Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
Odes funambulesques
1857
ÉVOHÉ
NÉMÉSIS INTÉRIMAIRE
SATIRE CINQUIÈME
L'AMOUR À PARIS
Fille du grand Daumier ou du sublime Cham, 6+6 a
Toi qui portes du reps et du madapolam, 6+6 a
Ô muse de Paris ! Toi par qui l'on admire 6+6 b
Les peignoirs érudits qui naissent chez Palmyre, 6+6 b
5 Toi pour qui notre siècle inventa les corsets 6+6 a
à la minute, amour du puff et du succès ! 6+6 a
Toi qui chez la comtesse et chez la chambrière 6+6 b
Colportes Marivaux retouché par Barrière, 6+6 b
Précieuse Évohé ! Chante, après Gavarni, 6+6 a
10 L'amour et la constance en brodequin verni. 6+6 a
Dans ces pays lointains situés à dix lieues, 6+6 b
Où l'Oise dans la Seine épanche ses eaux bleues, 6+6 b
Parmi ces saharas récemment découverts, 6+6 a
Quand l'indigène ému voit passer dans nos vers 6+6 a
15 Ces mots déjà caducs : rat, grisette ou lorette, 6+6 b
Il se sent vivre, un charme impérieux l'arrête, 6+6 b
Et, l'œil dans le ciel bleu, ce naturel naïf 6+6 a
Évacue un sonnet imité de Baïf. 6+6 a
Il voit dans le verger qu'il eut en patrimoine 6+6 b
20 Tourbillonner en chœur les cauchemars d'Antoine ; 6+6 b
Le voilà frémissant et rouge comme un coq ; 6+6 a
Il rêve, il doute, il songe, et tout son Paul de Kock 6+6 a
Lui revient en mémoire, et, pendant trois semaines, 6+6 b
Fait partir à ses yeux des chandelles romaines 6+6 b
25 Et dans son cœur troublé met tout en désarroi, 6+6 a
Comme un feu d'artifice à la fête du roi. 6+6 a
La grisette ! Il revoit la petite fenêtre. 6+6 b
Les rayons souriants du jour qui vient de naître, 6+6 b
À leur premier réveil, comme un cadre enchanteur, 6+6 a
30 Dorent les liserons et les pois de senteur. 6+6 a
Une tête charmante, un ange, une vignette 6+6 b
De ce gai reposoir agace la lorgnette. 6+6 b
En voyant de la rue un rire triomphant 6+6 a
Ouvrir des dents de perle, on dirait qu'un enfant 6+6 a
35 Ou quelque sylphe, épris de leurs touffes écloses, 6+6 b
A fait choir, en jouant, du lait parmi les roses. 6+6 b
Elle va se lacer en chantant sa chanson, 6+6 a
Lisette ou l'andalouse ou bien mimi pinson, 6+6 a
Puis tendre son bas blanc sur sa jambe plus blanche ; 6+6 b
40 Les plis du frais jupon vont embrasser sa hanche 6+6 b
Et cacher cent trésors, et du cachot de grès 6+6 a
La naïade aux yeux bleus glissera sans regrets 6+6 a
Sur sa folle poitrine et sur son col, que baigne 6+6 b
Un doux or délivré des morsures du peigne. 6+6 b
45 Ce poëme fini, dans un grossier réseau 6+6 a
Elle va becqueter son déjeuner d'oiseau, 6+6 a
Puis, son ouvrage en main, sur sa chaise de paille, 6+6 b
La folle va laisser, tandis qu'elle travaille, 6+6 b
L'aiguille aux dents d'acier mordre ses petits doigts ; 6+6 a
50 Et, comme un frais méandre égaré dans les bois, 6+6 a
Elle entrelacera, modeste poésie, 6+6 b
Les fleurs de son caprice et de sa fantaisie. 6+6 b
C'est ce que l'on appelle une brodeuse. Hélas ! 6+6 a
Depuis qu'en retournant le sept de cœur ou l'as 6+6 a
55 Dans un estaminet, le premier journaliste 6+6 b
Contre les murs du beau dressa cette baliste, 6+6 b
Combien ces frais croquis, plus faux que des jetons, 6+6 a
Ont fait dans notre ciel errer de Phaétons ! 6+6 a
La grisette, doux rêve ! Elle avait ses apôtres, 6+6 b
60 Balzac et Gavarni mentaient comme les autres ; 6+6 b
Mais un jour, Roqueplan, s'étant mis à l'affût, 6+6 a
Fit un mot de génie, et la lorette fut ! 6+6 a
Hurrah ! Les Aglaé ! Les Ida, les charmantes, 6+6 b
En avant ! Le champagne a baptisé les mantes ! 6+6 b
65 Déchirons nos gants blancs au seuil de l'opéra ! 6+6 a
Après, la maison-d'or ! Corinne chantera, 6+6 a
Et puis, nous ferons tous, comme c'est nécessaire, 6+6 b
Des mots qui paraîtront demain dans le corsaire ! 6+6 b
Des mots tout neufs, si bien arrachés au trépas 6+6 a
70 Qu'ils se rendent parfois, mais qu'ils ne meurent pas ! 6+6 a
Écoutez Célina, reine de la folie, 6+6 b
Qui chante : un général de l'armée d'Italie ! 6+6 b
Ah ! Bravo ! C'est épique, on ne peut le nier. 6+6 a
Quel aplomb ! Je l'avais entendu l'an dernier. 6+6 a
75 Vive Aspasie ! Athène existe au sein des gaules ! 6+6 b
Ah ! Nous avons vraiment les femmes les plus drôles 6+6 b
De Paris ! Périclès vit chez nous en exil, 6+6 a
Et nous nous amusons beaucoup. Quelle heure est-il ? 6+6 a
Évohé ! Toi qui sais le fond de ces arcanes, 6+6 b
80 Depuis la maison-d'or jusqu'au bureau des cannes, 6+6 b
Toi qui portas naguère avec assez d'ardeur 6+6 a
Le claque enrubanné du fameux débardeur, 6+6 a
Apparais ! Montre-nous, ô femme sibylline, 6+6 b
La pâle vérité nue et sans crinoline, 6+6 b
85 Et convaincs une fois les faiseurs de journaux 6+6 a
De complicité vile avec les Oudinots. 6+6 a
Descends jusques au fond de ces hontes immenses 6+6 b
Qui sont le paradis des auteurs de romances, 6+6 b
Dis-nous tous les détours de ces gouffres amers, 6+6 a
90 Et si la perle en feu rayonne au fond des mers, 6+6 a
Et quels monstres, avec leurs cent gueules ouvertes, 6+6 b
Attendent le nageur tombé dans les eaux vertes. 6+6 b
Mène-nous par la main au fond de ces tombeaux ! 6+6 a
Montre ces jeunes corps si pâles et si beaux 6+6 a
95 D'où la beauté s'enfuit sans y laisser de trace ! 6+6 b
Fais-nous voir la misère et l'impudeur sans grâce ! 6+6 b
Parcours, en exhalant tes regrets superflus, 6+6 a
Ces beaux temples de l'âme où le dieu ne vit plus, 6+6 a
Sans craindre d'y salir ta cheville nacrée. 6+6 b
100 Tu peux entrer partout, car la muse est sacrée. 6+6 b
Mais du moins, Évohé, si la jeune Laïs, 6+6 a
Avec ses cheveux d'or, blonds comme le maïs, 6+6 a
N'enchaîne déjà plus son amant Diogène ; 6+6 b
Dans ces murs, d'où s'enfuit l'esprit avec la gêne, 6+6 b
105 Si leur Alcibiade et leur sage Phryné 6+6 a
Abandonnent déjà ce siècle nouveau-né, 6+6 a
Si dans notre Paris leur Athène est bien morte, 6+6 b
Dans les salons dorés où se tient à la porte 6+6 b
La noble courtoisie, il est plus d'un grand nom 6+6 a
110 Qui dérobe la grâce et l'esprit de Ninon. 6+6 a
Là, l'amour est un art comme la poésie : 6+6 b
Le caprice aux yeux verts, la rose fantaisie 6+6 b
Poussent la blanche nef que guident sur son lac 6+6 a
Anacréon, Ovide et le divin Balzac, 6+6 a
115 Et mènent sur ces flots, célébrés par Horace, 6+6 b
La volupté plus belle encore que la grâce ! 6+6 b
Ô doux mensonge ! Avec tes ongles déjà longs, 6+6 a
Tâche d'égratigner la porte des salons, 6+6 a
Et peins-nous, s'il se peut, en paroles courtoises, 6+6 b
120 Les amours de duchesse et les amours bourgeoises ! 6+6 b
Dis l'enfant chérubin tenant sur ses genoux 6+6 a
Sa marraine aujourd'hui moins sévère ; dis-nous 6+6 a
La nouvelle Phryné, lascive et dédaigneuse, 6+6 b
Instruisant les d'Espard après les Maufrigneuse ; 6+6 b
125 Dis-nous les nobles seins que froissent les talons 6+6 a
Des superbes chasseurs choisis pour étalons ; 6+6 a
Et comment Messaline..... encore extasiée, 6+6 b
Au matin rentre lasse et non rassasiée, 6+6 b
Pâle, essoufflée, en eau, suivant l'ombre du mur, 6+6 a
130 Tandis que son époux, orateur déjà mûr, 6+6 a
Dans son boudoir de pair désinfecté par l'ambre, 6+6 b
Interpelle un miroir en attendant la chambre ! 6+6 b
Ah ! Posons nos deux mains sur notre cœur sanglant ! 6+6 a
Ce n'est pas sans gémir qu'on cherche, en se troublant, 6+6 a
135 Quelle plaie ouvre encor, dans l'éternelle Troie 6+6 b
L'implacable Vénus attachée à sa proie ! 6+6 b
Quand il parle d'amour sans pleurer et crier, 6+6 a
Le plus heureux de nous, quel que soit le laurier 6+6 a
Ou le myrte charmant dont sa tête se ceigne, 6+6 b
140 Sent grincer à son flanc la blessure qui saigne, 6+6 b
Et se plaindre et frémir avec un ris moqueur, 6+6 a
L'ouragan du passé dans les flots de son cœur ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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