Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_17/BAN716
Théodore de BANVILLE
DANS LA FOURNAISE
Dernières Poésies
1892
Populus
C'était dans une rue | affreuse, dont les murs, 6+6 a
Éventrés et pourris | comme des fruits trop mûrs, 6+6 a
Sont envahis par l'eau | dormante qui les mine, 6+6 b
Et s'affaissent, mangés | de lèpre et de vermine. 6+6 b
5 Là, le soleil sinistre, | épouvanté, hagard, 6+6 a
Éclaire tristement | de son vague regard 6+6 a
Des pavés, des tessons | et des écailles d'huîtres 6+6 b
Et des torchons pendus | aux fenêtres sans vitres. 6+6 b
Là je vis, s'acharnant | sur quelque vermisseau, 6+6 a
10 Dans la fange et la boue | infecte du ruisseau, 6+6 a
Une poule caduque, | impotente et sans plumes, 6+6 b
Sèche comme le fer | qu'on bat sur les enclumes. 6+6 b
De plus, un de ses yeux | avait été crevé. 6+6 a
Elle sautait à bonds | tremblants sur le pavé, 6+6 a
15 Avec les gestes secs | et fous des automates 6+6 b
Et titubait, ayant | la goutte à ses deux pattes. 6+6 b
Près d'elle, en ce désastre | effroyable et complet, 6+6 a
Un homme de ses yeux | tristes la contemplait. 6+6 a
C'était un malheureux. | C'était le pauvre diable, 6+6 b
20 Celui dont la misère | est irrémédiable 6+6 b
Et qui, la nuit, chemine | avec les loups-garous. 6+6 a
Son habit n'était rien | que loques et que trous ; 6+6 a
Dans sa chemise ouverte | on voyait ses mamelles, 6+6 b
Et ses souliers percés | n'avaient plus de semelles. 6+6 b
25 Il était aussi vieux | que la poule, réduit 6+6 a
A rien, maigre, pensif, | ne faisant pas de bruit. 6+6 a
Sur son front dénudé | par tant de jours arides 6+6 b
Se croisaient des réseaux | de veines et de rides, 6+6 b
Et fauve, décharné | comme elle, horrible à voir, 6+6 a
30 Il regardait la poule | en mangeant son pain noir. 6+6 a
Or, je lui dis : Quelle est | cette étrange merveille ? 6+6 b
Comment a pu survivre | une poule si vieille ? 6+6 b
Vient-elle de Ninive | ou de Jérusalem ? 6+6 a
Bon homme, ayant duré | plus que Mathusalem, 6+6 a
35 Grise, poudrée encor | des antiques poussières 6+6 b
Et peut-être échappée | au sabbat des sorcières, 6+6 b
Pourquoi, fermant son œil | unique au jour vermeil, 6+6 a
Ne s'endort-elle pas | de l'éternel sommeil ? 6+6 a
Morne, si fatiguée | enfin qu'elle en est ivre, 6+6 b
40 Quelle est cette fureur | de durer et de vivre ? 6+6 b
Se traîne-t-elle donc | vers le siècle futur ? 6+6 a
Mais le déguenillé | qui mangeait son pain dur, 6+6 a
L'homme dont un frisson | glaçait chaque vertèbre, 6+6 b
Le vieux qui regardait | la volaille funèbre, 6+6 b
45 Et semblait la couver | des yeux comme un festin, 6+6 a
Me dit : Elle n'a pas | accompli son destin. 6+6 a
Car pour elle et pour moi, | l'Histoire se déroule 6+6 b
Inexorablement, | et c'est la même poule 6+6 b
Que le roi Henri Quatre, | en levant son impôt, 6+6 a
50 M'avait jadis promis | de mettre dans mon pot. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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