Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAR_1/BAR14
Jules BARBEY D'AUREVILLY
Poussières
1854
Le Buste Jaune
À mon grand ami le comte Roselly de Lorgues.
Le Jour meurt, — et la Nuit met le pied sur sa tombe 6+6 a
Avec le noir orgueil d'avoir tué le Jour. 6+6 b
De la patère au sphinx l'épais rideau retombe, 6+6 a
Et le salon désert dans son vaste pourtour 6+6 b
5 A pris des airs de catacombe. 8 a
Et les volets fermés par-dessus le rideau 6+6 a
Ont fait comme un cercueil à ma sombre pene 6+6 b
Je suis seul comme un mort ; — et la lampe baissée 6+6 b
Sous son capuchon noir près de moi dépoe 6+6 b
10 Semble un moine sur un tombeau. 8 a
Et les vases d'albâtre au fond des encoignures 6+6 a
Blêmissent vaporeux, mais paraissent encor. 6+6 b
Rien ne fait plus bouger les plis lourds des tentures… 6+6 a
Tout se tait, — excepté le vent du corridor 6+6 b
15 Qui pleure aussi sur les toitures ! 8 a
Et par le capuchon de la lampe assombris 6+6 a
Les grands murs du salon semblent plus longs d'une aune 6+6 b
Et dans le clair-obscur, oscillant, vague, atone, 6+6 b
On voit se détacher un buste, — un buste jaune 6+6 b
20 Bombant d'un angle de lambris. 8 a
C'est un beau buste blond, — d'un blond pâle, — en argile, 6+6 a
Moulé divinement avec un art charmant. 6+6 b
Aucun nom ne se lit sur son socle fragile. 6+6 a
Je l'ai toujours vu là, dans ce coin, y restant 6+6 b
25 Comme un rêve, — un rêve immobile. 8 a
C'est un buste de femme aux traits busqués et fins, 6+6 a
Aux cheveux relevés, aux tempes découvertes, 6+6 b
Et qui, — là, — de ce coin, voilé d'ombres discrètes, 6+6 b
Vous allonge, en trois quarts, les paupières ouvertes, 6+6 b
30 De hautains regards incertains. 8 a
Ce fut pour moi toujours une étrange figure 6+6 a
Que ce buste de femme, — et dès mes premiers ans, 6+6 b
Je la cherchais des yeux dans sa pénombre obscure 6+6 a
Puis, lorsque j'en fus loin par l'espace et le temps, 6+6 b
35 Dans mon cœur, — cette autre encoignure ! 8 a
Car ce buste, ce fut… oui ! mon premier amour, 6+6 a
Le premier amour fou de mon cœur solitaire ! 6+6 b
La femme qu'il était est restée un mystère 6+6 b
C'était — m'avait-on dit — la tante de ma mère, 6+6 b
40 Une dame de Chavincour 8 a
Morte vers les trente ans… Rien de plus. Sa toilette 6+6 a
En ce buste est très simple et celle de son temps. 6+6 b
Ses cheveux étagés n'ont pas même une aigrette. 6+6 a
On dirait, mais alors sans nœuds et sans rubans, 6+6 b
45 La Reine Marie-Antoinette. 8 a
C'est bien là ce collier, — ce collier de sequins 6+6 a
Que les femmes serraient comme on fait sa ceinture, 6+6 b
La cravate du cou, bien plus que sa parure 6+6 b
Et ce corsage aussi, dont la brusque échancrure 6+6 b
50 Descend jusqu'entre les deux seins. 8 a
O buste, idolâtré de mon enfance folle, 6+6 a
Buste mystérieux que je revois ce soir !… 6+6 b
Quand rien, rien dans mon cœur n'a plus une auréole, 6+6 a
Tu rayonnes toujours, jaune, dans ton coin noir, 6+6 b
55 O buste ! ma première idole ! 8 a
Tous les bustes vivants que j'ai pris sur mon cœur 6+6 a
S'y sont brisés, usés, déformés par la vie 6+6 b
Leur argile de chair s'est plus vite amollie 6+6 b
Que ton argile, ô buste ! immobile effigie 6+6 b
60 Et du temps inerte vainqueur ! 8 a
Toi seul n'as pas bougé, buste ! forme et matière, 6+6 a
La vie, en s'écoulant, n'a pu rien t'enlever… 6+6 b
Mon rêve, auprès de toi, je le viens achever… 6+6 b
Je songerai de toi jusques au cimetière, 6+6 a
65 Mais, ô buste ! après moi, quel cœur fera rêver 6+6 b
Ton argile, — sur ma poussière ?… 8 a
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