Métrique en Ligne
BAR_1/BAR10
Jules BARBEY D'AUREVILLY
Poussières
1854
À Clara.
Oh ! les yeux adorés ne sont pas ceux qui virent 6+6 a
Qu'on les aimait, — alors qu'on en mourait tout bas ! 6+6 b
Les rêves les plus doux ne sont pas ceux que firent 6+6 a
Deux êtres, cœur à cœur et les bras dans les bras ! 6+6 b
5 Les bonheurs les plus chers à notre âme assouvie 6+6 c
Ne sont pas ceux qu'on pleure après qu'ils sont partis ; 6+6 d
Mais les plus beaux amours que l'on eut dans la vie 6+6 c
Du cœur ne sont jamais sortis ! 8 d
Ils sont là, vivent là, durent là. — Les Années 6+6 a
10 Tombent sur eux en vain. On les croit disparus, 6+6 b
Perdus, anéantis, au fond des destinées !… 6+6 a
Et le Destin, c'est eux, qui semblaient n'être plus ! 6+6 b
On a dix fois aimé depuis eux. — La jeunesse 6+6 c
A coulé, fastueuse et brûlante, — et le Temps 6+6 d
15 Amène un soir d'hiver, par la main, la Vieillesse, 6+6 c
Qui nous prend, elle ! par les flancs ! 8 d
Mais ces flancs terrassés qu'on croyait sans blessure 6+6 a
En ont une depuis qu'ils respirent, hélas ! 6+6 b
D'un trait mal appuyé, légère égratignure, 6+6 a
20 Qui n'a jamais guéri, mais qui ne saignait pas ! 6+6 b
Ce n'était rien… le pli de ces premières roses 6+6 c
Qu'on s'écrase au printemps sur le cœur, quand il bout 6+6 d
Ah ! dans ce cœur combien il a passé de choses ! 6+6 c
Mais ce rien resté… c'était tout ! 8 d
25 On n'en parlait jamais… Jamais, jamais personne 6+6 a
N'a su que sous un pli de nos cœurs se cachait, 6+6 b
Comme une cantharide au fond d'une anémone, 6+6 a
Un sentiment sans nom que rien n'en détachait ! 6+6 b
Ce n'était pas l'amour exprimé qui s'achève 6+6 c
30 Dans des bras qu'on adore et qu'on hait tour à tour. 6+6 d
Ce n'était pas l'amour, ce n'en était qu'un rêve 6+6 c
Mais c'était bien mieux que l'amour ! 8 d
Et sous tous ces amours qui fleurissent la vie, 6+6 a
Et sous tous les bonheurs qui peuvent l'enivrer, 6+6 b
35 Nous avons retrouvé toujours cette folie, 6+6 a
A laquelle le cœur n'a rien à comparer ! 6+6 b
Et nous avons subi partout l'étrange empire 6+6 c
De ce rêve tenace, — et vague, — mais vainqueur, 6+6 d
Et jusque dans tes bras, Clara, ce doux Vampire 6+6 c
40 Est venu s'asseoir sur mon cœur. 8 d
Tu ne devinas pas ce que j'avais dans l'âme 6+6 a
Tu faisais à mon front couronne de ton bras, 6+6 b
Et de ton autre main qui me versait sa flamme 6+6 a
Tu me tâtais ce cœur où, toi, tu n'étais pas ! 6+6 b
45 Tu cherchais à t'y voir, chère fille égarée, 6+6 c
Tu disais : « Tu te tais, mon bien-aimé ; qu'as-tu ?… » 6+6 d
Je n'avais rien, Clara, — mais, ma pauvre adorée, 6+6 c
C'est ce rien-là que j'avais vu ! 8 d
Il se levait tout droit, ce rien, dans ma pensée. 6+6 a
50 Ce n'était qu'un fantôme… un visage incertain 6+6 b
Mais des chers souvenirs de notre âme abusée 6+6 a
Le plus fort, c'est toujours, toujours le plus lointain ! 6+6 b
Perspective du cœur ardent qui se dévore, 6+6 c
Le passé reculant brille plus à nos yeux 6+6 d
55 Et le jour le plus beau n'est qu'un spectre d'aurore, 6+6 c
Qui revient rôder dans les cieux ! 8 d
Et toi, tu l'as été, ce spectre d'une aurore, 6+6 a
Dont le rayon pour moi ne s'éteignit jamais ! 6+6 b
Mais toi, jour de mes yeux, ma Clara que j'adore, 6+6 a
60 Tu n'as pas effacé cette autre que j'aimais ! 6+6 b
Une étoile planant sur les mers débordées 6+6 c
Se mire dans leurs flots et rit de leurs combats 6+6 d
Combien donc nous faut-il de femmes possédées 6+6 c
Pour valoir celle qu'on n'eut pas ?… 8 d
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 8(ababcdcd)
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