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Théodore de BANVILLE
Odes funambulesques
1857
OCCIDENTALES
OCCIDENTALE SEPTIÈME
BONJOUR, MONSIEUR COURBET !
En octobre dernier j'errais dans la campagne. 6+6 a
Jugez l'impression que je dus en avoir : 6+6 b
Telle qu'une négresse âgée avec son pagne, 6+6 a
Ce jour-là la nature était horrible à voir. 6+6 b
5 Vainement fleurissaient le myrte et l'hyacinthe ; 6+6 a
Car au ciel, écrasant les astres rabougris, 6+6 b
Le profil de Grassot et le nez d'Hyacinthe 6+6 a
Se dessinaient partout dans les nuages gris. 6+6 b
Des bâillements affreux défiguraient les antres, 6+6 a
10 Et les saules montraient, pareils à des tritons, 6+6 b
Tant de gibbosités, de goîtres et de ventres, 6+6 a
Que je les prenais tous pour d'anciens barytons. 6+6 b
Les fleurs de la prairie, espoir des herboristes ! 6+6 a
— car ce siècle sans foi ne veut plus qu'acheter, — 6+6 b
15 Semblables aux tableaux des gens trop coloristes, 6+6 a
Arboraient des tons crus de pains à cacheter. 6+6 b
Et, comme un paysage arrangé pour des kurdes, 6+6 a
Les ormes se montraient en bonnets d'hospodar : 6+6 b
C'étaient dans les ruisseaux des murmures absurdes, 6+6 a
20 Et l'on eût dit les rocs esquissés par Nadar ! 6+6 b
Moi, saisi de douleur, je m'écriai : « Cybèle ! 6+6 a
Ouvrière qui fais la farine et le vin ! 6+6 b
Toi que j'ai vue hier si puissante et si belle, 6+6 a
Qui t'a tordue ainsi, nourrice au flanc divin ? » 6+6 b
25 Et je disais : « Ô nuit qui rafraîchis les ondes, 6+6 a
Aurores, clairs rayons, astres purs dont le cours 6+6 b
Vivifiait son cœur et ses lèvres fécondes, 6+6 a
Étoiles et soleils, venez à mon secours ! » 6+6 b
La déesse, entendant que je criais à l'aide, 6+6 a
30 Fut touchée, et voici comme elle me parla : 6+6 b
« ami, si tu me vois à ce point triste et laide, 6+6 a
C'est que Monsieur Courbet vient de passer par là ! » 6+6 b
Et le sombre feuillage évidé comme un cintre, 6+6 a
Les gazons, le rameau qu'un fruit pansu courbait, 6+6 b
35 Chantaient : « bonjour, Monsieur Courbet le maître peintre ! 6+6 a
Monsieur Courbet, salut ! Bonjour, Monsieur Courbet ! » 6+6 b
Et les saules bossus, plus mornes et plus graves 6+6 a
Que feu les écrivains du journal de Trévoux, 6+6 b
Chantaient en chœur avec des gestes de burgraves : 6+6 a
40 « bonjour, Monsieur Courbet ! Comment vous portez-vous ? » 6+6 b
Une voix au lointain, de joie et d'orgueil pleine, 6+6 a
Faisait pleurer le cerf, ce paisible animal, 6+6 b
Et répondait, mêlée aux brises de la plaine : 6+6 a
« merci ! Bien le bonjour, cela ne va pas mal. » 6+6 b
45 Tournant de ce côté mes yeux, —en diligence, 6+6 a
Je vis à l'horizon ce groupe essentiel : 6+6 b
Courbet qui remontait dans une diligence, 6+6 a
Et sa barbe pointue escaladant le ciel ! 6+6 b
De mes odes plus tard ayant grossi les listes, 6+6 a
50 Et sur nos hélicons vivant en zingaro, 6+6 b
J'ai composé ces vers, assez peu réalistes, 6+6 a
Pour un petit journal appelé figaro. 6+6 b
C'est la feuille ingénue où Monsieur De Suttières, 6+6 a
Arborant sans vergogne un faux nez en corail, 6+6 b
55 Par son style auvergnat charme les culottières, 6+6 a
Et même porte ombrage à Ponson Du Terrail ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 14(abab)
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