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F = "e" féminin
| = césure
BOI_1/BOI1
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
DISCOURS AU ROI
1665
DISCOURS AU ROI
Jeune et vaillant Héros, dont la haute sagesse 6+6 a
N'est point le fruit tardif d'une lente vieillesse, 6+6 a
Et qui, seul, sans ministre, à l'exemple des Dieux, 6+6 b
Soutiens tout par toi-même, et vois tout par tes yeux, 6+6 b
5 Grand Roi ; si jusqu'ici, par un trait de prudence, 6+6 a
J'ai demeuré pour toi dans un humble silence, 6+6 a
Ce n'est pas que mon cœur, vainement suspendu, 6+6 b
Balance pour t'offrir un encens qui t'est dû : 6+6 b
Mais, je sais peu louer, et ma Muse tremblante 6+6 a
10 Fuit d'un si grand fardeau la charge trop pesante, 6+6 a
Et, dans ce haut éclat où tu te viens offrir, 6+6 b
Touchant à tes lauriers, craindrait de les flétrir. 6+6 b
Ainsi, sans m'aveugler d'une vaine manie, 6+6 a
Je mesure mon vol à mon faible génie : 6+6 a
15 Plus sage en mon respect que ces hardis mortels 6+6 b
Qui d'un indigne encens profanent tes autels ; 6+6 b
Qui, dans ce champ d'honneur où le gain les amène, 6+6 a
Osent chanter ton nom sans force et sans haleine ; 6+6 a
Et qui vont tous les jours, d'une importune voix, 6+6 b
20 T'ennuyer du récit de tes propres exploits. 6+6 b
L'un, en style pompeux habillant une églogue, 6+6 a
De ses rares vertus te fait un long prologue, 6+6 a
Et mêle, en se vantant soi-même à tout propos, 6+6 b
Les louanges d'un fat à celles d'un Héros. 6+6 b
25 L'autre, en vain se lassant à polir une rime, 6+6 a
Et reprenant vingt fois le rabot et la lime, 6+6 a
— Grand et nouvel effort d'un esprit sans pareil ! 6+6 b
— Dans la fin d'un sonnet te compare au soleil. 6+6 b
Sur le haut Hélicon leur veine méprisée 6+6 a
30 Fut toujours des neuf Sœurs la fable et la risée, 6+6 a
Calliope jamais ne daigna leur parler, 6+6 b
Et Pégase pour eux refuse de voler. 6+6 b
Cependant, à les voir, enflés de tant d'audace, 6+6 a
Te promettre en leur nom les faveurs du Parnasse, 6+6 a
35 On dirait qu'ils ont seuls l'oreille d'Apollon, 6+6 b
Qu'ils disposent de tout dans le sacré vallon ; 6+6 b
C'est à leurs doctes mains, si l'on veut les en croire, 6+6 a
Que Phébus a commis tout le soin de ta gloire ; 6+6 a
Et ton nom, du Midi jusqu'à l'Ourse vanté, 6+6 b
40 Ne devra qu'à leurs vers son immortalité. 6+6 b
Mais plutôt, sans ce nom, dont la vive lumière 6+6 a
Donne un lustre éclatant à leur veine grossière, 6+6 a
Ils verraient leurs écrits, honte de l'univers, 6+6 b
Pourrir dans la poussière à la merci des vers. 6+6 b
45 A l'ombre de ton nom ils trouvent leur asile ; 6+6 a
Comme on voit dans les champs un arbrisseau débile, 6+6 a
Qui, sans l'heureux appui qui le tient attaché, 6+6 b
Languirait tristement sur la terre couché. 6+6 b
Ce n'est pas que ma plume, injuste et téméraire, 6+6 a
50 Veuille blâmer en eux le dessein de te plaire, 6+6 a
Et, parmi tant d'auteurs, je veux bien l'avouer, 6+6 b
Apollon en connaît qui te peuvent louer : 6+6 b
Oui, je sais qu'entre ceux qui t'adressent leurs veilles, 6+6 a
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles ; 6+6 a
55 Mais, je ne puis souffrir qu'un esprit de travers, 6+6 b
Qui, pour rimer des mots, pense faire des vers, 6+6 b
Se donne en te louant une gêne inutile. 6+6 a
Pour chanter un Auguste, il faut être un Virgile ; 6+6 a
Et j'approuve les soins du monarque guerrier 6+6 b
60 Qui ne pouvait souffrir qu'un artisan grossier 6+6 b
Entreprît de tracer, d'une main criminelle, 6+6 a
Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle. 6+6 a
Moi donc, qui connais peu Phébus et ses douceurs, 6+6 b
Qui suis nouveau sevré sur le mont des neuf Sœurs, 6+6 b
65 Attendant que pour toi l'âge ait mûri ma Muse, 6+6 a
Sur de moindres sujets je l'exerce et l'amuse, 6+6 a
Et, tandis que ton bras, des peuples redouté, 6+6 b
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité, 6+6 b
Et retient les méchants par la peur des supplices, 6+6 a
70 Moi, la plume à la main, je gourmande les vices, 6+6 a
Et, gardant pour moi-même une juste rigueur, 6+6 b
Je confie au papier les secrets de mon cœur. 6+6 b
Ainsi, dès qu'une fois ma verve se réveille, 6+6 a
Comme on voit au printemps la diligente abeille 6+6 a
75 Qui du butin des fleurs va composer son miel, 6+6 b
Des sottises du temps je compose mon fiel ; 6+6 b
Je vais de toutes parts où me guide ma veine, 6+6 a
Sans tenir en marchant une route certaine ; 6+6 a
Et, sans gêner ma plume en ce libre métier, 6+6 b
80 Je la laisse au hasard courir sur le papier. 6+6 b
Le mal est, qu'en rimant, ma Muse, un peu légère, 6+6 a
Nomme tout par son nom et ne saurait rien taire. 6+6 a
C'est là ce qui fait peur aux esprits de ce temps, 6+6 b
Qui, tout blancs au dehors, sont tout noirs au dedans. 6+6 b
85 Ils tremblent qu'un censeur, que sa verve encourage, 6+6 a
Ne vienne en ses écrits démasquer leur visage, 6+6 a
Et, fouillant dans leurs mœurs en toute liberté, 6+6 b
N'aille du fond du puits tirer la vérité. 6+6 b
Tous ces gens, éperdus au seul nom de satire, 6+6 a
90 Font d'abord le procès à quiconque ose rire. 6+6 a
Ce sont eux que l'on voit, d'un discours insensé, 6+6 b
Publier dans Paris que tout est renversé, 6+6 b
Au moindre bruit qui court qu'un auteur les menace 6+6 a
De jouer des bigots la trompeuse grimace. 6+6 a
95 Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux : 6+6 b
C'est offenser les lois, c'est s'attaquer aux cieux. 6+6 b
Mais, bien que d'un faux zèle ils masquent leur faiblesse, 6+6 a
Chacun voit qu'en effet la vérité les blesse. 6+6 a
En vain d'un lâche orgueil leur esprit revêtu 6+6 b
100 Se couvre du manteau d'une austère vertu, 6+6 b
Leur cœur qui se connaît, et qui fuit la lumière, 6+6 a
S'il se moque de Dieu, craint Tartuffe et Molière. 6+6 a
Mais, pourquoi sur ce point sans raison m'écarter ? 6+6 b
Grand Roi, c'est mon défaut, je ne saurais flatter : 6+6 b
105 Je ne sais point au ciel placer un ridicule, 6+6 a
D'un nain faire un Atlas ou d'un lâche un Hercule, 6+6 a
Et, sans cesse, en esclave, à la suite des grands, 6+6 b
A des Dieux sans vertu prodiguer mon encens. 6+6 b
On ne me verra point, d'une veine forcée, 6+6 a
110 Même pour te louer, déguiser ma pensée ; 6+6 a
Et, quelque grand que soit ton pouvoir souverain, 6+6 b
Si mon cœur en ces vers ne parlait par ma main, 6+6 b
Il n'est espoir de biens, ni raison, ni maxime, 6+6 a
Qui pût en ta faveur m'arracher une rime. 6+6 a
115 Mais, lorsque je te vois, d'une si noble ardeur, 6+6 b
T'appliquer sans relâche aux soins de ta grandeur, 6+6 b
Faire honte à ces rois que le travail étonne, 6+6 a
Et qui sont accablés du faix de leur couronne ; 6+6 a
Quand je vois ta sagesse, en ses justes projets, 6+6 b
120 D'une heureuse abondance enrichir tes sujets ; 6+6 b
Fouler aux pieds l'orgueil et du Tage et du Tibre ; 6+6 a
Nous faire de la mer une campagne libre ; 6+6 a
Et tes braves guerriers, secondant ton grand cœur, 6+6 b
Rendre à l'Aigle éperdu sa première vigueur ; 6+6 b
125 La France, sous tes lois, maîtriser la fortune ; 6+6 a
Et nos vaisseaux domptant l'un et l'autre Neptune, 6+6 a
Nous aller chercher l'or malgré l'onde et le vent, 6+6 b
Aux lieux où le soleil le forme en se levant ; 6+6 b
Alors, sans consulter si Phébus l'en avoue, 6+6 a
130 Ma Muse tout en feu me prévient et te loue. 6+6 a
Mais bientôt, la raison, arrivant au secours, 6+6 b
Vient d'un si beau projet interrompre le cours, 6+6 b
Et me fait concevoir, quelque ardeur qui m'emporte, 6+6 a
Que je n'ai ni le ton, ni la voix assez forte. 6+6 a
135 Aussitôt je m'effraye, et mon esprit troublé 6+6 b
Laisse là le fardeau dont il est accablé ; 6+6 b
Et, sans passer plus loin, finissant mon ouvrage, 6+6 a
Comme un pilote en mer, qu'épouvante l'orage, 6+6 a
Dès que le bord paraît, sans songer où je suis, 6+6 b
140 Je me sauve à la nage, et j'aborde où je puis. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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