Métrique en Ligne
BAN_17/BAN724
Théodore de BANVILLE
DANS LA FOURNAISE
Dernières Poésies
1892
Bakkhos
Prologue récité à l'Opéra par C. Coquelin
dans la représentation consacrée a l'histoire du théatre
le 27 janvier 1886
Hommes, je suis Bakkhos aux lèvres purpurines, 6+6 a
Qui reçoit le soleil embrasé sur son flanc, 6+6 b
Et qui meurt et renaît dans vos fortes poitrines, 6+6 a
Et le sang généreux de la vigne est mon sang. 6+6 b
5 Je suis l'enchantement des soirs et des journées. 6+6 a
Je suis le Vin, qui met dans vos cœurs un éclair, 6+6 b
Et, prodige inouï, c'est de moi que sont nées 6+6 a
La fière Tragédie et sa sœur à l'œil clair, 6+6 b
La Comédie, aimable et folle entre vos gloires, 6+6 a
10 Dont la sagesse humaine est le riant trésor, 6+6 b
Et qui sur son beau front tresse des grappes noires 6+6 a
Et frappe l'air du bruit de ses cymbales d'or. 6+6 b
C'est le soir, dans un bourg glorieux de l'Attique, 6+6 a
Où le soleil couchant s'empourpre de rougeurs 6+6 b
15 Et, poussant vers les cieux un grand cri frénétique, 6+6 a
Sur leurs lourds chariots montent les vendangeurs. 6+6 b
Et près d'eux, esquissant leurs danses orageuses, 6+6 a
Pour répandre la joie en passant dans les bourgs, 6+6 b
Les yeux rouges, le front taché, les vendangeuses 6+6 a
20 Avec des gestes fous tapent sur leurs tambours. 6+6 b
Des porteurs de paniers marchent en longues lignes, 6+6 a
Flamboyants et vermeils dans les roses du soir, 6+6 b
Et tout fumant, le sang mystérieux des vignes 6+6 a
Sur un long rhythme clair s'écoule du pressoir. 6+6 b
25 L'âne pensif et doux, tout orné de guirlandes, 6+6 a
De la fête en délire est l'hôte essentiel ; 6+6 b
Ses oreilles sans fin se lèvent toutes grandes, 6+6 a
Comme pour déchirer le voile bleu du ciel. 6+6 b
Sur son dos ingénu ballotte une outre pleine, 6+6 a
30 A moins que ce ne soit, turbulent et divin, 6+6 b
Le beau ventre gonflé de mon père Silène, 6+6 a
Glorieux et ravi d'avoir bu trop de vin. 6+6 b
D'un char à l'autre, on parle, on s'injurie, on joue. 6+6 a
Holà ! Doris, tu bois à flots inépuisés ! 6+6 b
35 Hé ! Céléno, qui t'a si bien rougi la joue ? 6+6 a
Sont-ce les noirs raisins, bacchante, ou les baisers ? 6+6 b
Puis, sur un autre char, selon l'antique mode, 6+6 a
On chante ma louange, ou celle d'un héros, 6+6 b
Ou quelque dieu célèbre, et la strophe de l'Ode 6+6 a
40 Voltige en palpitant sur les lourds tombereaux. 6+6 b
Puis, comme dans la mer, dont les chevaux hennissent 6+6 a
Quand la vague tressaille avec un bruit vainqueur, 6+6 b
A la voix du chanteur les autres voix s'unissent, 6+6 a
Pareilles aux rumeurs des flots, — et c'est le Chœur ! 6+6 b
45 Et c'est la Tragédie et c'est la Comédie, 6+6 a
Avec les longs sanglots et les rires vengeurs, 6+6 b
Qui ravissent les cieux de leur chanson hardie, 6+6 a
Et qui naissent ainsi parmi les vendangeurs. 6+6 b
O mes filles, gardez vos fronts tachés de lie, 6+6 a
50 Sous la pourpre héroïque et sous le péplos blanc ! 6+6 b
O Melpomène, et toi, vendangeuse Thalie, 6+6 a
Buvez toujours le flot généreux de mon sang. 6+6 b
O chanteuses, gardez toujours l'antique ivresse, 6+6 a
Et n'oubliez jamais votre berceau natal. 6+6 b
55 Toi, la dominatrice, et toi, la charmeresse, 6+6 a
Soûlez-vous de ce vin qu'on nomme l'Idéal ! 6+6 b
Et, vos fronts couronnés de fleurs que rien ne fane, 6+6 a
Laissant la platitude au menteur exécré, 6+6 b
Muse d'Eschyle, et toi, muse d'Aristophane, 6+6 a
60 Souvenez-vous de mordre à mon raisin sacré. 6+6 b
Toi, redis-nous les Rois et leur destin funeste, 6+6 a
La pâle Phèdre en proie à ses tristes aveux, 6+6 b
Argos et le festin horrible de Thyeste 6+6 a
Et les malheurs venus d'Hélène aux beaux cheveux. 6+6 b
65 Fais revivre pour nous la grande Histoire amère, 6+6 a
Dis-nous Hector, pareil au fougueux aquilon, 6+6 b
Oreste en pleurs, fuyant les Chiennes de sa mère, 6+6 a
Et Cassandre criant : Apollon ! Apollon ! 6+6 b
Et toi, ma préférée, ô folle Comédie, 6+6 a
70 Montre ton rire en fleur, pareil au lys éclos ! 6+6 b
Que ton regard s'allume, ainsi qu'un incendie : 6+6 a
Fais tintinnabuler tes grappes de grelots ! 6+6 b
Que le doux vent d'été baise ta gorge nue ! 6+6 a
La lèvre humide encor du nectar que tu bois, 6+6 b
75 Montre l'Humanité, cette race ingénue, 6+6 a
Pareille, en sa démence, aux animaux des bois ! 6+6 b
Montre ces insensés, et l'homme, et l'homme, et l'homme, 6+6 a
Penché vers l'ombre, au lieu de regarder le jour, 6+6 b
Que devant lui, pareils à des bêtes de somme, 6+6 a
80 Chasse, à grands coups de fouet, l'inévitable Amour ! 6+6 b
Ris avec Plaute, avec l'ingénieux Térence ! 6+6 a
Mais en donnant la vie à leurs acteurs bouffons, 6+6 b
Enivre-toi déjà, Muse, de l'espérance 6+6 a
Qui tombe jusqu'à toi du haut des cieux profonds. 6+6 b
85 Car pour mêler sa flamme avec la fange humaine, 6+6 a
Pour livrer l'Imposteur à l'éternel tourment, 6+6 b
Et montrer le roi Zeus rêvant aux pieds d'Alcmène, 6+6 a
Un homme un jour viendra, qui sera ton amant. 6+6 b
Oui, celui-là sur qui tout mon espoir se fonde, 6+6 a
90 C'est le penseur sublime et le grand ouvrier, 6+6 b
C'est le Contemplateur à la tête féconde, 6+6 a
Qui sera, comme un roi, couronné de laurier. 6+6 b
Tu baiseras son front de ta bouche ravie, 6+6 a
Et tu le serviras avec fidélité. 6+6 b
95 Mais lorsque ce génie aura quitté la vie 6+6 a
Pour grandir, triomphant, dans l'immortalité, 6+6 b
Reste après lui, pensive, auguste et familière, 6+6 a
Et comme aux premiers jours de ton matin vermeil, 6+6 b
O fille de Bakkhos, amante de Molière, 6+6 a
100 Nymphe, bois notre vin de pourpre et de soleil. 6+6 b
Garde pieusement la joie et le délire 6+6 a
Que ce poëte a mis dans ton œil radieux, 6+6 b
Et souviens-toi toujours, déesse, que le rire 6+6 a
Est le plus beau présent qui nous vienne des Dieux ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
logo du CRISCO logo de l'université