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12 longueur métrique
6-6 mètre
BAN_3/BAN148
Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
LA CITHARE
Déesse, dis commentce fut le roi, ton fils, 6+6 a
Guerrier pareil aux dieux,qui façonna jadis 6+6 a
La cithare, pieuxvainqueur du fleuve sombre, 6+6 b
Puis inventa les chantssoumis aux lois du nombre, 6+6 b
5 Envolés et captifset gardant leur trésor 6+6 a
Comme un voile fermépar une agrafe d'or ! 6+6 a
Le soir baignait de feuxles cimes du Rhodope. 6+6 b
Ces grands monts désolésque la nue enveloppe 6+6 b
S'enfuyaient dans la nuitcomme de noirs géants. 6+6 a
10 Joyeux et regardépar les antres béants, 6+6 a
Orphée, au vent affreuxlivrant sa chevelure, 6+6 b
Ivre d'amour, éprisde toute la nature, 6+6 b
Chantait, et, s'envolantcomme l'oiseau des airs, 6+6 a
Son ode avait donnéla vie aux noirs déserts, 6+6 a
15 Car les arbres lointains,entrnés par la force 6+6 b
Des vers, orme touffu,chêne à la rude écorce, 6+6 b
Étaient venus, cédantau charme de la voix ; 6+6 a
Et voici qu'à présentle feuillage d'un bois 6+6 a
Mélodieux, immenseet rempli de murmures, 6+6 b
20 Sur le front du chanteurétendait ses ramures ; 6+6 b
Les rocs avaient fendula terre en un moment : 6+6 a
Ils s'étaient approchésmystérieusement, 6+6 a
Et le torrent glacé,qui pleure en son délire, 6+6 b
Étouffait le sanglotqui toujours le déchire. 6+6 b
25 Du fond de l'éther vasteet des cieux inconnus 6+6 a
Les oiseaux, déployantleur vol, étaient venus ; 6+6 a
Puis, gravissant les montsneigeux, mornes colosses, 6+6 b
Les animaux tremblantset les bêtes féroces 6+6 b
Et les lions étaientvenus. Dans le ravin, 6+6 a
30 Ils écoutaient, léchantles pieds du roi divin, 6+6 a
Ou pensifs, accroupisdans une vague extase. 6+6 b
Comme un aigle emportantle rayon qui l'embrase, 6+6 b
L'hymne sainte, agitantses flammes autour d'eux, 6+6 a
Mettait de la clartésur leurs mufles hideux ; 6+6 a
35 Attendris, ils versaientdes larmes fraternelles, 6+6 b
Et la douceur des cieuxentrait dans leurs prunelles. 6+6 b
Mais le héros chantait,frémissant de pitié. 6+6 a
Son front, par des rougeursde flamme incendié, 6+6 a
Était comme les cieuxqu'embrasent des aurores. 6+6 b
40 Mêlant ses vers au bruitdont les cordes sonores 6+6 b
Emplissaient le désertpar leur voix adouci, 6+6 a
Le pieux inventeurdes chants parlait ainsi : 6+6 a
« Ô dieux, s'écriait-il,écoutez la cithare ! 6+6 b
Dieux du neigeux Olympeet du sombre Tartare 6+6 b
45 Qui portez dans vos mainsle sceptre impérieux ! 6+6 a
Et vous aussi, titans,aïeux de nos aïeux ! 6+6 a
Kronos ! Embrassant toutdans ton vol circulaire ! 6+6 b
Et toi, bienheureux ! Zeusbrûlant ! Roi tutélaire, 6+6 b
Indomptable, sacré,terrible, flamboyant ! 6+6 a
50 Ô Zeus étincelant,tonnant et foudroyant ! 6+6 a
Épouse du roi Zeus,Hèra ! Qui seule animes 6+6 b
Tout, sur les pics de neigeet sur les vertes cimes, 6+6 b
Quand se glissent au seinde l'éther nébuleux 6+6 a
Ta forme aérienneet tes vêtements bleus ! 6+6 a
55 Rhéa ! Qui sur ton charvénérable es trnée 6+6 b
Par des taureaux, déesse,ô vierge forcenée 6+6 b
Qui t'enivres du bruitdes cymbales d'airain ! 6+6 a
Hypérion ! Strident,tourbillonnant, serein, 6+6 a
Titan resplendissantd'or, qui, dans ta colère, 6+6 b
60 Parais, œil de justice,avec ta face claire ! 6+6 b
Ô Sélènè fleurieaux cornes de taureau ! 6+6 a
Ô toi, robuste Pan,qui sous le vert sureau 6+6 a
Passes, chasseur subtil,avec tes pieds de chèvre ! 6+6 b
Cypris nocturne, ayantdes roses sur ta lèvre ! 6+6 b
65 Écoutez-moi, vous tous,dieux de gloire éblouis, 6+6 a
Roi Ploutôn ! Poseidônroi ! Qui te réjouis 6+6 a
Des flots ! Puissant Érôs !Et toi, Titanienne, 6+6 b
Vierge, archer au grand cœur,reine Dictynienne, 6+6 b
Qui bondis, et te plais,dénouant tes liens 6+6 a
70 Sur la montagne verte,aux aboiements des chiens ! 6+6 a
Hèphaistos, ouvrierindustrieux, qui hantes 6+6 b
Les villes ! Bel Hermès !Arès aux mains sanglantes ! 6+6 b
Perséphonè ! Lètô !Reines aux bras charmants ! 6+6 a
Toi qui reçus la foudreen tes embrassements, 6+6 a
75 Sémélè ! Toi, puissantBacchos aux yeux affables 6+6 b
Ceint de feuillages, nésur des lits ineffables ! 6+6 b
Guerrier au front mitré,dieu rugissant et doux, 6+6 a
Ô toi qui meurs pour nouset qui renais en nous ! 6+6 a
Vous, Charites aux nomsillustres, florissantes 6+6 b
80 Dont le fauve soleildore d'éblouissantes 6+6 b
Parures de rayonsles cheveux dénoués ! 6+6 a
Euménides ! Qui survos beaux fronts secouez 6−6 a
Des serpents agitantsinistrement leurs queues, 6+6 b
Et qui regardez l'eaudu Styx ! Déesses bleues, 6+6 b
85 Écoutez la cithare !ô démons redoutés ! 6+6 a
Esprits des bois et desfontaines, écoutez 6−6 a
La cithare ! écoutezle cri de sa victoire ! 6+6 b
Viens, écoute-la, nuitsainte à la splendeur noire ! 6+6 b
Écoute-la, splendideÉôs, qui sur les lys 6+6 a
90 Mets ta rose lumière !écoute-la, Thémis. 6+6 a
Écoutez-la, vous tous,dieux ! Et vous, muses chastes ! 6+6 b
Et vous, Nymphes qui dansles solitudes vastes 6−6 b
Éparpillez dans l'airvotre chant innocent, 6+6 a
Courant obliquementet vous réjouissant 6+6 a
95 Des antres ! Qui prenezvos caprices pour guides, 6+6 b
Et, rieuses, marchezpar des chemins liquides ! 6+6 b
Ô vierges qu'on admireen vos jeux querelleurs 6+6 a
Et dont les jeunes frontssont couronnés de fleurs ! 6+6 a
Vous tous, guerriers, démonsbienfaisants, rois fidèles ! 6+6 b
100 Vous dont chaque penséeerrante en vos prunelles 6+6 b
Contient l'éternitésereine d'une loi, 6+6 a
Écoutez la cithare, gronde avec effroi 6+6 a
L'orage des sanglotshumains, et d' ruisselle 6+6 b
Comme un fleuve éperdula vie universelle ! 6+6 b
105 Ô dieux, pendant les nuitssereines, anxieux, 6+6 a
J'ai longtemps écoutéle bruit qui vient des cieux, 6+6 a
D' sans cesse le chantdes étoiles s'élance 6+6 b
Si doux, que nous prenonsses voix pour le silence ! 6+6 b
Dieux comme vous, mais faitsde flamme et de clarté, 6+6 a
110 Les grands astres éparsdans la limpidité 6+6 a
De l'azur, triomphantsd'orgueil et de bravoure, 6+6 b
Vivent dans la splendeurblanche qui les entoure. 6+6 b
Héros, nymphes, guerriers,chasseurs, parmi les flots 6+6 a
De clairs rayons, les unsde leurs blancs javelots 6+6 a
115 Percent, victorieux,des monstres de lumière ; 6+6 b
Penchés sur des chevauxà l'ardente crinière, 6+6 b
Coursiers de neige ailésau vol terrible et sûr, 6+6 a
D'autres livrent batailleà des hydres d'azur. 6+6 a
Des vierges parmi leslueurs orientales 6−6 b
120 Volent, de leurs cheveuxsecouant des opales, 6+6 b
Et le ciel, traverséd'un éclair vif et prompt, 6+6 a
S'enflamme au diamantqui tressaille à leur front. 6+6 a
Celles-là dans la merde feu blanche et sonore 6+6 b
Puisent des flots ravis,puis renversent l'amphore 6+6 b
125 Au flanc lourd traversépar un reflet changeant 6+6 a
D' la lumière tombeen poussière d'argent ; 6+6 a
D'autres, aux seins de lyset de neiges fleuries, 6+6 b
Dansent dans les brûlantsjardins de pierreries, 6+6 b
Et des astres pasteurs,près des fleuves de blancs 6+6 a
130 Diamants, dont les flotssont des rayons tremblants, 6+6 a
Conduisent leur troupeaud'étoiles qui flamboie, 6+6 b
Et tous chantent, joyeuxd'être lumière et joie ! 6+6 b
C'est leur chant écoutédans la tremblante nuit 6+6 a
Par l'arbre muet, parle fleuve qui s'enfuit, 6−6 a
135 Par la mer furieuseet dont les flots sauvages 6+6 b
Déborderaient bientôtleurs arides rivages, 6+6 b
Qui fait que l'universpar le nombre enchné 6+6 a
Obéit et demeureà la règle obstiné ; 6+6 a
Que l'arbre, noir captif,boit aux sources divines 6+6 b
140 Sans tenter d'arracherde terre ses racines ; 6+6 b
Que le fleuve sommeille,oubliant ses douleurs, 6+6 a
Et que l'ombre au vol noir,laissant couler ses pleurs 6+6 a
Et son sang, d' les fleursdu matin vont éclore, 6+6 b
Sans révolte et sans criss'enfuit devant l'aurore ! 6+6 b
145 Ce chant nous dit : « mortelset dieux, pour ressaisir 6+6 a
La joie, élevez-vouspar le puissant désir 6+6 a
Vers le ciel chaste l'ombreaffreuse est inconnue ! 6+6 b
Car, si vous le voulez,à votre épaule nue 6+6 b
Des ailes s'ouvriront,et, dévorés d'amour, 6+6 a
150 Vous monterez enfinvers la lumière. Un jour, 6+6 a
La mort, la nuit, cessantde sembler éternelles, 6+6 b
Fuiront devant le feusacré de vos prunelles, 6+6 b
Et vos lèvres, buveursd'ambroisie et de miel, 6+6 a
Boiront la clarté mêmeet la splendeur du ciel ! » 6+6 a
155 Hélas ! Telles vers nousleurs prières s'envolent ; 6+6 b
Mais souvent, en leur clairtriomphe, ils se désolent 6+6 b
Parce que, dans la nuitcourant vers le trépas, 6+6 a
Les hommes et les dieuxne les entendent pas ! » 6+6 a
C'est ainsi que chantale vénérable Orphée, 6+6 b
160 Et des antres obscursune plainte étouffée 6+6 b
Monta comme un soupirdans le désert profond ; 6+6 a
Et les arbres aux dursrameaux venus du fond 6+6 a
De la Piérie, enfendant la terre noire, 6+6 b
Pour ombrager le frontdu roi brillant de gloire, 6+6 b
165 Les hêtres, les tilleulset le chêne mouvant 6+6 a
Murmuraient comme sidans l'haleine du vent 6+6 a
Leur feuillage t voulujeter sa vague plainte. 6+6 b
La gazelle timide,oubliant toute crainte, 6+6 b
Rêvait dans son extaseauprès des ours affreux ; 6+6 a
170 Les tigres, qui semblaientse consulter entre eux, 6+6 a
Échangeaient, frissonnants,des sanglots et des râles ; 6+6 b
Les lions agitaientleurs chevelures pâles ; 6+6 b
Debout sur les rochersqui suivaient les détours 6+6 a
Du fleuve plein d'un bruitsinistre, les vautours 6+6 a
175 Et les aigles, ouvrantleurs ardentes prunelles, 6+6 b
Se tournaient vers Orphée,ivres, battant des ailes, 6+6 b
Palpitants sous le souffleimmense de l'esprit, 6+6 a
Et regardaient ses yeuxpleins d'astres. Il reprit : 6+6 a
« Ô dieux ! Les animauxque notre orgueil dédaigne 6+6 b
180 Et dont le flanc blessécomme le nôtre saigne, 6+6 b
Ces lions dont la faimrépugne aux lâchetés, 6+6 a
Les chevaux bondissants,les tigres tachetés, 6+6 a
Ces aigles dont le volest comme un jet de flammes, 6+6 b
Ces colombes du ciel,ont comme nous des âmes. 6+6 b
185 Le farouche animal,par nous humilié, 6+6 a
Si nous y consentions,serait notre allié. 6+6 a
Il nous parle et sans cesseil nous offre à voix haute 6+6 b
D'entrer dans nos maisonssans haine, comme un hôte ; 6+6 b
Mais c'est en vain que lesgazelles dans les bois 6−6 a
190 Et les oiseaux de l'airavec leurs douces voix 6+6 a
Veulent émouvoir l'hommealtéré de carnage, 6+6 b
Car il a refuséd'apprendre leur langage. 6+6 b
Haïs par nous, leurs yeux l'espoir vit encor 6+6 a
Se tournent vaguementvers les demeures d'or 6+6 a
195 leur intelligenceaimante vous devine ; 6+6 b
Avides comme nousde la clarté divine, 6+6 b
Ils vous cherchent sans doute,humbles et résignés, 6+6 a
Mais vainement ! Pas plusque nous, vous ne daignez 6+6 a
Pardonner à la bruteen vos haines funestes, 6+6 b
200 Et vous détournez d'elle,ô dieux, vos fronts célestes ! 6+6 b
J'ai vu cela ! J'ai vuque dans le firmament 6+6 a
Comme ici-bas, souffrantdu même isolement 6+6 a
Et séparés toujourspar d'invincibles voiles, 6+6 b
L'homme et les animaux,les dieux et les étoiles 6+6 b
205 Vivaient en exil dansl'univers infini, 6−6 a
Faute d'avoir trouvéle langage béni 6+6 a
Qui peut associerensemble tous les êtres, 6+6 b
Les dieux-titans avecles satyres champêtres 6+6 b
Et la brute avec l'hommeet les astres vainqueurs, 6+6 a
210 Celui qui dompterapar sa force les cœurs 6+6 a
De tous ceux dont le jourfait ouvrir les paupières, 6+6 b
Et qu'entendront aussiles ruisseaux et les pierres ! 6+6 b
Car les rocs chevelusà la terre enchaînés, 6+6 a
Les fleuves par le coursdes astres entraînés, 6+6 a
215 Les arbres frissonnantssous leurs écorces rudes, 6+6 b
Les torrents dans la mornehorreur des solitudes 6+6 b
Voudraient aussi vous voiret pouvoir vous parler, 6+6 a
Puisqu'en prêtant l'oreilleon entend s'exhaler 6+6 a
Parmi leur masse inerteet dans leurs chevelures 6+6 b
220 Des essais de sanglots,des restes de murmures ; 6+6 b
Et ces vaincus, ô dieux,que les noirs ouragans 6+6 a
Tourmentent dans la nuitde leurs fouets arrogants 6+6 a
Et que mord la tempêteaux haleines de soufre, 6+6 b
Voudraient vous dire aussique la nature souffre, 6+6 b
225 Vainement attentifsau seul bruit de vos pas : 6+6 a
Aveugles et muets,ils ne le peuvent pas. 6+6 a
Et tel est le martyreineffable des choses ! 6+6 b
Vous n'entendez jamaiscrier le sang des roses 6+6 b
Et nous demeurons sourdsaux plaintes des soleils. 6+6 a
230 J'ai vu que tous ces dursexils étaient pareils 6+6 a
Et que tout gémissaitde cette loi barbare, 6+6 b
Alors j'ai de mes mainsfaçonné la cithare ! 6+6 b
Et dans ses flancs polisau gracieux contour 6+6 a
Le chant s'est éveillé,terrible et tour à tour 6+6 a
235 Caressant, qui bonditen son vol avec rage 6+6 b
Et gronde, sillonnéde feux, comme l'orage, 6+6 b
Et jusqu'aux cieux meurtrisouvre son large essor 6+6 a
Et prend les cœurs domptésen ses doux liens d'or. 6+6 a
Il s'est éveillé dansles flancs de la cithare 6−6 b
240 Et s'est enfui ; puis, commeun oiseau qui s'effare, 6+6 b
Après avoir errédans son vol éperdu 6+6 a
Jusqu'aux astres d'argent,il est redescendu 6+6 a
Vers moi, souffle en délire,et s'est posé, farouche, 6+6 b
Avec l'essaim des motssonores, sur ma bouche. 6+6 b
245 Muses, que l'Olmioscharme par son fracas 6+6 a
Et dont on voit les piedslégers et délicats 6+6 a
Bondir autour de lafontaine violette 6−6 b
toujours votre danseagile se reflète ! 6+6 b
Vos chants ambroisiens,vierges aux belles voix, 6+6 a
250 Illustrent par des chœursles triomphes des rois, 6+6 a
Et votre hymne, éclatantcomme un cri de victoire, 6+6 b
Vole et fait retentirau loin la terre noire. 6+6 b
Déesses, dont les piedsmystérieux et prompts 6+6 a
Glissent, et dont la nuitbaise les chastes fronts ! 6+6 a
255 Vous dites le grand Zeusdéchnant sur la plèbe 6+6 b
Des titans monstrueuxles dieux nés de l'Érèbe, 6+6 b
Puis enfermant au fondd'un cachot souterrain 6+6 a
Briarée au grand cœurdans un enclos d'airain ; 6+6 a
Et vous dites l'archerApollon à l'épée 6+6 b
260 D'or, plantant ses laurierssur la roche escarpée 6+6 b
Que leur feuillage obscurcouvre d'un noir manteau, 6+6 a
Et foudroyant d'un traitla serpente Pytho, 6+6 a
Monstre énorme, sanglant,dont la force sacrée 6+6 b
D'Hypérion pourritla dépouille exécrée. 6+6 b
265 Vous dites Lysios,nourrisson triomphant 6+6 a
Des nymphes, enlevésous les traits d'un enfant 6+6 a
Près de la mer, faisantpar un prodige insigne 6+6 b
Sur le mât des voleurscrtre et grimper la vigne, 6+6 b
Et, sur la nef rapide coulait un vin doux, 6+6 a
270 Devenant un lionrugissant de courroux ; 6+6 a
Vous dites, bondissanten vos danses hardies, 6+6 b
Aphroditè d'or auxpaupières arrondies 6−6 b
Qui par le doux désirprit les olympiens 6+6 a
Et les hommes et lesoiseaux aériens, 6−6 a
275 Et qui, vivante fleurque sa beauté parfume, 6+6 b
Apparut sur la merdans la sanglante écume ! 6+6 b
Et les heures alors,filles du roi des cieux, 6+6 a
Parèrent sa poitrineet son cou gracieux 6+6 a
De colliers brillants dontla splendeur environne 6+6 b
280 Sa chair de neige, puisornant d'une couronne 6+6 b
Son front ambroisien,s'empressèrent encor 6+6 a
Pour attacher à sesoreilles des fleurs d'or ! 6−6 a
Ô muses ! Bondissantprès des eaux ténébreuses, 6+6 b
Vous célébrez ainsiles victoires heureuses 6+6 b
285 Et Cypris rayonnantsur les flots onduleux 6+6 a
Et Bacchos couronnéde ses beaux cheveux bleus ! 6+6 a
Mais moi, je chante l'hommeet sa dure misère 6+6 b
Et les maux qui toujoursle tiennent dans leur serre, 6+6 b
Pauvre artisan boiteux,qui sous l'ombre, d'un mur 6+6 a
290 Travaille et forge, ayantl'appétit de l'azur ! 6+6 a
Victime qui, de gloireet de fange mêlée, 6+6 b
Ne possède ici-basqu'une flamme volée 6+6 b
Et voit mourir les lysentre ses doigts flétris ! 6+6 a
Être affamé d'amour,qui dans ses bras meurtris 6+6 a
295 Ne peut tenir pendantune heure son amante 6+6 b
Sans qu'un génie affreuxvenu dans la tourmente 6+6 b
La lui prenne sitôtque cette heure s'enfuit 6+6 a
Et, blanche, la remporteaux gouffres de la nuit ! 6+6 a
Je dis le chant plaintifdes âmes prisonnières 6+6 b
300 Et des monstres fuyantle jour en leurs tanières : 6+6 b
Ce chant est deuil, espoir,mystère, amour, effroi ; 6+6 a
Il nt de ma poitrineet s'exhale de moi, 6+6 a
Et, lorsque vient le soirdans la plaine glacée, 6+6 b
Il porte jusqu'à vousla profonde pensée 6−6 b
305 Des tigres, des lionssongeurs au large flanc 6+6 a
Condamnés comme nousà répandre le sang, 6+6 a
Et des chevaux ardentsque la forêt protège, 6+6 b
Et des chiens affamésdans les déserts de neige, 6+6 b
Et des oiseaux de flammeau plumage vermeil, 6+6 a
310 Et des aigles qui, pours'approcher du soleil, 6−6 a
Volent dans la lumièreau-dessus de nos tombes, 6+6 b
Et des biches en pleurset des blanches colombes ! 6+6 b
Surtout je suis la voix,prompte à vous célébrer, 6+6 a
De tout ce qui n'a pasde larmes à pleurer. 6+6 a
315 Le rocher vous regarde.Hélas ! Pendant qu'il songe, 6+6 b
Il sent la goutte d'eausinistre qui le ronge. 6+6 b
Le flot tumultueuxdéchiré de tourments 6+6 a
Voudrait mêler des motsà ses gémissements, 6+6 a
Et son hurlement sourdexpire dans l'écume. 6+6 b
320 L'arbre en vain tord ses brasdésolés dans la brume : 6+6 b
La terre le retient ;son feuillage mouvant 6+6 a
N'a qu'un vague soupirdéchiré par le vent. 6+6 a
Tous ces êtres que tientla morne somnolence 6+6 b
Sont pour l'éternitémurés dans le silence. 6+6 b
325 C'est pourquoi la cithareinconsolée, ô dieux, 6+6 a
Pleure et gémit pour euxen cris mélodieux, 6+6 a
Et c'est pourquoi, sentantdans mon cœur les morsures 6+6 b
Cruelles et le feucuisant de leurs blessures, 6+6 b
Je vous adjure encorpour que votre pitié 6+6 a
330 Tombe parfois sur l'êtreobscur et châtié, 6+6 a
Et délivre surtoutde leurs douleurs secrètes 6+6 b
L'immobile captifet les choses muettes ! » 6+6 b
Ayant ainsi chantépour tous, le roi divin 6+6 a
Se tut ; mais emplissantles gorges du ravin, 6+6 a
335 Un reste de sa plainteémue errait encore 6+6 b
Douloureusement surla cithare sonore. 6−6 b
La nuit tombait ; alors,dans le grand désert nu, 6+6 a
Comme si le neigeuxOlympe fût venu 6+6 a
Vers l'inventeur des chants,et, pour trouver sa trace, 6+6 b
340 t traversé le golfe dort la mer de Thrace, 6+6 b
Et, portant sur sa têteun ciel de diamants, 6+6 a
Franchi les sables d'oret les grands lacs dormants, 6+6 a
Un mont parut, sauvage,ébloui, grandiose 6+6 b
Et noyé de lumière, dans la clarté rose 6+6 b
345 Les immortels vêtusde pourpre étaient debout. 6+6 a
Secourables, semblantavoir pitié de tout, 6+6 a
Leurs regards enchantaientpar leurs clartés ailées 6+6 b
La forêt sombre et lesétoiles désolées ; 6−6 b
Et le divin Orphée,interrogeant leurs yeux, 6+6 a
350 Sentit grandir en luil'homme victorieux 6+6 a
Et bénit l'art des chantsen son cœur plein de joie ; 6+6 b
Car sur le front des cieux leur blancheur flamboie 6+6 b
Les astres, dont la voixpeait l'éther jaloux, 6+6 a
Resplendissaient de feuxplus riants et plus doux ; 6+6 a
355 Et, consolés dans leurmystérieux martyre, 6−6 b
Les monstres effrayantsvoyaient les dieux sourire. 6+6 b
Déesse, vers l'oubli,chargés de nos remords, 6+6 a
Les longs siècles s'en vont ;beaucoup de dieux sont morts 6+6 a
Depuis la nuit l'Hèbreen son eau révoltée 6+6 b
360 Roulait avec horreurla tête ensanglantée 6+6 b
Du poëte, jouetadorable des flots. 6+6 a
Toujours depuis ce tempsdes milliers de sanglots 6+6 a
Humains, jusqu'au seuil d'ordes célestes demeures, 6+6 b
Inexorablementsuivent le vol des heures ; 6+6 b
365 L'homme désespéréne voit devant ses yeux 6+6 a
Qu'un voile noir clouésur la porte des cieux, 6+6 a
Et, muré tout vivantdans la nuit ténébreuse, 6+6 b
Ne sait plus rien, sinonque sa douleur affreuse 6+6 b
Doit à jamais restermuette, et qu'il est seul. 6+6 a
370 Mais moi, baisant les passacrés du grand aïeul, 6+6 a
J'entends, j'entends encorl'âme de la cithare 6+6 b
Exhaler ses premierscris vers le ciel avare 6+6 b
Que sa voix frémissanteessayait d'apaiser, 6+6 a
Et soupirer avecla douceur d'un baiser ! 6+6 a
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