Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_2/BAN78
Théodore de BANVILLE
Odes funambulesques
1857
ÉVOHÉ
NÉMÉSIS INTÉRIMAIRE
SATIRE PREMIÈRE
ÉVEIL
Puisque la Némésis, cette vieille portière, 6+6 a
Court en poste et regarde à travers la portière 6+6 a
Des arbres fabuleux faits comme ceux de Cham, 6+6 b
Laissons Chandernagor, Pékin, Bagdad ou Siam 6+6 b
5 Posséder ses appas, vieux comme sainte Thècle, 6+6 a
Et désabonnons-nous le plus possible au siècle. 6+6 a
Ne pleure pas, public qui lis encor des vers. 6+6 b
Je ne te dirai pas : les raisins sont trop verts ; 6+6 b
Et, quant à s'en passer, je sais ce qu'on y risque ; 6+6 a
10 J'ai fait pour toi l'achat d'une jeune odalisque. 6+6 a
Celle qui part était infirme à force d'ans : 6+6 b
Elle boitait ; la mienne a ses trente-deux dents, 6+6 b
L'œil vif, le jarret souple : elle est blanche, Elle est nue, 6+6 a
Charmante, bonne fille, et de plus inconnue. 6+6 a
15 Elle a le col de cygne et les trente beautés 6+6 b
Que la Grèce exigeait de ses divinités, 6+6 b
Et ce ne sont partout, sous sa robe qui pouffe, 6+6 a
Que cheveux d'or, que lys et que roses en touffe. 6+6 a
La voilà présentée, et, mon bras sous le sien, 6+6 b
20 Nous allons tous les deux, pareils au groupe ancien 6+6 b
D'une jeune bacchante agaçant un satyre, 6+6 a
Du mieux que nous pourrons jouer à la satire. 6+6 a
Nous savons, aussi bien que feu Barthélemy, 6+6 b
Sur la lyre à dix voix trouver l'ut et le mi. 6+6 b
25 Allons ! Parmi les chants, les cris et la tempête, 6+6 a
Ô ma folle, ô ma muse, embouche ta trompette 6+6 a
Qui fouette les carreaux comme un clairon de Sax ; 6+6 b
Sur ton front chevelu mets le casque d'Ajax, 6+6 b
Galope et fais claquer sur les peaux les plus chères 6+6 a
30 Ton fouet et son pommeau ciselé par Feuchères ! 6+6 a
Lesbienne rêveuse, éprise de Phyllis, 6+6 b
Tu n'as pas, il est vrai, célébré Syphilis…, 6+6 b
Ni fait de Giraudeau ton souteneur en titre ; 6+6 a
Ni dans des vers gazés, qui font rougir un pitre, 6+6 a
35 Fait éclore, en prenant la flûte et le tambour, 6+6 b
Un édit paternel pour les filles d'amour ; 6+6 b
Ni, comme l'Amphion de ces pignons godiches, 6+6 a
Fait surgir à ta voix les colonnes-affiches. 6+6 a
Mais enfin, c'est par toi qu'un jour le triolet 6+6 b
40 Ressuscita des morts et resta ce qu'il est, 6+6 b
Et pour mieux mettre à vif nos modernes linière, 6+6 a
Devint une épigramme aiguisée en lanière ; 6+6 a
On a su par toi seule, en ce Paris élu, 6+6 b
Ce que valent Néraut, Tassin et Gredelu ; 6+6 b
45 Sur ton rondeau tel barde, imprimé vif chez Claye, 6+6 a
S'est vu trner vivant comme sur une claie, 6+6 a
Et par toi ce bel âge apprit, en même temps, 6+6 b
Qu'un nouvel Archiloque est âgé de huit ans. 6+6 b
Vois, le siècle est superbe et s'offre au satirique : 6+6 a
50 Géronte dans le sac attend les coups de trique, 6+6 a
Et sera trop heureux, muse aux regards sereins, 6+6 b
Si tu lui fais l'honneur de lui casser les reins. 6+6 b
Regarde autour de toi ces mille nids d'insectes 6+6 a
Qui fourmillent en paix dans des fanges suspectes, 6+6 a
55 Et que tu vas fouler aux pieds de ton coursier ! 6+6 b
Messaline, ta sœur, l'amante aux bras d'acier, 6+6 b
De qui trois cents romains composaient l'ordinaire, 6+6 a
Ne serait aujourd'hui qu'une pensionnaire, 6+6 a
Et pourrait concourir pour le prix de vertu. 6+6 b
60 Les nôtres ont un Claude imbécille et tortu, 6+6 b
Qui, toujours généreux au degré nécessaire, 6+6 a
Pour les faire oublier donne tant par ulcère. 6+6 a
Quelle est la Cléopâtre à trois cents francs par mois, 6+6 b
Dont l'Antoine en gants blancs, venu de l'Angoumois, 6+6 b
65 N'ait pas tous les huit jours quelques perles à fondre ? 6+6 a
Lorsque Antoine est mangé, Cléopâtre vers Londre 6+6 a
Vole comme un oiseau, sur l'aile du steamer, 6+6 b
Et, de Waterloo-Road affrontant la rumeur, 6+6 b
Puise à ces fonds secrets que, pour ses amourettes, 6+6 a
70 La perfide Albion avance à nos lorettes. 6+6 a
Demande au soleil d'or, qui mûrit les cotons, 6+6 b
Combien notre opéra, refuge de gothons, 6+6 b
En dévore en un soir pour un ballet féerique, 6+6 a
Et demande à Sappho, la Lélia lyrique, 6+6 a
75 Dont la lèvre du vent rougit les froids appas, 6+6 b
Si, par quelque hasard, elle ne saurait pas 6+6 b
Quels timides aveux et quelles confidences, 6+6 a
Au mépris de l'archet enragé pour les danses, 6+6 a
Nos petites Laïs, dans les coins hasardeux, 6+6 b
80 Au bal Valentino chuchotent deux à deux ? 6+6 b
Alcippe a le renom d'un homme littéraire. 6+6 a
Il gagne peu d'argent. Est-il pauvre ? Au contraire. 6+6 a
Sa femme, une poupée aux petits airs souffrants, 6+6 b
En cailloux de princesse a deux cent mille francs, 6+6 b
85 Et, dès le grand matin, porte pour ses sorties 6+6 a
Des bottines de soie en couleurs assorties 6+6 a
À la robe du jour. Alcippe a deux landaus 6+6 b
Et de petits habits qui plissent sur le dos ; 6+6 b
Madame a son lundi ; c'est un groom en livrée 6+6 a
90 Qui porte à la revue, à bon droit enivrée, 6+6 a
Les tartines d'Alcippe, et ces époux profonds 6+6 b
Ont leur loge au gymnase et leur loge aux bouffons. 6+6 b
Alcippe, homme de goût, poëte et dramatiste, 6+6 a
Est un original extrêmement artiste ; 6+6 a
95 Il croit sincèrement devoir à son travail 6+6 b
Les dollars que madame a trouvés en détail 6+6 b
Sous les petits coussins d'une amie un peu mûre, 6+6 a
Dont pour aucun de nous le boudoir ne se mure. 6+6 a
Si pourtant le mari, que favorise un dieu, 6+6 b
100 Veut s'étonner, madame, en souriant un peu, 6+6 b
Répond qu'elle a gagné cet argent à la bourse. 6+6 a
En peut-on à ce point méconnaître la source ! 6+6 a
L'ange des actions, que chacun invoquait, 6+6 b
Manque à présent de tout, ainsi que bilboquet ; 6+6 b
105 Et la bourse où madame a gagné, c'est la nôtre : 6+6 a
C'est la maigreur des uns qui fait un ventre à l'autre. 6+6 a
Damon… mais à quoi bon fatiguer votre voix ! 6+6 b
Muse, n'essayons pas de peindre en une fois 6+6 b
Les immoralités de ce siècle bizarre. 6+6 a
110 Nous en avons de reste au quartier saint-Lazare, 6+6 a
Pour remplir largement trois mille feuilletons. 6+6 b
Tant de taureaux de Crète et de serpents pythons 6+6 b
Se dressent à l'envi dans ce grand marécage, 6+6 a
Que nous demanderons du temps pour mettre en cage 6+6 a
115 Ces monstres de féerie, et pour bien copier 6+6 b
Leurs langues de drap rouge et leurs yeux de papier. 6+6 b
Voyez les auvergnats, les pairs, les gens de lettres, 6+6 a
Les tom-pouces âgés de quatre centimètres, 6+6 a
Le lézard-violon, le hanneton-verrier, 6+6 b
120 Le café de maïs, l'annonce Duveyrier, 6+6 b
Le journal vertueux, Aymé, dentiste équestre, 6+6 a
Et là-bas mirliton qui s'érige en orchestre ! 6+6 a
Hilbey ! Carolina ! Toussenel ! Le guano ! 6+6 b
Et mangin ! Et Clairville ! Et maître Chicoisneau ! 6+6 b
125 Et la bourse ! Et Madrid ! Et l'Odéon ! Et Rolle ! 6+6 a
Et le nez de Guttière ! Et Buloz ! Et l'école 6+6 a
Du bon-sens ! Et le bal des chiens ! Et le journal 6+6 b
des chasseurs ! Janin même, aidé de juvénal, 6+6 b
Y perdrait son latin. Voyez, mademoiselle, 6+6 a
130 Ce qui vous reste à faire, et déployez du zèle. 6+6 a
Quand, rouge de plaisir et les yeux étoilés, 6+6 b
Ton cheval et ton casque au vent échevelés, 6+6 b
On te verra courir, ô muse jeune et folle ! 6+6 a
Les critiques eux-même, et les plus vieux, et rolle, 6+6 a
135 Te suivront d'un regard lascif, ô mes amours ! 6+6 b
Oubliant qu'ils sont vieux et le furent toujours ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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