Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_2/BAN127
Théodore de BANVILLE
Odes funambulesques
1857
RÉALISME
Grâces, ô vous que suit | des yeux dans la nuit brune 6+6 a
Le pâtre qui vous voit, | par les rayons de lune, 6+6 a
Bondir sur le tapis | folâtre des gazons, 6+6 b
Dans votre vêtement | de toutes les saisons ! 6+6 b
5 Et toi qui fais pâmer | les fleurs quand tu respires, 6+6 a
Fleur de neige, ô Cypris ! | Toi, mère des sourires, 6+6 a
Dont le costume entier, | même après fructidor, 6+6 b
Se compose de lys | avec des frisons d'or ! 6+6 b
Et toi, rouge Phébus, | dieu ! Lumière ! épouvante ! 6+6 a
10 Toi que Délos révère | et que Ténédos vante, 6+6 a
Toi qui, dans ta fureur, | lances au loin des traits 6+6 b
Et qu'à présent on force | à faire des portraits, 6+6 b
Partisan des linons | et des minces barèges, 6+6 a
Patron des fabricans | d'ombrelles, qui protèges 6+6 a
15 Chryse, et qui ceins de feux | la divine Cilla, 6+6 b
Regardez ce que font | ces imbéciles-là ! 6+6 b
Regardez ces farceurs | en costume sylvestre ! 6+6 a
Ils agitent leurs bras | comme des chefs d'orchestre ; 6+6 a
Il se sont tous grisés | de bière chez Andler, 6+6 b
20 Et les voici qui vont | graves, les yeux en l'air, 6+6 b
Rouges pourpre, dirait | Mathieu, quant au visage, 6+6 a
Et curieux de voir | un bout de paysage. 6+6 a
Ils plantent en cerceaux | des manches à balais, 6+6 b
Et se disent : « voilà | des arbres, touchez-les ! » 6+6 b
25 Sur le bord d'un trottoir | ils vident leur cuvette 6+6 a
En s'écriant : « la mer ! | Je vois une corvette ! » 6+6 a
Un singe passe au dos | d'un petit savoyard, 6+6 b
Ils murmurent : « amis, | saluons ce boyard ! » 6+6 b
Embusqués en troupeaux | à l'angle de trois rues, 6+6 a
30 Sur les fronts des passants | ils collent des verrues, 6+6 a
Puis, abordant leur homme | avec un air poli : 6+6 b
« monsieur, demandent-ils, | ce nez est-il joli ? 6+6 b
Vous aimez les nez grecs, | c'est là ce qui vous trompe ! 6+6 a
Oh ! Laissez-moi vous coudre | à la place une trompe ! » 6+6 a
35 Celui-ci, rencontrant | Marinette ou Marton, 6+6 b
Lui met sur le visage | un masque de carton ; 6+6 b
Celui-là vous arrête | et vous souffle la panse, 6+6 a
Et répète : « le beau | n'est pas ce que l'on pense ! » 6+6 a
Bientôt, grâce à leurs soins | d'artistes, autour d'eux 6+6 b
40 La foule a pris l'aspect | d'un cauchemar hideux : 6+6 b
Ce ne sont qu'oriflans, | caprilmuges, squelettes, 6+6 a
Stryges entrechoquant | leurs gueules violettes, 6+6 a
Mandragores, dragons, | origes, loups-garous, 6+6 b
Tarasques ; c'est alors | que le plus fort d'eux tous, 6+6 b
45 De la voix d'un mouton | qu'on égorgerait, bêle : 6+6 a
« par Ornans et le Doubs ! | Que la nature est belle ! » 6+6 a
Extasiés alors | des sourcils à l'orteil, 6+6 b
Effarés, éblouis, | prenant pour le soleil 6+6 b
La chandelle à deux sous | que Margot leur allume, 6+6 a
50 Ils cherchent l'ébauchoir, | les brosses ou la plume, 6+6 a
Et, comme bilboquet | pour le maire de Meaux, 6+6 b
Au lieu d'êtres humains, | ils font des animaux 6+6 b
Encore non classés | par les naturalistes : 6+6 a
Excusez-les, seigneur, | ce sont des réalistes ! 6+6 a
55 Mais, puisqu'au lieu de lire | un livre de crétin, 6+6 b
J'aime à sentir au bois | les muguets et le thym ; 6+6 b
Puisque la foi nouvelle | a des argyraspides 6+6 a
Qui heurtent leur fer-blanc ; | puisque les moins stupides 6+6 a
De ce temps sont encor | les faiseurs de rébus, 6+6 b
60 Ô Cypris aux cheveux | de flamme, et toi, Phébus ! 6+6 b
Puisque je ne suis pas, | moi charmé dans vos fêtes, 6+6 a
De l'avis de Gozlan, | sur ce que les poëtes 6+6 a
Durent un demi-siècle | à peine ; puisque j'ai 6+6 b
Pour maîtres de bon sens | Phyllis et Lalagé ; 6+6 b
65 Puisque j'aime bien mieux | faire voler des bulles 6+6 a
De savon, que d'écrire | une œuvre aux funambules, 6+6 a
Et puisque, même en grec, | sans le père Brumoy, 6+6 b
Les grecs valaient monsieur | chose, permettez-moi, 6+6 b
Au lieu de voir courir | tous ces porteurs de chaînes, 6+6 a
70 De me coucher pensif | sous l'ombrage des chênes ! 6+6 a
Permettez-moi d'y vivre | inutile, étendu 6+6 b
Sur l'herbe, m'enivrant | d'un frisson entendu, 6+6 b
Et d'admirer aussi | la rose coccinelle, 6+6 a
Et d'aider seulement | de ma voix fraternelle, 6+6 a
75 Cependant que rugit | cette meute aux abois, 6+6 b
Le champignon sauvage | à pousser dans les bois ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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