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12 longueur métrique
6-6 mètre
BAN_3/BAN163
Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
L'ÂME DE CÉLIO
Ce calme Célio, ce fils de la chimère 6+6 a
Qui passa comme un rêve, et qu'on pleure aujourd'hui, 6+6 b
Ce jeune homme pensif, beau comme un dieu d'Homère, 6+6 a
Je l'ai connu ; je veux parler encor de lui. 6+6 b
5 Mais parmi nous, d'ailleurs, son image est vivante ! 6+6 a
Terrible, et secouant dans l'air un feu subtil, 6+6 b
Sa lourde chevelure inspirait l'épouvante, 6+6 a
Et sa bouche, ô douceur ! charmait le mois d'avril. 6+6 b
Poëte, comme il fut adoré dès ce monde ! 6+6 a
10 Oh ! Que de fois, songeant à nous, il déroula 6+6 b
Du bout de ses doigts fins l'or d'une tresse blonde, 6+6 a
Sans savoir qu'à ses pieds une femme était là ! 6+6 b
Adoré ! Tout l'aimait dans sa grâce première. 6+6 a
Pourtant l'âme féroce et lâche de Don Juan 6+6 b
15 N'habita point ce corps pétri dans la lumière 6+6 a
Que berçaient les sanglots du sauvage océan ! 6+6 b
Non, pour voir jusqu'à lui de pâles favorites 6+6 a
Lever l'œil extatique et voilé du martyr, 6+6 b
Il n'avait pas versé de larmes hypocrites, 6+6 a
20 Et jamais Célio n'eut besoin de mentir. 6+6 b
Car la séduction émanait de son être, 6+6 a
Comme du diamant le rayon étoilé. 6+6 b
Il n'avait qu'à venir pour dominer en maître ; 6+6 a
Sa voix persuadait avant d'avoir parlé. 6+6 b
25 Oh ! Savez-vous combien de femmes que dévore 6+6 a
Même à présent son nom, traînant de longs ennuis, 6+6 b
Le murmuraient aux soirs, et criaient à l'aurore : 6+6 a
Je l'aime ! Et se plaignaient aux haleines des nuits ! 6+6 b
Et les vierges en fleur, troupe folle et timide, 6+6 a
30 Honteuses de sentir frissonner leurs bras nus, 6+6 b
Le suivaient dans le bal d'un long regard humide, 6+6 a
Et, blanches, étouffaient leurs soupirs ingénus. 6+6 b
Mais ce ne fut pas lui, cet amant des orages, 6+6 a
Qui put se réjouir à voir couler des pleurs, 6+6 b
35 Ou qui suivit la gloire et ses fuyants mirages. 6+6 a
Avenir, avenir, son âme était ailleurs ! 6+6 b
Que disait-il aux bois, quand, sous leur sombre voûte, 6+6 a
Il écoutait, caché dans le feuillage noir, 6+6 b
L'eau céleste filtrer et pleurer goutte à goutte, 6+6 a
40 Délicieusement, comme son désespoir ? 6+6 b
Car il fut un vrai fils des antiques orphées, 6+6 a
Et la création l'accueillait en ami 6+6 b
Dans la clairière obscure et près des sources fées 6+6 a
Où brille le serpent, sur le sable endormi. 6+6 b
45 Que disait-il, penché sur le flot des fontaines, 6+6 a
Aux fleurettes de l'herbe, aux nids dans les roseaux, 6+6 b
Quand d'une voix si tendre il leur contait ses peines, 6+6 a
Lui qui savait aussi la langue des oiseaux ? 6+6 b
Ou bien, avec l'aurore il fuyait dans la brume, 6+6 a
50 Farouche et, comme l'ange horrible du trépas, 6+6 b
Monté sur un cheval effaré, blanc d'écume, 6+6 a
Qu'il faisait obéir en lui parlant tout bas. 6+6 b
Mais il aima surtout cette consolatrice, 6+6 a
La nuit, la grande nuit qui, dans ses cheveux bruns, 6+6 b
55 De nos seins déchirés baise la cicatrice, 6+6 a
Et berce nos tourments au milieu des parfums ; 6+6 b
La nuit et ses lueurs de diamant, froissées 6+6 a
Par l'aube, dont l'opale éclate au front du ciel, 6+6 b
Et le frissonnement des étoiles glacées 6+6 a
60 Qui guérit les transports de nos cœurs pleins de fiel. 6+6 b
Il contemplait, de l'ombre où nos larmes tarissent, 6+6 a
Dans le jardin de joie à nos pas défendu, 6+6 b
Ces guirlandes, ces lys de clarté qui fleurissent, 6+6 a
Et leur parlait alors, de douleur éperdu ! 6+6 b
65 Il leur disait, noyé dans les horreurs du gouffre 6+6 a
Que l'insondable azur suspend sur notre effroi : 6+6 b
« Ô constellations, vous voyez que je souffre, 6+6 a
Flambeaux de l'éther vaste, ayez pitié de moi ! » 6+6 b
Et les hommes, voyant ce beau porteur de lyre 6+6 a
70 N'avoir pour seuls amis que les astres des cieux, 6+6 b
Dans lesquels ses regards pénétrants savaient lire, 6+6 a
Voulaient prendre en pitié son cœur silencieux. 6+6 b
« Oh ! Disaient-ils, songeur caressé par les flammes, 6+6 a
La beauté resplendit sur ton visage altier 6+6 b
75 Baigné par des flots d'or, enchantement des âmes, 6+6 a
Et ta lèvre est pareille aux fleurs de l'églantier. 6+6 b
Quand tu lèves tes yeux à la clarté fidèles, 6+6 a
Dans tes prunelles d'or l'éclair semble jaillir ; 6+6 b
Les vierges de seize ans, quand tu passes près d'elles, 6+6 a
80 Sentent leur voix s'éteindre et leur sang tressaillir. 6+6 b
La vertu dédaigneuse et la pudeur farouche 6+6 a
Se changent pour toi seul en désirs embrasés ; 6+6 b
Tu charmes l'innocence elle-même, et ta bouche 6+6 a
Est comme un seuil divin meurtri par les baisers. 6+6 b
85 Comme un dieu triomphant tu parus dans la vie, 6+6 a
Dont ta pensée agile a déjà fait le tour ; 6+6 b
Mais qui pourrait remplir ton âme inassouvie, 6+6 a
Sinon le flot immense et clair d'un seul amour ? 6+6 b
Ah ! Sans doute, bel ange effrayé de ton rêve, 6+6 a
90 Tu chercheras bientôt la fraîcheur du matin, 6+6 b
Et tu te guériras des voluptés sans trêve 6+6 a
Près d'une blonde épouse au regard enfantin. 6+6 b
Ainsi qu'un matelot fatigué des tourmentes, 6+6 a
Et las de voir toujours le gouffre tournoyer, 6+6 b
95 Tu renaîtras alors, et loin de tes amantes 6+6 a
Tu connaîtras enfin la douceur du foyer. » 6+6 b
Tels ils parlaient ; mais lui, bercé par la musique 6+6 a
Suave qu'il écoute au fond du ciel obscur, 6+6 b
Répondait lentement de sa voix héroïque, 6+6 a
100 Dont la sérénité fait songer à l'azur : 6+6 b
« Oui, le calme plairait à ma fierté jalouse, 6+6 a
Et j'aspire en silence à l'oubli des combats. 6+6 b
Oui, mon cœur tout sanglant appelle son épouse ; 6+6 a
Mais que me parlez-vous de bonheur ici-bas ? 6+6 b
105 Croyez-vous que je puisse en des routes fleuries 6+6 a
Oublier les déserts d'épouvante peuplés, 6+6 b
Quand mes frères tremblants, sous le fouet des furies, 6+6 a
Baissent avec horreur des fronts échevelés ? 6+6 b
Ah ! Donnez-leur aussi l'épouse blonde et fière 6+6 a
110 Qui tend sa lèvre en fleur plus douce que le vin, 6+6 b
Et le vieux lit de chêne, et la pure lumière 6+6 a
Du rajeunissement, sans lequel tout est vain ! 6+6 b
Mais s'ils doivent, sans cesse abreuvés d'amertume, 6+6 a
Leur bâton dans la main poursuivre l'horizon, 6+6 b
115 Sans voir pendant les mois de frimas et de brume 6+6 a
Une lampe fidèle éclairer leur maison ; 6+6 b
S'il faut que chaque jour avive leur blessure, 6+6 a
Et qu'à peine échangeant quelque parole entre eux, 6+6 b
Toujours ces voyageurs gardent sur leur chaussure 6+6 a
120 La trace des cailloux et des chemins poudreux ; 6+6 b
Tant qu'il ne viendra pas une heure de délices 6+6 a
Pour guérir tous les maux dont leur cœur est navré, 6+6 b
Je refuse ma lèvre aux suprêmes calices 6+6 a
Du bonheur ; et comme eux jusque-là je vivrai 6+6 b
125 Avec l'âpre douceur de l'oiseau solitaire 6+6 a
Qui fuit d'un vol affreux les arbres et les nids, 6+6 b
Et qui plane toujours, altéré de mystère, 6+6 a
Ou sur la foule en pleurs ou dans les cieux bénis ! 6+6 b
Car, puisque nous parlons dans ce temps misérable 6+6 a
130 Où les exilés seuls ont encor soif du beau, 6+6 b
Et, dans leur piété pour la muse adorable, 6+6 a
Gardent le lys sans tache et le sacré flambeau, 6+6 b
Non, je ne saurais pas chanter aux pieds d'une ange 6+6 a
Et voir à mes côtés dormir de beaux enfants, 6+6 b
135 Tandis que je les vois qui marchent dans la fange, 6+6 a
Tristes, désespérés, maudits, mais triomphants. 6+6 b
Comme à présent la pourpre est une chose vile 6+6 a
Que les passants haineux peuvent injurier, 6+6 b
Je montrerai la mienne à ce troupeau servile : 6+6 a
140 Je veux ma part de honte et ma part de laurier. 6+6 b
Ma place est près de ceux qui sur leur sein d'ivoire 6+6 a
Étalent, sans souci du railleur odieux, 6+6 b
Ce lambeau d'écarlate auguste et dérisoire 6+6 a
Qui désigne ici-bas les bouffons et les dieux. 6+6 b
145 Pour si peu qu'il leur reste un éclair de génie 6+6 a
Dont les buveurs de flamme un jour s'enivreront, 6+6 b
Je veux, je veux ma part de leur ignominie ; 6+6 a
Je veux porter comme eux de la boue à mon front. 6+6 b
Je ne suis pas celui qui peut goûter la gloire 6+6 a
150 Loin des miens, et me plaire aux loisirs du vainqueur, 6+6 b
Lorsque derrière moi, dans l'ombre épaisse et noire, 6+6 a
On foulerait aux pieds ces morceaux de mon cœur. 6+6 b
Ainsi, ne tentez pas mes heures de délire, 6+6 a
Foyer, chaste bonheur qu'envierait ma raison ! 6+6 b
155 Je mêle mes fureurs aux sanglots de la lyre ; 6+6 a
Je n'ai pas de famille et n'ai pas de maison. 6+6 b
Ma maison, c'est le roc aimé des tourterelles, 6+6 a
La grotte dont le lierre a tapissé le mur, 6+6 b
C'est le palais empli de joie et de querelles 6+6 a
160 Dont le dôme est bâti de feuillage et d'azur. 6+6 b
C'est l'abri sourcilleux que la nature enchaîne 6+6 a
À la bouche des flots tordus par les autans ; 6+6 b
C'est la nuit du ravin ; c'est le tronc noir du chêne 6+6 a
Meurtri par le tonnerre et creusé par le temps. 6+6 b
165 C'est l'antre d'où l'on voit courir les blanches voiles 6+6 a
Dans les flocons d'écume et sur le gouffre amer ; 6+6 b
C'est la caverne au front baisé par les étoiles, 6+6 a
D'où l'on entend gronder et sangloter la mer ! 6+6 b
Ma famille, ce sont tous ces pâles convives 6+6 a
170 Qui, n'ayant pas eu faim du terrestre repas, 6+6 b
Tremblent comme des lys au bord des sources vives, 6+6 a
Et qui ne filent pas et ne travaillent pas ! 6+6 b
C'est vous, poëtes forts que les épines blessent, 6+6 a
Vous qui sur tous les maux tenez vos fronts penchés, 6+6 b
175 Et dont les mains, toujours vierges et blanches, laissent 6+6 a
Une odeur d'ambroisie à ce que vous touchez ! 6+6 b
C'est vous chez qui la grâce a conservé son culte, 6+6 a
Statuaires, démons obstinés et chercheurs, 6+6 b
Fiers de vivre éperdus pour un art qu'on insulte, 6+6 a
180 Dans l'éblouissement lumineux des blancheurs ! 6+6 b
C'est vous tous dont le pied bondit sur les rivages, 6+6 a
Et qui dans les buissons où rit une clarté, 6+6 b
Cueillez en même temps que les mûres sauvages 6+6 a
Ce fruit des grands chemins qu'on nomme liberté. 6+6 b
185 C'est le vieux mendiant farouche, qui s'enivre 6+6 a
De la sierra vermeille et du ciel espagnol ; 6+6 b
C'est toi dont le parfum m'encourageait à vivre, 6+6 a
Rose de la montagne, et c'est toi, rossignol ! 6+6 b
C'est vous, derniers amants de la lyre assassine, 6+6 a
190 Pauvres comédiens, qui le long du coteau 6+6 b
Emportez au soleil Marivaux et Racine, 6+6 a
Sous le manteau riant que vous donna Wateau ! 6+6 b
Idoles aux beaux yeux, c'est vous ! Dont le poëte 6+6 a
Consolera pendant toute l'éternité 6+6 b
195 La beauté sculpturale et grandiose, faite 6+6 a
Pour l'infamie, ou bien pour la divinité. 6+6 b
Vous roulez au ruisseau, race éclatante et rose ! 6+6 a
Dans les jours de cet âge aveugle et sans essor, 6+6 b
Qui ne se hausse pas jusqu'à l'apothéose 6+6 a
200 De vos fronts de lumière et de vos tresses d'or ! 6+6 b
Il vous jette à l'enfer plein d'ombres sépulcrales, 6+6 a
Parce qu'il ne saurait, dans son dédain jaloux, 6+6 b
Allumer sur vos fronts les clartés sidérales ! 6+6 a
Venez, je vous le dis, ma famille c'est vous. 6+6 b
205 Victime aux longs cheveux, muse, beauté, génie ! 6+6 a
Grande vierge promise au supplice immortel, 6+6 b
C'est toi que chaque jour, comme une Iphigénie, 6+6 a
Le couteau du grand prêtre égorge sur l'autel ! 6+6 b
Ah ! Peut-être qu'enfin, race pleine de joie ! 6+6 a
210 Quand les vautours de l'air acharnés sur ton flanc 6+6 b
Seront las de te mordre et de manger ton foie, 6+6 a
Et d'agrandir ta plaie et de boire ton sang, 6+6 b
Nourrice de héros, sainte aristocratie, 6+6 a
Tu régneras avec ton regard azuré 6+6 b
215 Sur ce monde qui rêve à peine et balbutie, 6+6 a
Et certes, ce jour-là, je me reposerai ! » 6+6 b
C'est ainsi que parlait aux passants de la terre 6+6 a
Le divin Célio, que regrettent les fleurs. 6+6 b
Il est mort sans avoir à son lit solitaire 6+6 a
220 Une timide épouse échevelée en pleurs. 6+6 b
Mais sur l'âpre montagne où parmi l'herbe haute 6+6 a
Frémit le bouton d'or, par la brise plié, 6+6 b
La forêt, dont il fut le compagnon et l'hôte, 6+6 a
Depuis qu'il est parti, ne l'a pas oublié ! 6+6 b
225 Et les trembles d'argent, les chênes, les érables, 6+6 a
Et la grotte où frissonne un luth éolien, 6+6 b
Et l'eau vive, si douce au cœur des misérables, 6+6 a
Et les grands sapins noirs se le rappellent bien ! 6+6 b
Et la mer, et la mer plaintive, son amante, 6+6 a
230 Et l'océan houleux brisé par les récifs, 6+6 b
Murmurent sans repos son nom dans la tourmente 6+6 a
Et l'apprennent encore aux matelots pensifs. 6+6 b
Et quand viennent les jours d'été, blancs et féeriques, 6+6 a
Les sculpteurs amoureux des symboles anciens, 6+6 b
235 Les peintres éblouis, les poëtes lyriques, 6+6 a
Les chanteurs vagabonds et les musiciens 6+6 b
Songent sans désespoir au marbre funéraire 6+6 a
De ce martyr d'amour beau comme Alaciel, 6+6 b
Et disent : « parfumez l'âme de notre frère ! 6+6 a
240 Aimez-le, fleurissez pour lui, roses du ciel ! » 6+6 b
Et ce troupeau toujours blessé, les amoureuses, 6+6 a
Qui se donnent en rêve à cet homme indompté 6+6 b
Et relisent ses vers dans leurs heures fiévreuses 6+6 a
Avec les longs frissons de l'âcre volupté, 6+6 b
245 Et le mendiant, fils de gueux, qui s'extasie 6+6 a
De voir briller l'aurore en son riche appareil, 6+6 b
Et qui sur ses haillons, comme un prince d'Asie, 6+6 a
Porte joyeusement un habit de soleil, 6+6 b
Et ces divinités mornes sous leur dentelle 6+6 a
250 Dont les attraits, au lieu de durer deux mille ans, 6+6 b
S'effaceront demain faute d'un Praxitèle, 6+6 a
Et qui n'ont plus d'abri dans les temples croulants. 6+6 b
Et les petits oiseaux donneurs de sérénades 6+6 a
Avec le barde ailé des cieux, le rossignol, 6+6 b
255 Et les filles d'amour qui vont par les bourgades 6+6 a
Jouer en corset d'or Chimène et dona sol ; 6+6 b
Et tous ceux qui mourront pour l'amante de pierre, 6+6 a
Tous les pauvres, tous les rêveurs, tous les maudits 6−6 b
Répètent chaque soir, en faisant leur prière : 6+6 a
260 « Accueillez-le, seigneur, dans votre paradis ! » 6+6 b
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