Métrique en Ligne
BAN_8/BAN369
Théodore de BANVILLE
LE SANG DE LA COUPE
1857
La Centième de Notre-Dame de Paris
Ode
récitée au théatre des nations
par
Madame Marie Laurent
le 13 octobre 1879
O peuple frissonant, ému comme une femme ! 6+6 a
Heureux de savourer la douleur et l'effroi, 6+6 b
Tu vins cent fois de suite applaudir notre drame 6+6 a
Où l'âme de Hugo pleure et gémit sur toi. 6+6 b
5 Esméralda, si belle en sa parure folle 6+6 a
Que les anges des cieux la regardent marcher, 6+6 b
Domptant les noirs truands par sa douce parole 6+6 a
Et dévorant des yeux Phœbus, le bel archer ; 6+6 b
Esméralda, rayon, chant, vision, chimère ! 6+6 a
10 Jeune fille sur qui la lumière tombait, 6+6 b
Et qu'un bourreau vient prendre aux baisers de sa mère 6+6 a
Pour l'unir, éperdue, avec l'affreux gibet ; 6+6 b
Le prêtre méditant son infâme caresse, 6+6 a
Et le pauvre Jehan brisé comme un fruit mûr ; 6+6 b
15 Quasimodo tout plein de rage et de tendresse, 6+6 a
Masse difforme, ayant en elle de l'azur ; 6+6 b
Et les cloches d'airain chantant dans les tourelles, 6+6 a
Pleurant, hurlant, tonnant, gémissant dans les tours 6+6 b
D'où s'enfuit à l'aurore un vol de tourterelles, 6+6 a
20 Et disant tes ardeurs, tes labeurs, tes amours ; 6+6 b
Tu ne te lassais pas de ce drame qui t'aime, 6+6 a
Et qui semble un miroir magique où tu te vois, 6+6 b
O peuple ! car Hugo le songeur, c'est toi-même, 6+6 a
Et ton espoir immense a passé dans sa voix. 6+6 b
25 C'est lui qui te console et c'est lui qui t'enseigne : 6+6 a
Sans le courber le temps a blanchi ses cheveux. 6+6 b
Peuple ! on n'a jamais pu te blesser sans qu'il saigne, 6+6 a
Et quand ton pain devient amer, il dit : J'en veux ! 6+6 b
Lui le chanteur divin, béni par les érables 6+6 a
30 Et les chênes touffus dans la noire forêt, 6+6 b
Il dit : Laissez venir à moi les misérables ! 6+6 a
Et son front calme et doux comme un lys apparaît. 6+6 b
Il vient coller sa lèvre à toute âme tuée ; 6+6 a
Il vient, plein de pitié, de ferveur et d'émoi, 6+6 b
35 Relever le laquais et la prostituée, 6+6 a
Et dire au mendiant : Mon frère, embrasse-moi. 6+6 b
O Job mourant ! sa bouche a baisé ton ulcère, 6+6 a
Et cependant un jour, parmi les deuils amers, 6+6 b
L'exil noir l'emporta dans son horrible serre 6+6 a
40 Et le laissa, pensif, au bord des sombres mers. 6+6 b
Il méditait, privé de la douce patrie ; 6+6 a
Et, lui que cette France a connu triomphant, 6+6 b
Il ne pouvait plus même, en son idolâtrie, 6+6 a
S'agenouiller dans l'herbe où dormait son enfant ! 6+6 b
45 Près de lui cependant, invisible et farouche, 6+6 a
Némésis au courroux redoutable et serein, 6+6 b
Épouvantant les flots du souffle de sa bouche, 6+6 a
Crispait ses doigts sanglants sur la lyre d'airain. 6+6 b
Mais le jour où la Guerre entoura nos murailles, 6+6 a
50 Où le vaillant Paris, agonisant enfin, 6+6 b
Succombait, et sentit le vide en ses entrailles, 6+6 a
Il revint, il voulut comme nous avoir faim ! 6+6 b
Quand sur nous le Carnage enfla son aile noire, 6+6 a
Quand Paris désolé, grand comme un Ilion, 6+6 b
55 Proie auguste, servit de pâture à l'Histoire, 6+6 a
On revit parmi nous sa face de lion. 6+6 b
Et puis enfin l'aurore éclata sur nos cimes ! 6+6 a
Le rêve affreux s'enfuit, par le vent emporté, 6+6 b
Et frémissants encor, de nouveau nous revîmes 6+6 a
60 Fleurir la poésie avec la liberté. 6+6 b
Et ce fut une joie immense, un pur délire, 6+6 a
Et sur la scène, hier morne et déserte, hélas ! 6+6 b
Reparurent divins, avec leur chant de lyre, 6+6 a
Hernani, Marion Delorme, et toi, Ruy Blas ! 6+6 b
65 Et nous-mêmes, dont l'âme à la Muse se livre, 6+6 a
Apportant nos efforts, nos cœurs, nos humbles voix, 6+6 b
Nous avons évoqué le drame et le grand livre 6+6 a
Que tu viens d'applaudir pour la centième fois ! 6+6 b
O peuple ! que la foi, la vertu, la bravoure 6+6 a
70 Charment, quand ton Orphée avec ses rimes d'or 6+6 b
Te prodigue l'ivresse adorable, savoure 6+6 a
Cette ambroisie, et toi, poëte, chante encor ! 6+6 b
Homère d'un héros divin, plus grand qu'Achille, 6+6 a
Sous le tragique azur empli d'astres et d'yeux 6+6 b
75 Chante ! et console encor ton Prométhée, Eschyle, 6+6 a
Sur le rocher sanglant où l'insultent les Dieux ! 6+6 b
Parle ! grand exilé que la souffrance attire 6+6 a
Et qui ne consens pas à la Fatalité, 6+6 b
Vaincu prodigieux sacré par le martyre, 6+6 a
80 Génie entré vivant dans l'immortalité ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
logo du CRISCO logo de l'université