Métrique en Ligne
BAR_1/BAR11
Jules BARBEY D'AUREVILLY
Poussières
1854
Oh ! pourquoi voyager ? as-tu dit. C'est que l'âme 6+6 a
Se prend de longs ennuis et partout et toujours ; 6+6 b
C'est qu'il est un désir, ardent comme une flamme, 6+6 a
Qui, nos amours éteints, survit à nos amours ! 6+6 b
5 C'est qu'on est mal ici ! — Comme les hirondelles, 6+6 c
Un vague instinct d'aller nous dévore à mourir ; 6+6 d
C'est qu'à nos cœurs, mon Dieu ! vous avez mis des ailes. 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
C'est que le cœur hennit en pensant aux voyages, 6+6 a
10 Plus fort que le coursier qui sellé nous attend ; 6+6 b
C'est qu'il est dans le nom des plus lointains rivages 6+6 a
Des charmes sans pareils pour celui qui l'entend ; 6+6 b
Irrésistible appel, ranz des vaches pour l'âme 6+6 c
Qui cherche son pays perdu — dans l'avenir ; 6+6 d
15 C'est fier comme un clairon, doux comme un chant de femme. 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
C'est que toi, pauvre enfant, et si jeune et si belle, 6+6 a
Qui vivais près de nous et couchais sur nos cœurs, 6+6 b
Tu n'as pas su dompter cette force rebelle 6+6 a
20 Qui nous jeta vers toi pour nous pousser ailleurs ! 6+6 b
Tu n'as plus de mystère au fond de ton sourire, 6+6 c
Nous le connaissons trop pour jamais revenir ; 6+6 d
La chaîne des baisers se rompt, — l'amour expire 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
25 En vain, tout en pleurant, la femme qui nous aime 6+6 a
Viendrait à notre épaule agrafer nos manteaux, 6+6 b
Nous resterions glacés à cet instant suprême ; 6+6 a
A trop couler pour nous des pleurs ne sont plus beaux. 6+6 b
Nous n'entendrions plus cette voix qui répète : 6+6 c
30 « Oh ! pourquoi voyager ? » dans un tendre soupir, 6+6 d
Et nous dirions adieu sans retourner la tête. 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
Oh ! ne m'accuse pas ; accuse la nature, 6+6 a
Accuse Dieu plutôt, — mais ne m'accuse pas ! 6+6 b
35 Est-ce ma faute, à moi, si dans la vie obscure 6+6 a
Mes yeux ont soif de jour, mes pieds ont soif de pas ? 6+6 b
Si je n'ai pu rester à languir sur ta couche, 6+6 c
Si tes bras m'étouffaient sans me faire mourir, 6+6 d
S'il me fallait plus d'air qu'il n'en peut dans ta bouche 6+6 c
40 Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
Pourquoi ne pouvais-tu suffire à ma pensée 6+6 a
Et tes yeux n'être plus que mes seuls horizons ? 6+6 b
Pourquoi ne pas cacher ma tête reposée 6+6 a
Sous les abris d'or pur de tes longs cheveux blonds ? 6+6 b
45 Comme la jeune épouse endormie à l'aurore, 6+6 c
La fleur d'amour, comme elle, au soir va se rouvrir 6+6 d
Mais si l'amour n'est plus, pourquoi de l'âme encore ? 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
Tu ne la connais pas, cette vie ennuyée, 6+6 a
50 Lasse de pendre au mât, avide d'ouragan. 6+6 b
Toi, tu restes toujours, sur ton coude appuyée, 6+6 a
A voir stagner la tienne ainsi qu'un bel étang. 6+6 b
Restes-y ! Mon amour fut l'ombre d'un nuage 6+6 c
Sur l'étang ; — le soleil y reviendra frémir ! 6+6 d
55 Tu ne garderas pas trace de mon passage 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
Ô coupe de vermeil où j'ai puisé la vie, 6+6 a
Je ne t'emporte pas dans mon sein tout glacé ! 6+6 b
Reste derrière moi, reste à demi remplie, 6+6 a
60 Offrande à l'avenir et débris du passé. 6+6 b
Je peux boire à présent, sans que trop il m'en coûte, 6+6 c
Un breuvage moins doux et moins prompt à tarir, 6+6 d
Dans le creux de mes mains, aux fossés de la route 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
65 Mais, si c'est t'offenser que partir, oh ! pardonne ; 6+6 a
Quoique de ces douleurs dont tu n'eus point ta part, 6+6 b
Rien, hélas ! (et pourtant autrefois tu fus bonne !) 6+6 a
Ne saurait racheter le crime du départ. 6+6 b
Pourquoi t'associerais-je à mon triste voyage ? 6+6 c
70 Lorsque tu le pourrais, oserais-tu venir ? 6+6 d
Plus sombre que Lara, je n'aurai point de page 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
Et qu'importe un pardon ! — Innocent ou coupable, 6+6 a
On n'est jamais fidèle ou parjure à moitié ; 6+6 b
75 Le cœur, sans être dur, demeure inébranlable, 6+6 a
Et l'oubli lui vaut mieux qu'une vaine pitié. 6+6 b
Ah ! l'oubli ! quel repos quand notre âme est lassée ! 6+6 c
Endors-toi dans ses bras, sans rêver ni souffrir 6+6 d
Je ne veux rien de toi… pas même une pensée ! 6+6 c
80 Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
Car il est, tu le sais, ô femme abandonnée, 6+6 a
Un voyageur plus vieux, plus sans pitié que moi, 6+6 b
Et ce n'est pas un jour, quelques mois, une année, 6+6 a
Mais c'est tout qu'il doit prendre, aux autres comme à toi ! 6+6 b
85 Tel que des épis d'or sciés d'un bras avide, 6+6 c
Il prend beauté, bonheur, et jusqu'au souvenir, 6+6 d
Fait sa gerbe et s'en va du champ qu'il laisse aride 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
Oui ! partir avant lui, partir avant qu'il vienne ! 6+6 a
90 Te laisser belle encor sous tes pleurs répandus, 6+6 b
Ne pas chercher ta main qui froidit dans la mienne, 6+6 a
Et, sous un front terni, tes yeux, astres perdus ! 6+6 b
N'eût-on que le respect de celle qui fut belle 6+6 c
Il faudrait s'épargner de la voir se flétrir, 6+6 d
95 Puisque Dieu ne veut pas qu'elle soit immortelle ! 6+6 c
Voilà pourquoi je veux partir ! 8 d
mètre profils métriques : 6+6, (8)
forme globale type : suite périodique
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