Métrique en Ligne
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C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
BAR_1/BAR8
Jules BARBEY D'AUREVILLY
Poussières
1854
La Maîtresse Rousse
Je pris pour maître, un jour, une rude Mtresse, 6+6 a
Plus fauve qu'un jaguar, plus rousse qu'un lion ! 6+6 b
Je l'aimais ardemment,âprement, — sans tendresse, 6+6 a
Avec possession plus qu'adoration ! 6+6 b
5 C'était ma rage, à moi ! la dernière folie 6+6 c
Qui saisit, — quand, touché par l'âge et le malheur, 6+6 d
On sent au fond de soi la jeunesse finie 6+6 c
Car le soleil des jours monte encor dans la vie, 6+6 c
Qu'il s'en va baissant dans le cœur ! 8 d
10 Je l'aimais et jamais je n'avais assez d'elle ! 6+6 a
Je lui disais : « Démon des dernières amours, 6+6 b
Salamandre d'enfer, à l'ivresse mortelle, 6+6 a
Quand les cœurs sont si froids, embrase-moi toujours ! 6+6 b
Verse-moi dans tes feux les feux que je regrette, 6+6 c
15 Ces beaux feux qu'autrefois j'allumais d'un regard ! 6+6 d
Rajeunis le rêveur, réchauffe le poète, 6+6 c
Et, puisqu'il faut mourir, que je meure, ô Fillette ! 6+6 c
Sous tes morsures de jaguar ! » 8 d
Alors je la prenais, dans son corset de verre, 6+6 a
20 Et sur ma lèvre en feu, qu'elle enflammait encor, 6+6 b
J'aimais à la pencher, coupe ardente et légère, 6+6 a
Cette rousse beauté, ce poison dans de l'or ! 6+6 b
Et c'étaient des baisers !… Jamais, jamais vampire 6+6 c
Ne suça d'une enfant le cou charmant et frais 6+6 d
25 Comme moi je suçais, ô ma rousse hétaïre, 6+6 c
La lèvre de cristal où buvait mon délire 6+6 c
Et sur laquelle tu brûlais ! 8 d
Et je sentais alors ta foudroyante haleine 6+6 a
Qui passait dans la mienne et, tombant dans mon cœur, 6+6 b
30 Y redoublait la vie, en effaçait la peine, 6+6 a
Et pour quelques instants en ravivait l'ardeur ! 6+6 b
Alors, Fille de Feu, mtresse sans rivale, 6+6 c
J'aimais à me sentir incendié par toi 6+6 d
Et voulais m'endormir, l'air joyeux, le front pâle, 6+6 c
35 Sur un bûcher brillant, comme Sardanapale, 6+6 c
Et le bûcher était en moi ! 8 d
« Ah ! du moins celle-là sait nous rester fidèle, — 6+6 a
Me disais-je, — et la main la retrouve toujours, 6+6 b
Toujours prête à qui l'aime et vit altéré d'elle, 6+6 a
40 Et veut dans son amour perdre tous ses amours ! » 6+6 b
Un jour elles s'en vont, nos plus chères mtresses ; 6+6 c
Par elles, de l'Oubli nous buvons le poison, 6+6 d
Tandis que cette Rousse, indomptable aux caresses, 6+6 c
Peut nous tuer aussi, — mais à force d'ivresses, 6+6 c
45 Et non pas par la trahison ! 8 d
Et je la préférais, féroce, mais sincère, 6+6 a
A ces douces beautés, au sourire trompeur, 6+6 b
Payant les cœurs loyaux d'un amour de faussaire 6+6 a
Je savais sur quel cœur je dormais sur son cœur ! 6+6 b
50 L'or qu'elle me versait et qui dorait ma vie, 6+6 c
Soleillant dans ma coupe, était un vrai trésor ! 6+6 d
Aussi ce n'était pas pour le temps d'une orgie, 6+6 c
Mais pour l'éternité, que je l'avais choisie : 6+6 c
Ma compagne jusqu'à la mort ! 8 d
55 Et toujours agrafée à moi comme une esclave, 6+6 a
Car le tyran se rive aux fers qu'il fait porter, 6+6 b
Je l'emportais partout dans son flacon de lave, 6+6 a
Ma topaze de feu, toujours près d'éclater ! 6+6 b
Je ressentais pour elle un amour de corsaire, 6+6 c
60 Un amour de sauvage, effréné, fol, ardent ! 6+6 d
Cet amour qu'Hégésippe avait, dans sa misère, 6+6 c
Qui nous tient lieu de tout, quand la vie est amère, 6+6 c
Et qui fit mourir Sheridan ! 8 d
Et c'était un amour toujours plus implacable, 6+6 a
65 Toujours plus dévorant, toujours plus insensé ! 6+6 b
C'était comme la soif, la soif inexorable 6+6 a
Qu'allumait autrefois le philtre de Circé. 6+6 b
Je te reconnaissais, voluptueux supplice ! 6+6 c
Quand l'homme cherche, hélas ! dans ses maux oubliés, 6+6 d
70 De l'abrutissement le monstrueux délice 6+6 c
Et n'est — Circé ! — jamais assez, à son caprice, 6+6 c
La Bête qui lèche tes pieds ! 8 d
Pauvre amour, — le dernier, — que les heureux du monde, 6+6 a
Dans leur dégoût hautain, s'amusent à flétrir, 6+6 b
75 Mais que doit excuser toute âme un peu profonde 6+6 a
Et qu'un Dieu de bon ne voudra point punir ! 6+6 b
Pour bien apprécier sa douceur mensongère, 6+6 c
Il faudrait, quand tout brille au plafond du banquet, 6+6 d
Avoir caché ses yeux dans l'ombre de son verre 6+6 c
80 Et pleuré dans cette ombre, — et bu la larme amère 6+6 c
Qui tombait et qui s'y fondait ! 8 d
Un soir je la buvais, cette larme, en silence 6+6 a
Et, replongeant ma lèvre entre tes lèvres d'or, 6+6 b
Je venais de reprendre, ô ma sombre Démence ! 6+6 a
85 L'ironie, et l'ivresse, et du courage encor ! 6+6 b
L'Esprit — l'Aigle vengeur qui plane sur la vie 6+6 c
Revenait à ma lèvre, à son sanglant perchoir… 6+6 d
J'allais recommencer mes accès de folie 6+6 c
Et rire de nouveau du rire qui défie 6+6 c
90 Quand une femme, en corset noir, 8 d
Une femme… Je crus que c'était une femme, 6+6 a
Mais depuis… Ah ! j'ai vu combien je me trompais, 6+6 b
Et que c'était un Ange, et que c'était une Âme, 6+6 a
De rafrchissement, de lumière et de paix ! 6+6 b
95 Au milieu de nous tous, charmante Solitaire, 6+6 c
Elle avait les yeux pleins de toutes les pitiés. 6+6 d
Elle prit ses gants blancs et les mit dans mon verre, 6+6 c
Et me dit en riant, de sa voix douce et claire 6+6 c
« Je ne veux plus que vous buviez ! » 8 d
100 Et ce simple mot-là décida de ma vie, 6+6 a
Et fut le coup de Dieu qui changea mon destin. 6+6 b
Et quand elle le dit, sûre d'être obéie, 6+6 a
Sa main vint chastement s'appuyer sur ma main. 6+6 b
Et, depuis ce temps-là, j'allai chercher l'ivresse 6+6 c
105 Ailleurs… que dans la coupe où bouillait ton poison, 6+6 d
Sorcière abandonnée, ô ma Rousse Mtresse ! 6+6 c
Bel exemple de plus que Dieu dans sa sagesse, 6+6 c
Mit l'Ange au-dessus du démon ! 8 d
mètre profils métriques : 8, 6+6
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