Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
LA SOURCE
à Ingres
Jeune, oh ! Si jeune avec sa blancheur enfantine, 6+6 a
Debout contre le roc, la naïade argentine 6+6 a
Rit. Elle est nue. Encore au bleu matin des jours, 6+6 b
La céleste ignorance éclaire les contours 6+6 b
5 De son corps où circule un sang fait d'ambroisie. 6+6 a
Svelte et suave, tel près d'un fleuve d'Asie 6+6 a
Naît un lys ; le désert voit tout ce corps lacté, 6+6 b
Sans tache et déjà fier de sa virginité, 6+6 b
Car sur le sein de neige à peine éclos se pose 6+6 a
10 Le reflet indécis de l'églantine rose. 6+6 a
Ô corps de vierge enfant ! Temple idéal, dont rien 6+6 b
Ne trouble en ses accords le rhythme aérien ! 6+6 b
L'atmosphère s'éclaire autour du jeune torse 6+6 a
De la naïade, et, comme un dieu sous une écorce, 6+6 a
15 Tandis que sa poitrine et son ventre poli 6+6 b
Reflètent un rayon par la vie embelli, 6+6 b
Une âme se trahit sous cette chair divine. 6+6 a
La prunelle, où l'abîme étoilé se devine, 6+6 a
Prend des lueurs de ciel et de myosotis ; 6+6 b
20 Ses cheveux vaporeux que baisera Thétis 6+6 b
Étonnent le zéphyr ailé par leur finesse ; 6+6 a
Elle est rêve, candeur, innocence, jeunesse ; 6+6 a
Sa bouche, fleur encor, laisse voir en s'ouvrant 6+6 b
Des perles ; son oreille a l'éclat transparent 6+6 b
25 Et les tendres couleurs des coquilles marines, 6+6 a
Et la lumière teint de rose ses narines. 6+6 a
La nature s'éprend de ce matin vermeil 6+6 b
De la vie, aux clartés d'aurore. Le soleil 6+6 b
Du printemps, qui de loin dans sa grotte l'admire, 6+6 a
30 Met un éclair de nacre en son vague sourire. 6+6 a
La vierge, la naïade argentine est debout 6+6 b
Contre le roc ; pensive, amoureuse de tout, 6+6 b
Et son bras droit soulève au-dessus de sa tête 6+6 a
L'urne d'argile, chère au luth d'or du poëte, 6+6 a
35 Qui dans ses vers, où gronde un bruit mélodieux, 6+6 b
Décrit fidèlement les attributs des dieux. 6+6 b
Son corps éthéréen se déroule avec grâce 6+6 a
Courbé sur une hanche, et brille dans l'espace, 6+6 a
Léger comme un oiseau qui va prendre son vol. 6+6 b
40 Seul, un de ses pieds blancs pose en plein sur le sol. 6+6 b
Le vase dont ses doigts ont dû pétrir l'ébauche 6+6 a
S'appuie à son épaule, ô charme ! Et sa main gauche 6+6 a
Supporte le goulot, d'où tombe un flot d'argent. 6+6 b
Les perles en fusée et le cristal changeant 6+6 b
45 Ruissellent, et déjà leur écume s'efface 6+6 a
Dans l'ombre du bassin luisant, dont la surface 6+6 a
Répète dans son clair miroir de flots tremblants 6+6 b
Les jambes de l'enfant naïve et ses pieds blancs. 6+6 b
Oh ! Parmi les lotos ouverts et les narcisses, 6+6 a
50 Où vont tes pieds glacés, source aux fraîches délices ? 6+6 a
Où tes flots, à présent dans la mousse tapis, 6+6 b
Baigneront-ils au loin des champs mouvants d'épis ? 6+6 b
Où verras-tu frémir aussi dans tes opales 6+6 a
Le pin, et l'olivier que tordent les rafales ? 6+6 a
55 T'enfuis-tu dans la nuit vers le vallon désert, 6+6 b
Vers le sentier rougeâtre où croit l'euphorbe vert, 6+6 b
Où l'on voit se flétrir sous les pieds des bacchantes 6+6 a
La violette aux yeux mourants et les acanthes ? 6+6 a
Où vas-tu, bleue et froide en tes sombres chemins, 6+6 b
60 Clarté ? Chercheras-tu les buissons de jasmins 6+6 b
Ou la cité bruyante et pleine d'allégresse 6+6 a
Que parent les héros issus d'une déesse, 6+6 a
Les tueurs de lions, qui sur leur large flanc 6+6 b
Tourmentent de la main des glaives teints de sang ? 6+6 b
65 Ô source, dans les champs de la fertile Épire, 6+6 a
L'Achéron se courrouce et l'Aréthon soupire ; 6+6 a
Le Pénée, aux baisers des nymphes échappé, 6+6 b
Court, ivre de désir, vers la molle Tempé ; 6+6 b
L'Étolie a des bois odorants où circule 6+6 a
70 L'Achéloos meurtri par le divin Hercule ; 6+6 a
Près du doux Ilissos qui reflète le ciel, 6+6 b
Sur les coteaux penchants l'abeille fait son miel, 6+6 b
Et le Strymon, qui pousse une plainte étouffée, 6+6 a
Roule avec des sanglots un dernier chant d'Orphée. 6+6 a
75 Tous ces fleuves sont beaux, et dans leur libre essor 6+6 b
Apportent à la mer des ruisseaux brodés d'or : 6+6 b
Un chœur dansant bondit sur les bords du Céphise ; 6+6 a
L'harmonieux Pénée a vu Daphné surprise 6+6 a
Se changer en laurier verdoyant sur ses bords ; 6+6 b
80 Le Sperchios entend mourir le bruit des cors ; 6+6 b
Le long de l'Axios passent des hécatombes ; 6+6 a
La douce Thyamis a des vols de colombes 6+6 a
Qui vont en secouant leurs ailes vers les cieux. 6+6 b
Tous ces fleuves d'azur au cours délicieux 6+6 b
85 Ont de leurs noms vivants charmé la grande lyre, 6+6 a
Ô source enfant, mais nul d'entre eux n'a ton sourire ! 6+6 a
Oh ! Je te reconnais, source enfant, tu seras 6+6 b
Le limpide Eurotas, où, levant leurs beaux bras, 6+6 b
Les guerrières de Sparte aux âmes ingénues 6+6 a
90 Dans la nappe d'argent se baignent toutes nues ; 6+6 a
L'Eurotas, tout glacé de suaves pâleurs, 6+6 b
Où croît le laurier-rose au front chargé de fleurs ! 6+6 b
C'est dans ton flot riant, à l'ombre de la vigne, 6+6 a
Que Léda frémira sous le baiser du cygne, 6+6 a
95 Pâle d'horreur, serrant les ailes de l'oiseau 6+6 b
Sur sa poitrine folle où l'ombre d'un roseau 6+6 b
Se joue, et sur le lit de fleurs que l'onde arrose 6+6 a
Mordant un col de neige avec sa lèvre rose ! 6+6 a
Le fleuve ému la berce en un riant bassin, 6+6 b
100 Et des soupirs brûlants s'échappent de son sein 6+6 b
Mollement caressé par les eaux fugitives. 6+6 a
Ah ! Toujours l'Eurotas gardera sur ses rives, 6+6 a
Que les enchantements choisissent pour séjour, 6+6 b
L'écho tumultueux de ses grands cris d'amour, 6+6 b
105 Ô source ! Et c'est aussi près de ton onde claire 6+6 a
Qu'Hélène aux cheveux d'or, tremblante de colère, 6+6 a
Passera, saluant d'un rire méprisant 6+6 b
Le palais délaissé de Tyndare, et baisant 6+6 b
De sa lèvre enfantine encore inapaisée 6+6 a
110 Les noirs cheveux touffus de son amant Thésée. 6+6 a
La petite naïade est pensive. Elle rit. 6+6 b
Devant ses pieds d'ivoire un narcisse fleurit. 6+6 b
Oiseaux, ne chantez pas ; taisez-vous, brises folles, 6+6 a
Car elle est votre joie, ailes, brises, corolles, 6+6 a
115 Verdures ! Le désert, épris de ses yeux bleus, 6+6 b
Écoute murmurer dans le roc sourcilleux 6+6 b
Son flot que frange à peine une légère écume. 6+6 a
L'aigle laisse tomber à ses pieds une plume 6+6 a
En ouvrant dans l'éther son vol démesuré ; 6+6 b
120 L'alouette vient boire au bassin azuré 6+6 b
Dont son aile timide agite la surface. 6+6 a
Quand la pourpre céleste à l'horizon s'efface, 6+6 a
Les étoiles des nuits silencieusement 6+6 b
Admirent dans le ciel son visage charmant 6+6 b
125 Qui rêve, et la montagne auguste est son aïeule. 6+6 a
Oh ! Ne la troublez pas ! La solitude seule 6+6 a
Et le silence ami par son souffle adouci 6+6 b
Ont le droit de savoir pourquoi sourit ainsi 6+6 b
Blanche, oh ! Si blanche, avec ses rougeurs d'églantine, 6+6 a
130 Debout contre le roc, la naïade argentine ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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