Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
LE SANG DE LA COUPE
1857
A la Forêt de Fontainebleau
O forêt adorée encor, Fontainebleau ! 6+6 a
Dis-moi, le gardes-tu sur le tronc d'un bouleau, 6+6 a
Ce nom que j'appelais mon espoir et mes forces, 6+6 b
Et que j'avais gravé partout dans tes écorces ? 6+6 b
5 Elle, enfant comme moi, nous allions, le matin, 6+6 a
Respirer les odeurs de verdure et de thym, 6+6 a
Et voir tes rochers gris s'éveiller dans la flamme. 6+6 b
Puis, quand se reposait celle qui fut mon âme, 6+6 b
Lorsque tes horizons brûlent, que, vers midi, 6+6 a
10 Le serpent taché d'or se relève engourdi, 6+6 a
Je contemplais, effroi d'une âme sérieuse, 6+6 b
Cette heure du soleil, blanche et mystérieuse ! 6+6 b
N'est-ce pas, n'est-ce pas que vous étiez vivant, 6+6 a
Noir feuillage, immobile et triste sous le vent, 6+6 a
15 Comme une mer qu'un dieu rend docile à ses chaînes ? 6+6 b
Et vous, colosses fiers, arbres noueux, grands chênes, 6+6 b
Rien n'agitait vos fronts, par le temps centuplés ! 6+6 a
Pourtant vos bras tordus et vos muscles gonflés, 6+6 a
Ces poses de lutteurs affamés de carnage 6+6 b
20 Que vous conserviez, même à cette heure où tout nage 6+6 b
Dans la vive lumière et l'atmosphère en feu, 6+6 a
Laissaient voir qu'autrefois, sous ce ciel vaste et bleu, 6+6 a
Vous aviez dû combattre, ô géants centenaires ! 6+6 b
Au milieu des Titans vaincus par les tonnerres. 6+6 b
25 Et vous, rochers sans fin, suspendus et croulants, 6+6 a
Sur qui l'oiseau sautille, et qui, depuis mille ans, 6+6 a
Gardez, sans être las, vos effroyables poses, 6+6 b
La mousse et le lichen et les bruyères roses 6+6 b
Ont beau vivre sur vous comme un jardin en fleur, 6+6 a
30 Ne devine-t-on pas dans quelle âpre douleur 6+6 a
Un volcan souterrain, contre le jour qu'il brave, 6+6 b
Jadis vous a vomis avec un flot de lave ! 6+6 b
Les sauvages buissons de mûres diaprés, 6+6 a
Aux rayons du soleil montraient leurs fruits pourprés. 6+6 a
35 A peine si parfois, parmi les branches hautes, 6+6 b
Un léger mouvement me révélait des hôtes ; 6+6 b
Et pourtant, si ma main, écartant leur fouillis, 6+6 a
Eût fait entrer le jour dans ces vivants taillis, 6+6 a
J'aurais vu s'y tapir dans les ombres fumeuses 6+6 b
40 L'épouvantable essaim des bêtes venimeuses ! 6+6 b
Or, je disais devant ce spectacle divin : 6+6 a
Poëte, voile-toi pour le vulgaire vain ! 6+6 a
Qu'il ne puisse à ta Muse enlever sa ceinture, 6+6 b
Et souris-leur, pareil à la grande Nature ! 6+6 b
45 Sous ta sérénité cache aussi ton secret ! 6+6 a
Réponds, ai-je tenu ma parole, ô forêt ? 6+6 a
Et n'ai-je pas rendu mon âme et mon visage 6+6 b
Silencieux et doux comme un beau paysage ? 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 24((aa))
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