Ses souliers grimaçants, vingt fois rapetassés, 6+6 b
Ses coiffes, d'où pendait au bout d'une ficelle 6+6 a
Un vieux masque pelé presque aussi hideux qu'elle ? 6+6 a
Peindrai-je son jupon bigarré de latin, 6+6 b
Qu'ensemble composaient trois thèses de satin ; 6+6 b
325 Présent qu'en un procès sur certain privilège 6+6 a
Firent à son mari les régents d'un collège, 6+6 a
Et qui, sur cette jupe, à maint rieur encor, 6+6 b
Derrière elle faisait dire : Argumentabor ? 6+6 b
Mais, peut-être, j'invente une fable frivole. 6+6 a
330 Démens donc tout Paris, qui, prenant la parole, 6+6 a
Sur ce sujet encor de bons témoins pourvu, 6+6 b
Tout prêt à le prouver, te dira : « Je l'ai vu : 6+6 b
Vingt ans, j'ai vu ce couple, uni d'un même vice, 6+6 a
A tous mes habitants montrer que l'avarice 6+6 a
335 Peut faire dans les biens trouver la pauvreté, 6+6 b
Et nous réduire à pis que la mendicité. » 6+6 b
Des voleurs, qui chez eux pleins d'espérance entrèrent, 6+6 a
De cette triste vie enfin les délivrèrent : 6+6 a
Digne et funeste fruit du nœud le plus affreux 6+6 b
340 Dont l'hymen ait jamais uni deux malheureux ! 6+6 b
Ce récit passe un peu l'ordinaire mesure : 6+6 a
Mais un exemple enfin si digne de censure 6+6 a
Peut-il dans la satire occuper moins de mots ? 6+6 b
Chacun sait son métier. Suivons notre propos. 6+6 b
345 Nouveau prédicateur aujourd'hui, je l'avoue, 6+6 a
Écolier, ou plutôt singe de Bourdaloue, 6+6 a
Je me plais à remplir mes sermons de portraits. 6+6 b
En voilà déjà trois peints d'assez heureux traits : 6+6 b
La femme sans honneur, la coquette, et l'avare. 6+6 a
350 Il faut y joindre encor la revêche bizarre, 6+6 a
Qui, sans cesse, d'un ton par la colère aigri, 6+6 b
Gronde, choque, dément, contredit un mari. 6+6 b
Il n'est point de repos ni de paix avec elle ; 6+6 a
Son mariage n'est qu'une longue querelle ; 6+6 a
355 Laisse-t-elle un moment respirer son époux, 6+6 b
Ses valets sont d'abord l'objet de son courroux ; 6+6 b
Et sur le ton grondeur lorsqu'elle les harangue, 6+6 a
Il faut voir de quels mots elle enrichit la langue : 6+6 a
Ma plume ici, traçant ces mots par alphabet, 6+6 b
360 Pourrait d'un nouveau tome augmenter Richelet. 6+6 b
« Tu crains peu d'essuyer cette étrange furie : 6+6 a
En trop bon lieu, dis-tu, ton épouse nourrie 6+6 a
Jamais de tels discours ne te rendra martyr. » 6+6 b
Mais, eût-elle sucé la raison dans Saint-Cyr, 6+6 b
365 Crois-tu que d'une fille, humble, honnête, charmante, 6+6 a
L'hymen n'ait jamais fait de femme extravagante ? 6+6 a
Combien n'a-t-on point vu de belles aux doux yeux, 6+6 b
Avant le mariage anges si gracieux, 6+6 b
Tout à coup se changeant en bourgeoises sauvages, 6+6 a
370 Vrais démons, apporter l'enfer dans leurs ménages ; 6+6 a
Et, découvrant l'orgueil de leurs rudes esprits, 6+6 b
Sous leur fontange altière asservir leurs maris ! 6+6 b
Et puis, quelque douceur dont brille ton épouse, 6+6 a
Penses-tu, si jamais elle devient jalouse, 6+6 a
375 Que son âme, livrée à ses tristes soupçons, 6+6 b
De la raison encore écoute les leçons ? 6+6 b
Alors, Alcippe, alors, tu verras de ses œuvres : 6+6 a
Résous-toi, pauvre époux, à vivre de couleuvres ; 6+6 a
A la voir tous les jours, dans ses fougueux accès, 6+6 b
380 A ton geste, à ton rire, intenter un procès ; 6+6 b
Souvent, de ta maison gardant les avenues, 6+6 a
Les cheveux hérissés, t'attendre au coin des rues ; 6+6 a
Te trouver en des lieux de vingt portes fermés, 6+6 b
Et, partout où tu vas, dans ses yeux enflammés, 6+6 b
385 T'offrir, non pas d'Isis la tranquille Euménide, 6+6 a
Mais la vraie Alecto, peinte dans L'Énéide, 6+6 a
Un tison à la main, chez le roi Latinus, 6+6 b
Soufflant sa rage au sein d'Amate et de Turnus. 6+6 b
Mais quoi ! je chausse ici le cothurne tragique ! 6+6 a
390 Reprenons au plus tôt le brodequin comique, 6+6 a
Et d'objets moins affreux songeons à te parler. 6+6 b
Dis-moi donc, laissant là cette folle hurler, 6+6 b
T'accommodes-tu mieux de ces douces Ménades, 6+6 a
Qui, dans leurs vains chagrins, sans mal toujours malades, 6+6 a
395 Se font des mois entiers, sur un lit effronté, 6+6 b
Traiter d'une visible et parfaite santé ; 6+6 b
Et douze fois par jour, dans leur molle indolence, 6+6 a
Aux yeux de leurs maris tombent en défaillance ? 6+6 a
« Quel sujet, dira l'un, peut donc si fréquemment 6+6 b
400 Mettre ainsi cette belle aux bords du monument ? 6+6 b
La Parque, ravissant ou son fils ou sa fille, 6+6 a
A-t-elle moissonné l'espoir de sa famille ? » 6+6 a
Non ; il est question de réduire un mari 6+6 b
A chasser un valet dans la maison chéri, 6+6 b
405 Et qui, parce qu'il plaît, a trop su lui déplaire ; 6+6 a
Ou de rompre un voyage utile et nécessaire, 6+6 a
Mais qui la priverait huit jours de ses plaisirs, 6+6 b
Et qui, loin d'un galant, objet de ses désirs ;… 6+6 b
Oh ! que pour la punir de cette comédie 6+6 a
410 Ne lui vois-je une vraie et triste maladie ! 6+6 a
Mais, ne nous fâchons point. Peut-être, avant deux jours, 6+6 b
Courtois et Denyau, mandés à son secours, 6+6 b
— Digne ouvrage de l'art dont Hippocrate traite, 6+6 a
— Lui sauront bien ôter cette santé d'athlète ; 6+6 a
415 Pour consumer l'humeur qui fait son embonpoint, 6+6 b
Lui donner sagement le mal qu'elle n'a point ; 6+6 b
Et, fuyant de Fagon les maximes énormes, 6+6 a
Au tombeau mérité la mettre dans les formes. 6+6 a
Dieu veuille avoir son âme ; et nous délivre d'eux ! 6+6 b
420 Pour moi, grand ennemi de leur art hasardeux, 6+6 b
Je ne puis cette fois que je ne les excuse. 6+6 a
Mais, à quels vains discours est-ce que je m'amuse ? 6+6 a
Il faut sur des sujets plus grands, plus curieux, 6+6 b
Attacher de ce pas ton esprit et tes yeux. 6+6 b
425 Qui s'offrira d'abord ? Bon ! c'est cette savante 6+6 a
Qu'estime Roberval, et que Sauveur fréquente. 6+6 a
D'où vient qu'elle a l'œil trouble, et le teint si terni ? 6+6 b
C'est que sur le calcul, dit-on, de Cassini, 6+6 b
Un astrolabe en main, elle a, dans sa gouttière, 6+6 a
430 A suivre Jupiter passé la nuit entière. 6+6 a
Gardons de la troubler ! Sa science, je croi, 6+6 b
Aura pour s'occuper ce jour plus d'un emploi : 6+6 b
D'un nouveau microscope on doit, en sa présence, 6+6 a
Tantôt chez Dalancé faire l'expérience ; 6+6 a
435 Puis, d'une femme morte, avec son embryon, 6+6 b
Il faut chez du Verney voir la dissection. 6+6 b
Rien n'échappe aux regards de notre curieuse. 6+6 a
Mais, qui vient sur ses pas ? c'est une précieuse. 6+6 a
Reste de ces esprits jadis si renommés 6+6 b
440 Que d'un coup de son art Molière a diffamés : 6+6 b
De tous leurs sentiments cette noble héritière 6+6 a
Maintient encore ici leur secte façonnière ; 6+6 a
C'est chez elle toujours que les fades auteurs 6+6 b
S'en vont se consoler du mépris des lecteurs ; 6+6 b
445 Elle y reçoit leur plainte ; et sa docte demeure 6+6 a
Aux Perrins, aux Coras, est ouverte à toute heure. 6+6 a
Là, du faux bel esprit se tiennent les bureaux ; 6+6 b
Là, tous les vers sont bons pourvu qu'ils soient nouveaux ; 6+6 b
Au mauvais goût public la belle y fait la guerre ; 6+6 a
450 Plaint Pradon opprimé des sifflets du parterre ; 6+6 a
Rit des vains amateurs du grec et du latin ; 6+6 b
Dans la balance met Aristote et Cotin ; 6+6 b
Puis, d'une main encor plus fine et plus habile, 6+6 a
Pèse sans passion Chapelain et Virgile, 6+6 a
455 Remarque en ce dernier beaucoup de pauvretés, 6+6 b
Mais pourtant, confessant qu'il a quelques beautés, 6+6 b
Ne trouve en Chapelain, quoi qu'ait dit la Satire, 6+6 a
Autre défaut, sinon qu'on ne le saurait lire, 6+6 a
Et, pour faire goûter son livre à l'univers, 6+6 b
460 Croit qu'il faudrait en prose y mettre tous les vers. 6+6 b
« A quoi bon m'étaler cette bizarre école 6+6 a
Du mauvais sens, dis-tu, prêché par une folle ? 6+6 a
De livres et d'écrits bourgeois admirateur, 6+6 b
Vais-je épouser ici quelque apprentive auteur ? 6+6 b
465 Savez-vous que l'épouse avec qui je me lie 6+6 a
Compte entre ses parents des princes d'Italie ; 6+6 a
Sort d'aïeux dont les noms… ? » — Je t'entends, et je voi 6+6 b
D'où vient que tu t'es fait secrétaire du roi : 6+6 b
Il fallait de ce titre appuyer ta naissance ; 6+6 a
470 Cependant, t'avouerai-je ici mon insolence ? 6+6 a
Si quelque objet pareil, chez moi, deçà les Monts, 6+6 b
Pour m'épouser, entrait avec tous ces grands noms, 6+6 b
Le sourcil rehaussé d'orgueilleuses chimères, 6+6 a
Je lui dirais bientôt : « Je connais tous vos pères ; 6+6 a
475 Je sais qu'ils ont brillé dans ce fameux combat 6+6 b
Où sous l'un des Valois Enghien sauva l'État. 6+6 b
D'Hozier n'en convient pas ; mais, quoi qu'il en puisse être, 6+6 a
Je ne suis point si sot que d'épouser mon maître ; 6+6 a
Ainsi donc, au plus tôt délogeant de ces lieux, 6+6 b
480 Allez, princesse, allez, avec tous vos aïeux, 6+6 b
Sur le pompeux débris des lances espagnoles, 6+6 a
Coucher, si vous voulez, aux champs de Cérisoles : 6+6 a
Ma maison ni mon lit ne sont point faits pour vous. » 6+6 b
— J'admire, poursuis-tu, votre noble courroux. 6+6 b
485 Souvenez-vous pourtant que ma famille illustre 6+6 a
De l'assistance au sceau ne tire point son lustre ; 6+6 a
Et que, né dans Paris de magistrats connus, 6+6 b
Je ne suis point ici de ces nouveaux venus, 6+6 b
De ces nobles sans nom, que, par plus d'une voie, 6+6 a
490 La province souvent en guêtres nous envoie. 6+6 a
Mais, eussé-je comme eux des meuniers pour parents ; 6+6 b
Mon épouse vînt-elle encor d'aïeux plus grands ; 6+6 b
On ne la verrait point, vantant son origine, 6+6 a
A son triste mari reprocher la farine. 6+6 a
495 Son cœur, toujours nourri dans la dévotion, 6+6 b
De trop bonne heure apprit l'humiliation ; 6+6 b
Et, pour vous détromper de la pensée étrange 6+6 a
Que l'hymen aujourd'hui la corrompe et la change, 6+6 a
Sachez qu'en notre accord elle a, pour premier point, 6+6 b
500 Exigé qu'un époux ne la contraindrait point 6+6 b
A traîner après elle un pompeux équipage, 6+6 a
Ni surtout de souffrir, par un profane usage, 6+6 a
Qu'à l'église jamais devant le Dieu jaloux, 6+6 b
Un fastueux carreau soit vu sous ses genoux. 6+6 b
505 Telle est l'humble vertu qui, dans son âme empreinte… » 6+6 a
Je le vois bien, tu vas épouser une sainte, 6+6 a
Et dans tout ce grand zèle il n'est rien d'affecté. 6+6 b
Sais-tu bien cependant, sous cette humilité, 6+6 b
L'orgueil que quelquefois nous cache une bigote, 6+6 a
510 Alcippe, et connais-tu la nation dévote ? 6+6 a
Il te faut de ce pas en tracer quelques traits, 6+6 b
Et, par ce grand portrait, finir tous mes portraits. 6+6 b
A Paris, à la cour, on trouve, je l'avoue, 6+6 a
Des femmes dont le zèle est digne qu'on le loue, 6+6 a
515 Qui s'occupent du bien en tout temps, en tout lieu. 6+6 b
J'en sais une chérie et du monde et de Dieu, 6+6 b
Humble dans les grandeurs, sage dans la fortune, 6+6 a
Qui gémit, comme Esther, de sa gloire importune, 6+6 a
Que le vice lui-même est contraint d'estimer, 6+6 b
520 Et que sur ce tableau d'abord tu vas nommer. 6+6 b
Mais, pour quelques vertus si pures, si sincères, 6+6 a
Combien y trouve-t-on d'impudentes faussaires, 6+6 a
Qui, sous un vain dehors d'austère piété, 6+6 b
De leurs crimes secrets cherchent l'impunité ; 6+6 b
525 Et couvrent de Dieu même, empreint sur leur visage, 6+6 a
De leurs honteux plaisirs l'affreux libertinage ! 6+6 a
N'attends pas qu'à tes yeux j'aille ici l'étaler. 6+6 b
Il vaut mieux le souffrir que de le dévoiler ; 6+6 b
De leurs galants exploits les Bussys, les Brantômes, 6+6 a
530 Pourraient avec plaisir te compiler des tomes ; 6+6 a
Mais, pour moi, dont le front trop aisément rougit, 6+6 b
Ma bouche a déjà peur de t'en avoir trop dit. 6+6 b
Rien n'égale en fureur, en monstrueux caprices, 6+6 a
Une fausse vertu qui s'abandonne aux vices. 6+6 a
535 De ces femmes pourtant, l'hypocrite noirceur 6+6 b
Au moins pour un mari garde quelque douceur. 6+6 b
Je les aime encor mieux qu'une bigote altière, 6+6 a
Qui, dans son fol orgueil, aveugle et sans lumière, 6+6 a
A peine sur le seuil de la dévotion 6+6 b
540 Pense atteindre au sommet de la perfection ; 6+6 b
Qui du soin qu'elle prend de me gêner sans cesse 6+6 a
Va quatre fois par mois se vanter à confesse ; 6+6 a
Et, les yeux vers le ciel, pour se le faire ouvrir, 6+6 b
Offre à Dieu les tourments qu'elle me fait souffrir. 6+6 b
545 Sur cent pieux devoirs aux saints elle est égale ; 6+6 a
Elle lit Rodriguez, fait l'oraison mentale, 6+6 a
Va pour les malheureux quêter dans les maisons, 6+6 b
Hante les hôpitaux, visite les prisons, 6+6 b
Tous les jours à l'église entend jusqu'à six messes : 6+6 a
550 Mais, de combattre en elle et dompter ses faiblesses, 6+6 a
Sur le fard, sur le jeu, vaincre sa passion, 6+6 b
Mettre un frein à son luxe, à son ambition, 6+6 b
Et soumettre l'orgueil de son esprit rebelle, 6+6 a
C'est ce qu'en vain le ciel voudrait exiger d'elle. 6+6 a
555 « Et peut-il, dira-t-elle, en effet l'exiger ? » 6+6 b
Elle a son directeur, c'est à lui d'en juger. 6+6 b
Il faut, sans différer, savoir ce qu'il en pense. 6+6 a
Bon ! vers nous à propos je le vois qui s'avance. 6+6 a
Qu'il paraît bien nourri ! Quel vermillon ! quel teint ! 6+6 b
560 Le printemps dans sa fleur sur son visage est peint. 6+6 b
Cependant, à l'entendre, il se soutient à peine, 6+6 a
Il eut encore hier la fièvre et la migraine, 6+6 a
Et, sans les prompts secours qu'on prit soin d'apporter, 6+6 b
Il serait sur son lit peut-être à trembloter. 6+6 b
565 Mais, de tous les mortels, grâce aux dévotes âmes, 6+6 a
Nul n'est si bien soigné qu'un directeur de femmes. 6+6 a
Quelque léger dégoût vient-il le travailler, 6+6 b
Une faible vapeur le fait-elle bailler, 6+6 b
Un escadron coiffé d'abord court à son aide : 6+6 a
570 L'une chauffe un bouillon, l'autre apprête un remède ; 6+6 a
Chez lui, sirops exquis, ratafias vantés, 6+6 b
Confitures surtout, volent de tous côtés ; 6+6 b
— Car de tous mets sucrés, secs, en pâte, ou liquides, 6+6 a
Les estomacs dévots toujours furent avides : 6+6 a
575 Le premier massepain pour eux, je crois, se fit, 6+6 b
Et le premier citron à Rouen fut confit. — 6+6 b
Notre docteur bientôt va lever tous ses doutes, 6+6 a
Du paradis pour elle il aplanit les routes ; 6+6 a
Et, loin sur ses défauts de la mortifier, 6+6 b
580 Lui-même, prend le soin de la justifier. 6+6 b
« Pourquoi vous alarmer d'une vaine censure ? 6+6 a
Du rouge qu'on vous voit on s'étonne, on murmure : 6+6 a
Mais, a-t-on, dira-t-il, sujet de s'étonner ? 6+6 b
Est-ce qu'à faire peur on veut vous condamner ? 6+6 b
585 Aux usages reçus il faut qu'on s'accommode : 6+6 a
Une femme surtout doit tribut à la mode. 6+6 a
L'orgueil brille, dit-on, sur vos pompeux habits ; 6+6 b
L'œil à peine soutient l'éclat de vos rubis ; 6+6 b
Dieu veut-il qu'on étale un luxe si profane ? 6+6 a
590 Oui, lorsqu'à l'étaler notre rang nous condamne. 6+6 a
Mais, ce grand jeu, chez vous comment l'autoriser ? 6+6 b
Le jeu fut de tout temps permis pour s'amuser ; 6+6 b
On ne peut pas toujours travailler, prier, lire ; 6+6 a
Il vaut mieux s'occuper à jouer qu'à médire. 6+6 a
595 Le plus grand jeu, joué dans cette intention, 6+6 b
Peut même devenir une bonne action : 6+6 b
Tout est sanctifié par une âme pieuse. 6+6 a
Vous êtes, poursuit-on, avide, ambitieuse ; 6+6 a
Sans cesse vous brûlez de voir tous vos parents 6+6 b
600 Engloutir à la cour charges, dignités, rangs ; 6+6 b
Votre bon naturel en cela pour eux brille ; 6+6 a
Dieu ne nous défend point d'aimer notre famille. 6+6 a
D'ailleurs tous vos parents sont sages, vertueux : 6+6 b
Il est bon d'empêcher ces emplois fastueux 6+6 b
605 D'être donnés peut-être à des âmes mondaines, 6+6 a
Éprises du néant des vanités humaines. 6+6 a
Laissez là, croyez-moi, gronder les indévots, 6+6 b
Et sur votre salut demeurez en repos. » 6+6 b
Sur tous ces points douteux c'est ainsi qu'il prononce. 6+6 a
610 Alors, croyant d'un ange entendre la réponse, 6+6 a
Sa dévote s'incline, et, calmant son esprit, 6+6 b
A cet ordre d'en haut sans réplique souscrit. 6+6 b
Ainsi, pleine d'erreurs qu'elle croit légitimes, 6+6 a
Sa tranquille vertu conserve tous ses crimes ; 6+6 a
615 Dans un cœur tous les jours nourri du sacrement 6+6 b
Maintient la vanité, l'orgueil, l'entêtement ; 6+6 b
Et croit que devant Dieu ses fréquents sacrilèges 6+6 a
Sont pour entrer au ciel d'assurés privilèges. 6+6 a
Voilà le digne fruit des soins de son docteur. 6+6 b
620 Encore est-ce beaucoup, si ce guide imposteur, 6+6 b
Par les chemins fleuris d'un charmant quiétisme, 6+6 a
Tout à coup l'amenant au vrai molinosisme, 6+6 a
Il ne lui fait bientôt, aidé de Lucifer, 6+6 b
Goûter en paradis les plaisirs de l'enfer. 6+6 b
625 Mais, dans ce doux état, molle, délicieuse, 6+6 a
La hais-tu plus, dis-moi, que cette bilieuse 6+6 a
Qui, follement outrée en sa sévérité, 6+6 b
Baptisant son chagrin du nom de piété, 6+6 b
Dans sa charité fausse où l'amour-propre abonde, 6+6 a
630 Croit que c'est aimer Dieu que haïr tout le monde ? 6+6 a
Il n'est rien où d'abord son soupçon attaché 6+6 b
Ne présume du crime, et ne trouve un péché. 6+6 b
Pour une fille honnête et pleine d'innocence 6+6 a
Croit-elle en ses valets voir quelque complaisance, 6+6 a
635 Réputés criminels, les voilà tous chassés, 6+6 b
Et chez elle à l'instant par d'autres remplacés. 6+6 b
Son mari, qu'une affaire appelle dans la ville, 6+6 a
Et qui chez lui sortant a tout laissé tranquille, 6+6 a
Se trouve assez surpris, rentrant dans la maison, 6+6 b
640 De voir que le portier lui demande son nom ; 6+6 b
Et que, parmi ses gens, changés en son absence, 6+6 a
Il cherche vainement quelqu'un de connaissance. 6+6 a
« Fort bien ! le trait est bon ! dans les femmes, dis-tu, 6+6 b
Enfin vous n'approuvez ni vice ni vertu. 6+6 b
645 Voilà le sexe peint d'une noble manière ! 6+6 a
Et Théophraste même, aidé de La Bruyère, 6+6 a
Ne m'en pourrait pas faire un plus riche tableau. 6+6 b
C'est assez : il est temps de quitter le pinceau ; 6+6 b
Vous avez désormais épuisé la satire. » 6+6 a
650 Épuisé, cher Alcippe ! Ah ! tu me ferais rire ! 6+6 a
Sur ce vaste sujet si j'allais tout tracer, 6+6 b
Tu verrais sous ma main des tomes s'amasser. 6+6 b
Dans le sexe j'ai peint la piété caustique ; 6+6 a
Et, que serait-ce donc si, censeur plus tragique, 6+6 a
655 J'allais t'y faire voir l'athéisme établi, 6+6 b
Et, non moins que l'honneur, le ciel mis en oubli ? 6+6 b
Si j'allais t'y montrer plus d'une Capanée 6+6 a
Pour souveraine loi mettant la destinée, 6+6 a
Du tonnerre dans l'air bravant les vains carreaux, 6+6 b
660 Et nous parlant de Dieu du ton de Desbarreaux ? 6+6 b
Mais, sans aller chercher cette femme infernale, 6+6 a
T'ai-je encor peint, dis-moi, la fantasque inégale, 6+6 a
Qui, m'aimant le matin, souvent me hait le soir ? 6+6 b
T'ai-je peint la maligne aux yeux faux, au cœur noir ? 6+6 b
665 T'ai-je encor exprimé la brusque impertinente ? 6+6 a
T'ai-je tracé la vieille à morgue dominante, 6+6 a
Qui veut, vingt ans encore après le sacrement, 6+6 b
Exiger d'un mari les respects d'un amant ? 6+6 b
T'ai-je fait voir, de joie une belle animée, 6+6 a
670 Qui souvent d'un repas sortant tout enfumée, 6+6 a
Fait, même à ses amants, trop faibles d'estomac, 6+6 b
Redouter ses baisers pleins d'ail et de tabac ? 6+6 b
T'ai-je encore décrit la dame brelandière 6+6 a
Qui des joueurs chez soi se fait cabaretière, 6+6 a
675 Et souffre des affronts que ne souffrirait pas 6+6 b
L'hôtesse d'une auberge à dix sous par repas ? 6+6 b
Ai-je offert à tes yeux ces tristes Tisiphones, 6+6 a
Ces monstres, pleins d'un fiel que n'ont point les lionnes, 6+6 a
Qui, prenant en dégoût les fruits nés de leur flanc, 6+6 b
680 S'irritent sans raison contre leur propre sang ; 6+6 b
Toujours en des fureurs que les plaintes aigrissent, 6+6 a
Battent dans leurs enfants l'époux qu'elles haïssent ; 6+6 a
Et font de leur maison, digne de Phalaris, 6+6 b
Un séjour de douleur, de larmes et de cris ? 6+6 b
685 Enfin, t'ai-je dépeint la superstitieuse, 6+6 a
La pédante au ton fier, la bourgeoise ennuyeuse, 6+6 a
Celle qui de son chat fait son seul entretien, 6+6 b
Celle qui toujours parle et ne dit jamais rien ? 6+6 b
Il en est des milliers ; mais ma bouche, enfin lasse, 6+6 a
690 Des trois quarts, pour le moins, veut bien te faire grâce. 6+6 a
« J'entends, c'est pousser loin la modération. 6+6 b
Ah ! finissez, dis-tu, la déclamation. 6+6 b
Pensez-vous qu'ébloui de vos vaines paroles, 6+6 a
J'ignore qu'en effet tous ces discours frivoles 6+6 a
695 Ne sont qu'un badinage, un simple jeu d'esprit 6+6 b
D'un censeur, dans le fond, qui folâtre et qui rit, 6+6 b
Plein du même projet qui vous vint dans la tête 6+6 a
Quand vous plaçâtes l'homme au-dessous de la bête ? 6+6 a
Mais enfin, vous et moi, c'est assez badiner ; 6+6 b
700 Il est temps de conclure, et, pour tout terminer, 6+6 b
Je ne dirai qu'un mot : la fille qui m'enchante, 6+6 a
Noble, sage, modeste, humble, honnête, touchante, 6+6 a
N'a pas un des défauts que vous m'avez fait voir. 6+6 b
Si, par un sort, pourtant, qu'on ne peut concevoir, 6+6 b
705 La belle, tout à coup rendue insociable, 6+6 a
D'ange, — ce sont vos mots, — se transformait en diable, 6+6 a
Vous me verriez bientôt, sans me désespérer, 6+6 b
Lui dire : « Eh bien ! madame, il faut nous séparer ; 6+6 b
« Nous ne sommes pas faits, je le vois, l'un pour l'autre. 6+6 a
710 « Mon bien se monte à tant ; tenez, voilà le vôtre ; 6+6 a
« Partez ; délivrons-nous d'un mutuel souci. » 6+6 b
Alcippe, tu crois donc qu'on se sépare ainsi ? 6+6 b
Pour sortir de chez toi sur cette offre offensante, 6+6 a
As-tu donc oublié qu'il faut qu'elle y consente ? 6+6 a
715 Et crois-tu qu'aisément elle puisse quitter 6+6 b
Le savoureux plaisir de t'y persécuter ? 6+6 b
Bientôt son procureur, pour elle usant sa plume, 6+6 a
De ses prétentions va t'offrir un volume ; 6+6 a
Car, grâce au droit reçu chez les Parisiens, 6+6 b
720 Gens de douce nature, et maris bons chrétiens, 6+6 b
Dans ses prétentions une femme est sans borne. 6+6 a
Alcippe, à ce discours je te trouve un peu morne. 6+6 a
« Des arbitres, dis-tu, pourront nous accorder. » 6+6 b
Des arbitres !… Tu crois l'empêcher de plaider ! 6+6 b
725 Sur ton chagrin déjà contente d'elle-même, 6+6 a
Ce n'est point tous ses droits, c'est le procès qu'elle aime ; 6+6 a
Pour elle un bout d'arpent qu'il faudra disputer 6+6 b
Vaut mieux qu'un fief entier acquis sans contester ; 6+6 b
Avec elle il n'est point de droit qui s'éclaircisse, 6+6 a
730 Point de procès si vieux qui ne se rajeunisse ; 6+6 a
Et, sur l'art de former un nouvel embarras, 6+6 b
Devant elle Rolet mettrait pavillon bas. 6+6 b
Crois-moi, pour la fléchir trouve enfin quelque voie, 6+6 a
Ou je ne réponds pas dans peu qu'on ne te voie, 6+6 a
735 Sous le faix des procès, abattu, consterné, 6+6 b
Triste, à pied, sans laquais, maigre, sec, ruiné, 6+6 b
Vingt fois dans ton malheur résolu de te pendre ; 6+6 a
Et, pour comble de maux, réduit à la reprendre ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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