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Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE TROISIÈME
AUX AMIS DE PAUL
Ô seigneur ! Que fais-tu des voix et des yeux d'ombre 6+6 a
Et des pleurs à genoux ! 6 b
La nuit silencieuse avec son aile sombre 6+6 a
A passé devant nous. 6 b
5 Hier, nous étions tous réunis, jeunes hommes 6+6 a
Aux rêves palpitants, 6 b
Gais, faisant rayonner sur la route où nous sommes 6+6 a
La foi de nos vingt ans ; 6 b
Sages bohémiens aux colères frivoles, 6+6 a
10 Aimant au jour le jour, 6 b
Et ne disant jamais que de bonnes paroles 6+6 a
D'espérance ou d'amour. 6 b
Et cependant, au lieu d'échanger sans mystère 6+6 a
Mille riants propos, 6 b
15 Nous avions tous le front incliné vers la terre 6+6 a
Dans un morne repos. 6 b
C'est que la terre, hélas ! Cet asile et ce havre 6+6 a
De plaines et de monts, 6 b
Venait, hier encor, d'engloutir un cadavre 6+6 a
20 De ceux que nous aimons ; 6 b
C'est qu'il faut ici-bas que l'heureuse promesse 6+6 a
N'ait pas de lendemain, 6 b
Et qu'il dort maintenant, l'ami plein de jeunesse 6+6 a
Qui nous serrait la main ! 6 b
25 Il dort comme autrefois, mais c'est sous une pierre 6+6 a
Que fouleront nos pas, 6 b
Et la nuit l'enveloppe, et sa jeune paupière 6+6 a
Ne se rouvrira pas ! 6 b
Et quand les fleurs de mai fleuriront sous la glace 6+6 a
30 Pour une autre saison, 6 b
Sur la terre foulée et sur la même place 6+6 a
Renaîtra le gazon. 6 b
Alors tout sera dit. Parmi les rameaux d'arbre 6+6 a
Et les touffes de fleurs 6 b
35 Les regards du passant verront à peine un marbre 6+6 a
Taché de quelques pleurs. 6 b
Alors, sans y penser davantage, la foule 6+6 a
Aux regards effrayés 6 b
Suivra docilement le ruisseau qui s'écoule 6+6 a
40 Dans les chemins frayés. 6 b
Mais nous qui savons tous combien son cher sourire 6+6 a
Fut charmant et vainqueur, 6 b
Et qui dans son regard avons toujours vu luire 6+6 a
Un reflet de son cœur, 6 b
45 Soit que la joie à flots verse dans nos poitrines 6+6 a
Ses trésors épanchés, 6 b
Ou que l'ennui morose et les tristes ruines 6+6 a
Courbent nos fronts penchés, 6 b
Nous dirons à la mort : pourquoi donc sous ton aile 6+6 a
50 As-tu mis le meilleur 6 b
De ceux qui nous prenaient une part fraternelle 6+6 a
De joie et de douleur ? 6 b
Paul qui sentait jadis de chauds baisers de flamme 6+6 a
Sur son front jeune et beau, 6 b
55 N'a pour le caresser à présent, corps sans âme, 6+6 a
Que le ver du tombeau. 6 b
Oh ! N'éprouve-t-il pas dans un terrible songe 6+6 a
Mille frissons nerveux, 6 b
Quand l'insecte, caché dans son orbite, ronge 6+6 a
60 Son crâne sans cheveux ! 6 b
Et pensant à sa vie, à l'aurore si brève 6+6 a
Qui sur son front a lui, 6 b
Nous baisserons la tête, et comme dans un rêve 6+6 a
Nous pleurerons sur lui. 6 b
65 Car il était de ceux pour qui la vie est douce 6+6 a
Et sur qui cette mer 6 b
Qu'un ouragan sur nous incessamment repousse, 6+6 a
N'a rien laissé d'amer. 6 b
Eh bien ! En regardant ceux qui vivent ou meurent, 6+6 a
70 Ces destins répartis, 6 b
Dieu sait ceux qu'il faut plaindre, ou bien ceux qui demeurent 6+6 a
Ou ceux qui sont partis ! 6 b
Car tandis qu'ici-bas des mains impérieuses 6+6 a
Bâillonnent tous nos chants, 6 b
75 Et qu'il nous faut lutter contre les voix rieuses 6+6 a
Et les hommes méchants ; 6 b
Quand nous cueillons la fleur ou l'amante profane 6+6 a
Avec un doux serment, 6 b
Et lorsque sur nos cœurs la fleur rose se fane 6+6 a
80 Et que la lèvre ment ; 6 b
Quand versant les trésors dont notre âme est si pleine, 6+6 a
Dans le riant matin 6 b
Nous marchons, à travers une sinistre plaine, 6+6 a
Vers le but si lointain, 6 b
85 Lui que nous croyons voir, ô folle rêverie ! 6+6 a
D'un œil épouvanté, 6 b
Goûte suavement sans que rien le varie, 6+6 a
Le repos si vanté. 6 b
Les bruits que font ici les hommes et les choses 6+6 a
90 Battus par leurs destins, 6 b
Ne parviennent là-bas qu'à travers mille roses, 6+6 a
Comme des chants lointains. 6 b
Et l'âme délivrée, auguste sœur des vierges, 6+6 a
Être immatériel, 6 b
95 Vole, blanche, à travers les draps noirs et les cierges, 6+6 a
Vers les palais du ciel ! 6 b
Car ils avaient raison, ces sages aux longs jeûnes 6+6 a
Qui sous un ciel de feu 6 b
Disaient : tout est néant, et ceux qui meurent jeunes 6+6 a
100 Sont les aimés de Dieu ! 6 b
mètre profils métriques : 6, 6+6
forme globale type : suite périodique
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