Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
LE SANG DE LA COUPE
1857
Le Palais de la Mode
Il est un clair palais fait de cristal de roche, 6+6 a
Dans un nid de rosiers, au bord d'un fleuve bleu. 6+6 b
Les vases, les émaux, les verres de Lahoche 6+6 a
Y brillent sous l'argent des chandeliers en feu. 6+6 b
5 Dans le nuage gris qui sort des cassolettes 6+6 a
Folâtrent des oiseaux peints de mille couleurs, 6+6 b
Et, veloutés et frais comme des violettes, 6+6 a
Les divans parfumés se cachent dans les fleurs. 6+6 b
Sur leurs pâles coussins plus doux qu'une caresse, 6+6 a
10 Repose un front couvert des ornements royaux. 6+6 b
C'est le front triste et pur d'une jeune Déesse 6+6 a
Qui sous ses petits pieds foule mille joyaux. 6+6 b
Elle brise en jouant, comme un oiseau son aile, 6+6 a
Tous les hochets d'hier, cent caprices dorés, 6+6 b
15 Et rêve, en chiffonnant la soie et la dentelle, 6+6 a
Aux caprices nouveaux qui seront adorés. 6+6 b
Cette reine sereine et folle, c'est la Mode. 6+6 a
Cent filles de seize ans, nymphes aux fiers trésors, 6+6 b
Le long de leurs genoux, pour éclairer mon ode, 6+6 a
20 De leurs cheveux épars laissent flotter les ors. 6+6 b
Leurs ongles sont armés de l'aiguille féerique, 6+6 a
Et dans la blonde en fleur cisèlent un bonnet, 6+6 b
Comme Pétrarque, fils de la Grèce lyrique, 6+6 a
Pour la chaude Italie ébauchait le sonnet. 6+6 b
25 Elle sort de leur main voluptueuse et douce, 6+6 a
La pourpre qu'eût aimée un prince lydien, 6+6 b
Et, nuage de feu, ce cachemire où Brousse 6+6 a
Nous vend toutes les fleurs du soleil indien. 6+6 b
Et lorsque de New-York, de Londres ou d'Asie, 6+6 a
30 Les reines des salons de tous les archipels 6+6 b
Disent : Quel nouveau charme et quelle fantaisie 6+6 a
Rajeunira demain nos attraits éternels ? 6+6 b
Mille petits Amours, cohorte aux ailes roses, 6+6 a
Du palais radieux s'envolent tout joufflus, 6+6 b
35 Et, traversant le ciel rempli d'apothéoses, 6+6 a
Portent à l'univers ces ordres absolus : 6+6 b
Demain, vous porterez ces étoffes de guêpe, 6+6 a
Satins d'or dont le rose illumine les bouts, 6+6 b
Et ces chapeaux tout clairs, faits de brume ou de crêpe 6+6 a
40 Où flotte la nuée en fleur des marabouts ! 6+6 b
Avant que le raisin des Bacchantes mûrisse, 6+6 a
Pour refléter les feux et les lys de l'été, 6+6 b
Vous aurez ces bijoux en acier que Meurice 6+6 a
Fit clairs comme les flots du doux Guadalété ! 6+6 b
45 Vous aurez ces peignoirs plus pâles que le marbre, 6+6 a
Ces bas tout découpés pour les yeux de l'Amour, 6+6 b
Et ces mouchoirs chinois faits d'une écorce d'arbre, 6+6 a
Et ces cols merveilleux bâtis de points à jour ! 6+6 b
Et, près de ces bouquets si frêles du barège 6+6 a
50 Dont la grâce a tordu les faciles volants, 6+6 b
Voici les pompadours plus légers que la neige, 6+6 a
Fonds roses, fonds lilas, fond céleste et fonds blancs ! 6+6 b
Voici les beaux jardins prédits par les sibylles, 6+6 a
Feuillaisons d'émeraude et bleuets de saphir, 6+6 b
55 Les rubis, les bouquets de lys à fleurs mobiles 6+6 a
Dont les gros diamants tressaillent au zéphyr. 6+6 b
Enfin, pour resplendir à vos tables insignes, 6+6 a
Nous avons les flambeaux gais comme des bijoux, 6+6 b
Et le linge pareil à la toison des cygnes, 6+6 a
60 Et les Eldorados entassés en surtouts ! 6+6 b
Et le vermeil qui grimpe en mille architectures, 6+6 a
Soleils d'orfèvrerie et fils d'argent tramés, 6+6 b
Et tous ces paradis terrestres des sculptures 6+6 a
Arrachés par Klagmann aux métaux enflammés. 6+6 b
65 Nous avons fait fleurir l'ivoire des ombrelles 6+6 a
Et fixé parmi l'or les flammes de l'émail, 6+6 b
Et, pour mieux vous distraire, apaisé les querelles 6+6 a
De ces dragons chinois peints sur votre éventail. 6+6 b
Nous avons déchiré la poitrine de l'Onde 6+6 a
70 Pour y chercher la perle agréable à vos yeux, 6+6 b
Et, pour faire de vous les maîtresses du monde, 6+6 a
La Mode a fait éclore un monde merveilleux. 6+6 b
C'est pour qu'il brille mieux sur votre épaule pure, 6+6 a
Le myrte du désir, adorable et fatal, 6+6 b
75 Qu'elle chiffonne encor la soie et la guipure 6+6 a
Sur les coussins rosés du palais de cristal. 6+6 b
Pourtant, souvenez-vous, jeunes charmeuses d'âmes, 6+6 a
Que c'est le seul Amour dont le flambeau changeant, 6+6 b
En jouant autour d'eux, remplit de vagues flammes 6+6 a
80 Le satin, le velours et la toile d'argent. 6+6 b
Ah ! si Paris est roi parmi toutes les villes, 6+6 a
C'est que c'est le pays où l'Amour, d'un regard, 6+6 b
A fait naître, au milieu de cent guerres civiles, 6+6 a
Pour le chanter en vers son poëte Ronsard. 6+6 b
85 C'est que, lorsqu'on y sent passer comme une flèche, 6+6 a
Au milieu d'un éclat de parure et de voix, 6+6 b
Un essaim de péris au bord d'une calèche, 6+6 a
Parmi les feuillaisons, dans un nuage, au bois, 6+6 b
On peut dire à coup sûr, tout bas : Chacune d'elles, 6+6 a
90 En causant du dernier ballet ou des Bouffons, 6+6 b
Songe à quelque amitié belle entre les plus belles, 6+6 a
Et son cœur bat plus fort sous ces jolis chiffons. 6+6 b
C'est que là, quand la Valse autour d'une muraille 6+6 a
Fait bondir avec Strauss deux cents couples charmés, 6+6 b
95 Plus d'un regard sourit, plus d'une main tressaille 6+6 a
Dans l'humide prison de ses gants parfumés. 6+6 b
C'est que là, la Féerie amoureuse et le Rêve 6+6 a
Vivent parmi le luxe et les fleurs d'une cour 6+6 b
Et c'est là seulement que les filleules d'Ève 6+6 a
100 Ont lu jusqu'à la fin le roman de l'Amour. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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