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BAN_3/BAN176
Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
LA BONNE LORRAINE
Livrée aux léopards anglais par Ysabeau, 6+6 a
Notre France allait être un cadavre au tombeau. 6+6 a
Elle n'avait plus rien de sa fierté divine, 6+6 b
Et Suffolk et Talbot lui broyaient la poitrine ; 6+6 b
5 Plus de vaillance, plus d'espoir, c'était la fin. 6+6 a
Affolés par la peur affreuse et par la faim, 6+6 a
Les paysans quittaient par troupes leurs villages. 6+6 b
Ils s'enfuyaient et, las de subir les pillages, 6+6 b
Ils allaient vivre au fond des bois avec les loups. 6+6 a
10 Le roi de Bourges, cœur inquiet et jaloux, 6+6 a
Sans toucher son épée où s'amassait la rouille, 6+6 b
Docile, abandonnait sa vie à la Trémouille ; 6+6 b
Orléans semblait pris déjà plus qu'à moitié, 6+6 a
Lorsque Dieu vit la France et la prit en pitié. 6+6 a
15 C'est alors qu'il choisit, pour sauver cette reine, 6+6 b
Un champion, qui fut la robuste Lorraine, 6+6 b
La Lorraine où jamais le travail ni les ans 6+6 a
N'abattent la vertu mâle des paysans. 6+6 a
Dieu, nous plaignant, voulut qu'elle prît la figure 6+6 b
20 D'une vierge donnant au ciel son âme pure, 6+6 b
Comme une hostie offerte à Jésus triomphant 6+6 a
Et qu'elle tînt la hache avec un bras d'enfant, 6+6 a
Forte de son amour et de son ignorance, 6+6 b
Pour chasser l'étranger qui dévorait la France 6+6 b
25 Comme un troupeau de bœufs mange l'herbe d'un parc, 6+6 a
Et la Lorraine alors se nomma Jeanne D'Arc ! 6+6 a
Ô toi, pays de Loire, où le fleuve étincelle, 6+6 b
Tu la vis accourir, cette rude pucelle 6+6 b
Qui, portant sa bannière avec le lys dessus, 6+6 a
30 Combattait dans la plaine au nom du roi Jésus ! 6+6 a
Faucheuse, elle venait faucher la moisson mûre, 6+6 b
Et le joyeux soleil dorait sa blanche armure. 6+6 b
Elle pleurait d'offrir des festins aux vautours, 6+6 a
Et montait la première aux échelles des tours. 6+6 a
35 Partout sûre en son cœur de vaincre, Orléans, Troyes, 6+6 b
Malgré le bourguignon vorace, étaient ses proies. 6+6 b
Lorsqu'elle pénétrait dans ces séjours de rois, 6+6 a
On entendait sonner dans le vent les beffrois 6+6 a
Avec de grands cris d'or pleins d'une joie étrange, 6+6 b
40 Et le peuple ravi la suivait comme un ange. 6+6 b
Puis elle retournait, héros insoucieux, 6+6 a
À la bataille, et saint Michel, au haut des cieux 6+6 a
Flamboyants, secouait devant elle son glaive. 6+6 b
Le roi Charles conduit par elle comme en rêve, 6+6 b
45 Et sacré sous l'azur dans l'église de Reims ; 6+6 a
Tant de succès hardis, tant d'exploits souverains, 6+6 a
Tant de force, Dunois, Xaintrailles et Lahire 6+6 b
Suivant, joyeux, ce chef de guerre au doux sourire ; 6+6 b
Le grand pays qui met des lys dans son blason 6+6 a
50 Ressuscité des morts malgré la trahison, 6+6 a
Tout cela, tant l'histoire est un muet terrible ! 6+6 b
Devait finir un jour à ce bûcher horrible 6+6 b
Où la pucelle meurt dans un rouge brasier ; 6+6 a
Et le songeur ne sait s'il doit s'extasier 6+6 a
55 Davantage devant l'adorable martyre, 6+6 b
Ou devant la guerrière enfant qu'un peuple admire, 6+6 b
Le rendant à l'honneur après ses lâchetés, 6+6 a
Et dont le sang d'agneau nous a tous rachetés ! 6+6 a
Ô sainte, ô Jeanne D'Arc, toi la bonne lorraine, 6+6 b
60 Tu ne fus pas pour nous avare de ta peine. 6+6 b
Devant notre pays aveugle et châtié, 6+6 a
Pastoure, tu frémis d'une grande pitié. 6+6 a
Sans regret tu pendis au clou ta cotte rouge, 6+6 b
Et toi qui frissonnais pour une herbe qui bouge, 6+6 b
65 Tu mis sur tes cheveux le dur bonnet de fer. 6+6 a
Pour déloger Bedford envoyé par l'enfer, 6+6 a
Tu partis à la voix de sainte Catherine ! 6+6 b
Et porter un habit d'acier sur ta poitrine, 6+6 b
Et t'offrir, brebis sainte, au couteau du boucher, 6+6 a
70 Et chevaucher pendant les longs jours, et coucher 6+6 a
Sur le sol nu pendant l'hiver, comme un gendarme ; 6+6 b
Tu faisais tout cela sans verser une larme, 6+6 b
Jusqu'à ce que ta France eût vengé son affront, 6+6 a
Et, comme un lion fier, secoué sur son front 6+6 a
75 Sa chevelure, et par tes soins, bonne pastoure, 6−6 b
Eût retrouvé son los antique et sa bravoure ! 6+6 b
Mais, oh ! Pourquoi dans tous les temps blessée au flanc 6+6 a
Laisse-t-elle aux buissons des taches de son sang ? 6+6 a
Jeanne, à présent c'est toi, c'est la Lorraine même 6+6 b
80 Que tient dans ses deux poings l'étranger qui blasphème, 6+6 b
Et qui brave ta haine aux farouches éclairs. 6+6 a
C'est lui, le dur teuton d'Allemagne aux yeux clairs, 6+6 a
Qui fauche tes épis rangés en longue ligne 6+6 b
Dans la plaine, et c'est lui qui vendange ta vigne. 6+6 b
85 Tes fleuves désormais ont des noms étrangers, 6+6 a
Un bracelet hideux pèse à tes pieds légers, 6+6 a
Ô guerrière intrépide et que la gloire allaite ! 6+6 b
Une chaîne de fer serre ton bras d'athlète, 6+6 b
Et la morne douleur est au pays lorrain. 6+6 a
90 Mais laisse venir Dieu, le juge souverain 6+6 a
Que servit ton génie, et qui voit ta souffrance. 6+6 b
Ne désespère pas, regarde vers la France ! 6+6 b
Tu rallumas ses yeux éteints, comme un flambeau ; 6+6 a
C'est toi qui la repris toute froide au tombeau 6+6 a
95 Et qui lui redonnas ton souffle ; elle te nomme 6+6 b
Depuis ces jours anciens libératrice, et comme 6+6 b
Alors tu te donnas pour elle sans faillir, 6+6 a
Elle n'entendra pas non plus sans tressaillir 6+6 a
Jusqu'en sa moelle, et sans que la pitié la prenne, 6−6 b
100 Le long sanglot qui vient des marches de Lorraine ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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