Métrique en Ligne
BAN_2/BAN83
Théodore de BANVILLE
Odes funambulesques
1857
ÉVOHÉ
NÉMÉSIS INTÉRIMAIRE
SATIRE SIXIÈME
UNE VIEILLE LUNE
Moi.
Chère infidèle ! Eh bien, qu'êtes-vous devenue ? 6+6 a
Depuis quinze grands jours vous n'êtes pas venue ! 6+6 a
Chaque nuit, à l'abri du rideau de satin 6+6 b
Ma bougie en pleurant brûle jusqu'au matin ; 6+6 b
5 Je m'endors sans tenir votre main adorée, 6+6 a
Et lorsque vient l'aurore en voiture dorée, 6+6 a
Je cherche vainement dans les plis des coussins 6+6 b
Les deux nids parfumés où s'endorment vos seins, 6+6 b
Comme de doux oiseaux sur le marbre des tombes. 6+6 a
10 Qu'en faisiez-vous là-bas de ces blanches colombes ! 6+6 a
Et tu ne m'aimes plus.
Évohé.
Je vous aime toujours. 6+6 b
Moi.
Que faisais-tu, rivale en fleur des Pompadours ? 6+6 b
Un corset un peu juste, une étroite chaussure 6+6 a
Ont-ils égratigné d'une rose blessure 6+6 a
15 Tes beaux pieds ou ton corps, ces parterres de lys ? 6+6 b
Un drap trop dur, froissé par tes ongles polis, 6+6 b
A-t-il enfin meurtri, dans ses neiges tramées, 6+6 a
Ces bijoux rougissants, pareils à des camées ? 6+6 a
As-tu brisé ta lyre en chantant Kradoudja ? 6+6 b
20 Ou bien, dans ces doux vers que l'on aimait déjà, 6+6 b
Ta soubrette Vénus a-t-elle d'aventure 6+6 a
En te frisant le soir, plié ta chevelure ? 6+6 a
As-tu perdu ta voix et ton gazouillement ? 6+6 b
Évohé.
Je suis harmonieuse et belle, ô mon amant ! 6+6 b
25 Le drap tissu de neige et la chaussure noire 6+6 a
N'a pas mordu mes pieds ni mes ongles d'ivoire ; 6+6 a
Ma soubrette Cypris, qui m'aime quand je veux, 6+6 b
N'a pas coupé nos vers pour plier mes cheveux ; 6+6 b
On admire toujours les cent perles féeriques 6+6 a
30 Et les purs diamants de mes écrins lyriques : 6+6 a
Les cupidons ailés me servent d'échansons, 6+6 b
Et ma lyre d'argent est pleine de chansons. 6+6 b
Moi.
Pourquoi donc as-tu fui la guerre, toi si brave ! 6+6 a
On reprend Abufar et Lucrèce, on te brave ! 6+6 a
35 Pends-toi, grillon ! Lucrèce, enfin deux Abufar ! 6+6 b
Et ce bache espagnol ivre de nénufar, 6+6 b
Damon, ce grand auteur dont la muse civile 6+6 a
Enchanta si longtemps et Lecourt et Clairville, 6+6 a
Est photographié pour ses talents divers. 6+6 b
40 Le Tarn au loin gémit et demande tes vers. 6+6 b
Évohé.
N'as-tu donc point appris la fameuse nouvelle 6+6 a
Que l'aveugle déesse, en enflant sa grande aile, 6+6 a
Emporte aux quatre coins de l'univers connu ? 6+6 b
Moi.
Non.
Évohé.
Tremblez, terre et cieux ! Le maître est revenu. 6+6 b
45 Némésis-Astronome assemble ses vieux braves, 6+6 a
Barberousse s'abat au milieu des burgraves, 6+6 a
Barthélemy rayonne, allumant son fanal, 6+6 b
Cloué, dernier pamphlet, à son dernier journal ! 6+6 b
Sa muse a, réveillant la satire latine, 6+6 a
50 Comme un titan vaincu foudroyé Lamartine ; 6+6 a
Pareille aux grands parleurs d'Homère et de Hugo, 6+6 b
Des rocs du feuilleton, la dure virago 6+6 b
Sur ce cygne plus doux que les cygnes d'Athènes 6+6 a
Fait couler à grand bruit ces paroles hautaines : 6+6 a
55 « rimeur, que viens-tu faire au milieu du forum ? 6+6 b
Cet acte audacieux blesse le décorum. 6+6 b
Reste avec tes pareils ! Les gens de ta séquelle 6+6 a
Ne sont bons qu'à rimer une ode, telle quelle ! 6+6 a
Tu chantes l'avenir ! Le présent est meilleur. 6+6 b
60 Ce qui te convenait, ô divin rimailleur, 6+6 b
C'était, ambitieux du laurier de Pindare, 6+6 a
D'aller au mont Horeb pincer de la guitare 6+6 a
Pour ton roi légitime, ou plutôt d'arranger 6+6 b
Des vers de confiseur au fidèle-berger. 6+6 b
65 Mais ta loi sociale est une rocambole, 6+6 a
Et Fourier n'est qu'un âne à côté de Chambolle. 6+6 a
Tombe ! Et le front meurtri par mon divin talon, 6+6 b
Souviens-toi désormais d'admirer Odilon. » 6+6 b
Ainsi par ses gros vers, Némésis-Astronome, 6+6 a
70 Du poëte sacré, déjà plus grand qu'un homme, 6+6 a
A brisé fièrement les efforts superflus. 6+6 b
Moi.
Tiens ! Je n'en savais rien.
Évohé.
Lamartine non plus. 6+6 b
Bois, ô mon jeune amant ! Les larmes que je pleure, 6+6 a
Si Némésis renaît, il faut donc que je meure ? 6+6 a
Moi.
75 Ta lèvre a le parfum du rosier d'Orient 6+6 b
Où l'aurore a caché ses perles en riant ; 6+6 b
Cette bouche folâtre est pleine de féeries, 6+6 a
Et, comme un voyageur dans des plaines fleuries, 6+6 a
Mon cœur s'est égaré parmi ses purs contours. 6+6 b
Évohé.
80 Si je chantais encor, m'aimeriez-vous toujours ? 6+6 b
Moi.
Eh ! Que nous fait à nous Némésis-Astronome ? 6+6 a
Nous, et Barthélemy que le siècle renomme, 6+6 a
Nous avons deux tréteaux dressés sous le ciel bleu, 6+6 b
Deux magasins d'esprit : le sien ressemble à feu 6+6 b
85 Le théâtre-français ; une loque de toile 6+6 a
Y représente Rome ou bien l'arc-de-l'étoile, 6+6 a
Au choix. Sur le devant, de lourds alexandrins, 6+6 b
Portant tout le harnois classique sur les reins, 6+6 b
Casaques abricot, casques de tragédie, 6+6 a
90 Déclament, et s'en vont quand on les congédie : 6+6 a
Ce genre sérieux n'a pas un grand succès ; 6+6 b
On y bâille parfois, mais c'est l'esprit français ; 6+6 b
Cela craque partout, mais c'est la bonne école, 6+6 a
Et cela tient toujours avec un peu de colle. 6+6 a
95 Si quelque spectateur pourtant semble fâché, 6+6 b
On lui répond : Voltaire ! Et le mot est lâché. 6+6 b
Mais nous, nous travaillons pour un public folâtre. 6+6 a
En haillons ! En plein vent ! Nous sommes le théâtre 6+6 a
À quatre sous, un bouge. Aux regards des titis 6+6 b
100 Nous offrons éléphants, diables et ouistitis : 6+6 b
Dans notre drame bleu, la svelte colombine 6+6 a
A cent mille oripeaux pour cacher sa débine. 6+6 a
Ses paillettes d'argent et son vieux casaquin 6+6 b
Éblouissent encor ce filou d'arlequin ; 6+6 b
105 On y mord, et parfois la gorge peu sévère 6+6 a
Sort de la robe, et luit sous les colliers de verre. 6+6 a
Pour moi, sur ce théâtre où le bon goût n'est pas, 6+6 b
Paillasse enfariné, je m'escrime à grands pas ; 6+6 b
Et quand le vieux Cassandre y passe à l'étourdie, 6+6 a
110 Au lieu de feindre un peu, comme la tragédie, 6+6 a
De percer d'un poignard ce farouche barbon, 6+6 b
Je lui donne des coups de trique, pour de bon ! 6+6 b
Sur cette heureuse scène, on voit le saut de carpe 6+6 a
Après le saut de sourd ; et Rose, sans écharpe, 6+6 a
115 S'y montre à ce public trois fois intelligent, 6+6 b
Faisant la crapaudine au fond d'un plat d'argent. 6+6 b
La fée azur, tenant le diable par les cornes, 6+6 a
Y court dans son char d'or attelé de licornes ; 6+6 a
L'ange y dévore en scène un cervelas ; des feux 6+6 b
120 De Bengale, des feux charmants, roses et bleus, 6+6 b
Embrasent de rayons cette aimable folie, 6+6 a
Et l'on y voit passer Rosalinde et Célie ! 6+6 a
Évohé.
Eh bien ! Donc, à vos rangs, guignols et bilboquets ! 6+6 b
Ouvrons la grande porte ! Allumons les quinquets ! 6+6 b
125 Mets ton collier de strass, reine de Trébizonde ! 6+6 a
Entrez, entrez, messieurs ! Entrez ! Suivez le monde ! 6+6 a
Hurrah, la grosse caisse, en avant ! Patapoum ! 6+6 b
Zizi, boumboum ! Zizi, boumboum ! Zizi, boumboum ! 6+6 b
Venez voir colombine et le génie, ou l'hydre 6+6 a
130 en mal d'enfant ! orgeat, de la bière, du cidre ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
logo du CRISCO logo de l'université