Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_3/BAN150
Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
L'ÉDUCATION DE L'AMOUR
Quand le premier des dieux, | amour, pendant mille ans 6+6 a
Eut tenu sous son joug | les cieux étincelants, 6+6 a
La terre immense et tous | les êtres qui respirent, 6+6 b
Las de souffrir par lui, | les immortels se dirent : 6+6 b
5 « Ah ! Qu'un autre vainqueur, | formidable et serein, 6+6 a
Paraisse, armé de l'arc | et des flèches d'airain ; 6+6 a
Qu'il porte dans un flot | de flamme et de fumée 6+6 b
Sa torche au Phlégéthon | furieux allumée ; 6+6 b
Qu'il étende sur tous | l'inflexible niveau, 6+6 a
10 Et nous respirerons | sous ce maître nouveau. 6+6 a
Car comment sa colère, | où grondera l'orage, 6+6 b
Pourrait-elle égaler | jamais l'aveugle rage 6+6 b
Du dieu titan, du roi | funeste qui n'eut pas 6+6 a
De mère, et qui sema | la terreur sur ses pas 6+6 a
15 Quand frémissaient encor | du mot qui les sépare 6+6 b
Le noir chaos, la terre | énorme et le tartare ! » 6+6 b
Tels les Olympiens | se plaignaient dans l'éther. 6+6 a
Bientôt d'une déesse | à l'œil limpide et fier 6+6 a
Un autre Éros naquit, | charmant, sa lèvre pure 6+6 b
20 Tout en fleur, agitant | de l'or pour chevelure 6+6 b
Et portant haut son front | de neige, où resplendit 6+6 a
L'éclat sacré du jour. | Mais quand Zeus entendit 6+6 a
Ses premiers bégaiements, | plus doux qu'un chant de lyre, 6+6 b
Quand il vit ses regards | de femme et son sourire 6+6 b
25 Où la caresse, les | aveux, les doux refus 6−6 a
Erraient, il devina | dans l'avenir confus 6+6 a
Tant de colère, tant | de larmes, tant de crimes 6+6 b
Hâtant leurs pieds sanglants | sur le bord des abîmes, 6+6 b
Tant de douleurs penchant | le front, tant de remords 6+6 a
30 Hurlant de longs sanglots | à l'oreille des morts ; 6+6 a
Il vit si clairement | la trahison vivante, 6+6 b
Qu'il sentit dans son cœur | s'amasser l'épouvante, 6+6 b
Et fronça par trois fois | son sourcil triomphant. 6+6 a
Alors il ordonna | que le petit enfant, 6+6 a
35 Nu, froid, maudit, victime | au noir Hadès offerte, 6+6 b
Fût porté dans le fond | d'une forêt déserte 6+6 b
De l'Inde, dans un lieu | du jour même exécré, 6+6 a
Où jamais l'homme ni | les dieux n'ont pénétré, 6+6 a
Et dont les sourds abris | et les rochers colosses 6+6 b
40 N'ont pour hôtes vivants | que des bêtes féroces. 6+6 b
C'était un bois funèbre | et pourtant merveilleux ; 6+6 a
Splendide et noir, baignant | ses pieds dans les flots bleus 6+6 a
D'un golfe de saphir. | Debout près de cette onde, 6+6 b
Il la voyait depuis | les premiers jours du monde 6+6 b
45 Réfléchir son front noir. | Tel son abri géant 6+6 a
Était sorti de l'ombre | et du chaos béant, 6+6 a
Tel il avait grandi, | sans que nulle aventure 6+6 b
Entamât une fois | sa frondaison obscure, 6+6 b
Et sans que la bataille | humaine aux durs éclairs 6+6 a
50 Tourmentât follement | ses lacs profonds et clairs. 6+6 a
Les aloès, les grands | tulipiers aux fleurs jaunes 6+6 b
Vivaient sans avoir vu | les nymphes et les faunes 6+6 b
Qui brisent des rameaux | pour en orner leur front. 6+6 a
Les énormes jasmins | fleurissaient sans affront ; 6+6 a
55 D'autres arbres mêlaient, | comme un riche cortège, 6+6 b
Des corolles de sang | à des feuilles de neige. 6+6 b
Au fond d'un antre noir | d'érables entouré, 6+6 a
Tout à coup surgissait | un fleuve enamouré, 6+6 a
Mystérieux, baisant | ses rives délicates 6+6 b
60 Et, par endroits, bordé | de lotus écarlates. 6+6 b
Puis des rocs ; puis des monts | neigeux, où les torrents 6+6 a
Charriaient des rubis ; | dans les lointains mourants, 6+6 a
On ne sait quel flot bleu | passe, et traverse encore 6+6 b
L'insondable océan | de verdure sonore. 6+6 b
65 Là, la création | gigantesque apparaît 6+6 a
Toute nue. Un figuier | plus grand qu'une forêt 6+6 a
Enfonce avec fierté, | grand aïeul solitaire, 6+6 b
Trois cents troncs effrayants | dans le cœur de la terre 6+6 b
Pour y prendre le suc | de ses fruits au doux miel, 6+6 a
70 Et par mille rameaux | boit la clarté du ciel. 6+6 a
Puis une fleur qui, même | auprès du figuier, semble 6+6 b
Prodigieuse, au fond | d'un calice qui tremble 6+6 b
Garde assez d'eau de pluie, | alors que la forêt 6+6 a
Brûle, pour faire boire | un titan qui viendrait. 6+6 a
75 Ses boutons, sur lesquels | un épervier se pose, 6+6 b
Qui paraissent des blocs | polis de marbre rose, 6+6 b
Et que ne peut ouvrir | le soleil étouffant, 6+6 a
Ont déjà la grosseur | d'une tête d'enfant. 6+6 a
La vigne monstrueuse | étreint les arbres comme 6+6 b
80 Un lutteur, puis en troncs | pareils à des corps d'homme 6+6 b
Retombe, puis remonte | et va bondir plus loin. 6+6 a
La végétation | en démence n'a soin 6+6 a
Que de cacher le ciel | avec ses créatures. 6+6 b
Le feuillage se dresse | en mille architectures, 6+6 b
85 Forme une colonnade | aux corridors profonds, 6+6 a
Sur les pics effarés | pose de noirs plafonds, 6+6 a
Tapisse l'antre, grimpe | aux montagnes, s'élance 6+6 b
Dans l'air bleu, tout à coup | éclate en fers de lance, 6+6 b
Puis, noire frondaison | que l'œil en vain poursuit, 6+6 a
90 Devient un néant fait | de verdure et de nuit, 6+6 a
Là ruisselle de pourpre | et d'argent, partout maître 6+6 b
Du sol, dans la liane | en courant s'enchevêtre ; 6+6 b
Et des gémissements, | des hurlements, des cris 6+6 a
Retentissent. Au bas | des lourds buissons fleuris, 6+6 a
95 Des prunelles de flamme, | ainsi que des phalènes, 6+6 b
S'allument, et l'on sent | se croiser des haleines. 6+6 b
Aux racines traînant | leurs cheveux, sont mêlés 6+6 a
Des reptiles ; dans les | rameaux échevelés 6−6 a
Volent de grands oiseaux | peints d'azur et de soufre ; 6+6 b
100 Des yeux rouges parmi | l'obscurité du gouffre 6+6 b
Luisent, et les petits | des louves dans leurs jeux 6+6 a
Se détachent tout noirs | sur un plateau neigeux 6+6 a
Où brillent sur le blanc | tapis jonché de branches 6+6 b
Des flaques de sang rose | et des carcasses blanches. 6+6 b
105 Donc le petit enfant | Éros fut apporté 6+6 a
Dans cette forêt, où, | de spectres escorté, 6+6 a
Le meurtre au front joyeux | par les espaces vides 6+6 b
Court, teignant dans le sang | mille gueules avides, 6+6 b
Où la nature vierge, | ivre de son pouvoir, 6+6 a
110 Sachant bien que les dieux | ne peuvent pas la voir, 6+6 a
Heurte ses ouragans, | ses ondes, ses tonnerres, 6+6 b
Brise les rocs, meurtrit | les arbres centenaires, 6+6 b
Déchaîne, groupe fou | vers le mal entraîné, 6+6 a
Ses forces qu'elle emporte | en un vol effréné 6+6 a
115 Et que jamais les lois | célestes ne modèrent. 6+6 b
Quand il fut là, les grands | lions le regardèrent. 6+6 b
Puis vinrent les bœufs blancs | bossus, les loups aux dents 6+6 a
D'ivoire, le chacal, | le tigre aux yeux ardents, 6+6 a
Les léopards, les lynx, | les onces, les panthères, 6+6 b
120 Les sangliers, les doux | éléphants solitaires, 6+6 b
L'hyène ; puis, sortis | des arbres à leur tour, 6+6 a
Les oiseaux, l'aigle altier, | le milan, le vautour 6+6 a
Cachant dans un lambeau | souillé son bec infâme, 6+6 b
Les condors dont le vol | est comme un jet de flamme, 6+6 b
125 Les rapides faucons, | l'épervier qui sait voir 6+6 a
L'infini, le corbeau | capuchonné de noir 6+6 a
Dont l'aile suit d'en haut | les guerres infertiles, 6+6 b
Et les paons somptueux | qui mangent des reptiles ; 6+6 b
Puis les serpents aux plis | hideux ; et tous, formant 6+6 a
130 Un cercle, regardaient | le pauvre être charmant 6+6 a
Sans défense, et déjà | savouraient avec joie 6+6 b
La douceur de meurtrir | cette facile proie. 6+6 b
Mais tout à coup, lancé | d'en haut par l'arc vermeil 6+6 a
D'Apollon, un trait d'or, | un rayon de soleil 6+6 a
135 Enflamma les cheveux | d'Éros, sa lèvre rose, 6+6 b
Son front pur, sa narine | où le désir repose, 6+6 b
Et, miracle ! Sur son | doux visage, le dieu, 6−6 a
Le meurtrier parut, | et, sur sa bouche au feu 6+6 a
Céleste et dans ses yeux | brûlants qui nous attirent, 6+6 b
140 Ce que Zeus avait vu, | ces animaux le virent. 6+6 b
Ils se dirent alors | dans leur langage obscur : 6+6 a
« Pourquoi tuer ce prince, | échappé de l'azur ? 6+6 a
Regardez sa prunelle | aventureuse, où nage 6+6 b
Dans la poussière d'or | l'appétit du carnage, 6+6 b
145 Et ce sourire fait | de miel et de poison, 6+6 a
Où déjà les baisers | menteurs, la trahison, 6+6 a
Le meurtre, le courroux, | les embûches, la ruse 6+6 b
Naissent, et cet attrait | de l'enfance confuse 6+6 b
Dont sa mère a paré | l'éternel ennemi ! 6+6 a
150 Qui mieux que cet enfant | né dans les cieux, parmi 6+6 a
Les éblouissements | formidables des astres, 6+6 b
Sèmera sur ses pas | la haine et les désastres, 6+6 b
Accablera de maux | sans fin l'homme odieux 6+6 a
Et saura nous venger | de la race des dieux ? 6+6 a
155 Puisqu'il doit, ce fléau | de la faiblesse humaine, 6+6 b
Prospérer pour le crime | et grandir pour la haine, 6+6 b
Ne le déchirons pas ! | Qu'il vive parmi nous 6+6 a
Dans la grande forêt | des vautours et des loups, 6+6 a
Où nul abri ne peut | servir au daim timide, 6+6 b
160 Où, sous le verdoyant | gazon toujours humide, 6+6 b
La terre boit toujours | du sang frais, où la mort, 6+6 a
Toujours prête et jamais | lassée, égorge et mord 6+6 a
Et dévore la vie, | et comme elle fourmille. 6+6 b
Élevons-le plutôt ; | nous serons sa famille. » 6+6 b
165 Sous l'ombrage, écartant | les rameaux querelleurs, 6+6 a
Ils lui firent un lit | de feuilles et de fleurs, 6+6 a
Et sous ses boucles d'or, | doucement protégées, 6+6 b
Ils mirent des toisons | de bêtes égorgées. 6+6 b
Les louves, s'avançant | vers lui d'un pas hautain 6+6 a
170 Léchaient pour le polir | son visage enfantin ; 6+6 a
Les lionnes voyant | qu'il était fier comme elles, 6+6 b
Sur sa bouche de rose | abaissaient leurs mamelles ; 6+6 b
Les gueules aux crocs blancs, | ces fournaises de feu, 6+6 a
Baisaient le petit roi | frissonnant du ciel bleu. 6+6 a
175 Des serpents, s'enroulant | sur sa gorge ivoirine, 6+6 b
S'étalaient en colliers | vermeils sur sa poitrine ; 6+6 b
D'autres, tordant leurs nœuds | en soyeux annelets, 6+6 a
À ses jolis bras nus | faisaient des bracelets, 6+6 a
Et, comme un pharaon | d'Égypte, en son repaire 6+6 b
180 Il avait pour bandeau | royal une vipère. 6+6 b
Tout ce qui sait combattre | et détruire et briser 6+6 a
L'enveloppait ainsi | d'un immense baiser. 6+6 a
Le dieu, passant de l'une | à l'autre en ses caprices, 6+6 b
Buvait avidement | le lait de ses nourrices, 6+6 b
185 Tout joyeux d'assouvir | ses rudes appétits 6+6 a
De héros, ne laissait | plus rien pour leurs petits, 6+6 a
Et, chaque soir, gorgé | de vie et de caresses, 6+6 b
Il s'endormait repu | sur le flanc des tigresses. 6+6 b
Au réveil, tous ces durs | artisans de trépas 6+6 a
190 Étayaient de leurs corps | puissants les premiers pas 6+6 a
De l'exilé divin, | né pour la grande lutte, 6+6 b
L'aidant, le consolant | d'une légère chute, 6+6 b
Et lui donnant aussi | pour supporter le mal 6+6 a
La résignation | morne de l'animal. 6+6 a
195 Il grandit, il devint | fauve comme ses hôtes, 6+6 b
Marchant, courant déjà | parmi les herbes hautes, 6+6 b
Nu, superbe, et portant, | sauvage enfantelet, 6+6 a
Sur son épaule en fleur, | que le soleil hâlait 6+6 a
Et dévorait jusqu'à | l'heure du crépuscule, 6−6 b
200 La peau d'un lionceau, | comme un petit hercule. 6+6 b
Lui-même, de sa main | mignonne, avait cueilli 6+6 a
La massue ; alors ceux | qui l'avaient recueilli 6+6 a
Connurent qu'ils pouvaient, | sans tarder davantage, 6+6 b
Donner au jeune roi | des leçons de carnage. 6+6 b
205 Son heure était venue, | et, déjà belliqueux, 6+6 a
Il s'en alla dès lors | à la chasse avec eux. 6+6 a
Comme Ariane dans | Naxos, l'île enchantée, 6−6 b
Étendu sur un tigre | à la peau tachetée, 6+6 b
Il les suivait, mêlant | sa voix aux hurlements ; 6+6 a
210 Joyeux, montrant devant | les torrents écumants 6+6 a
L'impassibilité | magnifique des bêtes, 6+6 b
Il s'en allait pensif | en guerre, en chasse, aux fêtes, 6+6 b
Au meurtre, et quand passaient, | avec des bonds soudains, 6+6 a
La gazelle aux yeux bleus, | l'antilope, les daims, 6+6 a
215 Les chèvres, les troupeaux | de cerfs, les bœufs difformes, 6+6 b
Son tigre le posait | sous les feuilles énormes, 6+6 b
Dans une solitude | où rien ne le gardait, 6+6 a
Et là, les yeux tout grands | ouverts, il regardait. 6+6 a
Il voyait le combat | sinistre, la vaillance, 6+6 b
220 La victoire, comment | le fier lion s'élance 6+6 b
Sur sa victime avec | de grands bonds souverains, 6+6 a
La terrasse d'un coup | de griffe sur les reins, 6+6 a
Puis la déchire ; et quand | ce beau guerrier qui tue 6+6 b
Marchait, crinière au vent, | sur sa proie abattue, 6+6 b
225 Quand le cerf éventré | sur la terre appelait 6+6 a
Sa compagne en versant | des larmes, et râlait, 6+6 a
Quand tout n'était que deuil, | massacres, funérailles, 6+6 b
Quand le sol tout humide | était jonché d'entrailles, 6+6 b
Quand tout autour du bois | l'épouvante criait, 6+6 a
230 Le petit Éros blond | et charmant souriait. 6+6 a
Plus tard même il entra | nu parmi ces mêlées. 6+6 b
Ses tresses d'or au vent | orageux déroulées, 6+6 b
Et sur les monts toujours | le premier aux assauts 6+6 a
Il aidait à leurs jeux | les petits lionceaux, 6+6 a
235 Se jetant sur sa proie, | étouffant dans ses courses 6+6 b
D'humbles victimes ; puis | se lavant dans les sources, 6+6 b
Et n'ayant rien qui hors | le combat lui fût cher ; 6−6 a
Dépeçant, enfonçant | ses ongles dans la chair, 6+6 a
Dans les cris des mourants | cherchant des harmonies 6+6 b
240 Et tout le long du jour | enivré d'agonies, 6+6 b
De râles, de sanglots | et de cris triomphants, 6+6 a
Excitant les lions | contre les éléphants, 6+6 a
Tuant et se gorgeant | de meurtre avec délices, 6+6 b
Poussant d'un pied haineux | la panthère et les lices, 6+6 b
245 Donnant la chasse même | aux monstres inconnus, 6+6 a
Pour les atteindre mieux | montant des chevaux nus, 6+6 a
Orgueilleux de pouvoir, | en ses fières allures, 6+6 b
Mordre, briser des dents, | tordre des chevelures, 6+6 b
Et s'éveillant aussi | quand le tigre avait faim. 6+6 a
250 C'est ainsi que l'enfant | jouait, et lorsqu'enfin 6+6 a
Las de voir sur les monts | tout souillés de sa gloire 6+6 b
De larges ruisseaux noirs | baigner ses pieds d'ivoire, 6+6 b
Il posait sa massue | inerte sur son flanc, 6+6 a
Ses mains et ses bras nus | étaient rouges de sang. 6+6 a
255 Pour rendre devant lui | toute feinte inutile, 6+6 b
Il pouvait au besoin | ramper comme un reptile ; 6+6 b
Il savait, se voilant | d'un sourire amical, 6+6 a
Des cruautés de loup, | des ruses de chacal, 6+6 a
Attendait l'ennemi | dans l'ombre, et, taciturne, 6+6 b
260 Avait des yeux de feu | comme un hibou nocturne. 6+6 b
Comme le bouc lascif | il grimpait sur les rocs, 6+6 a
Et, sans être effrayé | de leurs terribles chocs, 6+6 a
En poussant dans le flot | sonore un bloc de marbre 6+6 b
S'élançait, comme un singe, | aux minces branches d'arbre. 6+6 b
265 Puis, trouvant qu'il était | le plus doux des fardeaux, 6+6 a
Les aigles, les condors | l'emportaient sur leur dos, 6+6 a
Et, calme, il traversait | l'éther comme une plume. 6+6 b
Souvent une cascade | affreuse au front d'écume 6+6 b
Sans arrêter leur vol | tombait sur leur chemin. 6+6 a
270 Le dieu, pâle et riant, | essuyait de sa main 6+6 a
Le vaste flot poudreux | qui lui fouettait la face 6+6 b
Et dans l'air ébloui | continuait sa chasse, 6+6 b
Fondant comme un milan | sur quelque oiseau ravi, 6+6 a
Et tout aise et criant | quand l'aigle inassouvi, 6+6 a
275 Ayant vu sur la terre | une proie assez belle, 6+6 b
Descendait de l'azur | et s'élançait sur elle, 6+6 b
Et, pour mieux divertir | l'enfant malicieux, 6+6 a
L'emportait pantelante | au plus profond des cieux. 6+6 a
Souvent encor, parmi | les riants groupes d'îles 6+6 b
280 Éros voguait, porté | par de bruns crocodiles, 6+6 b
Apprenant d'eux comment | dans les ruisseaux taris, 6+6 a
Cachés par les joncs verts, | ils imitent les cris 6+6 a
D'un nouveau-né qui pleure ; | il suivait les batailles 6+6 b
Des poissons monstrueux | aux luisantes écailles ; 6+6 b
285 Hôte guerrier du fleuve, | il nageait sur ses bords 6+6 a
Près des chevaux marins | et des alligators, 6+6 a
Ou parfois, se cachant | dans une île écartée, 6+6 b
Penchait ses yeux ravis | sur l'onde ensanglantée. 6+6 b
Enfin il se lassa | de ces monstres soumis. 6+6 a
290 Ayant pensé qu'ailleurs | de puissants ennemis 6+6 a
Pourraient occuper mieux | sa bravoure et ses charmes, 6+6 b
Il voulut se munir | de véritables armes 6+6 b
Pour secouer l'ennui | d'un repos importun, 6+6 a
Et, quoiqu'il n'eût jamais | vu d'arc, il en fit un. 6+6 a
295 Il cueillit une branche | avec soin, lisse, droite, 6+6 b
Plus dure que l'airain, | et de sa main adroite 6+6 b
La courba ; puis tressa | des fibres, dont il fit 6+6 a
Une corde, et, mettant | le désert à profit, 6+6 a
Sans souci de meurtrir | la dépouille superbe 6+6 b
300 De ses compagnons morts, | pour avoir une gerbe 6+6 b
De traits, il ajusta | sur des bouts de roseau 6+6 a
Une griffe de tigre | et des plumes d'oiseau. 6+6 a
Alors, sans un adieu | jeté vers les clairières, 6+6 b
Fier d'avoir assorti | ces flèches meurtrières, 6+6 b
305 Il prit sa course à l'heure | où le ciel se dorait, 6+6 a
Et, le cœur tout joyeux, | sortit de la forêt. 6+6 a
Il arriva d'abord | près d'un lac dont l'eau pure 6+6 b
Réfléchissait le ciel | dans la haute verdure, 6+6 b
Et dont le flot qu'un souffle | émeut, rideau changeant, 6+6 a
310 S'effaçait à demi | sous les lotus d'argent, 6+6 a
Ces lys chastes, ces lys | faits en forme de rose ! 6+6 b
Là, mêlant leurs beaux corps | polis que l'onde arrose, 6+6 b
Des nymphes s'y baignaient, | fuyant l'âpre chaleur, 6+6 a
Couronnant leurs cheveux | de la divine fleur, 6+6 a
315 Rieuses, folâtrant, | voguant sur les eaux calmes, 6+6 b
Et parfois sur leurs fronts | cueillant de vertes palmes 6+6 b
Pour leurs jeux, ou tressant | des colliers odorants, 6+6 a
Ou, parmi la fraîcheur | des doux flots murmurants, 6+6 a
Sœurs dociles, fendant | l'écume en longues lignes, 6+6 b
320 Si belles qu'on eût dit | une troupe de cygnes 6+6 b
Dans l'azur ! Mais voici | que le cruel amour, 6+6 a
Ayant tendu son arc | les frappa tour à tour 6+6 a
De ses flèches de feu. | Les nymphes éperdues, 6+6 b
Quittant le lac, au loin | sur les roches ardues 6+6 b
325 Couraient, folles, sentant | brûler leurs seins meurtris, 6+6 a
Arrachant leurs cheveux | touffus, poussant des cris, 6+6 a
Ne sachant plus où fuir | l'épouvantable outrage, 6+6 b
Et se roulaient dans l'herbe | avec des pleurs de rage. 6+6 b
L'enfant Éros, content | de ce premier exploit, 6+6 a
330 Regarda les grands cieux | qu'il menaça du doigt, 6+6 a
Et, sans vouloir entendre | une plainte importune, 6+6 b
Entra dans l'univers | pour y chercher fortune. 6+6 b
Ô muse, c'est ainsi | que le dessein prudent 6+6 a
Du roi Zeus fut trompé ; | c'est ainsi que, pendant 6+6 a
335 Son enfance, l'amour | apprit des tigres même 6+6 b
La cruauté, la ruse | et la fureur suprême, 6+6 b
S'endormit près des grands | lions dans les bois sourds, 6+6 a
Et fut le compagnon | de guerre des vautours. 6+6 a
C'est ainsi que ce fils | éclatant d'une mère 6+6 b
340 Adorable épuisa | la jouissance amère 6+6 b
De voir pleurer, de voir | souffrir, de voir mourir 6+6 a
Et de causer des maux | que rien ne peut guérir. 6+6 a
Et c'est pourquoi tu fais | notre dure misère, 6+6 b
C'est pourquoi tu meurtris | nos âmes dans ta serre, 6+6 b
345 Amour des sens, ô jeune | Éros, toi que le roi 6+6 a
Amour, le grand Titan, | regarde avec effroi, 6+6 a
Et qui suças la haine | impie et ses délices 6+6 b
Avec le lait cruel | de tes noires nourrices ! 6+6 b
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