Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAR_1/BAR5
Jules BARBEY D'AUREVILLY
Poussières
1854
La Beauté
À Armance.
Eh quoi ! vous vous plaignez, | vous aussi, de la vie ! 6+6 a
Vous avez des douleurs, | des ennuis, des dégoûts ! 6+6 b
Un dard sans force aux yeux, | sur la lèvre une lie, 6+6 a
Et du mépris au cœur ! | — Hélas ! c'est comme nous ! 6+6 b
5 Lie aux lèvres ? — poison, | reste brûlant du verre ; 6+6 c
Dard aux yeux ? — rapporté | mi-brisé des combats ; 6+6 d
Et dans le cœur mépris ? | — Éternel Sagittaire 6+6 c
Dont le carquois ne tarit pas ! 8 d
Vous avez tout cela, | — comme nous, ô Madame ! 6+6 a
10 En vain Dieu répandit | ses sourires sur vous ! 6+6 b
La Beauté n'est donc pas | tout non plus pour la femme 6+6 a
Comme en la maudissant | nous disions à genoux, 6+6 b
Et comme tant de fois, | dans vos soirs de conquête, 6+6 c
Vous l'ont dit vos amants, | en des transports perdus, 6+6 d
15 Et que, pâle d'ennui, | vous détourniez la tête, 6+6 c
Ô Dieu ! n'y pensant déjà plus… 8 d
Ah ! non, tu n'es pas tout, | Beauté, — même pour Celle 6+6 a
Qui se mirait avec | le plus d'orgueil en toi, 6+6 b
Et qui, ne cachant pas | sa fierté d'être belle, 6+6 a
20 Plongeait les plus grands cœurs | dans l'amour et l'effroi ! 6+6 b
Ah ! non, tu n'es pas tout… | C'est affreux ; mais pardonne ! 6+6 c
Si l'homme eût pu choisir, | il n'eût rien pris après ; 6+6 d
Car il a cru longtemps, | au bonheur que tu donne, 6+6 c
Beauté ! que tu lui suffirais ! 8 d
25 Mais l'homme s'est trompé, | je t'en atteste, Armance ! 6+6 a
Qui t'enivrais de toi | comme eût fait un amant, 6+6 b
Puisant à pleines mains | dans ta propre existence, 6+6 a
Comme un homme qui boit | l'eau d'un fleuve en plongeant. 6+6 b
Pour me convaincre, hélas ! | montre-toi tout entière ; 6+6 c
30 Dis-moi ce que tu sais… | l'amère vérité. 6+6 d
Ce n'est pas un manteau | qui cache ta misère, 6+6 c
C'est la splendeur de la Beauté ! 8 d
Dis-moi ce que tu sais… | De ta pâleur livide, 6+6 a
Que des tempes jamais | tes mains n'arracheront 6+6 b
35 Et qui semble couler | d'une coupe homicide 6+6 a
Que le Destin railleur | renversa sur ton front ; 6+6 b
De ton sourcil froncé, | de l'effort de ton rire, 6+6 c
De ta voix qui nous ment, | de ton œil qui se tait, 6+6 d
De tout ce qui nous trompe, | hélas ! et qu'on admire, 6+6 c
40 Ah ! fais-moi jaillir ton secret. 8 d
Dis tout ce que tu sais… | Rêves, douleur et honte, 6+6 a
Désirs inassouvis | par des baisers cuisants, 6+6 b
Nuits, combats, voluptés, | souillures qu'on affronte 6+6 a
Dans l'infâme fureur | des échevèlements ! 6+6 b
45 Couche qui n'est pas vide | et qu'on fuit, — fatale heure 6+6 c
De la coupable nuit | dont même on ne veut plus, 6+6 d
Et qu'on s'en va finir — | au balcon — où l'on pleure, 6+6 c
Et qui transit les coudes nus ! 8 d
Ah ! plutôt, ne dis rien ! | car je sais tout, Madame ! 6+6 a
50 Je sais que le Bonheur | habite de beaux bras ; 6+6 b
Mais il ne passe pas | toujours des bras dans l'âme… 6+6 a
On donne le bonheur, | on ne le reçoit pas ! 6+6 b
La coupe où nous buvons | n'éprouve pas l'ivresse 6+6 c
Qu'elle verse à nos cœurs, | brûlante volupté ! 6+6 d
55 Vous avez la Beauté, | — mais un peu de tendresse, 6+6 c
Mais le bonheur senti | de la moindre caresse, 6+6 c
Vaut encor mieux que la Beauté. 8 d
mètre profils métriques : 8, 6+6
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