Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_14/BAN599
Théodore de BANVILLE
RIMES DORÉES
1875
A la Jeunesse
Prologue pour « La Vie de Bohème » au Théâtre de l'Odéon
Mesdames et messieurs, | nous vous donnons La Vie 6+6 a
De Bohème, une pièce | où le rire et les pleurs 6+6 b
Se mêlent, comme aux champs, | où notre âme est ravie, 6+6 a
Les larmes du matin | brillent parmi les fleurs. 6+6 b
5 Pour dire ce refrain | des amours éternelles, 6+6 a
Deux amis, ô douleur ! | séparés aujourd'hui, 6+6 b
Naguères unissaient | leurs deux voix fraternelles : 6+6 a
Puisque l'un d'eux s'est tû, | ne parlons que de lui. 6+6 b
Murger, esprit ailé, | poëte ivre d'aurore, 6+6 a
10 Pour Muse eut cette sœur | divine du Printemps, 6+6 b
La Jeunesse, pour qui | les roses vont éclore, 6+6 a
Et pour devise il eut | ces mots sacrés : Vingt ans ! 6+6 b
C'est pourquoi, tout heureux | de se regarder vivre, 6+6 a
Toujours les jeunes cœurs | de vingt ans aimeront 6+6 b
15 Ces filles du matin | qui passent dans son livre 6+6 a
Et meurent sans avoir | de rides sur leur front. 6+6 b
Qui ne les adora, | ces fleurs de son poëme ? 6+6 a
Qui de nous, qui de nous, | ô rêveuse Mimi 6+6 b
Enamourée encor | sous le frisson suprême, 6+6 a
20 N'a dans un rêve ardent | baisé ton front blêmi ? 6+6 b
Et toi, Musette, reine | insoucieuse et folle, 6+6 a
Qui n'a cherché tes yeux, | qui n'a redit ton nom ? 6+6 b
Qui sur ta lèvre ouverte | au vent, rose corolle, 6+6 a
Ne retrouve à la fois | Juliette et Manon ? 6+6 b
25 Oui, tant qu'un vin pourpré | frémira dans nos verres, 6+6 a
Ces fillettes vivront, | couple frais et vermeil. 6+6 b
Pourquoi ? c'est qu'elles ont | l'âge des primevères 6+6 a
Et l'actualité | du rayon de soleil. 6+6 b
Le livre un soir devint | une pièce applaudie 6+6 a
30 Et même fit fureur | autant qu'un opéra. 6+6 b
Le miracle nouveau | de cette comédie, 6+6 a
Ce fut qu'en l'entendant | l'on rit et l'on pleura. 6+6 b
On s'étonnait surtout | qu'en des scènes rapides 6+6 a
L'esprit, versant la joie | et l'éblouissement 6+6 b
35 Avec son carillon | de notes d'or splendides, 6+6 a
Pût laisser tant de place | à l'attendrissement. 6+6 b
Puis l'œuvre, que le temps | jaloux n'a pas meurtrie, 6+6 a
De théâtre en théâtre | a suivi son destin, 6+6 b
Mais elle trouve enfin | sa réelle patrie 6+6 a
40 En abordant ce soir | au vieux Pays Latin ! 6+6 b
O vous en qui sourit | l'avenir de la France ! 6+6 a
O jeunes gens, Murger | calme, vaillant et doux, 6+6 b
Nous versait en pleurant | le vin de l'espérance : 6+6 a
Où serait-il compris | si ce n'est parmi vous ? 6+6 b
45 Il fut des vôtres, car | il eut le fier délire 6+6 a
Du noble dévouement | et des belles chansons, 6+6 b
Et je devine bien | que vous allez lui dire : 6+6 a
Reste avec nous. C'est bien. | Nous te reconnaissons. 6+6 b
Il fut de votre race, | ô nation choisie ! 6+6 a
50 Il se donnait à vous | qui, malgré les moqueurs, 6+6 b
Ne déserterez pas | la sainte Poésie, 6+6 a
Et dont la soif de l'or | n'a pas séché les cœurs ! 6+6 b
Comme sa comédie | où, voilé de tristesse, 6+6 a
Murmure sous les cieux | le rire aérien, 6+6 b
55 Est à vous, bataillon | sacré de la jeunesse, 6+6 a
Nous vous la rapportons. | Reprenez votre bien ! 6+6 b
Le poëte pensif | qui vous donna La Vie 6+6 a
De Bohème, adora | dans ses rêves d'azur 6+6 b
La gloire, cette amante | ardemment poursuivie, 6+6 a
60 Et toujours se garda | pour elle honnête et pur. 6+6 b
Ses héros sont parfois | mal avec la fortune : 6+6 a
Vous les voyez soupant | au milieu des hivers 6+6 b
D'un sonnet romantique | ou bien d'un clair de lune, 6+6 a
Mais fidèles, mais vrais, | mais indomptés, mais fiers ! 6+6 b
65 Leurs châteaux éclatants, | faits d'un rêve féerique, 6+6 a
N'ont encore été vus | par nul historien, 6+6 b
Et sont bâtis dans une | Espagne chimérique, 6−6 a
Mais enferment l'honneur, | sans lequel tout n'est rien. 6+6 b
Vous recevrez chez vous | ces hôtes en liesse, 6+6 a
70 Comme des voyageurs | qui parlent d'un ami. 6+6 b
Oui, vous applaudirez | et l'esprit de la pièce 6+6 a
Et votre doux Murger, | à présent endormi ! 6+6 b
Et vos regrets amers | pour ce jeune poëte 6+6 a
Emporté loin de nous | par un vent meurtrier 6+6 b
75 A sa lyre à présent | détendue et muette 6+6 a
Ne refuseront pas | quelques brins de laurier ! 6+6 b
Car vous êtes de ceux | dont la pitié profonde 6+6 a
Garde les verts rameaux | qui croissent sous le ciel 6+6 b
Pour les penseurs trop vite | exilés de ce monde 6+6 a
80 Et pour ce que les morts | nous laissent d'immortels ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
logo du CRISCO logo de l'université