Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_2/BAN73
Théodore de BANVILLE
Odes funambulesques
1857
LA VILLE ENCHANTÉE
Il est de par le monde | une cité bizarre, 6+6 a
Où Plutus en gants blancs, | drapé dans son manteau, 6+6 b
Offre une cigarette | à son ami Lazare, 6+6 a
Et l'emmène souper | dans un parc de Wateau. 6+6 b
5 Les centaures fougueux | y portent des badines ; 6+6 a
Et les dragons, au lieu | de garder leur trésor, 6+6 b
S'en vont sur le minuit, | avec des baladines, 6+6 a
Faire un maigre dîner | dans une maison d'or. 6+6 b
C'est là que parle et chante | avec des voix si douces, 6+6 a
10 Un essaim de beautés | plus nombreuses cent fois, 6+6 b
En habit de satin, | brunes, blondes et rousses, 6+6 a
Que le nombre infini | des feuilles dans les bois ! 6+6 b
Ô pourpres et blancheurs ! | Neiges et rosiers ! L'une 6+6 a
En découvrant son sein | plus blanc que la Jung-Frau, 6+6 b
15 Cause avec Cyrano, | qui revient de la lune, 6+6 a
L'autre prend une glace | avec Cagliostro. 6+6 b
C'est le pays de fange | et de nacre de perle ; 6+6 a
Un tréteau sur les fûts | du cabaret prochain, 6+6 b
Spectacle où les décors | sont peints par Diéterle, 6+6 a
20 Cambon, Thierry, Séchan, | Philastre et Despléchin ; 6+6 b
Un théâtre en plein vent, | où, le long de la rue, 6+6 a
Passe, tantôt de face | et tantôt de profil, 6+6 b
Un mimodrame avec | des changements à vue, 6+6 a
Comme ceux de Gringoire | et du céleste Will. 6+6 b
25 Là, depuis Idalie, | où Cypris court sur l'onde 6+6 a
Dans un brougham de nacre | attelé d'un dauphin, 6+6 b
Vous voyez défiler | tous les pays du monde 6+6 a
Avec un air connu, | comme chez Séraphin. 6+6 b
La belle au bois dormant, | sur la moire fleurie 6+6 a
30 De la molle ottomane | où rêve le chat Murr, 6+6 b
Parmi l'air rose et bleu | des feux de la féerie 6+6 a
S'éveille après cent ans | sous un baiser d'amour. 6+6 b
La chinoise rêveuse | assise dans sa jonque, 6+6 a
Les yeux peints, et les bras | ceints de perles d'Ophir, 6+6 b
35 D'un ongle de rubis | rose comme une conque 6+6 a
Agace sur son front | un oiseau de saphir. 6+6 b
Sous le ciel étoilé, | trempant leurs pieds dans l'onde 6+6 a
Que parfument la brise | et le gazon fleuri, 6+6 b
Et d'un bois de senteur | couvrant leur gorge blonde, 6+6 a
40 Dansent à s'enivrer | les bibiaderi. 6+6 b
Là, belles des blancheurs | de la pâle chlorose, 6+6 a
Et confiant au soir | les rougeurs des aveux, 6+6 b
Les vierges de Lesbos | vont sous le laurier-rose 6+6 a
S'accroupir dans le sable | et causer deux à deux. 6+6 b
45 La reine Cléopâtre, | en sa peine secrète, 6+6 a
Fière de la morsure | attachée à son flanc, 6+6 b
Laisse tomber sa perle | au fond du vin de Crète, 6+6 a
Et sa pourpre et sa lèvre | ont des lueurs de sang. 6+6 b
Voici les beaux palais | où sont les hétaïres, 6+6 a
50 Sveltes lys de Corinthe | et roses de Milet, 6+6 b
Qui, dans des bains de marbre, | au chant divin des lyres, 6+6 a
Lavent leurs corps sans tache | avec un flot de lait. 6+6 b
Au fond de ces séjours | à pompe triomphale, 6+6 a
Où l'or met des rayons | dans les yeux éblouis, 6+6 b
55 Hercule enrubanné | file aux genoux d'Omphale. 6+6 a
Et Diogène dort | sur le sein de Laïs. 6+6 b
Salut, jardin antique, | ô Tempé familière 6+6 a
Où le grand Arouet | a chanté Pompadour, 6+6 b
Où passaient avant eux | Louis et La Vallière, 6+6 a
60 La lèvre humide encor | de cent baisers d'amour ! 6+6 b
C'est là que soupiraient | aux pieds de la dryade, 6+6 a
Dans la nuit bleue, à l'heure | où sonne l'angelus, 6+6 b
Et le jeune Lauzun, | fier comme Alcibiade, 6+6 a
Et le vieux Richelieu, | beau comme Antinoüs. 6+6 b
65 Mais, ce qui me séduit, | et ce qui me ramène 6+6 a
Dans la verdure, où j'aime | à soupirer le soir, 6+6 b
Ce n'est pas seulement | Phyllis et Dorimène, 6+6 a
Avec sa robe d'or | que porte un page noir. 6+6 b
C'est là que vit encor | le peuple des statues 6+6 a
70 Sous ses palais taillés | dans les mélèzes verts, 6+6 b
Et que le chœur charmant | des nymphes demi-nues 6+6 a
Pleure et gémit avec | la brise des hivers. 6+6 b
Les naïades sans yeux | regardent les grands arbres 6+6 a
Pousser de longs rameaux | qui blessent leurs beaux seins, 6+6 b
75 Et, sur ces seins meurtris | croisant leurs bras de marbres, 6+6 a
Augmentent d'un ruisseau | les larmes des bassins. 6+6 b
Aujourd'hui les wagons, | dans ces steppes fleuries 6+6 a
Devancent l'hirondelle | en prenant leur essor, 6+6 b
Et coupent dans leur vol | ces suaves prairies, 6+6 a
80 Sur un ruban de fer | qui borde un chemin d'or. 6+6 b
Ailleurs, c'est le palais | d'Italie et de Grèce 6+6 a
Où règnent des bergers | et des dieux demi-nus, 6+6 b
Pour lequel Titien | a donné sa maîtresse, 6+6 a
Où Phidias a mis | les siennes, ses Vénus ! 6+6 b
85 Et maintenant, voici | la coupole féerique 6+6 a
Où, près des flots d'argent, | sous les lauriers en fleurs, 6+6 b
Le grand Orphée apporte | à la Grèce lyrique 6+6 a
La lyre que Sappho | baignera dans les pleurs. 6+6 b
Ô ville où le flambeau | de l'univers s'allume ! 6+6 a
90 Aurore dont l'œil bleu, | rempli d'illusions, 6+6 b
Tourné vers l'orient, | voit passer dans sa brume 6+6 a
Des foyers de splendeur | étoilés de rayons ! 6+6 b
Ce théâtre en plein vent | bâti dans les étoiles, 6+6 a
Où passent à la fois | Cléopâtre et Lola, 6+6 b
95 Où défile en dansant, | devant les mêmes toiles, 6+6 a
Un peuple chimérique | en habit de gala ; 6+6 b
Ce pays de soleil, | d'or et de terre glaise, 6+6 a
Cette étrange cité, | c'est Athène ou Paris, 6+6 b
Eldorado du monde, | où la fashion anglaise 6+6 a
100 Importe deux fois l'an | ses tweeds et ses paris. 6+6 b
Pour moi, c'est dans un coin | du salon d'Aspasie, 6+6 a
Sur l'album électrique | où, parmi nos refrains, 6+6 b
Phidias et Diaz | ont mis leur fantaisie, 6+6 a
Que je rime cette ode | en vers alexandrins. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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