Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_8/BAN341
Théodore de BANVILLE
LE SANG DE LA COUPE
1857
Malédiction de Cypris
C'était le vendredi, jour de Cypris la blonde, 6+6 a
Un soir de juin ; bercés par les flots attendris, 6+6 b
Les iris pâlissants croissaient au bord de l'onde ; 6+6 a
Et, dans le Luxembourg, ce paradis du monde, 6+6 a
5 Les marbres de l'Attique, amoureux de Paris, 6+6 b
Voyaient l'air et les cieux et la terre fleuris. 6+6 b
Leurs crinières au vent, sur les quais pacifiques 6+6 a
Les régiments passaient, cuirasses et musiques ; 6+6 a
Et, dans le ciel en feu, doré comme un fruit mûr, 6+6 b
10 Au-dessus des palais ceints de casques d'azur, 6+6 b
Des cavaliers, vêtus d'armures magnifiques, 6+6 a
Sur leurs chevaux ailés volaient dans le bleu pur. 6+6 b
Les filles de Coustou rêvaient parmi les roses ; 6+6 a
Les Satyres lascifs souriaient à l'entour ; 6+6 b
15 Sur les thyrses neigeux des marronniers moroses 6+6 a
Les oiseaux gazouillaient aux derniers feux du jour, 6+6 b
Et leur chant semblait dire aux âmes longtemps closes 6+6 a
De chanter dans les fleurs la chanson de l'amour. 6+6 b
Mais soudain, au milieu du ciel plein d'allégresse, 6+6 a
20 Rapide, et tout brillant de la nacre des mers, 6+6 b
Un char d'or, atte de blancs oiseaux, caresse 6+6 a
L'azur vaste, et rayonne, éblouissant les airs. 6+6 b
Une femme, ou plutôt une jeune Déesse 6+6 a
En descend, et son pied foule nos gazons verts. 6+6 b
25 C'est Cypris. L'or divin rit dans sa chevelure. 6+6 a
Elle tient son grand arc ; dans sa prunelle obscure 6+6 a
S'ouvrent les profondeurs d'un ciel oriental ; 6+6 b
Sur son sein va fleurir le rosier idéal, 6+6 b
Et sur son dos, au lieu de sa belle ceinture, 6+6 a
30 Brillent les traits aigus dans le carquois fatal. 6+6 b
Dès que Cypris ouvrit sa bouche, urne choisie, 6+6 a
Et de ses dents de lys fit briller la blancheur 6+6 b
Sur sa lèvre divine où court la fantaisie, 6+6 a
L'air, empli de parfums, de charme et de frcheur, 6+6 b
35 Se teignit à l'entour d'une rose lueur, 6+6 b
Et la brise du soir s'imprégna d'ambroisie. 6+6 a
Les étoiles d'argent, moins blanches que sa chair, 6+6 a
Semaient de diamants sa chevelure rousse 6+6 b
Et faisaient resplendir son sourcil calme et fier : 6+6 a
40 Les roses l'écoutaient, assises dans la mousse. 6+6 b
Elle dit, d'une voix impérieuse et douce 6+6 b
Comme celle des flots qui chantent dans la mer : 6+6 a
Toi que j'aime au-dessus des Cyclades humides 6+6 a
Et de Paphos riante où, sous mon pied nacré, 6+6 b
45 Naissent à chaque pas les boutons d'or splendides, 6+6 a
L'églantine sanglante et le myrte sacré, 6+6 b
O Paris, ciel d'amour, toi que j'ai préfé 6+6 b
A mon écrin chéri de vertes Atlantides ! 6+6 a
O ville dont j'ai fait mon temple et mon autel ! 6+6 a
50 J'ai voulu que vers moi, tandis que tu t'affames 6+6 b
De leurs yeux étoilés, plus tendres que le ciel, 6+6 a
Sur ma limpide mer que sillonnent des rames, 6+6 b
Le parfum de l'amour idéal et charnel 6+6 a
Montât incessamment des grands cœurs de tes femmes ! 6+6 b
55 J'ai baigné dans ton air mon corps passionné ; 6+6 a
Et secouant sur toi, parmi les blonds zéphyres, 6+6 b
Ma ceinture d'azur et d'or, je t'ai donné 6+6 a
Pour t'enivrer du vin des pleurs et des sourires, 6+6 b
Un harem éternel de cent mille hétaïres 6+6 b
60 Plus belles que Laïs, Aspasie et Phryné. 6+6 a
Je t'ai donné Mailly, Gabrielle, Fontanges, 6+6 a
Diane, à qui ma sœur prête son divin nom, 6+6 b
Et Margot qui fut reine, et cette sœur des anges 6+6 a
La Vallière aux yeux bleus, que pleura Maintenon, 6+6 b
65 Et Marion la folle, et la sage Ninon 6+6 b
Qui s'enivra cent ans d'amour et de louanges ; 6+6 a
George, qui tout un soir a soudain rajeuni 6+6 a
Un parterre de rois qu'on vit tressaillir d'aise ; 6+6 b
La reine Caroline et Pauline Borghèse, 6+6 b
70 Ces déesses qu'aimaient dans un siècle fini 6+6 a
Les héros disparus, et la Celiani 6+6 a
Que Prudhon fait sourire au soleil qui la baise. 6+6 b
Je t'ai donné Saint-Ange habile à mes doux jeux, 6+6 a
Blanche Colbert pareille à Niobé, Lignolle, 6+6 b
75 Ozy, les deux Arsène, et Doche ton idole, 6+6 b
Letellier blonde et blanche aux cheveux radieux, 6+6 a
Et cette Cléonice insoucieuse et folle 6+6 b
Dont le châle est pareil à la pourpre des Dieux. 6+6 a
Et pour cacher parmi les Nymphes familières 6+6 a
80 Les baisers, la défaite et les charmants refus, 6+6 b
J'ai fait fleurir pour toi mille jardins confus 6+6 b
Qu'Hésiode eût chantés, qu'a chéris Deshoulières, 6+6 a
Cythères et Paphos pleins d'œillets et de lierres, 6+6 a
De rivières d'argent et d'ombrages touffus ! 6+6 b
85 Montmorency, joyeux de ses cerises roses, 6+6 a
Bagatelle, où rêvant sous un royal abri, 6+6 b
La peinture d'amour comme un lys a fleuri, 6+6 b
Enghien, dont le lac pur sourit aux cieux moroses, 6+6 a
Maurecourt, Saint-Germain, Fraisfontaine, Fleury, 6+6 b
90 Grosbois, et Fontenay que fleurissent les roses ! 6+6 a
Enfin je t'ai donné, pour embellir ta cour 6+6 a
Et pour rendre les cœurs dociles à mes fêtes, 6+6 b
Tous ces voluptueux dont les âmes sont faites 6+6 b
Pour réfléchir la grâce et le divin contour, 6+6 a
95 Les peintres, les sculpteurs, et surtout les poëtes, 6+6 b
Célestes messagers amoureux de l'amour ! 6+6 a
Je t'ai donné Ronsard et le tendre Racine 6+6 a
Qui savaient tous les deux la langue des amants, 6+6 b
La Fontaine et Musset, deux lyriques charmants 6+6 b
100 Dont la Muse s'abreuve à la même colline ; 6+6 a
Coysevox et Coustou, dont le caprice incline 6+6 a
Des marbres blancs et purs comme des diamants ; 6+6 b
Ingres, qui travailla pour les races futures, 6+6 a
Prudhon qui m'a touchée avec sa noble main ; 6+6 b
105 Pradier et Gavarni, qui rêvent en chemin 6+6 b
Un paradis confus de belles créatures ; 6+6 a
Et le divin Balzac, cet homme surhumain 6+6 b
Qui sait tous les secrets de mes triples ceintures ! 6+6 a
Et maintenant, orgueil de ces coteaux penchants, 6+6 a
110 O Thébaïde ! ô ville interdite aux profanes ! 6+6 b
Paris ! j'ai traversé les villes et les champs, 6+6 a
Et je viens voir, du haut de ces monts où tu planes, 6+6 b
Comment tu fais l'amour à ces belles sultanes, 6+6 b
Dans ces jardins, parmi ces marbres et ces chants ! 6+6 a
115 Car l'amour est cette onde où tout le corps se plonge 6+6 a
Et dont la lèvre en feu baise en riant les bords ; 6+6 b
C'est ce vase d'eau pure et cette fraîche éponge 6+6 a
Qui lave à ses baisers les souillures du corps ; 6+6 b
Et sans l'amour tout n'est que folie et mensonge, 6+6 a
120 Car tout est dans l'amour et rien n'est en dehors. 6+6 b
C'est le seul vrai devoir et la seule science ; 6+6 a
Et les hardis plongeurs dont le regard profond 6+6 b
Comme une vaste mer fouille la conscience, 6+6 a
N'ont rien trouvé de plus en allant jusqu'au fond. 6+6 b
125 Heureux celui qui voit avec insouciance 6+6 a
Les idoles sans yeux que les hommes lui font ! 6+6 b
Aux parfums des jasmins et de la tubéreuse, 6+6 a
Dans les jardins aimés du soleil radieux, 6+6 b
Il s'enivre à loisir d'accords mélodieux ; 6+6 b
130 Nul souci ne s'attache à sa vieillesse heureuse, 6+6 a
Et dans les bras charmants d'une vierge amoureuse 6+6 a
Cet homme fortu devient pareil aux Dieux. 6+6 b
Mais celui dont les dents ont fui ma coupe amère 6+6 a
Et qui n'a pas dormi sur un sein libre et fier, 6+6 b
135 Quand sur lui tomberont les neiges de l'hiver 6+6 b
Celui-là pleurera sur sa vaine chimère, 6+6 a
Et, comme les guerriers aux cuirasses de fer, 6+6 b
Il maudira trois fois son aïeule et sa mère ! 6+6 a
En vain, son front couvert d'augustes cheveux blancs 6+6 a
140 Brillera, glorieux de savoir et d'années ; 6+6 b
Des fleuves couleront de ses yeux ruisselants 6+6 a
Et feront deux ruisseaux de ses tempes faes, 6+6 b
Car le désir mordra ses lèvres décharnées 6+6 b
Et séchera les os de ses genoux tremblants ! 6+6 a
145 Enfin, lassé d'étreindre, en ses nuits énervantes, 6+6 a
La science inféconde et la pâle amitié, 6+6 b
Celui-là sentira son cœur crucifié, 6+6 b
Et, brûlé de mes feux parmi ses épouvantes, 6+6 a
Il trnera son front sous les pieds des servantes 6+6 a
150 Et baisera leur robe en leur criant : Pitié ! 6+6 b
Mais elles en courant s'enfuiront dans les saules, 6+6 a
Et riront du vieillard au prochain cabaret 6+6 b
Avec ce beau jeune homme aux puissantes épaules 6+6 a
Qui, dans l'allée en fleur, sous l'ombrage secret, 6+6 b
155 Marche en blouse et pieds nus comme un enfant des Gaules, 6+6 a
Et dont les noirs cheveux semblent une forêt. 6+6 b
Ainsi parla Cypris. Oubliant leurs querelles, 6+6 a
Les oiseaux se taisaient ; dans les roses pourpris 6+6 b
Les lys ouvraient plus grands leurs calices épris. 6+6 b
160 Mais elle, fendant l'air comme ses tourterelles, 6+6 a
Elle vola, pliant ses bras comme des ailes, 6+6 a
Au sommet du palais, et regarda Paris. 6+6 b
C'était bien cette ville aux urnes débordées 6+6 a
Qui donne à l'univers ses flammes et ses flots, 6+6 b
165 Et qui, belle comme Ève et Ninon de Lenclos, 6+6 b
Élève sur le front des villes fécones 6+6 a
Sa lèvre que rougit le vin et les sanglots 6+6 b
Et son front chevelu d'où tombent les ies. 6+6 a
Sur les coteaux, avec des rires convulsifs, 6+6 a
170 Comme un beau corps la Ville immense se déroule. 6+6 b
Elle tient à la main son large verre où coule 6+6 b
Un vin plein de folie et de désirs lascifs, 6+6 a
Et s'admire géante, et regarde la foule 6+6 b
Avec ses yeux de gaz flamboyants et pensifs. 6+6 a
175 Ses grappes de maisons semblent, dans la nuit noire, 6+6 a
Des troupeaux dispersés sur un grand territoire 6+6 a
Que la Guerre a fou de son pied souverain ; 6+6 b
Et, penchant leurs grands fronts sur le fleuve serein, 6+6 b
Ainsi que des béliers se lèvent avec gloire 6+6 a
180 Ses mille monuments de granit et d'airain. 6+6 b
Voici ses boulevards où Londres et l'Asie 6+6 a
Viennent au même club chercher la fantaisie ; 6+6 a
Voici ses cabarets, ses tapis baignés d'or, 6+6 b
Ses fiers salons, son bal qui passe au chant du cor, 6+6 b
185 Et son drame, où le peuple, empli de poésie, 6+6 a
Ivre sous Frédérick haletant, crie : Encor ! 6+6 b
Voici ses régiments superbes et terribles, 6+6 a
Ses clairons, ses tambours, ses jeunes officiers, 6+6 b
Les hussards blancs et bleus, les sapeurs invincibles, 6+6 a
190 Les dragons revêtus d'indomptables aciers, 6+6 b
Les grenadiers géants, les spahis, les lanciers, 6+6 b
Et les carabiniers aux crinières horribles. 6+6 a
O ville, enfin voici tes salles d'opéras 6+6 a
Où l'or, les diamants et le satin ruissellent ; 6+6 b
195 Là, chaque femme est reine, et les moindres excellent 6+6 b
Par la neige du front et la blancheur des bras ; 6+6 a
Tels, dans un salon clair, sur les fonds de damas 6+6 a
Les camellias blancs parmi l'or étincellent. 6+6 b
Là sous le maillot rose ou l'habit travesti, 6+6 a
200 Fuoco, Cerrito, Carlotta nous enchantent ; 6+6 b
Dorus et Damoreau, ces harpes, se lamentent, 6+6 b
Et, faisant flamboyer notre cœur amorti, 6+6 a
Lui disent quels oiseaux et quelles flûtes chantent 6+6 b
Dans l'âme de Mozart et de Donizetti. 6+6 a
205 Ville qu'un souffle émeut et qu'un zéphyr apaise ! 6+6 a
Amazone qui prends la guerre pour un jeu 6+6 b
Et qui, penchée au bord du fleuve qui te baise, 6+6 a
Chaque jour dans son onde émiettes quelque dieu ! 6+6 b
L'univers voit sans cesse, ainsi qu'une fournaise, 6+6 a
210 Ton crâne en fusion fumer sous le ciel bleu. 6+6 b
Épris de tes soldats que la foudre enveloppe, 6+6 a
Parmi leurs champs couverts de morts et de blessés, 6+6 b
Les peuples sur tes pas accouraient empressés 6+6 b
Et flattaient de la main ton cheval qui galope, 6+6 a
215 Lorsque tu conduisais par les villes d'Europe 6+6 a
Tes héros de vingt ans aux longs cheveux tressés. 6+6 b
Ainsi qu'un beau génie en un monde féerique, 6+6 a
Tu brises d'un seul doigt les liens corporels 6+6 b
Quand tu lances un jour, au bruit d'un chant lyrique, 6+6 a
220 Sur ces chemins, plus longs qu'un fleuve d'Amérique, 6+6 a
Que sillonne d'azur le fer brillant des rails, 6+6 b
Tes grands coursiers de flamme aux pieds surnaturels ! 6+6 b
Nourrice de lutteurs, ville douce et trtresse, 6+6 a
Tu portes sur ton front des lys de diamant 6+6 b
225 Et des lauriers rougis dans le combat fumant ; 6+6 b
Dénouant sur ton sein l'or de sa lourde tresse, 6+6 a
La fière Poésie est toujours ta mtresse 6+6 a
Et l'Art baise ta lèvre ainsi qu'un jeune amant ! 6+6 b
Ton phare est un soleil, et tes jeunes Achilles 6+6 a
230 Ont réveillé le monde au bruit de leur tambour ; 6+6 b
Mais, ô Paris ! ci ruisselante ! séjour 6+6 b
De la grâce amoureuse et des lèvres dociles, 6+6 a
Toi, pour l'amour choisie entre toutes les villes, 6+6 a
O ville de Cypris, qu'as-tu fait de l'Amour ? 6+6 b
235 Telle du haut du ciel une aigle au bec vorace 6+6 a
De mille oiseaux épars dans son vol suit la trace 6+6 a
Et porte le carnage au milieu de leurs jeux ; 6+6 b
Telle, les yeux noyés dans les horizons bleus, 6+6 b
L'héroïque Cypris d'un seul regard embrasse 6+6 a
240 Le fond de la ci ceinte de mille feux. 6+6 b
Près du lit où la mort roidit la courtisane, 6+6 a
Celle qui trafiqua de son sang et sa chair, 6+6 b
Sa mère, ô honte ! étale une douleur profane 6+6 a
Pour exploiter encor ces lys en proie au ver, 6+6 b
245 Et vendre vingt louis la dernière cuiller 6+6 b
Qui servit à l'enfant pour prendre sa tisane. 6+6 a
Ici l'ambitieux, les deux pieds sur l'autel, 6+6 a
Étend ses maigres bras pour étreindre la terre. 6+6 b
Livide, comme Ajax il insulte le ciel, 6+6 a
250 Et, cachant dans son cœur sa fièvre solitaire, 6+6 b
Il voit en souriant son épouse adultère, 6+6 b
Et, le front dans ses mains, il rêve de Cromwell. 6+6 a
Là, serrant les ducats entre leurs mains fatales, 6+6 a
Gobseck et Gigonnet, au fond des tristes salles 6+6 a
255 Dont un vieux rideau vert éteint le jour changeant, 6+6 b
Brossent avec la main leur habit indigent, 6+6 b
Et dans l'ombre indécise allument les opales 6+6 a
Aux rayons de leurs yeux couleur d'or et d'argent. 6+6 b
La richesse, voi la vraie amante blonde, 6+6 a
260 Disent-ils. Ses cheveux sont couleur du soleil, 6+6 b
Sa bouche est de corail et non de chair immonde, 6+6 a
Ses yeux sont de lapis, son sein d'argent vermeil, 6+6 b
Et, lumineux trésor, de la nuque à l'orteil 6+6 b
Tout son corps est sorti des mines de Golconde. 6+6 a
265 Nous pouvons avec l'or, nouveaux Pygmalions, 6+6 a
Faire vivre le marbre au gré de nos caprices, 6+6 b
Atteindre les vautours et dompter les lions, 6+6 a
Et prendre les enfants au sein de leurs nourrices, 6+6 b
Et les reines du monde et les impératrices 6+6 b
270 Déchausseraient le soir nos pieds, si nous voulions. 6+6 a
Sur les monts chevelus où gravissent les chèvres, 6+6 a
Près d'un adolescent beau comme Gabriel, 6+6 b
La pâle prophétesse, en proie à mille fièvres, 6+6 a
Jette son ode impie aux quatre vents du ciel, 6+6 b
275 Et, sorti de son cœur où déborde le fiel, 6+6 b
Son iambe lui brûle et lui sèche les lèvres. 6+6 a
La moderne Sappho, qu'agite un grand dessein, 6+6 a
Trempe ses longs cheveux dans sa coupe d'absinthe. 6+6 b
Cette sœur du Titan rêve un autre larcin, 6+6 a
280 Et, tressaillant trois fois comme une femme enceinte, 6+6 b
Blasphème le plaisir et la volupté sainte 6+6 b
Que l'orgueil parricide a tués dans son sein. 6+6 a
Le poëte, ruffian de la Muse divine 6+6 a
Qu'il adorait hier dans le temple idéal, 6+6 b
285 La prostitue au lit de quelque baladine ; 6+6 a
Et, portant au hasard son sarcasme banal, 6+6 b
Chaud encor des baisers de cette Messaline, 6+6 a
L'insulte pour deux sous au bas d'un grand journal. 6+6 b
Que m'importent, dit-il, vos lèvres et vos couches, 6+6 a
290 O vierges de quinze ans, au sourire enchanté ? 6+6 b
La mtresse qu'il faut à ma virili 6+6 b
C'est la déesse aux yeux caressants et farouches 6+6 a
Qui me loue et me baise avec ses mille bouches, 6+6 a
L'ange des carrefours, la Popularité ! 6+6 b
295 C'est elle dont le souffle, ainsi qu'un phare allume 6+6 a
Une lueur au front qu'enveloppait la brume, 6+6 a
Elle qui, les deux bras tendus à l'univers, 6+6 b
Arrête les passants pour leur chanter mes vers, 6+6 b
Et qui saura pétrir avec l'airain qui fume 6+6 a
300 Mon buste couronné de lauriers toujours verts. 6+6 b
En habit de gala, les courtisanes vaines 6+6 a
Sur le front de l'Amour posent leurs pieds lassés. 6+6 b
Plus pâles que la neige au sommet des Cévennes, 6+6 a
Ces folles, dont le vent baise les seins glacés, 6+6 b
305 Pour réchauffer la pourpre éteinte dans leurs veines 6+6 a
Boivent l'or et le sang des pâles insensés. 6+6 b
Elles songent parfois, quand refleurit la mousse, 6+6 a
Aux humides baisers de leurs jeunes amours, 6+6 b
Aux blanches nuits de juin qu'abrégeaient cent discours, 6+6 b
310 Et même, quand la brise en feu souffle plus douce, 6+6 a
A ces enfants qui, morts pour elles pleins de jours, 6+6 b
Dorment dans une terre inculte où l'herbe pousse. 6+6 a
Mais, ô mon cœur ! pourquoi se souvenir des morts ? 6+6 a
Disent-elles. Mon sein gonfle d'orgueil la soie. 6+6 b
315 Le peigne aux mille dents tremble en baisant les ors 6+6 a
De mes cheveux touffus dont le flot se déploie, 6+6 b
Et la naïade en pleurs frémit toujours de joie 6+6 b
En touchant au matin les blancheurs de mon corps. 6+6 a
Mes amants, beaux toujours quoique l'Amour s'enfuie, 6+6 a
320 Ce sont tous ces joyaux que mon haleine essuie, 6+6 a
Ces mille diamants en lys épanouis, 6+6 b
Ces colliers de sequins, ces ducats, ces louis 6+6 b
Si beaux qu'en les voyant on dirait une pluie 6+6 a
De soleils amoureux de mes yeux éblouis. 6+6 b
325 Les jeunes hommes, fiers de voir blanchir leurs têtes, 6+6 a
Sont enivrés d'orgueil, comme autrefois de vin. 6+6 b
Amour, ce n'est plus toi, flambeau clair et divin, 6+6 b
Qui baignes de tes feux les roses de leurs fêtes. 6+6 a
Qu'importe, disent-ils, ce mot que les poëtes 6+6 a
330 Ont fait comme leurs vers harmonieux et vain ? 6+6 b
Non, le bonheur n'est point sur la couche enfantine 6+6 a
De votre jeune épouse échevelée au vent, 6+6 b
Qui, nouant de ses bras le beau collier mouvant, 6+6 b
Vous enivre aux parfums de sa jeune poitrine, 6+6 a
335 Et songe dans son cœur aux amours du couvent 6+6 b
En vous disant : Je t'aime ! avec sa voix divine. 6+6 a
Le bonheur, ce n'est pas d'errer sous les bosquets 6+6 a
Où s'égarent, bras nus, ces filles triviales 6+6 b
Dont les robes de soie et les hardis bouquets 6+6 a
340 Resplendissent les soirs sous les lustres des salles, 6+6 b
Et passent des salons aux cabarets des halles, 6+6 b
Et des bras des Césars dans les bras des laquais ! 6+6 a
C'est d'avoir sur le dos de la mer qu'elle scinde, 6+6 a
Une flotte qui porte, avec ses galions, 6+6 b
345 L'ivoire de Java, les marbres blancs du Pinde, 6+6 a
Les perles de Ceylan, grosses de millions, 6+6 b
Le duvet de l'eider et les tissus de l'Inde, 6+6 a
Les dépouilles des Dieux et celles des lions ! 6+6 b
Le bonheur, c'est d'aller pour la chose commune 6+6 a
350 Haranguer un sénat en mots impétueux, 6+6 b
De dominer sans peur les cris tumultueux, 6+6 b
Et de bien voir, si haut que monte sa fortune, 6+6 a
Plissant à votre voix son front majestueux, 6+6 b
Le ministre pâlir au pied de la tribune ! 6+6 a
355 C'est de faire frémir sous le soleil des rois 6+6 a
Ces plaques, ces cordons, ces écharpes à frange, 6+6 b
Étoiles et colliers d'une splendeur étrange, 6+6 b
Crachats de pierrerie éblouissants et froids, 6+6 a
Ces riches arcs-en-ciel, ces rubans et ces croix 6+6 a
360 Couleur d'azur, de pourpre et de flamme et d'orange ! 6+6 b
Surtout, c'est de sentir vivre en bas une foule, 6+6 a
Travailleurs dont le sang et dont la sueur coule, 6+6 a
Artistes, artisans, chantres aux saints trépieds, 6+6 b
Généraux sur Ajax et Marceau copiés, 6+6 b
365 Tout cela n'étant plus qu'une chose qu'on foule, 6+6 a
Un piédestal immense où l'on pose ses pieds ! 6+6 b
Ainsi, les yeux hagards et l'écume à la bouche, 6+6 a
Ils insultent l'Amour dans leurs cœurs pleins de fiel. 6+6 b
Et les vierges, levant leurs yeux bleus vers le ciel, 6+6 b
370 Disent : Pourquoi livrer à quelque époux farouche 6+6 a
Nos cheveux qu'en jouant l'aile d'un zéphyr touche 6+6 a
Et nos lèvres en fleur, plus douces que le miel ? 6+6 b
O ville ! nulle part dans tes architectures, 6+6 a
Sous tes lambris dorés, dans les entassements 6+6 b
375 De tes toits monstrueux et de tes monuments, 6+6 b
Nulle part tu ne vois, le cœur et les mains pures, 6+6 a
S'unir dans des baisers et des embrassements 6+6 b
Un couple jeune et fort aux belles chevelures. 6+6 a
Seule, les yeux éteints, sous la vive clarté 6+6 a
380 Des flambeaux, des surtouts et des lustres sévères, 6+6 b
Tandis que ses amants au regard enchan 6+6 a
Cachent sous mille fleurs des tristesses amères, 6+6 b
La Débauche sourit et boit dans tous les verres, 6+6 b
Et dit en grimaçant : Je suis la Volupté ! 6+6 a
385 Et la cité superbe, insatiable, immonde, 6+6 a
Aux balcons des palais, aux lucarnes des toits, 6+6 b
Hommes, vieillards, enfants, vierges à tête blonde, 6+6 a
Foulant aux pieds ses Dieux, ses lauriers et ses lois, 6+6 b
Avec ses millions de bouches et de voix 6+6 b
390 Crie et chante son hymne au seul maître du monde ! 6+6 a
Voilà ce qu'entendit la Déesse au front d'or. 6+6 a
Et fauve, sur son front et sa tête sacrée 6+6 b
Sa chevelure épaisse, ondoyante et doe, 6+6 b
Tressaillit et laissa ruisseler son trésor. 6+6 a
395 Cypris trembla de rage, et frissonnante encor, 6+6 a
Elle mit sur son arc une flèche acée. 6+6 b
Alors sur ses beaux seins par ses ongles meurtris 6+6 a
Tombent à flots ses pleurs ainsi qu'une rivière ; 6+6 b
Ses voiles au hasard fouettent les vents surpris ; 6+6 a
400 Parmi ses blanches dents que baise la lumière 6+6 b
S'échappent furieux les sanglots et les cris ; 6+6 a
Le dédain fait pâlir sa bouche rose et fière. 6+6 b
Ses yeux que le courroux et la honte embrasaient 6+6 a
Et son corps rougissant présageaient cent désastres ; 6+6 b
405 Ses pieds, où les oiseaux naguère se posaient, 6+6 a
Du palais magnifique ébranlaient les pilastres, 6+6 b
Et dans les noirs jardins du ciel, ses mains brisaient 6+6 a
Sur leurs tiges d'azur les calices des astres. 6+6 b
Ses cheveux flamboyaient d'or, de pourpre et de feu, 6+6 a
410 Et, dénoués, pareils aux panaches horribles 6+6 b
Que hérisse l'effroi sur le casque d'un dieu, 6+6 a
Ensanglantaient les airs, comètes invisibles. 6+6 b
La Déesse, le dos frémissant dans l'air bleu, 6+6 a
Exhala son courroux dans ces strophes terribles : 6+6 b
415 O ville qui meurtris mon cœur et vends ma chair ! 6+6 a
Si ma main sait verser le fiel plein d'amertume, 6+6 b
Si mon regard flétrit, si mon venin consume, 6+6 b
Si je naquis avec les filles de l'enfer 6+6 a
Sous l'éclair effrayé, dans le sang et l'écume 6+6 b
420 Et du corps d'un grand dieu mutilé par le fer ! 6+6 a
Écroule-toi ! Soyez maudites, ô murailles ! 6+6 a
Par le sein de la femme, où l'enfant allai 6+6 b
Boit l'oubli de la Mort dans un vivant Léthé ! 6+6 b
Meurs ! Par ses flancs féconds vainqueurs des funérailles, 6+6 a
425 Par tout ce qui tressaille au fond de mes entrailles, 6+6 a
Par mon corps palpitant sous les feux de l'été ! 6+6 b
Meurs ! puisque tu t'endors ivre de la Matière, 6+6 a
Sans songer seulement au courroux de Cypris, 6+6 b
Ainsi qu'un animal couché sur sa litière, 6+6 a
430 Stupide, et l'œil blessé par la blancheur des lys ! 6+6 b
Puisque tu fais horreur à la nature entière 6+6 a
Et qu'il ne reste rien dans l'âme de tes fils ! 6+6 b
Puisque le canon seul résonne à tes oreilles ! 6+6 a
Puisque devant les fouets irrités et cinglants, 6+6 b
435 Plus stupide en effet à l'heure où tu t'éveilles 6+6 a
Que les premiers humains qui ramassaient des glands, 6+6 b
Tu ne sais accomplir de plus rares merveilles 6+6 a
Que de pousser des cris sur des pavés sanglants ! 6+6 b
Puisque au pied des gibets où ta haine me cloue, 6+6 a
440 Ta prunelle hébétée, insensible aux couleurs 6+6 b
Des astres et des cieux, de la mer et des fleurs, 6+6 b
Adore la Fortune assise sur sa roue, 6+6 a
Et que l'or et l'argent, deux espèces de boue, 6+6 a
Sont devenus tes Dieux, comme ceux des voleurs ! 6+6 b
445 Puisque, bravant les lois qu'ils ont instituées, 6+6 a
Et flairant le sang jeune, ainsi que des vautours, 6+6 b
Tes libertins, remplis de vices et de jours, 6+6 b
S'en vont, âmes sans frein, du beau destituées, 6+6 a
Près des enfants qu'au mal ils ont prostituées, 6+6 a
450 Souiller leurs cheveux blancs le long des carrefours ! 6+6 b
Puisque tu mets ta gloire à flétrir ce qui m'aime ! 6+6 a
Puisque, les oripeaux et l'argent excepté, 6+6 b
Tout tombe autour de toi sous ton propre anathème, 6+6 a
Et que, trop délicat pour un peuple dompté, 6+6 b
455 L'amour de l'élégance et de la volupté 6+6 b
Est éteint dans le cœur des courtisanes même ! 6+6 a
Puisque ma voix en vain t'a voulu secourir ! 6+6 a
Puisque au lieu de me suivre en sa verte campagne, 6+6 b
Ton peuple à ses côtés aime mieux voir pourrir 6+6 a
460 L'Avarice, démon hideux qui l'accompagne, 6+6 b
Vil forçat de la chair, meurs cloué dans ton bagne ! 6+6 b
Meurs, infâme ! ou plutôt c'est moi qui veux mourir ! 6+6 a
Je m'en irai bien loin des modernes Gomorrhes 6+6 a
Rejoindre les grands Dieux dans la paix du trépas. 6+6 b
465 Libre et quittant ce corps divin qui sur ses pas 6+6 b
Te laissait l'ambroisie, et que tu déshonores, 6+6 a
Mon âme roulera dans les astres sonores 6+6 a
Parmi les cieux vivants auxquels tu ne crois pas ! 6+6 b
J'irai, par l'immuable et consolant mystère, 6+6 a
470 Fondre mon être avec le tout essentiel ! 6+6 b
Un rocher sortira des flots où fut Cythère, 6+6 a
Brûlé par un vent morne et pestilentiel, 6+6 b
Et les biens qui par moi ruisselaient sur la terre 6+6 a
S'envoleront avec mon souffle dans le ciel ! 6+6 b
475 La foi, le dévouement, l'honneur et son délire, 6+6 a
Tous ces fiers nourrissons bercés entre mes bras, 6+6 b
La pitié, la vertu, l'héroïsme, le rire, 6+6 a
Le regard de l'épée et le chant de la lyre 6+6 a
Avec moi seront morts, mais tu triompheras ! 6+6 b
480 Et, puisque c'est l'or seul que tu veux, tu l'auras ! 6+6 b
L'or vierge ! l'or vainqueur ! Au gré de ta folie, 6+6 a
Tu l'auras ! l'or demain, toujours, partout, encor ! 6+6 b
Les placers du Mexique et ceux de l'Australie 6+6 a
Viendront gonfler ta bourse et grossir ton trésor, 6+6 b
485 Et l'or sera ton pain, ton nectar et ta lie ! 6+6 a
Bois donc, voilà de l'or ! mange, voilà de l'or ! 6+6 b
Emplis ton coffre, et vends tout ce qui se monnoie ! 6+6 a
La tombe et le berceau, le palais et la tour ! 6+6 b
Trafique du soleil ! du repos ! de l'amour ! 6+6 b
490 Déchire tout cadavre et flaire toute proie ! 6+6 a
Vends les baisers craintifs où j'avais mis la joie ! 6+6 a
Vends l'eau de la fontaine et la clarté du jour ! 6+6 b
Émiette les forêts, fais de l'or ! Si ton globe 6+6 a
Jusqu'au fond de ses os sent courir un frisson, 6+6 b
495 Comme un jeune idiot qui tremble dans sa robe, 6+6 a
Que t'importe ! Son cœur peut devenir glaçon ; 6+6 b
N'auras-tu pas ton or, cette sainte moisson 6+6 b
Que tu ranges trop bien pour qu'on te la dérobe ? 6+6 a
Vends les bois où dormaient Viviane et Merlin ! 6+6 a
500 L'aigle des monts n'est fait que pour ta gibecière, 6+6 b
La neige vierge est là pour fournir ta glacière, 6+6 b
Le torrent qui bondit sur le roc sibyllin 6+6 a
Et vole, diamant, neige, écume et poussière, 6+6 b
N'est plus bon qu'à fouetter l'aile de ton moulin ! 6+6 a
505 Pour trouver les rubis en guirlandes pareilles 6+6 a
A celles des raisins que la pluie a mouillés 6+6 b
Et dont la grappe ardente est la gloire des treilles, 6+6 a
Que les caveaux profonds soient avec soin fouillés ! 6+6 b
Fends le sépulcre et touche aux cadavres souillés 6+6 b
510 Pour prendre leurs anneaux et leurs pendants d'oreilles ! 6+6 a
N'épargne rien ! demande à la création 6+6 a
Le pain de ta fureur et de ta passion ! 6+6 a
Triomphe ! empêche-la de rester la plus forte ! 6+6 b
Et si tu t'aperçois, pour ta punition, 6+6 a
515 Que sous tes pieds la terre agonisante est morte 6+6 b
Et que même ton ciel est vide, que t'importe ! 6+6 b
Si ton peuple, parmi lequel tant de héros 6+6 a
M'ont fait voir la beau virile et sans mélange, 6+6 b
Montre, effrayant le jour, des mufles de taureaux 6+6 a
520 Et des yeux d'éléphant, comme les Dieux du Gange ; 6+6 b
Si tes poëtes, las de fléchir des bourreaux, 6+6 a
Traînent le laurier vert dans le vin et la fange ; 6+6 b
Si les marbres sacrés ravis au Parthénon 6+6 a
Dans leur blancheur pareille à mon berceau d'écume, 6+6 b
525 Flétris par le marteau, blessés par le canon, 6+6 a
Tombent à des marchands courbés sur une enclume, 6+6 b
Dans une île barbare, au milieu de la brume, 6+6 b
Que t'importe ! éblouis ! remplis tout de ton nom ! 6+6 a
Montre le dur métal dont tu fais des récoltes ! 6+6 a
530 Mets-le sur tes frontons et sur tes archivoltes ! 6+6 a
Fais-en l'âme et le sang des machines de fer 6+6 b
Qui par leurs dents de fonte et leur souffle d'enfer 6+6 b
Dompteront la nature et vaincront ses révoltes, 6+6 a
Et dont les noirs sanglots étoufferont l'éclair. 6+6 b
535 Par ces gueules de flamme à ta voix apparues, 6+6 a
Tu régneras. Commande, elles domineront 6+6 b
Le tonnerre et l'orage, acharnés sur ton front. 6+6 b
Tu peux les laisser faire, et le long de tes rues 6+6 a
Briser le même jour tes faux et tes charrues ! 6+6 a
540 Elles laboureront ! elles moissonneront ! 6+6 b
Ton heure vient ; tu peux demain réduire en poudre 6+6 a
La lyre et le ciseau ; les cœurs martyrisés 6+6 b
Ne te consolent plus ; à quoi bon les absoudre ? 6+6 a
De quoi te serviraient les hymnes embrasés, 6+6 b
545 Paris ? Qu'as-tu besoin de l'oubli des baisers, 6+6 b
Puisque tu n'as plus peur du ciel et de la foudre ! 6+6 a
Mais quand le vaste Ennui, vieux comme l'univers, 6+6 a
Étendra devant toi son grand désert de sable, 6+6 b
Jaloux, mystérieux, muet, infranchissable, 6+6 b
550 Pelé, nu, sans un brin d'herbe ou de gazons verts, 6+6 a
Regrettant l'harmonie et la douceur des vers, 6+6 a
Tu te rappelleras ton crime haïssable. 6+6 b
Triste comme un cheval déchiré par le mors, 6+6 a
Et pressentant dé tes propres funérailles, 6+6 b
555 Tu diras : Où sont-ils, ces hommes sans remords 6+6 a
Dont la voix créatrice élevait des murailles ? 6+6 b
Sortie avec terreur du fond de tes entrailles, 6+6 b
Une voix répondra : Les poëtes sont morts ! 6+6 a
Alors vers le néant courbant ton front servile 6+6 a
560 Sous les fiers souvenirs de tes bonheurs si courts, 6+6 b
Tu te rappelleras ces temps où dans ta ville 6+6 a
L'Amour, partout suivi de Grâces et d'Amours, 6+6 b
Entrnait sur ses pas la belle fleur des cours, 6+6 b
Et s'appelait Condé, Chevreuse et Longueville ! 6+6 a
565 Tu te rappelleras ces ombrages, témoins 6+6 a
Frais et délicieux des voluptés charmantes 6+6 b
Où Lauzun et Biron adoraient leurs amantes ; 6+6 b
Et tu diras : Furie exempte de tous soins, 6+6 a
Qui ne fuis même pas les ruines fumantes, 6+6 b
570 O désolation, tu me restes du moins ! 6+6 a
Énervantes langueurs de mes heures fiévreuses, 6+6 a
Puisque rien désormais ne vous peut endormir, 6+6 b
Pour noyer dans le flot des plaintes douloureuses 6+6 a
L'anéantissement dont je me sens frémir, 6+6 b
575 Je puis pleurer, je puis souffrir, je puis gémir 6+6 b
Et savourer du moins ces voluptés affreuses. 6+6 a
Mais la voix répondra : Tes chênes chevelus 6+6 a
Sous lesquels résonnaient ta prière et tes armes, 6+6 b
Sont tombés ; tout est mort, les temps sont révolus ! 6+6 a
580 Le Désespoir aussi te refuse ses charmes. 6+6 b
Tu ne souffriras plus ! tu ne pleureras plus ! 6+6 a
Car tu n'as plus de sang et tu n'as plus de larmes. 6+6 b
En fuyant vers l'azur à tes yeux interdit, 6+6 a
Ainsi te parlera ta conscience intime. 6+6 b
585 Et maintenant, bouffon que l'Érèbe applaudit, 6+6 a
Pitoyable assassin de l'aigle au vol sublime, 6+6 b
Toi qui fais de l'Amour ta première victime, 6+6 b
Monstre libidineux gorgé d'or, sois maudit ! 6+6 a
Ainsi parlait Cypris avec le vent qui brame, 6+6 a
590 Quand ses cheveux épars mordaient le ciel en feu. 6+6 b
Elle hurlait, pareille au loup que l'ombre affame, 6+6 a
Ses imprécations déchiraient l'éther bleu, 6+6 b
Et toi, tu gémissais à ces cris de la femme, 6+6 a
O Nature éternelle, ô corps sacré de Dieu ! 6+6 b
595 Oui, tu tressaillis toute ! Une vapeur de soufre 6+6 a
Voltigea sur les murs déjetés et croulants. 6+6 b
Comme s'agite en rêve un malade qui souffre, 6+6 a
Les vieux arbres craquaient, de sueurs ruisselants. 6+6 b
La rivière aux flots noirs s'agita dans son gouffre 6+6 a
600 Et voulut par ses cris répondre aux chiens hurlants. 6+6 b
Mais la Déesse enfin prit son vol. Les morsures 6+6 a
Du soleil dévoraient déjà le fier dessin 6+6 b
Des constellations. Ses flèches d'or plus sûres 6+6 a
Déchiquetaient les blancs nuages. L'assassin 6+6 b
605 Poussait son char sur eux, et rougissait le sein 6+6 b
De l'Aurore vermeille au sang de leurs blessures. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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