Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BAN_3/BAN151
Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
ÉRINNA
À mon cher Philoxène Boyer
qui a ressuscité la grande figure
de Sappho dans un poème impérissable
Près du flot glorieux qui baise Mitylène, 6+6 a
Marchent, vierges en fleur, de jeunes poétesses 6+6 b
Qui du soir azuré boivent la fraîche haleine 6+6 a
Et passent dans la nuit comme un vol de déesses. 6+6 b
5 Elles vont, emportant la brise dans leurs voiles, 6+6 a
Vers le parfum sauvage et les profonds murmures. 6+6 b
Les lumières d'argent qui tombent des étoiles 6+6 a
Sur leurs dos gracieux mordent leurs chevelures. 6+6 b
Celle qui les conduit vers la plage marine, 6+6 a
10 C'est Érinna, l'orgueil des roses éphémères, 6+6 b
L'amante en qui revit dans sa blanche poitrine 6+6 a
Le grand cœur de Sappho, pâture des chimères. 6+6 b
Elle leur parle ainsi, grave, tenant la lyre, 6+6 a
Le regard ébloui de clartés radieuses, 6+6 b
15 Et mêlant tendrement la voix de son délire 6+6 a
Aux plaintes sans repos des eaux mélodieuses : 6+6 b
« Vierges, dit-elle, enfants baignés de tresses blondes, 6+6 a
Vous dont la lèvre encor n'est pas désaltérée, 6+6 b
Le rhythme est tout ; c'est lui qui soulève les mondes 6+6 a
20 Et les porte en chantant dans la plaine éthérée. 6+6 b
Poétesses, qu'il soit pour vous comme l'écorce 6+6 a
Étroitement unie au tronc même de l'arbre, 6+6 b
Ou comme la ceinture éprise de sa force 6+6 a
Qui dans son mince anneau tient notre flanc de marbre ! 6+6 b
25 Qu'il soit aussi pour vous la coupe souveraine 6+6 a
Où, pour garder l'esprit vivant de l'ancien rite, 6+6 b
Le vin, libre pourtant, prend la forme sereine 6+6 a
Moulée aux siècles d'or sur le sein d'Aphrodite ! 6+6 b
Le cercle où, par les lois saintes de la musique, 6+6 a
30 Les constellations demeurent suspendues, 6+6 b
N'affaiblit pas l'essor de leur vol magnifique 6+6 a
Et dans l'immensité les caresse éperdues. 6+6 b
Tel est le rhythme. Enfants, suivez son culte aride. 6+6 a
Livrez-lui le génie en esclaves fidèles, 6+6 b
35 Car il n'offense pas l'auguste Piéride, 6+6 a
En entravant ses pieds il l'enveloppe d'ailes ! 6+6 b
Mais surtout, mais surtout que vos âmes soient blanches 6+6 a
Comme la neige où rien d'humain n'a mis sa trace ! 6+6 b
Blanches comme l'horreur pâle des avalanches 6+6 a
40 Qui roule au flanc des monts irrités de la Thrace ! 6+6 b
Ah ! S'il est vrai qu'il faut à la fureur lyrique 6+6 a
Des victimes dont l'âpre amour ait fait sa proie 6+6 b
Et que l'ardente soif d'un bonheur tyrannique 6+6 a
Torture encor par la douleur et par la joie, 6−6 b
45 Ah ! Du moins, jeunes sœurs, que la pensée altière 6+6 a
Affranchisse vos sens de toutes les souillures ! 6+6 b
Ivres de volupté pourtant, que la matière 6+6 a
Ne vous offense pas de ses laideurs impures ! 6+6 b
Car celle qui, pour fuir le fardeau de la vie, 6+6 a
50 Impose à son extase une forme sensible, 6+6 b
Et veut boire, au festin où son dieu la convie, 6+6 a
Le vin matériel dans la coupe visible, 6+6 b
Ne connaîtra jamais l'implacable démence 6+6 a
Qui met dans nos regards la clarté des aurores 6+6 b
55 Et qui fait résonner comme un sanglot immense 6+6 a
L'hymne de nos douleurs sur des cordes sonores ! 6+6 b
Celle qui n'ose pas mépriser la nature 6+6 a
Et qui, par les désirs terrestres endormie 6+6 b
Dans l'engourdissement où vit la créature, 6+6 a
60 Ne sait pas, en tenant la main de son amie, 6+6 b
Chaste et vierge, oublier les liens qui l'étreignent, 6+6 a
Et sentir qu'à ses pieds se déchire un abîme 6+6 b
Et que son pouls s'arrête et que ses yeux s'éteignent 6+6 a
Et que la mort tressaille en son cœur magnanime ; 6+6 b
65 Si, meurtrie et glacée, au monde évanouie, 6+6 a
Le sein brûlé des feux de ses pleurs solitaires, 6+6 b
Elle n'adore pas la douleur inouïe 6+6 a
Dont les ravissements courent dans ses artères, 6+6 b
Eh bien, que celle-là, promise à l'hyménée, 6+6 a
70 Reste dans la maison où son devoir l'attache, 6+6 b
Et, souriante, près d'un jeune époux menée, 6+6 a
File pensivement une laine sans tache ! 6+6 b
Elle n'entendra pas les plaintes de la lyre, 6+6 a
Et son pied, plus vermeil que la rose naissante, 6+6 b
75 N'abordera jamais sur un léger navire 6+6 a
La Cythère adorable et toujours gémissante 6+6 b
Mais vous, de vos grands cœurs, du vol de vos pensées, 6+6 a
Vous dont les doigts charmants ne filent pas de laine, 6+6 b
Suivez jusqu'à l'éther les ailes élancées, 6+6 a
80 Ô vierges sans souillure, orgueil de Mitylène ! 6+6 b
Et dites au ruisseau dont la voix se lamente 6+6 a
Que rien n'est plus martyre après la poésie, 6+6 b
Et qu'il n'est pas de flot pour rafraîchir l'amante 6+6 a
Dont la bouche brûlante a goûté l'ambroisie ! » 6+6 b
85 Telle Érinna, livrée à ses mâles tristesses, 6+6 a
Sur le rivage ému que le laurier décore 6+6 b
Enseignait le troupeau rêveur des poétesses, 6+6 a
Et l'écho de son cri jaloux me trouble encore ! 6+6 b
Et j'ai rimé cette ode en rimes féminines 6+6 a
90 Pour que l'impression en restât plus poignante, 6+6 b
Et, par le souvenir des chastes héroïnes, 6+6 a
Laissât dans plus d'un cœur sa blessure saignante. 6+6 b
Ô rhythme, tu sais tout ! Sur tes ailes de neige 6+6 a
Sans cesse nous allons vers des routes nouvelles, 6+6 b
95 Et, quel que soit le doute affreux qui nous assiège, 6+6 a
Il n'est pas de secret que tu ne nous révèles ! 6+6 b
Tu heurtes les soleils comme un oiseau farouche. 6+6 a
Ce n'est pour toi qu'un jeu d'escalader les cimes, 6+6 b
Et, lorsqu'un temps railleur n'a plus rien qui te touche, 6+6 a
100 Tu rêves dans la nuit, penché sur les abîmes ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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