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BCH_1/BCH121
Maurice Bouchor
LES POËMES DE L'AMOUR ET DE LA MER
1876
III
L'AMOUR DIVIN
XXIII
Par une nuit d'été délicieuse et triste 6+6 a
(Des nuits qui font chanter nos souvenirs en nous), 6+6 b
Je voguais, caressé par le vent frais et doux 6+6 b
Sur une mer gris-perle aux reflets d'améthyste. 6+6 a
5 Que les parfums du soir répandaient de langueur ! 6+6 a
Quel brouillard délicat, léger, flottait sur l'île ! 6+6 b
Ah ! les larmes ont dû, par cette nuit tranquille, 6+6 b
Monter à bien des yeux et gonfler bien des cœurs ! 6+6 a
Tous ceux dont l'âme encor naïve et vigoureuse 6+6 a
10 Vers l'inconnu tendait ses deux ailes, — ceux-là, 6+6 b
Quel vent mystérieux dans leur cheveux souffla, 6+6 b
Qui les lançait au large en pleine mer joyeuse ! 6+6 a
Et ceux dont la douleur avait brisé l'essor, 6+6 a
Qui vivaient du passé comme d'un divin rêve, 6+6 b
15 Oh ! pour ceux-là, combien s'élevaient sur la grève 6+6 b
De tendres souvenirs qui les charmaient ! Encor ! 6+6 a
La mer, silencieuse et palpitant à peine, 6+6 a
Brillante de clartés étranges, paraissait 6+6 b
Le miroir où la nuit amoureuse tressait, 6+6 b
20 En souriant, ses lourds et beaux cheveux d'ébène. 6+6 a
Les yeux au ciel où vers de mystiques amours 6+6 a
Fuyait la blanche lune ainsi qu'une colombe, 6+6 b
Et l'oreille attentive aux clapotements sourds 6+6 a
Des rames s'abattant sur les flots de velours, 6+6 a
25 Je descendais en moi comme dans une tombe. 6+6 b
Comme dans un caveau solitaire et glacé 6+6 a
Où les morts sont couchés dans des poses tragiques, 6+6 b
Gardant la mine, encor, de leur orgueil passé ; 6+6 a
Mais le vol des hiboux les a seul caressés, 6+6 a
30 Et le vent de la nuit est leur seule musique. 6+6 b
Dans ce caveau gisaient souvenirs et rancœurs, 6+6 a
Suprême illusion chimère décevante, 6+6 b
— Comme des morts que nul n'a suivi de ses pleurs ; 6+6 a
Et les coups de poignard qui leur saignaient au cœur 6+6 a
35 Me faisaient frissonner d'horreur et d'épouvante. 6+6 b
Ah ! dans ce moment même, et sous la grande nuit 6+6 a
Qui sur mille douleurs ouvrait ses larges ailes, 6+6 b
Plus d'un, que le sommeil dès longtemps avait fui, 6+6 a
Promenait sur la plage un amoureux ennui 6+6 a
40 Et regardait briller les étoiles cruelles. 6+6 b
Peut-être pleurait-il, et, tourné vers la mer, 6+6 a
Laissait couler les pleurs sur sa face pâlie 6+6 b
Avec la volupté d'un mal longtemps souffert ; 6+6 a
Mais moi, quels pleurs pourraient tomber dans mon enfer, 6+6 a
45 Et quelle volupté dans ma mélancolie ? 6+6 b
Moi-même, j'ai tué mon cœur ! Pourrais-je donc, 6+6 a
Brusquement repenti, par cette nuit sublime 6+6 b
Qui me fait plus souffrir de mon morne abandon, 6+6 a
Évoquer un fantôme et demander pardon 6+6 a
50 A ma jeunesse morte, — et morte par mon crime ? 6+6 b
La nuit commençait à pâlir, 8 a
Craintive — on l'eût dite pâmée, 8 b
Comme, entendant la voix aimée, 8 b
Une vierge se sent mourir. 8 a
55 Et vers sa demeure emperlée, 8 a
Jetant un sourire d'argent 8 b
La lune, d'un pied diligent, 8 b
Avait fui, charmante et voilée. 8 a
Nous étions bien loin des maisons 8 a
60 Où l'on rit et pleure, où l'on aime, — 8 b
Voguant, sans un adieu suprême, 8 b
Là-bas, vers les grands horizons. 8 a
Bien loin de la cendre glacée 8 a
De tous les souvenirs éteints 8 b
65 Qui, légère, au vent des matins 8 b
En tournant s'était dispersée. 8 a
Et les rameurs ne chantaient pas ; 8 a
Nous allions, la voile gonflée, 8 b
Sous la grande voûte étoilée, 8 b
70 Sans savoir où, toujours là-bas 8 a
Et cependant qu'à pleine voile 8 a
S'enfuyait le svelte bateau, 8 b
Je me roulai dans mon manteau 8 b
Et je dormis sous les étoiles. 8 a
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite de strophes
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