Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAN_13/BAN576
Théodore de BANVILLE
OCCIDENTALES
1875
Ancien Pierrot
Hommes hideux, et vous dont Amour fait sa gloire, 6+6 a
Femmes ! je vous dirai ma déplorable histoire. 6+6 a
J'étais Pierrot. — Comment ! Pierrot ? — Mais oui, Pierrot. 6+6 b
J'étais Pierrot. Voler au rôtisseur son rôt, 6+6 b
5 Dérober des poissons aux dames de la Halle 6+6 a
Tout en les fascinant d'un œil tragique et pâle, 6+6 a
Boire, manger, dormir, tels étaient mes destins, 6+6 b
Et je gtais l'ivresse énorme des festins ! 6+6 b
Plus blanc que l'avalanche et que l'aile des cygnes, 6+6 a
10 J'étais spirituel et je parlais par signes. 6+6 a
Avec mon maître, vieux et sinistre coquin, 6+6 b
Nous poursuivions dans les campagnes Arlequin 6−6 b
Et sa délicieuse amante Colombine. 6+6 a
Mais dès que je levais contre eux ma carabine, 6+6 a
15 Sur un fleuve brillant comme le diamant 6+6 b
Ils s'enfuyaient dans des nefs d'or. C'était charmant. 6−6 b
Nous nous rencontrions parfois. Moins doux qu'Arbate, 6+6 a
J'assommais Arlequin avec sa propre batte. 6+6 a
Colombine, fuyant la cage et le réseau, 6+6 b
20 M'effleurait, en son vol tremblant, comme un oiseau ; 6+6 b
Je prodiguais, parmi les cris et les tumultes, 6+6 a
A Cassandre ébloui, des coups de pied occultes ; 6+6 a
Je riais, et la fée Azurine parfois, 6+6 b
A l'heure où le soleil teint de pourpre les bois, 6+6 b
25 Faisait jaillir pour moi, parmi les fleurs écloses, 6+6 a
Des pâtés de lapin dans les buissons de roses ! 6+6 a
Oh ! la fée Azurine ! Un jour, — ô mon pinceau, 6+6 b
Reste chaste ! — sur l'herbe, auprès d'un clair ruisseau, 6+6 b
Je la surpris dormant, sa poitrine de neige 6+6 a
30 A découvert. J'étais Pierrot. Que vous dirai-je ? 6+6 a
Sur ces lys, — un malheur est si vite arrivé ! 6+6 b
Je mis ma lèvre, hélas ! Puis je récidivai, 6+6 b
Trois fois. J'étais Pierrot. Mais la fée adorable 6+6 a
S'éveilla toute rouge, et me dit : Misérable, 6+6 a
35 Deviens homme ! Aussitôt, — prodige horrible à voir ! 6+6 b
Je sentis sur mon dos pousser un habit noir. 6+6 b
Comme si j'eusse é Français, Tartare ou Kurde, 6+6 a
Il me vint des cheveux, cette parure absurde ; 6+6 a
Sur mon front je sentis passer le badigeon 6+6 b
40 Qui rougit l'écrevisse, et comme le pigeon 6+6 b
Qui chante lorsqu'il frit dans une casserole, 6+6 a
J'eus cette infirmi stupide, la parole. 6+6 a
Oui, je parle à présent. Je fume des londrès. 6+6 b
Tout comme Bossuet et comme Gil Pérès, 6+6 b
45 J'ai des transitions plus grosses que des câbles, 6+6 a
Et je dis ma pensée au moyen des vocables. 6+6 a
Tels s'enfuirent ma joie et mon bonheur perdu. 6+6 b
Mais, dis-je à la cruelle Azurine, éperdu, 6+6 b
Souffrirai-je longtemps cette angoisse mortelle ? 6+6 a
50 Redeviendrai-je pas Pierrot ? — Si, me dit-elle. 6+6 a
Je ne veux pas la mort du pécheur. Quand les vers 6+6 b
Se vendront ; quand, disant : Les raisins sont trop verts ! 6+6 b
Le baron de Rothschild, abandonnant le mythe 6+6 a
De l'or, embrassera la carrière d'ermite ; 6+6 a
55 Lorsque les fabuleux académiciens 6+6 b
Ne mettront plus d'abat-jour verts ; quand les anciens 6−6 b
Romantiques, trouvant Hernani par trop raide, 6+6 a
Pâmeront de bonheur sur les vers de Tancrède ; 6+6 a
Quand on ne verra plus, chez les Turcs, le vizir 6+6 b
60 Étrangler des sultans ; quand, suivant sans plaisir 6+6 b
Les nymphes aux cheveux maïs, faisant fi d'elles, 6+6 a
Tous les maris seront à leurs femmes fidèles ; 6+6 a
Quand la flûte prendra la place des tambours ; 6+6 b
Lorsque enfin les bourgeois, ces habitants des bourgs 6+6 b
65 Qui, dans l'Espagne en feu comme dans le Hanovre, 6+6 a
Furent extasiés par Le Convoi du Pauvre, 6+6 a
Aimeront Delacroix et les ciels de Corot, 6+6 b
Toi, tu redeviendras Pierrot. — Grands dieux ! Pierrot ! 6+6 b
Je serai de nouveau Pierrot, fée Azurine ! 6+6 a
70 Criai-je ; et cette fois, au lieu de sa poitrine 6+6 a
Je baisai sa chaussure, et mis ma lèvre sur 6+6 b
Le pan resplendissant de sa robe d'azur ! 6+6 b
A présent, me voi rassuré. Plus de chutes. 6+6 a
Les soldats voudront bien marcher au son des flûtes. 6+6 a
75 Pourquoi pas ? Tout va bien. Je sens pâlir ma chair. 6+6 b
Les vers, à ce qu'on dit, vont se vendre très cher 6+6 b
Dans trois jours. Le baron de Rothschild, je l'accorde, 6+6 a
N'a pas encore pris la bure et ceint la corde ; 6+6 a
Mais nous avons tous nos projets. Il a les siens. 6−6 b
80 Nos seigneurs, messieurs les académiciens, 6−6 b
Pareils à de vieux Dieux dans leur caverne noire, 6+6 a
Ornent encor d'abat-jour verts leurs fronts d'ivoire ; 6−6 a
Mais on doit en nommer de jeunes ce mois-ci. 6+6 b
Les romantiques, peuple en sa faute endurci, 6+6 b
85 Jusqu'ici ne sont pas accourus à notre aide ; 6+6 a
Mais ils diront bientôt : La flamme est dans Tancrède, 6+6 a
Et quant à Hernani, ce n'est qu'un feu grégeois. 6+6 b
Delacroix et Corot prennent chez les bourgeois, 6+6 b
Positivement. L'art dans leurs locaux motive 6+6 a
90 Les éclairs du Progrès, cette locomotive. 6+6 a
Les cocottes, Souris, Chiffonnette et Laïs, 6+6 b
Renoncent aux cheveux beurre frais et maïs ; 6+6 b
Depuis lors, moins friands de leurs épithalames, 6+6 a
Beaucoup de maris sont fidèles à leurs femmes. 6+6 a
95 Donc, en dépit du mal que m'a fait l'archerot 6+6 b
Amour, je vais bientôt redevenir Pierrot ! 6+6 b
O mes aïeux ! ce noir habit va disparaître 6+6 a
De mon dos frémissant ; de nouveau je vais être 6+6 a
Muet comme une carpe, et je ferai des sauts 6+6 b
100 De carpe également, pour étonner les sots. 6+6 b
Oui, ta prédiction s'accomplit, Azurine ! 6+6 a
Mon teint moins agi prend des tons de farine ; 6+6 a
Je suis comme tous les ténors, je perds ma voix ; 6−6 b
Et je ris déjà comme un bossu, quand je vois 6+6 b
105 Pâlir mon nez, pareil à celui de la lune. 6+6 a
Les femmes accourront. — Qu'il est beau ! dira l'une, 6+6 a
Et j'aurai des effets de neige sur mon front. 6+6 b
Et lorsque les petits enfants apercevront 6+6 b
Mon visage embelli d'une blancheur suprême, 6+6 a
110 Ils diront : J'en veux. C'est de la tarte à la crème ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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