Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
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Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE TROISIÈME
ÉRATO
Nature, où sont tes dieux ? | ô prophétique aïeule, 6+6 a
Ô chair mystérieuse | où tout est contenu, 6+6 b
Qui pendant si longtemps | as vécu de toi seule 6+6 a
Et qui sembles mourir, | parle, qu'est devenu 6+6 b
5 Cet âge de vertu | que chaque jour efface, 6+6 a
Où le sourire humain | rayonnait sur ta face ? 6+6 a
Où s'est enfui le chœur | de tes olympiens ? 6+6 a
Ô nature à présent | désespérée et vide, 6+6 b
Jadis l'affreux désert | des éthiopiens 6+6 a
10 Sous le midi sauvage | ou sous la nuit livide 6+6 b
Fut moins appesanti, | moins formidable, et moins 6+6 a
Fait pour ce désespoir | qui n'a pas de témoins, 6+6 a
Que tu ne m'apparais | à présent tout entière, 6+6 a
Depuis que tu n'as plus | ce chœur mélodieux 6+6 b
15 De tes fils immortels, | orgueil de la matière. 6+6 a
Aïeule au flanc meurtri, | nature, où sont tes dieux ? 6+6 b
Jadis, avant, hélas ! | Que l'ignorance impie 6+6 a
T'eût dédaigneusement | sous ses pieds accroupie, 6+6 a
Nature, comme nous | tu vivais, tu vivais ! 6+6 a
20 Avec leurs rocs géants, | leurs granits et leurs marbres, 6+6 b
Les monts furent alors | les immenses chevets 6+6 a
Où tu dormais la nuit | dans ta ceinture d'arbres. 6+6 b
Les constellations | étaient des yeux vivants, 6+6 a
Ne haleine passait | dans le souffle des vents ; 6+6 a
25 Leur aile frissonnante | aux sauvages allures 6+6 a
Qui brise dans les bois | les grands feuillages roux, 6+6 b
En pliant les rameaux | courbait des chevelures, 6+6 a
Et dans la mer, ces flots | palpitants de courroux 6+6 b
Ainsi que des lions, | qui sous l'ardente lame 6+6 a
30 Bondissent dans l'azur, | étaient des seins de femme. 6+6 a
Mais que dis-je, ô dieux forts, | dieux éclatants, dieux beaux, 6+6 a
Triomphateurs ornés | de dépouilles sanglantes, 6+6 b
Porteurs d'arcs, de tridents, | de thyrses, de flambeaux, 6+6 a
De lyres, de tambours, | d'armes étincelantes, 6+6 b
35 Voyageurs accourus | du ciel et de l'enfer, 6+6 a
Qui parmi les buissons | de Sicile et de Corse 6+6 b
Avec vos cheveux blonds | toujours vierges du fer 6+6 a
Parliez dans le nuage | et viviez dans l'écorce, 6+6 b
Dieux exterminateurs | des serpents et des loups, 6+6 a
40 Non, vous n'êtes pas morts ! | En vain l'homme jaloux 6+6 a
Dit que l'Érèbe a clos | vos radieuses bouches : 6+6 a
Moi qui vous aime encor, | je sais que votre voix 6+6 b
Est vivante, et vos fronts | célestes, je les vois ! 6+6 b
Je vois l'ardent Bacchus, | Diane aux yeux farouches, 6+6 a
45 Vénus, et toi surtout | dont le nom triomphant 6+6 a
Écrasera toujours | leur espoir chimérique, 6+6 b
Ô muse ! Qui naguère | et tout petit enfant 6+6 a
M'as choisi pour les vers | et pour le chant lyrique ! 6+6 b
Nourrice de guerriers, | louangeuse Érato ! 6+6 a
50 Déjà le blanc cheval | aux yeux pleins d'étincelles, 6+6 b
Impatient du libre | azur, ouvre ses ailes 6+6 b
Et de ses pieds légers | bondit sur le coteau. 6+6 a
Saisis sa chevelure, | et dans l'herbe fleurie 6+6 a
Que le coursier t'emporte | au gré de sa furie ! 6+6 a
55 Puis quand tu reviendras, | muse, nous chanterons. 6+6 a
Va voir les durs combats, | les grands chocs, les mêlées, 6+6 b
Des crinières de pourpre | au vent échevelées, 6+6 b
Des blessures brisant | les bras, trouant les fronts, 6+6 a
Et, comme un vin joyeux | sort des vendanges mûres, 6+6 a
60 Le rouge flot du sang | coulant sur les armures, 6+6 a
Et l'épée autour d'elle | agitant ses éclairs, 6+6 a
Et les soldats avec | une âme vengeresse 6+6 b
Bondissant, emportés | par le chef aux yeux clairs. 6+6 a
Va, mais que ni les rois, | ni le peuple, ô déesse, 6+6 b
65 Ne puissent te convaincre | et changer ton dessein, 6+6 a
Car seule gouvernant | les chants où tu les nommes, 6+6 b
Plus forte que la vie | et le destin des hommes, 6+6 b
L'immuable justice | habite dans ton sein. 6+6 a
Puis tu délaceras | ta cuirasse guerrière. 6+6 a
70 Alors, bravant l'orage | effroyable et ses jeux, 6+6 b
Marche, tes noirs cheveux | au vent, dans la clairière, 6+6 a
Va dans les antres sourds, | gravis les rocs neigeux, 6+6 b
Près des gouffres ouverts | et sur les pics sublimes 6+6 a
Qui fument au soleil, | de glace hérissés, 6+6 b
75 Respire, et plonge-toi | dans les fleuves glacés. 6+6 b
Muse, il est bon pour toi | de vivre sur les cimes, 6+6 a
De sentir sur ton sein | la caresse des airs, 6+6 a
De franchir l'âpre horreur | des torrents sans rivages, 6+6 b
Et, quand les vents affreux | pleurent dans les déserts, 6+6 a
80 De livrer ta poitrine | à leurs bouches sauvages. 6+6 b
Le flot aigu, le mont | qu'endort l'éternité, 6+6 a
La forêt qui grandit | selon les saintes règles 6+6 b
Vers l'azur, et la neige | et les chemins des aigles 6+6 b
Conviennent, ô déesse, | à ta virginité. 6+6 a
85 Car rien ne doit ternir | ta pureté première 6+6 a
Et souiller par un long | baiser matériel 6+6 b
Ta belle chair, pétrie | avec de la lumière. 6+6 a
Ton véritable amant, | chaste fille du ciel, 6+6 b
Est celui qui, malgré | ta voix qui le rassure 6+6 a
90 Et ton regard penché | sur lui, n'oserait pas 6+6 b
D'une lèvre timide | effleurer ta chaussure 6+6 a
Et baiser seulement | la trace de tes pas. 6+6 b
Oui, c'est moi qui te sers | et c'est moi qui t'adore. 6+6 a
Viens ! Ceux qu'on a crus morts, | nous les retrouverons ! 6+6 b
95 Les guerriers, les archers, | les rois, les forgerons, 6+6 b
Les reines de l'azur | aux fronts baignés d'aurore ! 6+6 a
Viens, nous retrouverons | le fils des rois Titans 6+6 a
Assis, la foudre en main, | dans les cieux éclatants ; 6+6 a
Celle qui de son front | jaillit, déesse armée, 6+6 a
100 Comme jaillit l'éclair | de la nue enflammée, 6+6 a
Et celui qui se plaît | aux combats, dans les cris 6+6 a
D'horreur, et portant l'arc | avec sa fierté mâle 6+6 b
Cette amante des bois, | la chasseresse pâle 6+6 b
Qui court dans les sentiers | par la neige fleuris 6+6 a
105 Et montre ses bras nus | tachés du sang des lices ; 6+6 a
Celui qui dans les noirs | marais vils et rampants 6+6 b
Exterminant les nœuds | d'hydres et de serpents, 6+6 b
De ses traits lourds d'airain | les tue avec délices, 6+6 a
Puis, celui qui régit | les déesses des flots ; 6+6 a
110 Celui-là qu'on déchire | en ses douleurs divines, 6+6 b
Qui meurt pour nous et, pour | apaiser nos sanglots, 6−6 a
Dieu fort, renaît vivant | et chaud dans nos poitrines 6+6 b
Celle qui, s'élançant | quand l'âpre hiver s'enfuit, 6+6 a
Ressuscite du noir | enfer et de la nuit, 6+6 a
115 Et celle-là surtout, | vierge délicieuse, 6+6 a
Qui fait grandir, aimer, | naître, sourdre, germer, 6+6 b
Fleurir tout ce qui vit, | et vient tout embaumer 6+6 b
Et fait frémir d'amour | les chênes et l'yeuse, 6+6 a
Et fait partout courir | le grand souffle indompté 6+6 a
120 De l'ardente caresse | et de la volupté. 6+6 a
Près de nous brilleront | le sceptre que décore 6+6 a
Une fleur, le trident | et, plus terrible encore, 6+6 a
La ceinture qui tient | les désirs en éveil ; 6+6 a
L'épée au dur tranchant, | belle et de sang vermeille, 6+6 b
125 Dont la lame d'airain | pour la forme est pareille 6+6 b
À la feuille de sauge, | et qui luit au soleil ; 6+6 a
L'arc, le thyrse léger, | la torche qui flamboie ; 6+6 a
Et la grande nature | avec ses milliers d'yeux 6+6 b
Nous verra, stupéfaite | en sa tranquille joie, 6+6 a
130 Voyageurs éblouis, | lui ramener ses dieux ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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