Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_3/BAN145
Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
LA REINE OMPHALE
La reine Omphale était assise, comme un dieu, 6+6 a
Sur un trône ; ses lourds cheveux d'or et de feu 6+6 a
Étincelaient ; Hermès, pareil au crépuscule, 6+6 b
Posant sa forte main sur l'épaule d'Hercule, 6+6 b
5 Se tourna vers la reine avec un air subtil, 6+6 a
Et lui dit : « le marché des dieux te convient-il ? 6+6 a
—Messager, répondit alors d'une voix grave 6+6 b
La lydienne, pars, laisse-moi pour esclave 6+6 b
Ce tueur de lions, de sa forêt venu, 6+6 a
10 Et je l'achèterai pour le prix convenu. » 6+6 a
Hermès, gardant toujours sa pose triomphale, 6+6 b
Reçut les trois talents que lui donnait Omphale, 6+6 b
Et, montrant le héros aux muscles de titan, 6+6 a
« Cet homme, lui dit-il, t'appartient pour un an. » 6+6 a
15 Parlant ainsi, le dieu souriant de Cyllène, 6+6 b
Comme un aigle qui va partir, prit son haleine 6+6 b
Et bondit ; il vola de son pied diligent 6+6 a
Plus haut que l'éther vaste et les astres d'argent ; 6+6 a
Puis au ciel, qu'une pourpre éblouissante arrose, 6+6 b
20 S'enfuit dans la vapeur en feu du couchant rose. 6+6 b
La lydienne au front orné de cheveux roux 6+6 a
Abaissa sur Hercule un œil plein de courroux, 6+6 a
Et lui cria, superbe et de rage enflammée, 6+6 b
En touchant la dépouille auguste de Némée : 6+6 b
25 « Esclave, donne-moi cette peau de lion. » 6+6 a
Hercule, sans colère et sans rébellion, 6+6 a
Obéit. La princesse arrangea comme un casque, 6+6 b
Sur sa tête aux cheveux brillants, l'horrible masque 6+6 b
Du lion, puis mêla, plus irritée encor, 6+6 a
30 La crinière farouche avec ses cheveux d'or, 6+6 a
Et, levant par orgueil sa tête étincelante, 6+6 b
Se fit de la dépouille une robe sanglante. 6+6 b
« Esclave, que le sort a courbé sous ma loi, 6+6 a
Reprit-elle en mordant sa lèvre, donne-moi 6+6 a
35 Tes flèches, ton épée et ton arc, et déchire 6+6 b
Ce carquois. » le héros obéit. Un sourire 6+6 b
Ineffable éclairait, comme un rayon vermeil, 6+6 a
Son front pensif, hâlé par le fauve soleil. 6+6 a
Pourquoi vas-tu, couvert de meurtres et de crimes, 6+6 b
40 Par les chemins, sous l'œil jaloux des dieux sublimes ? 6+6 b
Dit Omphale. Tu fuis dans l'univers sacré, 6+6 a
Toujours ivre de sang et de sang altéré ; 6+6 a
Tu fais des orphelins désolés et des veuves 6+6 b
Dont le sanglot amer se mêle au bruit des fleuves ; 6+6 b
45 Ton pied impétueux ne marche qu'en heurtant 6+6 a
Des cadavres ; l'horreur te cherche, et l'on entend 6+6 a
Crier derrière toi les bouches des blessures. 6+6 b
Comme un chien dont les dents sont rouges de morsures, 6+6 b
Et qui, repu déjà, pour se désaltérer 6+6 a
50 Cherche encore un lambeau de chair à déchirer, 6+6 a
Tu peuples d'ossements la terre et les rivages, 6+6 b
Et tu n'épargnes même, en tes meurtres sauvages, 6+6 b
Ni les rois au front ceint de laurier, ni les dieux ; 6+6 a
Mais s'ils ont fui devant ce carnage odieux, 6+6 a
55 Comme rougir la terre est ton unique joie, 6+6 b
Tu cherches les serpents et les bêtes de proie. 6+6 b
C'est par de tels exploits que tu te signalas ; 6+6 a
Mais la terre en est lasse et le ciel en est las ; 6+6 a
Les fleuves rugissants, dans leurs grottes profondes, 6+6 b
60 Ne veulent plus rouler du sang avec leurs ondes ; 6+6 b
Tes pas lourds font horreur aux grands bois chevelus, 6+6 a
Et, lasse de te voir, la terre ne veut plus 6+6 a
Cacher au fond du lac pâle ou de la caverne 6+6 b
Ta moisson de corps morts promis au sombre Averne. 6+6 b
65 Et c'est pourquoi les dieux, qui seront tes bourreaux, 6+6 a
M'ont fait des bras d'athlète et le cœur d'un héros 6+6 a
Pour vaincre l'oiseleur affreux du lac Stymphale, 6+6 b
Car ils réserveront à la gloire d'Omphale 6+6 b
De dompter un brigand, pourvoyeur des tombeaux 6+6 a
70 Ouverts, dût-elle avoir comme toi des lambeaux 6+6 a
De chair après ses dents et du sang à la bouche, 6+6 b
Et déchirer le cœur d'un assassin farouche. » 6+6 b
« —Ô reine, répondit Hercule doucement, 6+6 a
Amazone invincible au cœur de diamant ! 6+6 a
75 Quand tu parais, on croit voir, à ta noble taille, 6+6 b
Un jeune dieu cruel armé pour la bataille. 6+6 b
Ton regard, que la Grèce a tant de fois vanté, 6+6 a
S'embrase comme un astre au ciel épouvanté, 6+6 a
Et sur ton sein aigu, que la blancheur décore, 6+6 b
80 Tes cheveux rougissants ont des éclats d'aurore. 6+6 b
Encor tout jeune enfant par le jour ébloui, 6+6 a
J'eus pour maître Eumolpos, et je puis, comme lui, 6+6 a
Célébrer la fierté charmante et le sourire 6+6 b
D'une déesse blonde, ayant tenu la lyre. 6+6 b
85 Mais lorsque je parus sous le regard serein 6+6 a
Des cieux, portant cet arc et ce glaive d'airain, 6+6 a
La terre gémissait, nourrice des colosses, 6+6 b
Sous la dent des brigands et des bêtes féroces. 6+6 b
Des bandits, embusqués près de chaque buisson, 6+6 a
90 Arrêtaient le passant pour en tirer rançon ; 6+6 a
Dans leur démence avide, ils bravaient les tonnerres 6+6 b
De Zeus ; tout leur cédait, et les plus sanguinaires, 6+6 b
Ayant jeté l'effroi dans les murs belliqueux 6+6 a
Des villes, emmenaient les vierges avec eux. 6+6 a
95 Les dieux même oubliaient la justice. La peste 6+6 b
Soufflait sinistrement son haleine funeste 6+6 b
Dans les marais par l'eau dormante empoisonnés ; 6+6 a
Mordant les arbres noirs déjà déracinés, 6+6 a
Des monstres surgissaient, hideux, couverts d'écailles 6+6 b
100 Renaissant du sang vil versé dans leurs batailles. 6+6 b
De lourds dragons ailés se traînaient sur les eaux 6+6 a
Dans leur bave, jetant le feu par leurs naseaux, 6+6 a
Et flétrissaient les fleurs de leurs souffles infâmes. 6+6 b
Ô guerrière fidèle, est-ce toi qui me blâmes ? 6+6 b
105 Quand j'avais nettoyé les sourds marais dormants 6+6 a
En détournant le cours d'un fleuve aux diamants 6+6 a
Glacés ; quand les dragons, le long des feuilles sèches, 6+6 b
Se traînaient sur le sol, déchirés par mes flèches, 6+6 b
J'allais porter secours à des vierges, tes sœurs ; 6+6 a
110 Je tuais les brigands furtifs, les ravisseurs, 6+6 a
Et, près des lacs noyés dans les vapeurs confuses, 6+6 b
J'écrasais de mes mains les artisans de ruses, 6+6 b
Afin de ne plus voir leurs vols insidieux, 6+6 a
Et sans m'inquiéter s'ils étaient rois ni dieux ! 6+6 a
115 Reine, tu te trompais, tout ce qui souffre m'aime. 6+6 b
Ah ! Si j'ai quelquefois combattu pour moi-même 6+6 b
Et pour sacrifier à mon orgueil, du moins 6+6 a
Ce fut contre les dieux indolents, qui, témoins 6+6 a
De mes travaux, craignaient la terre rajeunie, 6+6 b
120 Et mettaient pour une heure obstacle à mon génie. 6+6 b
Oui, parfois, las d'errer seul dans leurs durs exils, 6+6 a
Je les ai défiés ; mais comment pouvaient-ils, 6+6 a
Sans craindre avec raison que tout s'anéantisse, 6+6 b
Entraver le héros qui s'appelle Justice ? 6+6 b
125 Et ne savaient-ils pas que, sur cet astre noir, 6+6 a
Si tout les nomme loi, je me nomme devoir ? 6+6 a
Quand, cherchant, pour ma tâche incessamment subie, 6+6 b
Les bœufs de Géryon, j'entrai dans la Libye, 6+6 b
Le dieu Soleil lança sur moi ses traits de feu, 6+6 a
130 Et moi, de même aussi, je lançai sur le dieu 6+6 a
Mes flèches, et je vis vaciller à la voûte 6+6 b
Céleste sa lumière, et je repris ma route 6+6 b
Sur l'orageuse mer, dans une barque d'or. 6+6 a
Quand donc ai-je offensé la vertu, mon trésor ! 6+6 a
135 J'ai combattu la mort qui voulait prendre Alceste ; 6+6 b
J'ai violé la nuit de l'Hadès, où l'inceste 6+6 b
Gémit, et j'ai marché dans le nid du vautour, 6+6 a
Mais pour rendre Thésée à la clarté du jour ! 6+6 a
La femme, dont le front abrite un saint mystère, 6+6 b
140 Est la divinité visible de la terre. 6+6 b
Elle est comme un parfum dans de riches coffrets ; 6+6 a
Ses cheveux embaumés ressemblent aux forêts ; 6+6 a
Son corps harmonieux a la blancheur insigne 6+6 b
De la neige des monts et de l'aile du cygne ; 6+6 b
145 Habile comme nous à dompter les chevaux, 6+6 a
Elle affronte la guerre auguste, les travaux 6+6 a
Du glaive, et comme nous, depuis qu'elle respire, 6+6 b
Sait éveiller les chants qui dorment dans la lyre. 6+6 b
C'est pour elle, qui prend notre âme sur le seuil 6+6 a
150 De la vie, et pour voir ses yeux briller d'orgueil, 6+6 a
Que j'allais écrasant les hydres dans la plaine, 6+6 b
Sachant, esprit mêlé d'azur, qu'elle est sa haine 6+6 b
Contre l'impureté des animaux rampants. 6+6 a
Partout, guidant ses pas sur le front des serpents, 6+6 a
155 Et cherchant sans repos la clarté poursuivie, 6+6 b
J'ai détesté le meurtre et protégé la vie ; 6+6 b
Et, calme, usant mes mains à déchirer des fers, 6+6 a
Quand je ne trouvais plus, entrant dans les déserts 6+6 a
Les bandits à détruire et leurs embûches viles, 6+6 b
160 J'y tuais des lions et j'y laissais des villes ! 6+6 b
Et si, toujours le bras armé, toujours vainqueur, 6+6 a
J'ai répandu le sang humain, c'est que mon cœur 6+6 a
Est rempli de courroux contre les impostures, 6+6 b
Et que je ne puis voir souffrir les créatures. » 6+6 b
165 La grande Omphale avait les yeux baignés de pleurs. 6+6 a
Palpitante, le front tout blêmi des pâleurs 6+6 a
De l'amour, comme un ciel balayé par l'orage 6+6 b
S'éclaire, elle sentait les dédains et la rage 6+6 b
Loin de son cœur blessé déjà prendre leur vol 6+6 a
170 Vers le mystérieux enfer, et sur le sol 6+6 a
Tout brûlé des ardeurs de l'âpre canicule, 6+6 b
Elle s'agenouilla, baisant les pieds d'Hercule. 6+6 b
Elle courbait son front orgueilleux et vaincu, 6+6 a
Et ses lourds cheveux roux couvraient son sein aigu. 6+6 a
175 « Digne race des dieux ! Vengeur, ô fils d'Alcmène, 6+6 b
Dit-elle, j'ai rêvé. Qui donc parlait de haine ? 6+6 b
Je t'ai volé cet arc pris sur le Pélion, 6+6 a
Tes flèches, cette peau sanglante de lion, 6+6 a
Et ce glaive toujours fumant, tes nobles armes. 6+6 b
180 Vois, je lave à présent tes pieds avec mes larmes. 6+6 b
Ces joyaux, dont les feux embrasent mes habits, 6+6 a
Cette ceinture d'or brillant, où les rubis 6+6 a
Se heurtent quand je marche avec un bruit sonore, 6+6 b
Sont mes armes aussi, que l'univers adore 6+6 b
185 Et qu'a su conquérir la valeur de mon bras ; 6+6 a
Tu peux me les ôter, ami, quand tu voudras. 6+6 a
Mais, afin que je sois à jamais célébrée 6+6 b
Par les chanteurs épars sous la voûte azurée, 6+6 b
Et que cette quenouille, où seule j'ai filé 6+6 a
190 La blanche laine en mon asile inviolé, 6−6 a
À jamais parmi les mortels surpasse en gloire 6−6 b
Le foudre ailé du roi Zeus et la lance noire 6+6 b
D'Athènè, qui frémit sur son bras inhumain, 6+6 a
Daigne, oh ! Daigne toucher avec ta noble main 6+6 a
195 Cette quenouille, chaude encor de mon haleine, 6+6 b
Où je filais d'un doigt pensif la blanche laine, 6+6 b
Et songe que ma mère a tenu ce morceau 6+6 a
D'ivoire, en m'endormant dans mon petit berceau ! » 6+6 a
Hercule souriait, penché ; la chevelure 6+6 b
200 D'Omphale frissonnait près de sa gorge pure. 6+6 b
La lydienne, avec la douceur des bourreaux, 6+6 a
Languissante, et levant vers les yeux du héros 6+6 a
Ses yeux de violette où flotte une ombre noire, 6+6 b
Lui posa dans les mains sa quenouille d'ivoire. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
logo du CRISCO logo de l'université