Métrique en Ligne
BAR_1/BAR15
Jules BARBEY D'AUREVILLY
Poussières
1854
Le Vieux Goëland
À Léon Ostrowski.
C'était un fier oiseau, farouche et solitaire, 6+6 a
Au bec crochu d'or pâle, aux pieds d'ambre, à l'œil clair, 6+6 b
Arraché tout vivant au rocher, son repaire, 6+6 a
Aux flots verts, à la nue, aux brisans, au grand air ! 6+6 b
5 Ils l'avaient pris dans un de ces jours de tempête 6+6 a
Où Satan, sur les mers, déchaîne son Sabbat 6+6 b
Un harpon lui cassa l'aile au lieu de la tête 6+6 a
Et ils en firent un forçat ! 8 b
Dans le fond d'une cour aux quatre angles de pierre, 6+6 a
10 Ils l'avaient interné, ce sauvage reclus, 6+6 b
Qui restait, toujours l'œil rentré sous sa paupière, 6+6 a
Comme un rêveur qui songe à ce qu'il ne voit plus ! 6+6 b
Oh ! lui, qui quand la mer se creusait en abîmes 6+6 a
Se plongeait dans sa courbe et remontait au jour, 6+6 b
15 Comme il a dû souffrir, ce fils des pics sublimes, 6+6 a
Des pierres plates de sa cour ! 8 b
Comme il a dû souffrir sur la dalle poudreuse 6+6 a
Où son pied se séchait, encor trempé d'éther ! 6+6 b
Comme il a dû souffrir de cette vie affreuse 6+6 a
20 Faite d'ennui du ciel et d'ennui de la mer ! 6+6 b
Que je l'ai vu de fois, hérissé dans sa plume, 6+6 a
Le blême oiseau, — fait pierre aussi par la douleur ! 6+6 b
Son aile grise était comme un manteau de brume 6+6 a
Pendant sur sa morne blancheur 8 b
25 Il se tenait rigide en cette cour déserte, 6+6 a
Mais lorsque, par hasard, quelqu'un la traversait, 6+6 b
Alors les yeux ouverts, bec ouvert, aile ouverte, 6+6 a
Vers le passant, l'oiseau tout à coup s'en courait ! 6+6 b
De son gosier sortait un cri strident et rauque, 6+6 a
30 Le cri sifflant du vent dans des agrès mouillés, 6+6 b
Et fixant ce passant d'un œil féroce et glauque 6+6 a
Il voulait lui percer les pieds ! 8 b
Et si c'était les pieds de quelque jeune fille, 6+6 a
De ces pieds élégants, au souple brodequin, 6+6 b
35 Qui, sveltes et cambrés, moulés à la cheville, 6+6 a
Font craquer en marchant l'agaçant maroquin, 6+6 b
Alors… oh ! c'est alors que plus féroce encore 6+6 a
Le cruel se jetait sur ces pieds enivrants, 6+6 b
Comme si ces doux pieds divins, que l'homme adore, 6+6 a
40 Étaient l'horreur des Goëlands ! 8 b
Que t'avaient-ils donc fait, ces pauvres pieds de femme, 6+6 a
Pour te mettre en fureur rien qu'à les voir passer ?… 6+6 b
Que te rappelaient-ils ?… Le branle de la lame 6+6 a
Sur laquelle autrefois tu pouvais te bercer ? 6+6 b
45 Mutilé du harpon, aux rancunes cruelles, 6+6 a
Tombé des airs, tombé des pics, tombé des mâts ! 6+6 b
Ils te narguaient, ces pieds, — tu les croyais des ailes 6+6 a
Goëland, tu ne rêvais pas ! 8 b
O mon vieux Goëland, ce n'était pas un rêve, 6+6 a
50 Le rêve d'un captif que rend fou la douleur ! 6+6 b
Vieux pirate échoué sur cette horrible grève, 6+6 a
Ces pieds, — ces pieds charmants qui passaient, — ces pieds d'Ève 6+6 a
Que l'on prend dans sa main et qu'on met sur son cœur, 6+6 b
Mais qui n'y restent pas, légers, prompts, infidèles, 6+6 a
55 Faits pour nous fuir après être venus à nous, 6+6 b
O mon vieux Goëland, c'étaient bien là des ailes ! 6+6 a
Et toi, — tu t'en sentais jaloux ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite de strophes
logo du CRISCO logo de l'université